Commission d'enquête Pénurie de médicaments

Réunion du 29 mars 2023 à 16h30

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

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La réunion

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Debut de section - PermalienPhoto de Sonia de La Provôté

Nous poursuivons les travaux de notre commission d'enquête par l'audition de M. Reda Guiha, président de Pfizer France, qui est accompagné de M. Franck Le Breguero, pharmacien responsable, et de Mme Catherine Raynaud, directrice des affaires publiques.

Alors que Pfizer figure depuis longtemps parmi les leaders mondiaux du secteur pharmaceutique, son chiffre d'affaires a encore doublé au cours des dernières années pour dépasser, en 2022, les 100 milliards de dollars. Cette hausse, aussi soudaine que spectaculaire, est due pour l'essentiel au développement et à la commercialisation, en quelques mois, d'un vaccin contre l'épidémie de covid-19, ayant représenté à lui seul la majorité des injections réalisées en Europe.

Si ce formidable succès industriel a fini d'assurer la notoriété internationale de Pfizer, il a également alimenté certaines polémiques. Celles-ci ont notamment visé l'opacité des contrats conclus avec la Commission européenne pour la fourniture de vaccins. Nous vous interrogerons sur les enjeux d'une plus grande transparence des prix des médicaments, demandée de longue date par certaines associations et certains États.

Notre commission d'enquête ayant pour objectif de rechercher les causes des phénomènes de pénurie et leurs liens avec les choix opérés par les industriels, nous souhaitons enfin que vous puissiez nous éclairer sur la manière dont une entreprise comme la vôtre organise et évalue ses chaînes d'approvisionnement et ses stocks. Quelles actions entreprend Pfizer pour s'assurer de la disponibilité de ses produits en France et, le cas échéant, y investir dans des capacités de production ?

Nous vous remercions, monsieur le président, de nous faire un bref propos introductif, après quoi notre rapporteure vous posera une première série de questions.

Cette audition est diffusée en direct sur le site internet du Sénat. Elle fera l'objet d'un compte rendu publié.

Avant de vous donner la parole, je vous rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal.

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Reda Guiha, ainsi que Mme Catherine Raynaud et M. Franck Le Breguero prêtent serment.

Debut de section - Permalien
Reda Guiha, président de Pfizer France

Je vous remercie de nous avoir invités pour évoquer ce sujet particulièrement important des pénuries de médicaments. Ce phénomène, complexe et multifactoriel, constitue une préoccupation majeure pour Pfizer, comme pour toutes les parties prenantes de notre système de santé. J'ajoute qu'à titre personnel, en tant que pharmacien, cette question me tient particulièrement à coeur.

Notre portefeuille de produits en France comprend 120 médicaments et vaccins, soit 351 présentations. À 90 %, ces produits sont des médicaments d'intérêt thérapeutique majeur (MITM), faisant l'objet de plans de gestion des pénuries (PGP). Nos médicaments permettent de traiter de nombreuses pathologies dans des aires aussi différentes que l'immunologie, l'oncologie, la virologie, les vaccins, les maladies rares et la médecine interne.

S'agissant des produits en cours de développement, nous comptabilisons à ce jour 110 programmes de recherche, dont 23 en phase 3 et 16 en phase d'enregistrement. En 2021, près de 9 000 patients étaient inclus dans nos essais cliniques en France.

Pfizer dispose de 36 sites de production en propre, localisés en Europe, Amérique du Nord, Amérique du Sud, Afrique du Nord, Moyen-Orient, Océanie et Asie. Notre chaîne d'approvisionnement et de production comprend également plus de 315 sites externes, répartis dans 44 pays, dont 14 pays européens.

Notre entreprise est très peu dépendante de la Chine et de l'Inde. Les trois quarts de la production de médicaments réalisée dans ces deux pays sont destinés à leur approvisionnement. La production en provenance de ces pays ne représente pas plus de 0,6 % de nos médicaments distribués en France, dont 98 %, d'ailleurs, sont fabriqués en Europe.

Enfin, nous mettons à disposition des patients des médicaments très innovants comme des produits plus matures, des médicaments chimiques comme biologiques, des anticorps monoclonaux comme des vaccins, des médicaments biosimilaires comme, bientôt, des médicaments de thérapie génique.

Comprenez donc qu'au sein d'un portefeuille aussi diversifié, tous nos médicaments ne soulèvent pas les mêmes enjeux.

Pour en venir aux pénuries, celles-ci constituent un phénomène global, qui ne se restreint pas à la France et dont les causes sont nombreuses.

Ces causes peuvent être externes. Ce peut être une augmentation brutale et imprévisible de la demande sur certains produits - ce fut le cas au début de la crise du covid-19 pour les curares, avec une multiplication par quatre de la demande en quelques jours et la nécessité dans laquelle nous nous sommes trouvés de devoir livrer l'équivalent de plusieurs mois de stock en quelques semaines. Ce peut être, aussi, une situation de tension ou de rupture affectant une entreprise concurrente, qui nous oblige alors à fournir des volumes exceptionnels. Ces phénomènes peuvent être amplifiés par la pratique, par certains grossistes, d'exportations parallèles.

Ces causes peuvent être internes. Nous pouvons ainsi subir des retards liés à des problèmes industriels affectant des fournisseurs, par exemple de matières premières, d'excipients ou d'articles de conditionnement. Nous pouvons également - c'est un point fondamental - avoir engagé des investigations en matière de qualité. Tous nos médicaments sont effectivement soumis à des processus de qualité particulièrement stricts.

Dans la grande majorité des cas, les pénuries de médicaments sont indépendantes des décisions prises par les entreprises pharmaceutiques. C'est pourquoi, afin de prévenir les situations de rupture, nous travaillons main dans la main avec le Gouvernement et les autorités, notamment l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), dont les équipes sont particulièrement à l'écoute et réactives.

Malgré tous nos efforts, Pfizer connaît malheureusement des situations de tension ou de rupture.

En 2022, nous avons adressé 123 notifications de risque de rupture ou de rupture projetée à l'ANSM. Un tiers de ces notifications étaient liées à des causes externes, les deux tiers à des causes internes, dont, pour 10 % du total, des investigations complémentaires en matière de qualité. Seules 41 notifications ont abouti à une rupture effective d'approvisionnement, avec une durée moyenne de ces épisodes de 45 jours. Dans les 82 autres cas - soit les deux tiers des cas -, des solutions ont été trouvées pour garantir l'approvisionnement du marché. Ceci a été possible grâce à une détection précoce des tensions d'approvisionnement, la mise en place de mesures de mitigation ou l'identification d'alternatives thérapeutiques en interne.

Pour conclure, quelques pistes de réflexion visant à améliorer la façon dont nous prévenons les situations de tension ou de rupture et y faisons face.

Depuis le début de la crise du covid-19, les débats sont nombreux autour de la relocalisation de la production de médicaments. Il nous apparaît impossible d'envisager une relocalisation complète de la chaîne de production du médicament, que ce soit en France ou dans tout autre pays. La production d'un médicament fait appel à de nombreuses expertises et de nombreux acteurs, qui ne se trouvent pas tous au même endroit. Le vaccin contre la covid-19, par exemple, implique 280 composants et exige neuf étapes industrielles.

Non seulement vouloir tout localiser en un seul pays serait illusoire, mais, même, ce ne serait pas souhaitable : nous avons la conviction que la meilleure garantie en termes de sécurisation des chaînes de production est le recours aux meilleurs spécialistes dans chaque domaine. Nous avons procédé de la sorte pour le vaccin précédemment cité, et ces spécialistes étaient localisés dans différents pays. C'est cette logique qui nous a permis de faire preuve de flexibilité et d'éviter toute rupture d'approvisionnement en vaccin, même au plus fort de la crise sanitaire.

Le plus important est l'expertise, non la localisation. Il serait donc intéressant d'inciter les industriels à garantir la robustesse et l'agilité de leurs chaînes de production, plutôt que de relocaliser en France.

Une autre solution consisterait à faciliter l'importation de lots destinés à des marchés étrangers en cas de tension, en avançant, notamment, sur la mise en place de notices dématérialisées, ce qui permettrait de limiter l'immobilisation de lots lors de modifications à la marge de ces notices. Nous avons été confrontés à une telle situation en avril 2020, à la suite d'une demande des autorités de retirer du lactose d'un de nos médicaments de la famille des corticoïdes. L'ANSM nous a accompagnés et autorisés à importer des lots Pfizer destinés au marché belge, ce qui a permis la prise en charge des patients français.

Deux autres mesures nous paraissent intéressantes : réfléchir aux conditions de prix de certains médicaments matures, dont les coûts de production excèdent parfois le tarif de remboursement ; éviter au maximum toute exigence réglementaire propre au marché français pour privilégier un alignement européen, ce qui permettrait d'éviter que certains lots soient produits pour le seul marché français.

Debut de section - PermalienPhoto de Laurence Cohen

Permettez-moi tout d'abord de vous féliciter pour le vaccin Pfizer contre la covid-19, qui a permis de sauver de nombreuses vies. Je voulais vous en remercier en mon nom et, je pense, au nom de l'ensemble des membres de la commission.

L'année dernière, à l'occasion du sommet annuel Choose France, Pfizer a annoncé investir 520 millions d'euros en France pour renforcer ses capacités de production, stimuler la recherche et l'innovation. Que représente le marché français au regard du chiffre d'affaires mondial de votre groupe ?

Plusieurs spécialités Pfizer ont récemment connu des difficultés d'approvisionnement, comme la vincristine, médicament injectable utilisé, notamment, dans le cadre de chimiothérapies. Pouvez-vous revenir sur les causes des tensions et sur la façon dont vous avez réussi à sécuriser la chaîne d'approvisionnement dans cet exemple précis ?

Je vous ai félicités en début d'intervention pour vos vaccins contre la covid-19. Néanmoins, votre entreprise a aussi été critiquée, notamment par les députés européens, du fait du manque de transparence autour des contrats conclus pour la livraison de ces vaccins. Pourquoi les contrats signés entre Pfizer et la Commission européenne n'ont-ils pas été rendus publics ? Renforcer la transparence sur les prix serait de nature à améliorer la confiance des populations envers les laboratoires pharmaceutiques...

Les prix proposés pour ce vaccin ont également suscité des réactions - aux États-Unis, le prix aurait tout d'abord été fixé à 120 euros pour, ensuite, tomber à 30 euros. Cette information a d'autant choqué que, dans le même temps, la presse annonçait un coût de production nettement plus bas, de deux euros à peine. Selon Oxfam, la majoration aurait été de 10 000 % ! Que pouvez-vous nous dire à propos de ces écarts ?

Par ailleurs, le 26 août 2022, le laboratoire Moderna a engagé une bataille judiciaire contre Pfizer, en vous accusant d'avoir violé des brevets sur les technologies essentielles à son vaccin à ARN messager contre la covid-19. Pouvez-vous nous donner votre appréciation sur cette affaire ?

Enfin, depuis le début de nos auditions, nous sommes frappés par le décalage entre les produits dits « matures », souvent victimes de tensions d'approvisionnement et de pénuries, et les produits innovants. Pourrions-nous avoir votre analyse sur ce point ? Je rappelle que le terme « innovant » peut faire référence à une « nouveauté », mais on l'applique aussi à des produits n'apportant pas de réelles avancées thérapeutiques. Autrement dit, ce mot pourrait-il être utilisé en vue de justifier des pratiques de prix élevés ?

Pour conclure cette première série de questions, je me réjouis qu'il y ait des pharmaciens à la tête de Pfizer !

Debut de section - Permalien
Reda Guiha, président de Pfizer France

La France représente en moyenne, et non pour le seul groupe Pfizer, 4 % du marché pharmaceutique mondial. Elle est le cinquième marché mondial après, dans l'ordre, les États-Unis, la Chine, le Japon et l'Allemagne.

Debut de section - Permalien
Franck Le Breguero, pharmacien responsable, Pfizer

S'agissant de la vincristine, les tensions d'approvisionnement que nous avons connues étaient liées à des causes externes. L'un de nos deux fournisseurs principaux en France rencontrait des difficultés d'approvisionnement sur le principe actif, un alcaloïde extrait de la pervenche de Madagascar. Du fait d'aléas climatiques, les récoltes ont été mauvaises. On peut rencontrer ce même type de phénomènes sur des principes actifs d'origine animale en cas d'épidémie.

Pfizer n'était pas réellement en difficultés, mais la coopération a bien fonctionné et, via les autorités, nous avons pu apporter un renfort au sous-traitant : nous avons utilisé des stocks disponibles destinés au marché espagnol et l'ANSM nous a accompagnés dans cette démarche. J'insiste donc sur l'importance de l'anticipation dans la détection et de la coopération entre acteurs. Les causes des tensions ou pénuries étant multiples, il faut faire preuve de beaucoup d'agilité pour trouver les solutions adaptées à chaque contexte.

Debut de section - Permalien
Reda Guiha, président de Pfizer France

Les contrats relatifs au vaccin contre la covid-19 ont été discutés au niveau de notre maison-mère, directement avec la Commission européenne. Cette partie relève du secret des affaires.

S'agissant du prix du vaccin, je ne peux me prononcer sur une situation rencontrée aux États-Unis. En revanche, tout en rappelant combien le marché pharmaceutique français est régulé, je peux dire qu'entre 2009 et 2019, ce marché a été stable. L'enveloppe n'a pas bougé, malgré, d'une part, l'introduction de plusieurs innovations et, d'autre part, l'accroissement et le vieillissement de la population.

La question relative au contentieux avec Moderna relève à nouveau de notre maison-mère. La procédure est en cours et je ne suis pas habilité à faire des commentaires sur le sujet.

Debut de section - PermalienPhoto de Laurence Cohen

Je me permets d'insister sur la problématique de rivalité en termes de prix entre produits matures et produits innovants, problématique qui nous est souvent remontée. Il semblerait que, parfois, le service rendu par certains produits dits « innovants » n'est pas meilleur que celui qui est apporté par des molécules matures. Comment faire en sorte que l'on n'abandonne pas les molécules matures pour courir derrière des innovations, qui ne donneront pas toujours les résultats escomptés ?

Debut de section - Permalien
Reda Guiha, président de Pfizer France

Tous les médicaments mis à disposition des patients apportent un bénéfice clinique. La décision de les prescrire, ou pas, revient aux professionnels de santé. Nos études cliniques permettent de comparer les nouveaux médicaments à ceux qui font référence. C'est en se fondant sur ces résultats que les médicaments sont enregistrés au niveau européen et évalués par les autorités françaises. Le prix est ensuite établi dans le cadre d'un système qui, je le répète, est extrêmement régulé.

Debut de section - PermalienPhoto de Pascale Gruny

Travaillez-vous sur les maladies rares, un domaine dans lequel, compte tenu du faible nombre de patients concernés, la rentabilité n'est pas forcément au rendez-vous ? D'après nos informations, certains laboratoires ne constitueraient pas les stocks demandés. Comment gérez-vous vos stocks ? Pour quel coût ? S'il était envisagé d'accroître le nombre de mois de stock exigés, cela vous semblerait-il possible d'évoluer en ce sens ? On nous a également parlé de situations - c'était aux États-Unis, je crois - dans lesquelles le laboratoire, en cas de pénurie sur une production donnée, disposait d'un site sur lequel il pouvait rapidement se rabattre. Fonctionnez-vous également de cette manière ?

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Moga

Je voudrais, moi aussi, saluer l'action de votre entreprise pendant la crise du covid-19. Nous l'avons vu, le sujet de la souveraineté dans le domaine des médicaments soulève énormément de questions. Vous nous expliquez qu'il est impossible de relocaliser toute la chaîne de production dans un seul pays. Si ce n'est en France, cette relocalisation peut-elle être envisagée à l'échelle de l'Europe ? Celle-ci offre tout de même de sérieuses garanties en termes de stabilité et d'indépendance... Travaillez-vous avec la Commission européenne sur un possible alignement des spécifications à l'échelle européenne ?

Debut de section - PermalienPhoto de Annick Jacquemet

Je me joins à mes collègues pour vous remercier de ce que vous avez fait pendant la pandémie. Une question technique : pouvez-vous m'expliquer les raisons pour lesquelles on ne déconditionne pas les médicaments en médecine humaine comme on le fait en médecine vétérinaire ?

Debut de section - PermalienPhoto de Pascale Gruny

Dans le contexte, que vous avez décrit, de stabilité du marché pharmaceutique français, associée à un accroissement et un vieillissement de la population, abandonnez-vous certains médicaments pour répondre à la demande en médicaments innovants ?

Debut de section - PermalienPhoto de Sonia de La Provôté

J'imagine que, dans le cas des 41 pénuries constatées en 2022, les médicaments concernés ont été soumis à contingentement. Comment gérez-vous ces contingentements, susceptibles d'engendrer des situations très difficiles du point de vue du prescripteur et du patient ?

Les reproches formulés sur les contrats passés avec l'Europe pour le vaccin contre la covid-19 portaient sur le fait que le risque était entièrement supporté par les pouvoirs publics, le laboratoire n'en prenant qu'une très faible part. Certes, il y a le secret des affaires, mais l'Europe a pris goût à la santé et dispose aussi d'outils qui pourraient être un jour mobilisés. Le vent peut tourner... Comment vous y préparez-vous ?

S'agissant des relocalisations, où sont les failles ? Au niveau des principes actifs, des excipients ? Y a-t-il un potentiel pour que les compétences et les savoir-faire se développent à nouveau en France ou, à défaut, en Europe ?

Debut de section - Permalien
Reda Guiha, président de Pfizer France

Les maladies rares font partie des six aires thérapeutiques dans lesquelles nous avons une forte activité de recherche. Aujourd'hui, sur les 7 000 maladies rares recensées, seules 300 à 350 sont prises en charge. Le différentiel est énorme ! Un consortium a récemment été lancé au niveau européen, afin d'établir des partenariats entre entreprises de médicaments ayant un intérêt pour les maladies rares et centres publics de recherche. Pfizer en a pris le leadership et nous avons insisté pour que l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) soit le fer de lance du dispositif. Ce programme devrait coûter autour de 48 millions d'euros : la moitié serait supportée par l'industrie pharmaceutique, avec, à l'étude, un complément par la Commission européenne.

Debut de section - Permalien
Catherine Raynaud, directrice des affaires publiques, Pfizer

La gestion des stocks au sein de Pfizer fait intervenir, d'une part, la supply chain et, de l'autre, l'équipe qui est en relation avec l'ANSM. En France, nous disposons d'un outil SAP couvrant l'intégralité des stocks, dont le paramétrage se situe entre 60 et 75 jours, ainsi qu'un outil d'intelligence artificielle qui calcule en temps réel l'alignement entre les stocks, les prévisions de ventes et les ventes. Au moindre problème, l'équipe en charge des stocks recherche sans attendre des solutions d'ajustement. Les produits critiques sont identifiés par une cellule de réflexion au sein de notre branche qualité et, à partir de là, l'ANSM est informée. Nos moyens d'action sont alors l'importation de lots ou la relance d'une chaîne de production alternative, ce qui demande du temps.

Debut de section - Permalien
Reda Guiha, président de Pfizer France

La philosophie de Pfizer en termes de production repose sur la création de réseaux à l'échelle mondiale. Ces réseaux sont fondés sur le savoir-faire. Nous avons effectivement deux extrêmes dans la gamme de nos produits : d'un côté, des produits chimiques dont la fabrication ne demande que trois étapes - nous nous assurons, néanmoins, que le savoir-faire est présent à chacune de ces étapes - et, de l'autre, des produits comme le Prevenar 13, vaccin contre les infections à pneumocoques, dont chaque dose mobilise 1 700 personnes, 400 composantes, 581 étapes industrielles et 678 tests de qualité pour une durée de production de 24 mois. Un autre axe de notre stratégie est d'assurer, autant que possible, une production située en Europe et, je le répète, 98 % des médicaments et vaccins distribués aujourd'hui en France émanent de l'Europe. Enfin, chacune de nos usines disposent d'un « back-up », c'est-à-dire d'un moyen pour réallouer la production à une autre ligne ou un autre site en cas de difficultés. Nous avons eu recours à ce système à de nombreuses reprises par le passé.

En tout cas, lorsqu'on fabrique des produits aussi complexes que ceux que j'ai décrits, la chaîne doit passer par plusieurs pays, y compris pour des questions de sécurité.

Debut de section - PermalienPhoto de Sonia de La Provôté

Ma question portait sur d'éventuels domaines de compétences qu'il faudrait investir pour permettre une relocalisation...

Debut de section - Permalien
Catherine Raynaud, directrice des affaires publiques, Pfizer

S'agissant des vaccins, nous avons choisi d'utiliser des usines déjà en fonctionnement, notamment celle de Puurs en Belgique, qui avaient déjà les compétences et le niveau de qualité. Cela nous a permis d'aller beaucoup plus vite. Cela étant, une nouvelle technologie a tout de même fait son apparition dans ce domaine, l'ARN messager, et les compétences n'existent pas vraiment en France.

Notre stratégie est donc, soit de travailler avec nos sites, qui sont très performants, soit de recourir à des partenaires, mais avec une très forte exigence en termes de qualité et de compétences. Il nous arrive aussi de procéder à du transfert de technologies, mais cela représente un coût supplémentaire.

Debut de section - Permalien
Reda Guiha, président de Pfizer France

Il faudrait développer les compétences sur les thérapies géniques en Europe, car on en trouve seulement en Suisse. Pour certaines matières premières, la relocalisation s'avère complexe du fait des obligations liées à la réglementation européenne sur les produits chimiques, dite Reach.

S'agissant précisément de la France, nous travaillons pour y accroître la production. Nous avons par exemple investi dans un de nos sous-traitants, Novasep, afin qu'il puisse développer la fabrication du principe actif du Paxlovid, notre médicament antiviral contre la covid-19. L'exportation de ce principe actif se fera donc de la France vers l'international.

Il faut vraiment diversifier les sites de production et travailler sur la flexibilité de la chaîne de production.

Debut de section - Permalien
Franck Le Breguero, pharmacien responsable, Pfizer

Le dispositif retenu pour le conditionnement des médicaments n'est pas de notre ressort : c'est un dispositif réglementaire. Le conditionnement en boîtes va de pair avec des systèmes d'inviolabilité et de traçabilité. Nous examinons comment améliorer notre réactivité sur la question des notices grâce aux moyens digitaux. Dès lors que les conditionnements sont adaptés à l'indication du traitement - et c'est le cas en France -, ce choix est donc, de mon point de vue, le bon.

Debut de section - PermalienPhoto de Sonia de La Provôté

Comment gérez-vous l'« avant-pénurie » et le contingentement ?

Debut de section - Permalien
Franck Le Breguero, pharmacien responsable, Pfizer

Nous allons chercher toutes les options possibles, en fonction, notamment, de notre part de marché sur le médicament concerné ou de la situation des différents canaux de distribution. Comme nous ignorons la durée de l'épisode de tension ou de rupture, nous revoyons les données et modifions la stratégie en permanence, toujours en étroite relation avec l'ANSM. Si la situation exige une adaptation, nous privilégions toujours les besoins les plus urgents, les plus immédiats, en veillant aux problématiques d'équité de répartition.

Debut de section - PermalienPhoto de Laurence Cohen

Nous payons aujourd'hui le prix de trente ans de politique de délocalisations. Certains de vos concurrents basés en France ont beaucoup externalisé, y compris en bradant des sites de production et licenciant de nombreux chercheurs, et ce que l'on nous explique aujourd'hui, c'est qu'il manque non seulement des chercheurs, mais aussi des techniciens expérimentés. Voilà quelques jours, Pfizer a annoncé racheter Seagen, spécialiste des traitements contre le cancer - une « poule aux oeufs d'or », selon les propos du directeur général de Pfizer, Albert Bourla. Une telle stratégie de rachats visant à grossir sans limite n'est-elle pas susceptible de porter préjudice au développement de la production de principes actifs en Europe ou à la sécurisation de la chaîne d'approvisionnement ? Je suis dubitative...

Debut de section - Permalien
Reda Guiha, président de Pfizer France

Notre stratégie se résume en un mot : « partenariat ». Nous avons découvert qu'on ne pouvait pas tout faire soi-même !

Nous avons signé un accord de partenariat en 2018 pour développer un vaccin contre la grippe avec BioNTech : cette stratégie nous semblait la meilleure car l'ARN messager apparaissait alors comme un projet risqué. La pandémie de covid-19 s'est déclenchée juste après et, à nouveau, nous avons pris énormément de risques. Nous avons réussi à fabriquer un vaccin en moins de neuf mois. Cette réussite n'est pas uniquement celle de Pfizer - elle est aussi celle des autorités de santé -, mais cet exemple démontre l'intérêt de notre modèle, fondé sur le partenariat et la recherche du meilleur savoir-faire.

Seagen développe une des meilleures stratégies de lutte contre le cancer, grâce à un anticorps monoclonal qui reconnaît la tumeur et injecte la chimiothérapie. Nous avons été sensibles à leur degré d'avancement et avons considéré que nous pouvions, avec nos chercheurs, améliorer encore la plateforme. Nous ne savons pas encore où la production se fera.

Le vaccin contre la covid-19 est produit à trois heures de voiture d'ici, à Puurs, et notre objectif pour toutes ces nouvelles technologies est de ramener des étapes de production, en particulier des étapes stratégiques, en Europe, si possible en France. Tout cela donne lieu à des discussions avec la maison-mère.

Oui, nous grossissons, mais en faisant du bien ! Nous avons conclu un accord pour 40 millions de doses dans le cadre de l'initiative Covax, dont l'objectif est de distribuer des doses de vaccin anti-covid à des pays à revenu faible. Par ailleurs, notre PDG a présenté en 2022 l'« accord pour un monde en meilleure santé », une initiative qui inclut la mise à disposition de 500 médicaments et vaccins à prix coûtant au bénéfice de 45 pays, ainsi qu'un modèle d'accompagnement et de formation des professionnels de santé. Pour faire tout cela, il faut être gros !

Debut de section - Permalien
Catherine Raynaud, directrice des affaires publiques, Pfizer

Vous avez évoqué des outils, comme, j'imagine, la levée de brevets ou les licences d'office. En matière de levée de brevets, l'exemple du vaccin est frappant. Les brevets sont des incitations à l'investissement en recherche et développement ; si on pratique des levées de brevets, on prend le risque de tarir l'investissement, peut-être nécessaire pour faire face à de futures pandémies. La levée de brevets tuerait l'innovation ! Par ailleurs, nous mettons en place des dispositifs comme les licences volontaires pour permettre l'accès aux médicaments au plus grand nombre.

S'agissant des sites, Pfizer disposait voilà quelques années de neuf sites de production, principalement de produits chimiques, en France. Nous les avons cédés à des façonniers, ce qui a permis de maintenir l'emploi et l'activité. Pendant plusieurs années, la France a perdu en attractivité. Ce n'est plus le cas, et nous travaillons sur le sujet.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 18 h 00.