Intervention de Arnaud Quémard

Commission de l'aménagement du territoire et du développement durable — Réunion du 29 mars 2023 à 9h00
Avenir des concessions d'autoroutes — Audition de M. Arnaud Quémard directeur général de la société des autoroutes du nord et de l'est de la france sanef

Arnaud Quémard, directeur général de la Société des autoroutes du nord et de l'est de la France :

Les concessions autoroutières remontent aux années 1950. Le groupe Sanef, par exemple, existe depuis 1963. Ce modèle a permis de réaliser des investissements importants et de construire un réseau d'excellente qualité, non pas avec l'argent des contribuables, mais grâce à de la dette et sur le modèle vertueux de l'utilisateur-payeur, par lequel les utilisateurs, qu'ils soient français ou étrangers, contribuent au remboursement des investissements ainsi qu'au financement de l'entretien.

De nombreux pays étrangers saluent la qualité de nos infrastructures autoroutières et de leur entretien.

La durée des concessions consenties, de 60 ans, doit être appréciée au regard de la masse d'investissements nécessaire à la construction des 10 000 kilomètres d'autoroutes qui desservent l'intégralité du territoire.

Par ailleurs, dans un moment où l'on considère les concessionnaires comme des rentiers, je rappelle qu'ils assument des risques. Dans les années 1970, du fait de la baisse du trafic et du renchérissement du coût des travaux, les chocs pétroliers ont entraîné la faillite de 5 concessionnaires sur 6.

Nous avons du reste subi un choc comparable l'année dernière, quand le prix des travaux de chaussée a augmenté de 20 % du fait de l'inflation. Le trafic de poids lourds, fortement impacté par la crise de 2008, n'a retrouvé son niveau d'avant la crise qu'en 2019.

Plus récemment, après les crises des Gilets jaunes et du covid, la société des autoroutes Paris-Normandie, qui s'est trouvée dans l'incapacité de subvenir aux besoins de construction de l'autoroute A14 - notamment les travaux du grand tunnel sous la forêt de Saint-Germain - du fait de l'explosion des coûts et s'est vue menacée de faillite, a été adossée au groupe Sanef.

On entend souvent que les autoroutes ont été privatisées alors qu'en réalité, les actions des sociétés d'autoroute ont été vendues par le biais d'un appel d'offres.

Par ailleurs, depuis 2015, l'État a resserré le cadre législatif et contractuel des concessions. La loi Macron de 2015 a notamment doté l'Autorité de régulation des transports (ART), créée en 2009, de compétences dans le secteur autoroutier concédé. Son travail est unanimement reconnu. Sous la houlette de l'ART, les avenants aux contrats récents contraignent davantage les taux de rentabilité interne (TRI). De plus, le concédant a considérablement renforcé les contrôles au travers du rehaussement des indicateurs de bon état, d'entretien et de sécurité.

Depuis de nombreuses années, les résultats de la Sanef sont très au-dessus des normes retenues pour chaque indicateur. Par un avenant signé en janvier dernier, nous avons en outre été la première société d'autoroutes à intégrer une annexe relative au bon état d'entretien de notre patrimoine en fin de concession. Comme vous le savez, les contrats originaux contiennent une phrase très générale prévoyant que les autoroutes doivent être rendues en bon état. Suite à un travail important avec notre concédant, nous avons défini par des indicateurs indiscutables la notion de bon état d'entretien en fin de concession, dans la droite ligne des indicateurs qui sont aujourd'hui vérifiés par l'État et sur lesquels nous sommes pénalisés si nous n'atteignons pas ces niveaux.

Pour répondre à votre question, monsieur le président, la préparation à la remise du patrimoine qui nous a été concédé passe ainsi des discussions techniques avec des ingénieurs en travaux publics. Le réseau Sanef est à ce jour en excellent état et propre à être remis.

Le contrat de concession prévoit qu'un audit soit réalisé 7 ans avant la fin de la concession. Nous avons déjà commencé à échanger des éléments avec les services de l'État, avec lesquels nous entretenons un dialogue constant. Le travail important qui doit être mené sera facilité par la contractualisation d'éléments techniques que nous avons commencée - celle-ci permettra notamment d'éviter de longs contentieux.

Je rappelle du reste que si seulement 15 % du réseau national non concédé est considéré comme en bon état, 85 % du réseau concédé est considéré comme en bon état, en particulier en ce qui concerne les ouvrages d'art - une grande part de Français sont d'ailleurs très satisfaits de la qualité du réseau autoroutier. Sur le réseau non concédé, un tiers des ouvrages d'art nécessitent une réparation urgente, et 7 % présentent un risque d'effondrement. Or il s'écoule en moyenne 22 ans entre la détection d'un défaut et sa réparation sur le réseau non concédé.

L'avenir des concessions relève d'un choix stratégique de l'État.

Faut-il continuer à collecter le péage ? Pour ma part, j'estime que c'est un mécanisme juste, mais qu'il a sans doute besoin d'être adapté en fonction des territoires, notamment en zone périurbaine.

Les recettes dégagées doivent-elles financer les autres modes de transport ? C'est déjà le cas, mais la directive Eurovignette, qui entrera prochainement en vigueur, contraindra la marge de manoeuvre de l'État en matière de péage.

Le choix du modèle contractuel ou d'un autre modèle relève également de la stratégie de l'État. J'estime que le modèle contractuel, qui a montré tous ses avantages, doit perdurer, peut-être avec un meilleur encadrement de la responsabilité et des contrôles renforcés, tout en gardant un caractère attractif pour des investisseurs, qui ne sont pas que des investisseurs français.

Les concessions étant de tailles très différentes, un redécoupage géographique s'impose afin de les rendre plus homogènes, tout en respectant une taille critique en deçà de laquelle les concessionnaires devraient nécessairement être adossés à de grands groupes.

Enfin, les concessions pourraient être consenties pour des durées plus courtes, mais toujours en fonction des montants à investir.

Certains enjeux environnementaux, notamment la décarbonation des transports, ne pourront pas attendre la fin des concessions, soit 2031 pour ce qui concerne Sanef. Les usagers du réseau Sanef sont responsables de 1,8 % des émissions de CO2 totales de la France, pour moitié du fait des véhicules légers et pour moitié du fait des poids lourds.

En ce qui concerne les véhicules légers, nous avons installé des bornes de recharge électrique à très haute puissance sur nos 72 aires de service. Elles permettront de faciliter la décarbonation des véhicules légers.

Si nous ne disposons pas à ce jour de solution mature pour la décarbonation des poids lourds, nous expérimentons, dans le cadre d'un partenariat avec Ceva (anciennement GEFCO) et Engie, des solutions permettant d'exploiter sur les réseaux autoroutiers des camions électriques sur le principe des relais de poste, avec des bornes de recharge haute puissance tous les 400 kilomètres et des tracteurs interchangeables.

Je ne suis pas en mesure d'évaluer le montant des investissements qui seront nécessaires avant la fin des concessions pour la décarbonation. Nous y sommes déjà très engagés, puisque nous sommes en train de construire des pôles d'échange multimodaux, des voies réservées, et que nous sommes en pointe sur le covoiturage ou encore sur la protection de la biodiversité.

L'enjeu collectif qui s'impose à nous aujourd'hui est de ne pas jeter le bébé avec l'eau du bain et de continuer à profiter de cet outil extrêmement efficace que sont les concessions autoroutières. Celles-ci sont un facteur de compétitivité de notre pays et un élément clé de son industrialisation, sans compter que l'autoroute est et restera sans doute encore pour de longues années le vecteur de transport de millions de Français au quotidien. En tout état de cause, je crains qu'un autre modèle soit moins vertueux.

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