Commission de l'aménagement du territoire et du développement durable

Réunion du 29 mars 2023 à 9h00

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • autoroute
  • concession
  • concessionnaire
  • etat
  • modèle
  • rentabilité
  • réseau
  • sanef

La réunion

Source

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-François Longeot

Nous sommes ravis d'accueillir ce matin, pour le lancement de notre cycle d'auditions sur l'avenir des concessions autoroutières, nos collègues Éric Jeansannetas et Vincent Delahaye, respectivement président et rapporteur de la commission d'enquête sur le contrôle, la régulation et l'évolution des concessions autoroutières, qui avait été créée à la demande du groupe Union Centriste.

La publication de votre rapport d'information en septembre 2020 avait fait grand bruit. La commission d'enquête avait alors mis en lumière le caractère déséquilibré des relations entre l'État et les sociétés concessionnaires d'autoroutes (SCA) et ce, dès l'origine de la privatisation des autoroutes. Plus encore, et à l'appui d'une analyse indépendante, votre rapport concluait à une rentabilité importante des actionnaires, qui serait atteinte dès 2022 pour Vinci autoroutes et Eiffage. Vous aviez à cette occasion formulé six axes de recommandations, visant respectivement à renforcer le contrôle et la régulation du secteur autoroutier ; à assurer un contrôle plus étroit des marchés des SCA ; à négocier une amélioration du service rendu aux usagers compte tenu de la rentabilité élevée des SCA ; à assurer un suivi des conséquences de la crise sanitaire ; à préparer la fin des concessions, notamment en définissant une doctrine sur le « bon état cible » des biens de retour ; à anticiper la gestion future des autoroutes.

Depuis la publication de vos travaux, de nouvelles publications sont venues alimenter la réflexion sur l'avenir du secteur autoroutier. Je pense en particulier à la deuxième édition du rapport sur l'économie des concessions autoroutières, qui a été publié par l'Autorité de régulation des transports (ART) en janvier 2023, mais également au rapport de l'Inspection générale des finances sur le modèle économique des sociétés concessionnaires d'autoroutes, qui date de février 2021, mais dont l'existence n'a été révélée que récemment par Le Canard enchaîné et qui a « fuité » dans la presse il y a quelques jours.

Aussi, monsieur le président, monsieur le rapporteur, dans quelle mesure ces nouveaux éléments concourent-ils à une évolution de vos constats et recommandations formulés en 2020 ? L'arrivée à échéance des premiers contrats de concession se rapprochant, quelle est votre vision de l'avenir du secteur autoroutier à la lumière de ces nouveaux éléments de réflexion ?

La Première ministre a, lors de la présentation d'un plan d'avenir pour les transports, esquissé la piste d'une plus importante contribution du secteur autoroutier. Bruno Le Maire a pour sa part indiqué la semaine dernière avoir saisi le Conseil d'État sur la possibilité de raccourcir de quelques années la durée de certaines des concessions. Quel est votre point de vue sur ces récentes déclarations ?

Avant de vous céder la parole, je précise que nous avons fixé une durée maximale d'une heure et quinze minutes pour chacune des auditions ce matin, car nous avons fait le choix d'entendre un grand nombre d'acteurs. C'est pourquoi, en accord avec les chefs de file de chaque groupe, nous avons convenu qu'un seul orateur par groupe politique interviendrait pour chacune des trois auditions de ce matin.

Debut de section - PermalienPhoto de Eric Jeansannetas

La commission d'enquête constituée le 29 janvier 2020 a procédé à une vingtaine d'auditions des principaux acteurs du secteur - l'Autorité de régulation des transports, les ministres en poste lors de la privatisation et du lancement du plan d'investissement autoroutier -, mais aussi des usagers. Notre rapporteur a en outre procédé à une trentaine d'auditions techniques. La commission a rendu son rapport le 16 septembre 2020, lequel a fait l'objet d'un débat en séance publique le 6 mai 2021. Je vous remercie d'avoir remis ce sujet à l'ordre du jour de notre assemblée.

Vous avez rappelé, monsieur le président, les recommandations qui ont été faites dans ce rapport, qui n'était pas un rapport pour rien.

Alors que les tarifs ont augmenté l'année dernière, ils sont encore en hausse cette année, du fait de l'inflation. Cette hausse est jugée très importante compte tenu des difficultés que connaissent nos concitoyens et a remis le sujet en débat. Aussi avons-nous demandé à Clément Beaune il y a quelques semaines l'organisation d'une table ronde sur toutes les questions relatives aux autoroutes. Il a annoncé le lancement d'Assises sur l'avenir des concessions. Bruno Le Maire a lui-même ouvert un débat sur ce sujet - nous espérons qu'il ne s'agit pas d'un simple contre-feu - et demandé au Conseil d'État s'il était possible de raccourcir la durée de certaines concessions.

Nous avons pu, parfois, dire que ces contrats sont déséquilibrés et très favorables aux concessionnaires. Notre travail et nos conclusions tendaient à rééquilibrer la relation entre l'État et les concessionnaires. Nous ne rejetons pas le modèle concessif, même si des alternatives sont possibles. Il faut réfléchir au devenir des concessions et préparer leur fin. Nous avons le temps pour cela, sauf si la durée des contrats venait à être raccourcie après la requête du ministère de l'économie.

J'avoue être circonspect : cette annonce survient alors que notre pays traverse une crise sociale majeure. N'est-elle pas destinée à détourner l'attention ?

Debut de section - PermalienPhoto de Vincent Delahaye

La commission d'enquête a permis de faire un point complet sur le dossier des concessions historiques - 9 000 des 12 000 kilomètres d'autoroutes - et de rééquilibrer le rapport de force entre l'État et les sociétés concessionnaires, principalement Vinci, Eiffage et Abertis. Quand on est concédant, on doit aussi avoir un poids. Or le poids de l'État était insuffisant.

Nous avons fait trois principales propositions.

La première était de ne surtout pas proroger les contrats existants et de mettre fin au système des travaux contre prorogation, contrairement à ce qui s'est fait en 2015 - 4 milliards de travaux ont été prévus contre une prorogation de trois ans. En fait, les sociétés d'autoroutes sont largement gagnantes, mais la collectivité est perdante. Le péché originel est que les contrats n'ont pas été modifiés lors de la privatisation. En 2002, Lionel Jospin, alors Premier ministre, a décidé d'ouvrir le capital des Autoroutes du Sud de la France (ASF) à hauteur de 20 %, le reste a suivi sous Dominique de Villepin. Il aurait alors fallu modifier les contrats et prévoir une clause de revoyure, ce qui n'a pas été fait. Pour ma part, je considère qu'il s'agit de contrats léonins, car on ne peut pas signer de contrat portant sur une durée d'une vingtaine d'années sans prévoir une clause de ce type. Sur ce premier point, je pense que l'action du Sénat a permis d'arrêter les projets de prorogation.

La deuxième proposition portait sur l'équilibre économique et financier des contrats, qui est le point central d'un contrat de concession. Or cet équilibre est toujours évoqué mais n'est jamais défini. Nous avions donc souhaité l'organisation d'une table ronde réunissant l'État, les concessionnaires et l'ART afin de définir cet équilibre. Pour notre part, nous avons considéré qu'il s'agissait de la rentabilité attendue par les actionnaires. Lorsque ces derniers ont investi en 2002, puis en 2006, ils se sont fixé comme objectif un taux de rentabilité de 8 %. Or les chiffres que nous communiquaient les sociétés d'autoroutes étaient toujours couverts par le secret des affaires ; nous ne pouvions pas les publier. Aussi avons-nous publié nos propres prévisions, qui ont été largement confirmées en 2021-2022. Nous avons pu ainsi calculer la rentabilité des actionnaires sur la durée des contrats.

Les sociétés d'autoroute vous diront que la rentabilité se mesure à la fin des contrats, mais il sera alors trop tard ! Aujourd'hui, on considère que Vinci aura atteint les 8 % à la fin de l'année 2023, Eiffage à la fin de 2024. Or les contrats d'Eiffage courent jusqu'en 2034, ceux de Vinci jusqu'en 2036. Abertis atteindra la rentabilité en2031, année de fin de ses contrats.

L'Inspection générale des finances (IGF), dans son rapport qui devait rester secret, mais qui a fini par fuiter, a confirmé la méthodologie appliquée par la commission d'enquête du Sénat pour calculer la rentabilité pour les actionnaires. Elle fait état de quelques petites erreurs méthodologiques de la part de la commission d'enquête, mais je les conteste et j'écrirai à Bruno Le Maire à ce propos. Dans son rapport, l'IGF a repris les réponses du président d'Eiffage, qui ne concernaient pas la méthodologie elle-même.

L'IGF considère que la rentabilité atteindra 12 % à la fin des contrats - nous avions dit 11,3 %, nous sommes dans les mêmes eaux-, mais l'Autorité de régulation des transports l'estime à environ 7,6 %. Les sociétés d'autoroutes s'appuient donc sur l'ART et arguent qu'il n'y a pas de surrentabilité. En réalité, l'ART calcule une rentabilité par projet, mais le détail de ses calculs ne figure pas dans son rapport.

Pour notre part, nous calculons ce que l'investissement a rapporté aux actionnaires. Il faut avoir en tête ces différences de modes de calcul pour discuter de l'équilibre économique et financier. C'est important, car les sociétés concessionnaires peuvent remettre en cause les contrats si elles considèrent que l'équilibre financier n'est pas celui qu'elles avaient prévu à l'origine. Elles ont le droit de dénoncer le contrat.

Par parallélisme des formes, je ne vois pas pourquoi on ne pourrait pas dénoncer des contrats dès lors que l'équilibre économique et financier est atteint sur l'ensemble du contrat. Ainsi, Vinci atteindra 8 % de rentabilité en 2023, même si ce taux est ensuite de zéro jusqu'à la fin des contrats. Je considère donc que l'État peut exercer une pression sur les concessionnaires. Notre rôle aujourd'hui est de mettre la pression sur l'État et sur le Gouvernement afin de rééquilibrer le rapport de force avec les sociétés concessionnaires d'autoroutes.

Notre troisième recommandation était de préparer l'avenir, même si les contrats vont à leur terme. Pour ma part, je ne souhaite pas qu'ils aillent à leur terme. À cet égard, je demanderai à Bruno Le Maire des détails sur sa saisine du Conseil d'État, dont je souhaite connaître la réponse. Si le Gouvernement joue la transparence, nous devrions l'obtenir. Je tiens à m'assurer que l'objectif est bien de réduire la durée des contrats actuels et non pas celle des contrats futurs, tout le monde s'accordant sur la nécessité de réduire la durée de ces derniers.

Pour ma part, je pense que le système des concessions est un bon système dès lors que l'on a de bons contrats et que l'on effectue un bon suivi. Or, en l'espèce, ce n'est pas le cas.

Il est important de préparer l'avenir. Va-t-on continuer avec le modèle des concessions ? Pour quelle durée ? Avec quel type de contrat ? Faut-il créer une société des autoroutes de France qui permette de récupérer de l'argent et de flécher ces ressources sur certaines dépenses, des routes et des infrastructures de transport ? Enfin, il faut absolument veiller à la remise des biens de retour en bon état à la fin de la concession. Or on a plutôt assisté à une baisse des investissements sur les dernières années de contrat, ce qui est assez classique.

J'ajoute enfin qu'il ne faut pas craindre les contentieux. Les sociétés d'autoroutes déposent toujours des contentieux. Elles sont ainsi actuellement en contentieux avec l'État concernant l'indexation des taxes d'aménagement, au motif qu'elle va leur coûter un milliard d'euros d'ici à la fin des contrats en 2036. Or il faut savoir que la baisse du taux de l'impôt sur les sociétés de 33 % à 25 % va leur rapporter, sur la même durée, 7 milliards d'euros ! Elles déposent un contentieux pour un milliard d'euros, mais elles empochent tranquillement 7 milliards... Ces sociétés ont les moyens de payer beaucoup de juristes, avec de l'argent public d'ailleurs, celui des usagers. Il faut que la puissance publique montre qu'elle ne craint pas un éventuel contentieux et que le rapport de force s'inverse.

Debut de section - PermalienPhoto de Laurence Muller-Bronn

Selon vous, comment l'État doit-il aujourd'hui renégocier ces contrats ? Quelle est la marge de manoeuvre du Gouvernement et que peut-il obtenir pour rééquilibrer les bénéfices et partager les gains d'exploitation ? Sans renégociation des contrats, à combien s'élèveraient les pertes pour l'État ?

À plus long terme, est-il envisageable de réduire au moins de moitié la durée des concessions et de prévoir des clauses de modération tarifaire en fonction des bénéfices et des seuils de rentabilité ? Quelles sont les pistes envisageables pour exploiter la rentabilité de ces sociétés au bénéfice des usagers (comme inclure dans les contrats une réduction significative des abonnements pour les trajets quotidiens domicile-travail) ?

Depuis la publication du rapport de la commission d'enquête du Sénat, avez-vous constaté une ouverture du Gouvernement, qui se rapprocherait du constat que vous avez fait et des recommandations que vous avez formulées ? En d'autres termes, pensez-vous qu'il existe aujourd'hui une volonté politique de s'attaquer à ces contrats ? Une volonté qu'il faudra encourager d'après ce que nous avons compris...

J'ai également quelques questions complémentaires en concertation avec collègue Philippe Tabarot. Que pensez-vous des rapports de l'IGF et de l'ART en comparaison avec vos propres conclusions qui avaient été jugées trop à charge en 2020 ? Feriez-vous les mêmes constats aujourd'hui ? Quel montant les concessionnaires pourraient-ils dégager pour les affecter au rail ?

Debut de section - PermalienPhoto de Vincent Delahaye

La commission d'enquête n'aurait pas de raison aujourd'hui de ne pas maintenir ses conclusions, rien n'ayant changé, à part une prise de conscience du Gouvernement.

Bruno Le Maire a reconnu à l'Assemblée nationale la semaine dernière qu'il y avait une surrentabilité, ce qu'il n'avait pas fait lorsque nous l'avions auditionné dans le cadre de nos travaux. On assiste donc à une prise de conscience, comme en témoigne la saisine du Conseil d'État, en partie grâce au travail que nous avons réalisé et à sa médiatisation, qui crée une pression pour que les choses évoluent. Parce que la volonté des sociétés d'autoroutes est que rien n'évolue d'ici la fin des contrats et même qu'ils puissent proroger leurs contrats actuels. Après avoir atteint les 8 % de rentabilité que j'ai précédemment évoqués, les sociétés concessionnaires bénéficieront d'après nous d'une surrentabilité dont le montant oscillera 30 et 35 milliards d'euros, à partir de la fin 2023 pour Vinci et à compter de fin de 2024 pour Eiffage. Une discussion doit avoir lieu sur le partage de la rentabilité entre les concessionnaires, l'État et les usagers.

L'État doit montrer sa volonté. Les concessionnaires ne sont pas tout puissants en raison des contrats qu'ils ont signés. Ces contrats peuvent être critiqués. Dominique de Villepin, à qui j'avais demandé pourquoi les contrats n'avaient pas été modifiés en 2006, avait dit qu'on ne pouvait le faire dès lors que le capital des Autoroutes du sud de la France avait été ouvert au secteur privé. C'est un peu court comme réponse ! Dès lors qu'un appel d'offres était lancé pour une autre partie du réseau autoroutier, il me semble que l'on pouvait modifier les contrats. On a voulu aller vite...

Ségolène Royal nous a dit qu'elle n'avait pas eu connaissance du contenu du protocole signé en 2015 avant de le lire dans la presse ! Elle a signé sans savoir ce qu'elle signait, ce qui est aberrant. Ce protocole prévoyait bien quelques modifications, mais à la marge. La clause sur les excès de rentabilité prévoit des cibles inatteignables, quelle que soit l'évolution du trafic.

Il ne faut pas s'en laisser compter et ne pas céder au chantage des sociétés concessionnaires sur les risques de contentieux. En 2015, Ségolène Royal avait pris la décision de manière unilatérale de geler les tarifs, ce qui mettait l'État en position de faiblesse dans la négociation, cette décision n'étant pas conforme aux contrats. Le rattrapage prévu ensuite s'est étalé jusqu'en 2023, pour un montant total plus important pour les automobilistes que si les tarifs avaient augmenté uniquement en 2015. Encore une fois, la négociation s'est faite trop rapidement en 2015.

C'est pour cela qu'il est important d'anticiper l'avenir comme vous le faites aujourd'hui et comme l'a fait la commission d'enquête. Il ne s'agit pas d'éliminer les sociétés privées ou de dire qu'elles ne doivent pas gagner d'argent, mais la rentabilité doit être raisonnable. On peut tout à fait imaginer se remettre autour de la table tous les trois ans et, si la rentabilité a varié de plus ou moins 5 %, discuter des conséquences.

Quant à la durée des contrats, elle dépendra des investissements que l'on demandera aux sociétés de réaliser.

Enfin, une partie des 30 à 35 millions d'euros de surrentabilité pourra être affectée au financement d'autres infrastructures de transport, mais je ne sais pas quelle part pourra aller au rail. C'est une question que votre commission doit examiner dans le cadre de ses travaux. Je me méfie de la création d'une nouvelle structure, qui entraîne des coûts supplémentaires.

Je ne comprends pas qu'une contribution « volontaire » au financement de l'Agence de financement des infrastructures de transport de France (AFITF) ait été prévue. Il fallait prévoir une contribution, c'est tout.

Debut de section - PermalienPhoto de Eric Jeansannetas

Sur le contrôle des concessions, il y a eu un avant et un après 2015. La création de l'ART est un point très positif, des progrès ont été faits. Les concessionnaires étaient hostiles à sa création, mais ils l'ont acceptée. Des évolutions sont donc possibles. Le rapport de force peut être rééquilibré, sans jeter l'opprobre sur les grandes sociétés autoroutières, lesquelles font leur travail, mais au détriment des pouvoirs publics, leur rentabilité n'étant pas acceptable.

Debut de section - PermalienPhoto de Hervé Gillé

Quel est aujourd'hui le pouvoir de contrôle des travaux avant le retour des biens à la fin de la concession ?

N'est-il pas possible aujourd'hui d'inciter les concessionnaires à effectuer des investissements plus lisibles et plus massifs dans les mobilités durables ? Je pense au déploiement des bornes électriques, mais aussi à l'utilisation des délaissés autoroutiers.

L'AFITF n'a pas les compétences suffisantes aujourd'hui pour jouer le rôle d'un syndicat à l'échelon national. Faut-il transformer cette agence ou créer une nouvelle structure ?

Un certain nombre de syndicats régionaux n'ont pas les moyens d'accompagner une politique de projets à l'échelle régionale, en subsidiarité avec l'ensemble des parties prenantes. Ne pourrait-on pas avoir une part affectée à l'échelon régional, afin de développer une vision d'ensemble sur des projets qui nécessitent des schémas d'organisation et de planification ? On ne peut pas parler de mobilité à l'échelon régional sans schémas de mobilité régionaux, départementaux ou métropolitains.

Debut de section - PermalienPhoto de Frédéric Marchand

Je souhaiterais rappeler que nous avons des autoroutes en excellent état grâce à des grilles tarifaires qui incitent à l'investissement jusqu'en 2035, qui a toutefois le défaut majeur qui est que l'État n'a pas conservé la possibilité d'ajuster les tarifs en fonction du taux de rendement interne actionnaire.

Pensez-vous que le raccourcissement de la durée des contrats et l'instauration d'une clause de revoyure soient réalisables dans le cadre d'une négociation ou faut-il nécessairement attendre la fin des concessions ?

Dans quelle mesure est-il possible de mieux prendre en compte les objectifs de transition écologique ? Je pense notamment au maillage des bornes de recharge pour les véhicules électriques, à la prise en compte des voies réservées, notamment pour le transport partagé. Ces critères peuvent-ils faire l'objet de négociations ou doivent-ils être introduits lors du renouvellement de la concession ?

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Lahellec

Dans un contrat de concession, le concessionnaire est réputé porter quelques risques, que d'autres ne peuvent pas assumer. Quels avantages peut-il en tirer ? Avez-vous réussi à identifier les avantages que procure le modèle concessif ?

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre Médevielle

Je rappelle que les sociétés autoroutières ont réalisé un investissement de départ de 40 milliards d'euros. En 2015, un cabinet mandaté par Ségolène Royal avait conclu à une rentabilité ahurissante, en occultant les investissements réalisés, la reprise de la dette et les années de déficit. Il est difficile de calculer la rentabilité.

Les prorogations sont évidemment un problème, mais elles entraînent des investissements ou sont des compensations lorsque l'État n'a pas tenu ses engagements.

En cas de reprise brutale, quelle serait la crédibilité de la parole de l'État ? La négociation est la solution, mais il est difficile de négocier quand on fait passer les concessionnaires pour des voyous dans la presse, quand on les stigmatise ! Le moment est-il propice à la négociation ? Ne vaudrait-il pas mieux attendre une accalmie ? À quelles conditions est-il possible d'abréger la durée des concessions ? Quels candidats trouvera-t-on ensuite ? Si l'État reprenait les autoroutes, est-on sûr que les recettes seraient affectées aux investissements et à l'entretien des autoroutes, compte tenu de la situation budgétaire de notre pays ? Dans quel état finiraient nos autoroutes ? Il n'est pas certain que l'État dégagerait les mêmes recettes que des professionnels qui connaissent parfaitement leur métier !

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Fernique

L'ART, l'IGF et la commission d'enquête ont adopté des méthodologies différentes pour évaluer la rentabilité des concessions. Que faudrait-il mettre en place pour accroître la transparence et la clarté sur la rentabilité, au moins pour les parlementaires ?

Je sais que l'ART souhaite que l'État soit lié par ses avis.

Comment faire en sorte que les renégociations s'effectuent dans des conditions moins déséquilibrées ? Sachant que les contrats en cours ne font pas l'objet d'un bon suivi, comment arrêter les frais avant les échéances prévues tout en garantissant une bonne qualité des infrastructures, un réseau à jour et en bon état ?

Pour l'avenir, avec l'expiration des principales concessions, les péages seront remis en cause. Le Conseil d'orientation des infrastructures évoque, à règles européennes constantes, un risque de réduction des recettes de 50 % à 70 %. Alors que les recettes fiscales liées aux produits pétroliers vont perdre de leur importance du fait de la fin des moteurs thermiques, ne faut-il pas éviter un paradoxal renforcement de l'attractivité du mode routier ? Comment faire pour qu'une bonne partie des 30 à 35 milliards d'euros de surrentabilité aillent au rail ?

Debut de section - PermalienPhoto de Vincent Delahaye

On constate depuis 2015 une amélioration sensible de la vérification des travaux grâce à l'ART. Faut-il aller jusqu'à prévoir que l'avis de l'autorité s'impose au Gouvernement ? Je n'en suis pas sûr, mais il faudrait au moins que le Gouvernement dise pour quelles raisons il n'en tient pas compte.

Je pense que des investissements dans les mobilités durables peuvent être imposés aux concessionnaires dans le cadre de leurs contrats actuels.

On ne stigmatise pas les sociétés concessionnaires. Je pense qu'elles ont intérêt à négocier, or elles ne discutent de rien. Nous les avons auditionnées, mais elles pratiquent la langue de bois, elles ne sont pas du tout transparentes. Elles ont tort et raisonnent à court terme. Leur stratégie est d'encaisser l'argent et d'attendre 2031 ou 2036. Ce n'est pas une bonne façon de faire. Ma stratégie est plutôt de leur mettre la pression, de leur montrer que la puissance publique doit défendre l'intérêt général. Défendre l'intérêt général, c'est conserver de bonnes autoroutes, modernes, qui s'inscrivent dans un plan de mobilité durable, peut-être dans un contexte de régionalisation.

Demandez donc à ces sociétés quel est, selon elles, l'équilibre économique et financier des contrats. Vous me direz si vous obtenez une réponse ! Elles ne s'engagent sur rien ! Elles considèrent que la rentabilité s'évalue à la fin des contrats. Je pense qu'elles ont intérêt à raisonner à long terme, car il serait dommage d'avoir à se priver de sociétés de qualité.

Bien entendu, il ne faut pas prévoir dans un contrat des conditions susceptibles de décourager toute candidature. L'avantage d'un contrat de concession, c'est qu'il permet de faire réaliser des investissements par une société privée qu'une collectivité publique ne peut pas faire. La société privée s'y retrouve en se faisant rémunérer. Honnêtement, l'État n'a pas montré des qualités de gestionnaire exceptionnelles dans beaucoup de domaines. Dès lors, pourquoi prévoir une gestion publique alors que des sociétés savent faire, à condition d'être bien encadrées ? Il faut toutefois un partenariat gagnant-gagnant.

Aujourd'hui, l'augmentation de 4,75 % des tarifs de péage permettra aux sociétés d'autoroute de réaliser 300 millions d'euros de profits supplémentaires par an, soit 3 milliards d'euros en dix ans !

Je ne tape pas sur les sociétés d'autoroutes, je dis simplement que, en l'occurrence, le rapport normal entre un concédant et les concessionnaires n'est pas respecté. Le concédant a aussi des pouvoirs, il ne doit pas simplement dire amen aux concessionnaires.

Faut-il une nouvelle structure, créer un syndicat ou faire évoluer l'AFITF ? Pour ma part, je pense qu'il faut faire évoluer l'AFITF et lui permettre de bénéficier de contributions obligatoires.

Enfin, je considère que la méthodologie que nous avons employée pour calculer la rentabilité pour les actionnaires a en quelque sorte été validée par l'Inspection générale des finances. L'ART fait un autre calcul, mais je ne le comprends pas. J'aimerais disposer des éléments permettant de le vérifier.

La réglementation européenne est un vrai sujet, qu'il faut approfondir. Un accord a été conclu à l'échelon européen à la suite d'un contentieux entre les Autrichiens et les Allemands. Il a été décidé qu'il ne devrait plus être possible de mettre en place des péages dès lors que les infrastructures sont amorties. Il faut éviter cela. Les autoroutes gratuites ne sont pas une bonne solution, elles favorisent l'utilisation des voitures. Notre pays est très traversé par les véhicules étrangers, on ne peut pas se priver de leurs contributions financières.

L'objectif aujourd'hui est de mettre fin à l'augmentation inconsidérée des tarifs des péages et de récupérer une partie de ces sommes pour faire autre chose.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-François Longeot

Merci pour ce débat intéressant et fondamental. Il va nous falloir également évoquer le sujet de la décarbonation des autoroutes.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

Le compte rendu de cette réunion sera publié ultérieurement.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-François Longeot

Nous en venons à la dernière audition de cette matinée consacrée à l'avenir des concessions autoroutières. Nous accueillons M. Arnaud Quémard, directeur général de la Société des autoroutes du nord et de l'est de la France (Sanef), qui exploite environ 1 800 kilomètres d'autoroutes.

À titre liminaire, je rappellerai que par ce cycle d'auditions qui débute aujourd'hui, notre commission souhaite anticiper la fin des contrats de concessions autoroutières et réaliser le bilan des concessions telles qu'elles ont été pensées et mises en oeuvre jusqu'à présent.

Dans cette perspective, je souhaiterais vous interroger sur les quatre mêmes points que ceux évoqués avec Pierre Coppey.

Ma première question est de nature prospective. Comment appréhendez-vous la fin des contrats de concessions et comment l'anticipez-vous ? Comment vous préparez-vous à la restitution des biens ? Où en sont les inventaires des biens de retour et l'élaboration de la définition d'une doctrine quant au « bon état cible » de ces biens ?

Ma seconde question porte sur la rentabilité des concessions, sujette à de nombreux commentaires. Plusieurs rapports, notamment celui de l'inspection générale des finances (IGF) - qui a récemment « fuité » dans la presse - tendent à montrer que certaines sociétés de concessions autoroutières (SCA) ont des taux de rentabilité bien supérieurs à ce qui était prévu par les contrats de concessions. Certains suggèrent d'étudier l'opportunité de raccourcir la durée des contrats. Bruno Le Maire a indiqué avoir saisi le Conseil d'État de cette question. Que répondez-vous à de tels discours et propositions ?

Ma troisième question porte sur la fiscalité des autoroutes. La Première ministre a évoqué l'idée de faire davantage contribuer le secteur autoroutier au plan d'avenir pour les transports, notamment en faveur du mode ferroviaire. Quel regard portez-vous sur cette proposition ? Je rappelle que les sociétés concessionnaires d'autoroutes remettent en cause, depuis 2021, le versement de la contribution volontaire exceptionnelle à l'Agence de financement des infrastructures de transport de France (Afit France) compte tenu de l'indexation de la taxe d'aménagement du territoire sur l'inflation. Faut-il s'attendre à une réaction similaire si de nouvelles taxes étaient prévues ? Des discussions avec le Gouvernement ont-elles déjà été engagées sur ce point ?

Quels sont enfin les moyens consacrés à la décarbonation des autoroutes ? Avez-vous estimé les besoins totaux en la matière ?

Debut de section - Permalien
Arnaud Quémard, directeur général de la Société des autoroutes du nord et de l'est de la France

Les concessions autoroutières remontent aux années 1950. Le groupe Sanef, par exemple, existe depuis 1963. Ce modèle a permis de réaliser des investissements importants et de construire un réseau d'excellente qualité, non pas avec l'argent des contribuables, mais grâce à de la dette et sur le modèle vertueux de l'utilisateur-payeur, par lequel les utilisateurs, qu'ils soient français ou étrangers, contribuent au remboursement des investissements ainsi qu'au financement de l'entretien.

De nombreux pays étrangers saluent la qualité de nos infrastructures autoroutières et de leur entretien.

La durée des concessions consenties, de 60 ans, doit être appréciée au regard de la masse d'investissements nécessaire à la construction des 10 000 kilomètres d'autoroutes qui desservent l'intégralité du territoire.

Par ailleurs, dans un moment où l'on considère les concessionnaires comme des rentiers, je rappelle qu'ils assument des risques. Dans les années 1970, du fait de la baisse du trafic et du renchérissement du coût des travaux, les chocs pétroliers ont entraîné la faillite de 5 concessionnaires sur 6.

Nous avons du reste subi un choc comparable l'année dernière, quand le prix des travaux de chaussée a augmenté de 20 % du fait de l'inflation. Le trafic de poids lourds, fortement impacté par la crise de 2008, n'a retrouvé son niveau d'avant la crise qu'en 2019.

Plus récemment, après les crises des Gilets jaunes et du covid, la société des autoroutes Paris-Normandie, qui s'est trouvée dans l'incapacité de subvenir aux besoins de construction de l'autoroute A14 - notamment les travaux du grand tunnel sous la forêt de Saint-Germain - du fait de l'explosion des coûts et s'est vue menacée de faillite, a été adossée au groupe Sanef.

On entend souvent que les autoroutes ont été privatisées alors qu'en réalité, les actions des sociétés d'autoroute ont été vendues par le biais d'un appel d'offres.

Par ailleurs, depuis 2015, l'État a resserré le cadre législatif et contractuel des concessions. La loi Macron de 2015 a notamment doté l'Autorité de régulation des transports (ART), créée en 2009, de compétences dans le secteur autoroutier concédé. Son travail est unanimement reconnu. Sous la houlette de l'ART, les avenants aux contrats récents contraignent davantage les taux de rentabilité interne (TRI). De plus, le concédant a considérablement renforcé les contrôles au travers du rehaussement des indicateurs de bon état, d'entretien et de sécurité.

Depuis de nombreuses années, les résultats de la Sanef sont très au-dessus des normes retenues pour chaque indicateur. Par un avenant signé en janvier dernier, nous avons en outre été la première société d'autoroutes à intégrer une annexe relative au bon état d'entretien de notre patrimoine en fin de concession. Comme vous le savez, les contrats originaux contiennent une phrase très générale prévoyant que les autoroutes doivent être rendues en bon état. Suite à un travail important avec notre concédant, nous avons défini par des indicateurs indiscutables la notion de bon état d'entretien en fin de concession, dans la droite ligne des indicateurs qui sont aujourd'hui vérifiés par l'État et sur lesquels nous sommes pénalisés si nous n'atteignons pas ces niveaux.

Pour répondre à votre question, monsieur le président, la préparation à la remise du patrimoine qui nous a été concédé passe ainsi des discussions techniques avec des ingénieurs en travaux publics. Le réseau Sanef est à ce jour en excellent état et propre à être remis.

Le contrat de concession prévoit qu'un audit soit réalisé 7 ans avant la fin de la concession. Nous avons déjà commencé à échanger des éléments avec les services de l'État, avec lesquels nous entretenons un dialogue constant. Le travail important qui doit être mené sera facilité par la contractualisation d'éléments techniques que nous avons commencée - celle-ci permettra notamment d'éviter de longs contentieux.

Je rappelle du reste que si seulement 15 % du réseau national non concédé est considéré comme en bon état, 85 % du réseau concédé est considéré comme en bon état, en particulier en ce qui concerne les ouvrages d'art - une grande part de Français sont d'ailleurs très satisfaits de la qualité du réseau autoroutier. Sur le réseau non concédé, un tiers des ouvrages d'art nécessitent une réparation urgente, et 7 % présentent un risque d'effondrement. Or il s'écoule en moyenne 22 ans entre la détection d'un défaut et sa réparation sur le réseau non concédé.

L'avenir des concessions relève d'un choix stratégique de l'État.

Faut-il continuer à collecter le péage ? Pour ma part, j'estime que c'est un mécanisme juste, mais qu'il a sans doute besoin d'être adapté en fonction des territoires, notamment en zone périurbaine.

Les recettes dégagées doivent-elles financer les autres modes de transport ? C'est déjà le cas, mais la directive Eurovignette, qui entrera prochainement en vigueur, contraindra la marge de manoeuvre de l'État en matière de péage.

Le choix du modèle contractuel ou d'un autre modèle relève également de la stratégie de l'État. J'estime que le modèle contractuel, qui a montré tous ses avantages, doit perdurer, peut-être avec un meilleur encadrement de la responsabilité et des contrôles renforcés, tout en gardant un caractère attractif pour des investisseurs, qui ne sont pas que des investisseurs français.

Les concessions étant de tailles très différentes, un redécoupage géographique s'impose afin de les rendre plus homogènes, tout en respectant une taille critique en deçà de laquelle les concessionnaires devraient nécessairement être adossés à de grands groupes.

Enfin, les concessions pourraient être consenties pour des durées plus courtes, mais toujours en fonction des montants à investir.

Certains enjeux environnementaux, notamment la décarbonation des transports, ne pourront pas attendre la fin des concessions, soit 2031 pour ce qui concerne Sanef. Les usagers du réseau Sanef sont responsables de 1,8 % des émissions de CO2 totales de la France, pour moitié du fait des véhicules légers et pour moitié du fait des poids lourds.

En ce qui concerne les véhicules légers, nous avons installé des bornes de recharge électrique à très haute puissance sur nos 72 aires de service. Elles permettront de faciliter la décarbonation des véhicules légers.

Si nous ne disposons pas à ce jour de solution mature pour la décarbonation des poids lourds, nous expérimentons, dans le cadre d'un partenariat avec Ceva (anciennement GEFCO) et Engie, des solutions permettant d'exploiter sur les réseaux autoroutiers des camions électriques sur le principe des relais de poste, avec des bornes de recharge haute puissance tous les 400 kilomètres et des tracteurs interchangeables.

Je ne suis pas en mesure d'évaluer le montant des investissements qui seront nécessaires avant la fin des concessions pour la décarbonation. Nous y sommes déjà très engagés, puisque nous sommes en train de construire des pôles d'échange multimodaux, des voies réservées, et que nous sommes en pointe sur le covoiturage ou encore sur la protection de la biodiversité.

L'enjeu collectif qui s'impose à nous aujourd'hui est de ne pas jeter le bébé avec l'eau du bain et de continuer à profiter de cet outil extrêmement efficace que sont les concessions autoroutières. Celles-ci sont un facteur de compétitivité de notre pays et un élément clé de son industrialisation, sans compter que l'autoroute est et restera sans doute encore pour de longues années le vecteur de transport de millions de Français au quotidien. En tout état de cause, je crains qu'un autre modèle soit moins vertueux.

Debut de section - PermalienPhoto de Nadège Havet

En janvier dernier, l'Autorité de régulation des transports a préconisé, dans un rapport consacré à l'économie des concessions autoroutières, le raccourcissement des contrats afin de permettre des remises en concurrence plus régulières. Indiquant que le calcul effectué il y a 15 ans était erroné et que système actuel permettait à certains acteurs de profiter de « surrentabilités », Bruno Le Maire a saisi le Conseil d'État.

Dans son rapport, l'ART ne remet pas en question le système en tant que tel, mais préconise des contrats plus courts, notamment lorsque peu de travaux s'imposent. Quel est votre positionnement à ce sujet ?

Par ailleurs, quel volume et quel type d'investissements seront selon vous nécessaires pour adapter le réseau au changement climatique ?

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Lahellec

Je n'ai pas la moindre réserve quant aux partenariats que des institutions, l'État ou des collectivités peuvent construire avec un groupe comme le vôtre. Les exemples du viaduc de Millau et de la ligne à grande vitesse (LGV) Bretagne-Pays de la Loire montrent que les concessionnaires autoroutiers peuvent aussi avoir le souci du développement des modes de transport alternatifs à la route.

De tels partenariats public-privé seront essentiels pour relever collectivement les défis qui sont devant nous.

J'ajoute que je n'ai, pour ma part, aucun doute sur la pertinence du modèle concessif.

Pour autant, un groupe comme le vôtre ne peut pas être insensible au contexte agité dans lequel nous sommes, aux échos qu'il a eus dans la presse et aux propos tenus par le ministre Le Maire. Dans ce contexte, je ne doute pas que vous ayez quelque idée des dispositions qui pourraient être envisagées pour remédier aux difficultés liées notamment sur la question des marges contractuelles. Quelles adaptations vous paraîtraient de nature à rétablir un peu de sérénité ?

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre Médevielle

Je regrette certains rapports à charge qui amènent régulièrement leur lot de polémiques et d'indignation et vous font traverser des zones de turbulence. En période d'inflation, on a tendance à stigmatiser les entreprises qui font « trop » de bénéfices, qu'il s'agisse des fournisseurs d'énergie ou des sociétés d'autoroutes. Pour ma part, j'estime que des entreprises qui font des bénéfices sont des entreprises qui investissent et offrent de l'emploi.

Le modèle actuel ne pourra être reconduit que dans un climat apaisé. Aucune négociation ne pourra aboutir tant que les concessionnaires seront livrés en pâture à la presse.

J'estime également que nous avons besoin d'un partenariat entre l'État et les concessionnaires pour aborder le virage de la transition énergétique, et que des solutions seront trouvées en ce qui concerne la décarbonation des poids lourds, que celles-ci passent par l'électrique ou l'hydrogène.

J'en viens donc à ma question : que pensez-vous du rapport de la commission d'enquête de Vincent Delahaye et Éric Jeansannetas et de ses conclusions ?

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Fernique

Comme vous l'avez indiqué, il est impératif d'avoir un réseau performant, de bonne qualité et, chose nouvelle, résilient aux impacts très forts du réchauffement climatique.

Il convient également que les contrats en cours ainsi que ceux qui suivront garantissent des conditions de coopération entre le public et le privé moins déséquilibrées, qu'ils cadrent mieux les écarts par rapport à l'équilibre économique et financier, qu'ils assurent un suivi partagé et transparent et qu'ils comportent des clauses de revoyure afin de rectifier ce qui s'impose.

Vous avez indiqué qu'il ne fallait pas jeter le bébé avec l'eau du bain. Notre souci est aussi que le bébé soit bien lavé, qu'il le soit régulièrement et que le coût de l'eau ne soit pas exorbitant au profit de quelques-uns.

Il faut enfin accélérer la décarbonation, la transition vers l'électromobilité et l'évolution de l'usage de la route en réduisant l'autosolisme et en améliorant l'efficience du transport routier de marchandises.

Dans ce cadre, il faut rééquilibrer la compétition entre la route et le rail. La route doit contribuer au financement des investissements du rail, mais avec la directive Eurovignette, le potentiel de péage n'est pas assuré à l'avenir -les recettes pourraient être réduites de 50 à 70 % -, a fortiori si l'on n'en élargit pas le périmètre.

Comment réussir effectivement la décarbonation ? Comment assurer un abondement bien plus important de la route pour les investissements dans les modes de transport durables, en particulier le rail ?

Debut de section - PermalienPhoto de Bruno Belin

Il n'est pas question de s'en prendre au bébé, bien au contraire ! Les sénateurs de province que nous sommes savent combien les autoroutes sont essentielles pour les territoires que nous représentons.

Pour autant, le modèle de rentabilité des concessions autoroutières interroge. Faut-il diminuer la durée et le coût des concessions ? Quel est selon vous le modèle idéal ? Comment améliorer le service rendu ?

Dans le contexte d'inflation que nous connaissons, comment envisagez-vous une adaptation des tarifs ?

Quel est votre plan de déploiement des bornes électriques ? Plus généralement, quelle est votre trajectoire d'investissement pour les prochaines années ?

Debut de section - PermalienPhoto de Olivier Jacquin

Bruno Le Maire a annoncé la semaine dernière qu'il saisissait le Conseil d'État pour faire suite aux recommandations formulées par l'IGF. Quelle est votre appréciation des trois scénarios préconisés - la diminution de la durée des contrats, le prélèvement sur les bénéfices ou la baisse des tarifs de péages ?

Notre collègue Vincent Delahaye, dont je salue l'engagement sur ce dossier, indique que l'investissement de 30 à 35 milliards d'euros supplémentaires d'ici à la fin de ces contrats permettrait de rétablir une forme d'équilibre. Est-ce selon vous une solution, par exemple pour accélérer le verdissement ou développer le flux libre ?

Selon vous, de combien de temps doit disposer la puissance publique pour mettre fin aux contrats de concessions en cours et envisager de nouveaux contrats ?

Avec des chercheurs, j'ai interrogé le Gouvernement sur le non-respect de l'article R. 3131-4 du code de la commande publique, qui précise que les concessionnaires doivent produire chaque année un rapport comportant notamment un inventaire des biens désignés au contrat comme biens de retour et de reprise du service concédé. Avez-vous produit un tel rapport ? Si tel n'est pas le cas, comment le justifiez-vous ?

Je viens par ailleurs de déposer une proposition de résolution sur la création d'un modèle alternatif à celui déséquilibré des concessions que nous connaissons aujourd'hui. La commission d'enquête de 2020 a montré que l'une des principales causes de ce déséquilibre tenait à l'inclusion du risque « trafic » au modèle concessif autoroutier. Ceci explique en grande partie le niveau élevé des TRI, que même le ministre Le Maire n'arrive plus à justifier.

Vous exploitez la concession Leonord, à Lyon, dans le cadre d'un contrat qui n'inclut pas ce risque « trafic », et qui prouverait donc que les autoroutiers y trouveraient tout de même leur compte, puisque le marché a été pourvu. Ce modèle est-il attractif pour vous ? Que pensez-vous de la suppression de ce risque dans les contrats ?

Je vous propose enfin, monsieur le président Longeot, d'organiser conjointement avec la commission des finances, l'audition des ministres Le Maire et Beaune. Je souhaite en effet leur demander pourquoi ils se réveillent seulement aujourd'hui, alors que le rapport de l'IGF date de 2021.

Debut de section - Permalien
Arnaud Quémard, directeur général de la Société des autoroutes du nord et de l'est de la France

Selon le rapport de l'IGF, certains concessionnaires auraient une rentabilité supérieure à celle qui est prévue contractuellement, tandis que le TRI « actionnaires » du groupe Sanef se situerait dans l'ordre de grandeur de ce qui était prévu. Ce rapport ne faisant pas état du modèle financier qui a permis d'établir ces données, je suis incapable de vous dire si elles sont exactes, mais je constate que l'IGF et le Conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD) eux-mêmes les manient avec précaution.

Il reste que la rentabilité du groupe Sanef et, partant, de son actionnaire Albertis est peu ou prou celle qui avait été prévue à l'origine. En réalité, nous avons même réalisé 1 milliard d'euros de chiffre d'affaires en moins par rapport à ce qui était prévu dans le modèle initial. C'est donc en quelque sorte 1 milliard d'euros que les usagers n'ont pas payés.

Je n'ai pas de commentaire particulier à formuler sur les propositions de l'IGF, si ce n'est qu'il n'existe pas, dans les contrats de concessions, de clause permettant, sur la base d'une supposée surrentabilité de l'actionnaire, de réduire. Il existe une disposition qui permet de réduire la durée de la concession moyennant une juste compensation, qui se finirait à dire d'expert. La solution fiscale me paraît injuste, car elle s'appliquerait de manière homogène aux sociétés autoroutières privées, dont les rentabilités diffèrent, ainsi qu'à l'unique société d'autoroute, Cofiroute, qui n'a jamais été privatisée.

J'en viens à la question des tarifs. À la demande du ministre des transports, nous avons mis en place des formules d'abonnement efficaces, qui permettent aux usagers de bénéficier de 40 % de réduction sur les trajets du quotidien. Par ailleurs, afin d'encourager la décarbonation, les véhicules électriques bénéficient d'une réduction de 5 % sur l'ensemble des tarifs de péage.

En un peu moins d'un an et demi, nous avons installé près de 500 bornes à haute puissance sur les réseaux du groupe Sanef. Ces bornes font l'objet de sous-concessions dont le repreneur aura l'obligation d'adapter le nombre de bornes en fonction du taux d'occupation.

Pour ce qui concerne les poids lourds, le règlement européen sur le déploiement d'une infrastructure pour carburants alternatifs (Afir) rendra prochainement obligatoire l'installation de bornes de recharge. Les concessionnaires ne pourront pas prendre en charger seuls les lourds investissements qui s'imposeront - cela nécessitera non seulement la création d'aires de service spécifiques, mais aussi la fourniture de volumes d'énergie importants -, d'autant que ces investissements devront s'inscrire dans un schéma directeur global.

Si le développement du véhicule électrique a pu commencer en milieu urbain sur de petites distances et avec des temps de chargement longs, il n'en est pas de même pour les poids lourds. Je ne connais pas la solution, mais je peux vous dire que le groupe Sanef a été l'un des premiers concessionnaires autoroutiers à prendre attache avec les services de l'État pour anticiper les conséquences de ce règlement européen.

L'autosolisme a également été évoqué. C'est l'un des grands enjeux pour le périurbain. L'avenant que nous avons signé en janvier prévoit des investissements dans des pôles d'échanges multimodaux de manière à permettre le passage de modes de transport individuels à des modes de transport collectif sur de grands parkings de covoiturage.

Nous sommes par ailleurs les premiers à avoir effectué la conversion d'une autoroute - l'A13 - en flux libre, qui permet des gains de temps, mais aussi d'argent et de carburant.

La décarbonation passera par un ensemble de mesures, et nous devons trouver les moyens de réaliser ces investissements maintenant, sans attendre la fin des concessions. Cela suppose de construire des partenariats entre les concessionnaires et l'État. Je tiens d'ailleurs à préciser que si des déséquilibres ont pu être pointés dans le passé - les avenants à nos contrats sont du reste désormais soumis à l'ART puis au Conseil d'État -, nous avons une relation de travail de bonne qualité avec les services de l'État.

En tout état de cause, nous ne construirons pas l'avenir en opposant les actionnaires et les usagers. Je ne veux pas m'étendre sur le sujet car la Sanef n'est pas concernée, mais la surrentabilité qui est reprochée à certains groupes tient davantage à la variation des taux d'intérêt qu'au trafic. Si les taux d'intérêt avaient doublé depuis la privatisation, l'IGF n'aurait sans doute pas produit un rapport pour alerter sur des rentabilités trop faibles.

J'en viens aux modèles de concessions. Le groupe Albertis exploite des concessions dans le monde entier, et parfois de manière beaucoup plus encadrée qu'en France, par exemple au Chili ou en Italie, où il existe des clauses de revoyure tous les 5 ans. Il est tout à fait possible de concilier la qualité de la gestion privée, un transfert de risque raisonnable et des clauses de revoyure plus rapprochées.

Il faut certes réinventer le modèle des concessions, tout ne n'obérant pas l'avenir. Il reste un outil efficace qui doit être utilisé au maximum pour faire face aux enjeux de décarbonation.

J'ajoute que la signature de l'État doit être fiable. Vous avez évoqué la hausse de la taxe d'aménagement du territoire. Le groupe Sanef étant engagé dans un contentieux à ce sujet, je n'en dirai qu'un mot. Nos contrats comportent une clause de stabilité de la fiscalité spécifique que l'État est tenu de respecter. En 2015, le gel des tarifs autoroutiers, décidé par la ministre de l'écologie de l'époque, a constitué une grave entorse aux contrats. Si nous voulons attirer des investisseurs étrangers dans le cadre d'une mise en concurrence à l'horizon 2030, il faut que l'État respecte ses engagements contractuels.

Dans le monde entier et depuis les années 1950 en France, le développement des infrastructures est financé par de la dette. Dans les années 1990, la dette des autoroutes avait atteint le même niveau que celle de la SNCF. Grâce au modèle des concessions, et quoi qu'il en soit du taux d'intérêt, nous rendrons à la fin de la concession des sociétés autoroutières libres de toute dette alors que lorsqu'elles étaient fortement endettées lorsque nous les avons reprises en 2006. C'est l'un des grands avantages de la concession, qui comme je l'ai indiqué, est un modèle vertueux.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-François Longeot

Je vous remercie de la clarté de vos propos.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 12 h 15.