Ce texte a deux objets distincts : premièrement, instituer une nouvelle catégorie de lois, à savoir les lois de financement des collectivités territoriales (LFCT) et de leurs groupements ; deuxièmement, renforcer le principe constitutionnel de compensation financière des transferts de compétences, notamment en prévoyant leur réexamen régulier.
Que penser d'un éventuel projet de loi de financement des collectivités territoriales (PLFCT) ? À première vue, l'idée semble séduisante. Il s'agirait de garantir un temps parlementaire dédié à l'examen des mesures intéressant les finances des collectivités territoriales afin de renforcer la lisibilité du système et la visibilité des élus sur l'évolution de leurs ressources, qui font aujourd'hui défaut. À chaque sous-secteur institutionnel - administrations publiques centrales (Apuc), administrations de sécurité sociale (Asso) et administrations publiques locales (Apul) - correspondrait donc un véhicule législatif financier : lois de finances, lois de financement de la sécurité sociale (LFSS) et LFCT. La boucle serait bouclée. Mais le sujet n'est pas si simple et, selon moi, l'institution d'une loi de financement des collectivités territoriales a tout d'une fausse bonne idée - même si beaucoup parmi nous, moi compris, l'ont probablement soutenue à un moment de leur vie parlementaire.
Avant tout, nous ferions face à des difficultés d'articulation majeures avec la loi de finances. Le texte de la PPLC ne permet pas de se prononcer avec précision sur le sujet, puisque ces modalités d'articulation seraient d'ordre organique ; mais la difficulté est évidente, compte tenu du poids des transferts financiers de l'État aux collectivités territoriales.
De deux choses l'une. Soit les transferts financiers de l'État relèvent du nouveau PLFCT, ce qui semble être l'orientation de l'auteur de ce texte : cela reviendrait à retirer du projet de loi de finances (PLF) un peu plus de 107 milliards d'euros. Or notre commission pourrait difficilement admettre, me semble-t-il, une telle atteinte au domaine des lois de finances. Soit les transferts financiers de l'État, qui représentent un peu moins de la moitié des ressources des collectivités territoriales, continueraient à relever des lois de finances : auquel cas l'intérêt des LFCT, dont la portée serait essentiellement programmatique, se révélerait très limité.
Je ne parle même pas des difficultés que cette articulation poserait pour le calendrier parlementaire de l'automne, dont nous savons mieux que quiconque à quel point il est chargé.
Une autre critique majeure peut être retenue à l'encontre de l'institution d'une telle loi de financement : le risque, d'ailleurs bien identifié par les associations d'élus et les universitaires que j'ai auditionnés, qu'elle ne se retourne contre les collectivités territoriales en donnant au Gouvernement un nouvel instrument de contrainte financière.
Rappelons-le : c'est dans une logique assumée de maîtrise des dépenses sociales que les LFSS ont été instituées en 1996. Prétextant la bonne santé financière des collectivités territoriales, sur la base de moyennes globales qui n'ont en réalité guère de sens, le Gouvernement ne manquerait pas d'y insérer des dispositifs de contrainte inspirés des contrats de Cahors. Il disposerait ensuite de tous les outils du parlementarisme rationalisé, que nous connaissons bien, applicables aux textes financiers pour les faire adopter : un calendrier contraint avec une possible mise en oeuvre par ordonnance au terme de celui-ci et, surtout, un recours illimité à l'article 49, alinéa 3. Par les temps qui courent, une telle proposition me semble pour le moins paradoxale.
Vous l'aurez compris, je ne crois pas qu'une LFCT apporte une réponse adéquate aux réels problèmes des collectivités territoriales. Je pense au contraire que nous pouvons beaucoup mieux faire à cadre constitutionnel constant, en mobilisant les outils existants.
Tout d'abord, nous devons nous emparer pleinement du débat relatif aux finances locales de début de PLF, issu de la récente réforme de la loi organique relative aux lois de finances (Lolf). Ce débat permet de remédier en partie au problème de l'éclatement, du fait de la bipartition des PLF, des mesures relatives aux finances locales.
Ensuite, les lois de programmation des finances publiques (LPFP) pourraient offrir le cadre d'un véritable exercice de visibilité sur l'évolution des ressources collectivités territoriales, au lieu d'être un instrument de contrainte.
Enfin, j'ai régulièrement l'occasion de le rappeler, une réforme de la gouvernance des finances locales me paraît indispensable pour que les collectivités puissent réellement être associées à la préparation des textes financiers qui les concernent, à plus forte raison dans un contexte de recours croissant à la fiscalité partagée. La Cour des comptes a d'ailleurs fait sienne cette analyse, dans le cadre de l'enquête sur les scénarios de financement des collectivités territoriales qu'elle a menée à la demande de notre commission. J'ai eu l'honneur de participer à ce travail aux côtés de notre président et de notre rapporteur général.
J'en viens au second objectif de cette PPLC, à savoir le renforcement des exigences de compensation financière des transferts de compétences.
Aujourd'hui, les transferts de compétences de l'État aux collectivités territoriales sont régis par un principe de compensation intégrale au coût historique. En vertu de l'article 72-2 de la Constitution, l'État attribue aux collectivités territoriales des ressources équivalentes à celles qui leur étaient consacrées au moment du transfert. Ce droit à compensation est ensuite fixé définitivement.
S'agissant des créations ou extensions de compétences, ou encore des transferts de compétences entre collectivités territoriales, la Constitution est moins stricte : elle se contente de prévoir la nécessité de transférer de nouvelles ressources sans exiger de compensation intégrale au coût historique. Le présent texte entend ainsi, au premier chef, aligner ces régimes sur celui des transferts de l'État.
En la matière, la proposition décisive consiste à remettre en cause le caractère définitif du droit à compensation en prévoyant son « réexamen régulier ». Ce dispositif a déjà été adopté par le Sénat dans le cadre de la proposition de loi constitutionnelle pour le plein exercice des libertés locales, présentée en 2020 par Philippe Bas, Jean-Marie Bockel et plusieurs de nos collègues. Notre commission, saisie pour avis, s'y était montrée favorable.
On a pu constater de très forts contrastes entre, d'une part, la fixité du droit à compensation et, de l'autre, le dynamisme des charges liées à l'exercice de la compétence. L'exemple emblématique est celui des allocations individuelles de solidarité (AIS), dont le financement incombe aux départements. Depuis 2017, le reste à charge a progressé de 16 %, pour s'établir à 11 milliards d'euros en 2021. Il représente ainsi 55 % des dépenses d'AIS. Dans ces conditions, les départements n'ont plus guère de marges de manoeuvre financières pour exercer leurs autres compétences et la portée de leur autonomie financière s'en trouve grandement affaiblie.
Certes, la question des modalités d'application d'un tel principe reste posée. Elle devra être définie par une loi organique, compte tenu du principe de libre administration des collectivités territoriales, lesquelles peuvent faire en responsabilité le choix d'accorder ou non davantage de moyens à telle compétence au détriment de telle autre.
Pour cette raison, un dispositif de réévaluation automatique ne saurait être envisagé. J'avais d'ailleurs proposé, dans mon rapport pour avis sur la PPLC Bas-Bockel, de lui substituer la notion plus souple de « réexamen », finalement retenue dans le texte adopté et reprise ici.
Pour donner corps à un tel dispositif, largement soutenu par les associations d'élus, une nouvelle gouvernance est nécessaire. C'est dans ce cadre que l'État et les collectivités territoriales pourront faire la part des choses et ajuster, si nécessaire, la compensation de compétences transférées pour lesquelles la charge associée a fortement augmenté du fait de facteurs exogènes - c'est le cas pour les AIS, qui sont corrélées à l'évolution de la pauvreté et de la dépendance.
Une seconde condition nécessaire à la mise en oeuvre du dispositif est la conduite d'un travail approfondi d'objectivation des charges assumées par les collectivités territoriales au titre de leurs diverses compétences. Mais, reconnaissons-le, les données nous manquent en la matière. C'est un chantier techniquement complexe, qui, pour être mené à bien, exige une volonté politique appuyée du Gouvernement et des élus locaux.
Il est pourtant indispensable de disposer de telles données pour envisager la réforme du système de financement des collectivités territoriales que j'appelle de mes voeux, fondée sur les charges réelles plutôt que sur des critères de richesse potentielle largement caducs. Nous avons également travaillé ce sujet avec le président Raynal, en nous penchant sur le système de péréquation des collectivités territoriales italiennes.
Ainsi, je vous propose de ne pas adopter cette PPLC. Si le dispositif de réexamen régulier de la compensation des compétences transférées nous convainc davantage que l'institution d'une LFCT, il n'est pas pour autant nécessaire d'adopter ces seules dispositions du texte. Non seulement ce choix risquerait de le détourner de son objectif premier, mais le dispositif de réexamen figure déjà dans la PPLC Bas-Bockel, qui est en navette.