Nous examinons ce matin la proposition de loi déposée par Annick Billon, Martine Filleul et Dominique Vérien visant à renforcer l'accès des femmes aux responsabilités dans la fonction publique.
Cette proposition de loi découle des travaux menés en 2022 par la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes sur le bilan des dix ans d'application de la loi dite Sauvadet. Comme vous le savez, depuis le 1er janvier 2013, cette loi impose un taux minimal d'hommes et de femmes parmi les personnes nommées pour la première fois aux principaux emplois supérieurs et dirigeants de l'État, des collectivités territoriales et de la fonction publique hospitalière. Depuis 2017, ce taux est fixé à 40 % ; il a été atteint dans les trois versants de la fonction publique pour la première fois en 2020.
Pour autant, la féminisation des emplois supérieurs et de direction de la fonction publique reste relative, puisque les femmes occupent entre un tiers et 40 % de ces emplois, avec des écarts importants selon les versants et au sein de chacun d'entre eux, selon les types et les cadres d'emplois.
Afin d'accélérer la féminisation des postes à responsabilité dans la fonction publique, le texte propose quatre mesures : le relèvement à 50 % du taux de personnes de chaque sexe pour les primo-nominations aux emplois supérieurs et dirigeants ; l'élargissement du champ d'application de la loi Sauvadet ; la systématisation des pénalités financières à l'encontre des employeurs publics ne respectant pas l'obligation de nominations équilibrées ; l'instauration d'un index de l'égalité professionnelle entre les hommes et les femmes.
Je partage l'objectif général de la proposition de loi : dix ans après l'entrée en vigueur de la loi, la présence des femmes aux postes à responsabilité est encore minoritaire et il convient donc d'y remédier. Je considère toutefois que cet objectif louable doit se concilier avec les impératifs d'efficacité, d'opérationnalité et de proportionnalité.
S'agissant des articles 1er, 2 et 3 de la proposition de loi, j'aurais ainsi tendance à penser que le texte ne respecte pas tout à fait ces exigences et qu'il va trop loin.
Mais il m'a également semblé souhaitable de renforcer la portée de certaines des dispositions. J'estime ainsi que l'article 4 ne va pas assez loin et que la mesure qu'il comporte pourrait être consolidée.
Je considère que l'augmentation du taux actuel à 50 % de personnes de chaque sexe dans les nominations, qui est proposée par l'article 2 du texte, se heurterait à des difficultés d'application, voire aurait des effets contre-productifs pour les hommes comme pour les femmes.
En effet, une telle disposition reviendrait à nommer rigoureusement 50 % de femmes et 50 % d'hommes, si bien qu'elle serait inapplicable dans le cas de nominations en nombre impair. De manière générale, elle ne laisserait aucune marge de manoeuvre aux employeurs publics. Il est d'ailleurs fort à parier qu'une telle obligation ne serait, en pratique, jamais respectée et que l'ensemble des administrations se trouveraient contraintes de payer la pénalité financière prévue pour non-respect de l'obligation de nominations équilibrées.
L'instauration d'un taux de 50 % serait également contraire à l'intérêt des femmes en ce qu'elle empêcherait des nominations selon un ratio autre que 50 %-50 %, y compris dans un sens favorable aux femmes, par exemple 53 % de femmes et 47 % d'hommes.
En rigidifiant les recrutements, elle pourrait également se révéler contraire à l'intérêt des fonctionnaires, dont les chances de progression de carrière pourraient être amoindries s'ils ne sont pas du « bon » sexe, c'est-à-dire celui qui permet de satisfaire au taux strict de 50 %. Je pense que le risque de voir les considérations liées au sexe l'emporter sur celles qui sont liées à la compétence ne doit pas être sous-estimé.
Je vous proposerai donc de porter le taux de primo-nominations à 45 % au moins de personnes de chaque sexe.
Par ailleurs, il convient de laisser le temps aux administrations de s'adapter à cette obligation renforcée ; il faut en particulier veiller à ne pas produire d'effets sur les cycles de nomination en cours dans le versant territorial. C'est pourquoi je vous propose que le taux de 45 % entre en vigueur au 1er janvier 2025 dans la fonction publique de l'État et la fonction publique hospitalière, et à l'issue du prochain renouvellement général des assemblées délibérantes pour la fonction publique territoriale.
S'agissant ensuite de l'élargissement du champ des emplois soumis à l'obligation de nominations équilibrées qui est visé par l'article 3 du texte, les mesures proposées ne me semblent pas pertinentes.
Tout d'abord, étendre ce champ à l'ensemble des emplois qui sont occupés par des agents de catégorie A+ susciterait des difficultés, faute de cadre statutaire unique. Ces emplois sont très variables par leur nature et le statut des agents qui peuvent les occuper, non seulement d'un versant à l'autre, mais également entre deux départements ministériels ou deux collectivités territoriales.
Du reste, la notion d'emplois d'encadrement supérieur n'est pas définie par la loi. En découlerait donc un risque d'insécurité juridique, qui serait d'autant plus problématique que le non-respect de l'obligation de nominations équilibrées est sanctionné par une pénalité financière.
Par ailleurs, abaisser à 20 000 habitants le seuil de population pour les communes et les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) concernés par l'obligation de nominations équilibrées ne semble pas non plus opportun. Je rappellerai que ce seuil a déjà été abaissé de 80 000 à 40 000 habitants il y a tout juste trois ans en application de la loi de transformation de la fonction publique. Sur le fond, intégrer les collectivités territoriales de la strate 20 000-40 000 habitants dans le champ de la loi Sauvadet risquerait d'accentuer leurs difficultés de recrutement.
L'effet concret de l'abaissement du seuil serait, du reste, probablement limité : si 280 collectivités supplémentaires sont en théorie concernées, ce chiffre ne prend pas en compte celles qui disposent de moins de trois emplois fonctionnels et qui sont exemptées de l'obligation de nominations équilibrées.
En revanche, je vous inviterai, dans un but de clarification et d'harmonisation, à préciser la définition des emplois assujettis à l'obligation de nominations équilibrées s'agissant des établissements publics de l'État et de la fonction publique hospitalière.
S'agissant ensuite de l'index de l'égalité professionnelle entre les hommes et les femmes dans la fonction publique, que tend à créer l'article 4 de la proposition de loi, cette initiative est bienvenue, d'autant qu'un tel index existe dans le secteur privé depuis 2019 pour les entreprises de plus de 250 salariés et depuis 2020 pour les entreprises de plus de 50 salariés.
Je vous proposerai un amendement afin de rendre le dispositif pleinement opérationnel. Il conviendra ainsi de distinguer la mesure et la correction des écarts de rémunération entre les hommes et les femmes, d'une part, et la mesure des écarts de représentation entre les sexes dans les emplois soumis à l'obligation de nominations équilibrées, d'autre part.
Pour être certain de disposer d'un volume de données permettant des statistiques significatives, je proposerai d'intégrer dans le champ des administrations publiques soumises à l'obligation d'un index uniquement celles qui disposent d'au moins cinquante agents en gestion. Pour les collectivités territoriales, ce critère serait cumulé avec le seuil de 40 000 habitants.
Afin de garantir le respect de cette obligation, je proposerai de l'assortir de sanctions financières. Celles-ci pourraient s'appliquer en cas de non-publication des écarts de rémunération ou de non-publication des écarts de représentation. Elles pourraient également être prononcées si les écarts de rémunération constatés sont supérieurs à un niveau défini par décret.
Un tel index se fondera sur les données du rapport social unique, élaboré au printemps par les administrations publiques ; en conséquence, il ne pourra pas être disponible avant le printemps de chaque année. Nous proposons donc une entrée en vigueur au 1er juin 2024 dans la fonction publique de l'État et au 1er juin 2025 dans les versants territorial et hospitalier.
Pour finir, je vous proposerai d'aller plus loin que l'obligation de publication des écarts de représentation entre les hommes et les femmes dans les emplois soumis à l'obligation de nominations équilibrées que prévoit l'article 4.
Comme évoqué, le taux obligatoire sur les primo-nominations n'apporte qu'une réponse partielle à la question de la féminisation des emplois à responsabilité dans la fonction publique.
Pour garantir le maintien des femmes en fonction, il semble envisageable de prévoir un taux minimal de 40 % de personnes de chaque sexe dans les emplois supérieurs et de direction, comme l'ont d'ailleurs préconisé Martine Filleul et Dominique Vérien dans leur rapport d'information fait au nom de la délégation aux droits des femmes.
Je rappellerai qu'une obligation analogue est prévue dans le secteur privé pour les entreprises qui emploient plus de 1 000 salariés pour garantir, à partir du 1er janvier 2029, la présence d'au moins 40 % de femmes au sein des cadres dirigeants et des membres des instances dirigeantes.
Sur le modèle également du privé, je proposerai de sanctionner le non-respect de cette obligation par une pénalité financière d'un montant maximal de 1 % de la rémunération brute annuelle globale de l'ensemble des personnels.
Je vous propose donc d'adopter ce texte ainsi modifié.
Je souhaiterais, pour conclure, faire part d'une conviction. La loi Sauvadet a incontestablement favorisé l'accès des femmes aux responsabilités dans la fonction publique et les nouvelles mesures proposées à l'occasion du texte présenté aujourd'hui y contribueront également.
Cela étant, la loi ne peut pas tout. Le succès de la mise en oeuvre de telles obligations repose notamment sur la constitution de viviers équilibrés en amont. En effet, la non-mixité de certains métiers, particulièrement prononcée dans les fonctions publiques territoriale et hospitalière, rend difficile l'application de dispositions contraignantes visant la parité.
Dans le versant territorial, les femmes représentent ainsi 95 % des agents des filières sociale et médico-sociale et 82 % des agents de la filière administrative, mais seulement 5 % des agents de la filière des sapeurs-pompiers professionnels et 12 % des agents de la filière technique. À l'inverse, dans le versant hospitalier, 74 % des directeurs de soins et 67 % des directeurs d'établissement sanitaire, social et médico-social sont des femmes.
Il est vrai que les déséquilibres entre les sexes constatés dans certains métiers ont des raisons à la fois structurelles et conjoncturelles, sur lesquelles nous pourrions disserter longtemps jusqu'à demain...
Afin de permettre un rééquilibrage dans la répartition des sexes, il apparaît en tout cas nécessaire d'agir bien en amont de l'entrée dans la vie professionnelle. Il conviendrait ainsi de développer la connaissance des différents métiers existant au sein de chaque versant de la fonction publique et de promouvoir, dans l'enseignement primaire et secondaire, l'ensemble des filières auprès des filles comme des garçons.