Tout le monde s'accorde, me semble-t-il, sur la nécessité d'une réforme. Le problème est de savoir laquelle et pourquoi.
Je commencerai par un constat purement quantitatif : le code d'instruction criminelle pesait 300 grammes en 1957, contre 1,33 kilogramme pour l'actuel code de procédure pénale. De même, les cadres spécifiques et procédures particulières se sont multipliés. Ce phénomène a des causes à la fois exogènes et endogènes.
Les causes exogènes sont au nombre de trois : d'abord, l'accroissement des troubles à l'ordre public, qui rend socialement plus acceptables un certain nombre de contraintes judiciaires et policières ; ensuite, l'irruption de la science et de la technique ; enfin, la possibilité, légitime, de déposer des questions prioritaires de constitutionnalité (QPC), qui vient brouiller le paysage post-législatif.
Parmi les causes endogènes, je mentionnerai d'abord la structuration des normes. Aujourd'hui, la procédure pénale est dans trois codes au moins : le code de procédure pénale, le code de la sécurité intérieure et le code de l'organisation judiciaire, sans compter le code général des collectivités territoriales. J'évoquerai ensuite la rédaction des normes, avec une prolifération des ordonnances qui ne contribue pas à la clarification souhaitable : certains articles font quatre-vingt-dix lignes ! Il y a là un vrai problème de lisibilité. En plus, avec la multiplication des codes, des doublons apparaissent. Je souligne également la complexification de la norme, qui est, elle aussi, aggravée par la multiplication des ordonnances.
À cela s'ajoute la communication brouillonne de l'exécutif. On aimerait bien comprendre quelle est la volonté du Président de la République et du garde des sceaux. Le 14 septembre 2021, à l'occasion de la clôture du Beauvau de la sécurité, le Président de la République avait déclaré vouloir « repenser les grands équilibres de la procédure pénale », avec une « simplification drastique » de la conduite des enquêtes et une « nouvelle écriture du code. » Soit. Mais lorsqu'on réécrit un code, on ne le réécrit pas à droit constant. Les mots ont un sens. Une refonte, c'est pour modifier la norme. Or, après avoir indiqué au mois de septembre 2022 que le quinquennat serait celui de la refonte de notre procédure pénale, ce qui semblait faire écho aux propos du Président de la République, le garde des sceaux a vu ses déclarations contredites par le contenu de l'avant-projet de loi d'habilitation, qui comporte un volet de réécriture à droit constant et un volet de modifications substantielles sur l'enquête. Il y a donc eu un changement dans les discours, et le message est quelque peu brouillé.
Il faut corriger les principaux défauts du code de procédure pénale. Ma collègue en a mentionné plusieurs ; j'aimerais, pour ma part, en évoquer deux autres.
Le premier est l'éclatement des procédures pénales entre, d'une part, un droit commun et, d'autre part, des droits spéciaux. On a multiplié les juridictions, jusqu'à une trentaine, selon la nature de l'infraction, en ajoutant des procédures spécifiques à tous les niveaux de la poursuite de l'instruction et du jugement. Aujourd'hui, il n'y a pas un code de procédure pénale ; il y en a autant que de juridictions spécialisées.
Le second est le fiasco technologique et financier de la numérisation de la justice. Il faut que nous nous donnions les moyens d'avoir une justice pénale fiable. L'illettrisme électronique va bientôt frapper les avocats, parce qu'il y a des moyens de communication avec la justice qui ne sont pas fiables aujourd'hui.
En plus de corriger les défauts du code, il faut résoudre l'éternelle question de l'équilibre des fonctions entre les différents acteurs de la justice pénale : victimes, avocats, parquet, juge d'instruction, JLD, juridiction de jugement et, évidemment, accusés. Vous serez confrontés au problème de l'équilibre entre le juge de l'instruction et le parquet. Ce dernier, nous dit-on, est indépendant. Peut-être, mais il ne peut pas être impartial quand il contrôle les arrestations et les détentions, étant donné qu'il est autorité de poursuite. En outre, le parquet obéit aux ordres de la Chancellerie en matière pénale. Cela me paraît légitime. Ce n'est pas la même chose de donner des instructions au parquet pour ses réquisitions et d'en donner au juge. L'apaisement d'une société, et c'est un sujet sensible aujourd'hui, suppose une volonté politique. Dans le cadre des États généraux de la justice, on a passé presque un an à discuter des relations entre le parquet et le juge d'instruction. C'est tout de même ahurissant !
Le projet de loi d'habilitation qui devrait bientôt passer en conseil des ministres ne résout pas cette question. Or, puisque nous parlons d'une « réforme profonde » du code de procédure pénale, la priorité est de se mettre d'accord sur le statut du juge d'instruction. J'espère donc que le message un peu brouillé de l'exécutif sera éclairé par la sagesse du Sénat.