Bonjour et merci de nous donner l'occasion de vous exposer les actions que nous menons en outre-mer. Permettez-moi de vous présenter la Fédération nationale des écoles des parents et des éducateurs (FNEPE), premier réseau associatif du champ du soutien à la parentalité. La première école a vu le jour en 1929, la Fédération a été structurée progressivement et est née en 1970, à une époque où la parentalité était un sujet peu abordé et ne faisait pas l'objet d'une politique publique comme aujourd'hui. Elle compte désormais trente-neuf associations membres, à dimension locale, départementale ou interdépartementale, dont une à la Martinique et une à La Réunion. Les actions menées par les écoles des parents et des éducateurs (EPE) visent pour partie les parents et pour partie les éducateurs.
À destination des parents, nous déployons des actions collectives, telles que des groupes de parole - nous sommes par exemple à l'origine des cafés de parents - ou des actions individuelles telles que des entretiens individuels avec un psychologue, une CCF, ... ou encore l'écoute téléphonique anonyme et gratuite. Nous menons également des actions sur rendez-vous ou prescriptions judiciaires, telles que de la médiation familiale ou des espaces de rencontre.
À destination des éducateurs, toutes les EPE animent des supervisions ou des analyses de pratiques, et une quinzaine d'EPE organismes de formation certifiées Qualiopi proposent des formations qualifiantes ou certifiantes aux professionnels de l'éducation au sens large.
Les EPE peuvent par ailleurs être à l'origine d'initiatives assez variées, en dehors même de celles que je viens d'exposer rapidement, comme par exemple l'animation de groupes de paroles pour les pères en prison. Quelles que soient les actions, elles reposent sur des valeurs et des principes d'intervention qui constituent le fondement même du réseau des EPE et de leurs actions : accueil inconditionnel et universel, respect de la laïcité, de la liberté et de la singularité de chacun, et reconnaissance des compétences et des potentialités de chacun. Le mot « école » peut prêter à mauvaise interprétation. Nous ne sommes pas là pour faire l'école aux parents mais pour que ces derniers fassent école entre eux. Nous nous appuyons sur leurs compétences pour qu'ils puissent parler entre eux et trouver en eux-mêmes leurs propres solutions. Nous sommes ainsi engagés dans une démarche de co-éducation dans la prévention.
Je ne vous présenterai pas tout ce que font les deux EPE en outre-mer, mais voici quelques initiatives qui me semblent intéressantes. En Martinique, un groupe de parole a été créé, « couple un jour, parents toujours », visant à favoriser la coparentalité au-delà d'une séparation. Vous avez rappelé l'importance de la monoparentalité. Essayer de laisser le couple parental auprès de l'enfant représente un défi, sous la condition que la violence ne soit pas présente bien évidemment au sein du couple parental. Ce groupe se réunit cinq à dix fois par trimestre et compte une dizaine de participants.
À La Réunion, aucun groupe n'est dédié à la question de la monoparentalité, mais ce sujet reste prépondérant dans les groupes de parole, qui s'étendent en général sur un an et regroupent une douzaine de personnes. Y sont développés les sujets mentionnés par l'Observatoire, à savoir le rôle du père, l'accompagnement à la scolarité et à l'utilisation des écrans - thème particulièrement compliqué pour les parents en situation d'illettrisme et d'illectronisme -, ou des angoisses des parents face à l'incompréhension avec l'école, les mauvaises fréquentations ou encore l'insécurité.
Des accompagnements individuels sont également mis en place en Martinique et à La Réunion. Ils ont toujours été importants mais, comme ailleurs, le covid a renforcé les besoins. Face à une forte précarité, l'accompagnement individuel payant est difficile d'accès. Il est ici gratuit, ce qui génère souvent une demande très importante. L'accompagnement peut être téléphonique ou présentiel. Il est aujourd'hui insuffisant, faute de moyens. À La Réunion, les professionnels de l'EPE interviennent notamment dans les quartiers de Saint-Denis et sont confrontés à une forte demande à laquelle ils ne sont pas toujours en mesure de répondre.
Nous parlions plus tôt d'adaptation de dispositifs existants en métropole. Nous avons parfois envie qu'ils puissent s'extrapoler à nos associations ultramarines. Au sein de la Fédération, nous avons lancé un numéro Allô, parents en crise au début de la crise sanitaire. La question de son accessibilité s'est posée à La Réunion et à la Martinique. Assez vite, nous nous sommes aperçus que ce n'était pas possible, pour plusieurs raisons. Cet accueil téléphonique constitue un premier soutien face à une question ou un sujet un peu plus profond. Au-delà du décalage horaire, nous avons été confrontés à la problématique de la langue, mais aussi à des appels s'avérant davantage entremêlés à la Martinique et à La Réunion qu'en métropole. En effet, les parents nous contactaient parce qu'ils rencontraient, en plus d'un problème de parentalité, des difficultés sociales ou financières. Ainsi, il est préférable de développer un service spécifique sur chacun de ces territoires pour être en mesure de répondre aux besoins. Nous essayons aujourd'hui de travailler avec les EPE ultramarines sur les outils ou encore les échanges de pratique, mais nous ne pouvons pas extrapoler les services montés en métropole sur ces territoires.
Enfin, nous avons travaillé avec l'Agence nationale de lutte contre l'illettrisme (ANLCI), en partenariat avec la Fondation Pierre Bellon et le Fonds d'expérimentation pour la jeunesse (Fej), pour développer un programme baptisé Familire. Il s'inscrit dans le cadre des actions éducatives familiales, de manière à faire du soutien à la parentalité un levier contre l'illettrisme. Ce programme d'un an, dédié aux jeunes mères de moins de 26 ans, propose alternativement des ateliers autour des savoirs de base et des temps d'échange sur les questions parentales, ainsi que des ateliers culturels. En clair, il vise à répondre à l'illettrisme et à l'illectronisme et ses conséquences sur l'exercice de la parentalité dans les outre-mer avec un programme commun, mais adapté à chaque réalité. Familire sera déployé au-delà des deux EPE de La Réunion et de la Martinique et porté par trois autres opérateurs en Guyane, en Guadeloupe et à Mayotte. Il sera lancé en septembre 2023. Je ne peux donc pas vous communiquer de bilan aujourd'hui. Nous serons confrontés à un défi en termes de fidélisation des participantes.
En termes d'enjeux qui m'apparaissent importants, je reprendrai certaines idées évoquées plus tôt. Il me semble nécessaire d'élargir l'offre d'accompagnement individuel pour répondre aux problématiques des parents, notamment en situation de précarité, avant la dégradation des questions sociales, sociétales et de santé mentale. Aujourd'hui, certaines personnes nous sollicitant relèvent davantage du sanitaire que de la prévention. Il faut renforcer l'accompagnement pour éviter le glissement dans la précarité et favoriser la bonne orientation du parent : s'il relève d'un accompagnement sanitaire, il est préférable de l'envoyer vers les structures ad hoc.
Ensuite, la question de l'accessibilité de l'offre de soutien à la parentalité est extrêmement importante en outre-mer, encore plus qu'ailleurs. L'« aller vers » repose notamment sur une plus grande implication des communes. Nous devons travailler au développement de solutions de transport, pas uniquement en commun. Comment permettre aux parents éloignés, vivant par exemple au coeur du cirque de Mafate, de se rendre à Saint-Denis ? Le téléphone constitue une première solution, mais nous avons parfois besoin de voir les gens en face.
Enfin, dans les lieux de travail en général, y compris dans l'administration, comment proposer une offre de soutien à la parentalité accessible ?
Nous devons développer des programmes dédiés, tels que le programme Familire. Au-delà de l'universalité de l'accueil et de l'importance de la mixité sociale dans l'approche du soutien à la parentalité, il est parfois nécessaire de développer des programmes dédiés à des parents dans des situations proches pour adapter les dispositifs aux problématiques. Je pense notamment aux parents allophones ou migrants, en situation de handicap ou dont les enfants sont en situation de handicap.
Le développement de partenariats a été évoqué plus tôt. Les comités départementaux des services aux familles se développent, portés par les préfectures, les Caf et les départements. Il est extrêmement important que les associations de soutien à la parentalité puissent y participer.
En conclusion, j'enfoncerai des portes ouvertes. La question du financement est essentielle. Le soutien à la parentalité, en particulier en outre-mer, est aujourd'hui un jeu de puzzle. Mes collègues passent leur temps à remplir des dossiers pour aller chercher 10 000 euros à droite, 5 000 euros à gauche. D'abord, ils perdent du temps, qui n'est pas dédié aux familles. Surtout, ce temps perdu occasionne des pertes de sens et pousse certains professionnels à changer de secteur ou de structure. Ils sont là pour apporter du soutien aux familles, pas pour faire de l'administratif.
Les montants sont trop dispersés et insuffisants. Enfin, dans le secteur social, et particulièrement dans le soutien aux familles, la problématique de l'emploi est énorme. Nous manquons de professionnels. Aujourd'hui, nous ne parvenons pas à les mobiliser. Bien qu'elle ne soit pas le seul facteur de démotivation, la question financière reste importante. À titre d'exemple, le Ségur a prévu une augmentation des psychologues exerçant dans certains domaines, dont le soutien à la parentalité ne fait pas partie. Les acteurs du soutien à la parentalité ne bénéficient donc pas de cette revalorisation. Plusieurs d'entre eux vont changer de domaine pour y avoir droit.
Si nous souhaitons vraiment être accessibles et attractifs à tous niveaux pour les familles les plus éloignées, cette question du financement reste centrale pour que les services associés soient de qualité. L'associatif et la qualité vont de pair, si les moyens nécessaires y sont affectés.