Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes

Réunion du 9 février 2022 : 1ère réunion

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • CAF
  • lien
  • mère
  • observatoire
  • outil
  • parent
  • parentalité
  • problématique
  • père

La réunion

Source

Debut de section - PermalienPhoto de Annick Billon

Chers collègues, Mesdames et Messieurs, nous poursuivons ce matin nos travaux sur la parentalité dans les outre-mer menés en commun par deux délégations, la délégation aux outre-mer, présidée par Stéphane Artano - que je salue par visioconférence -, et la délégation aux droits des femmes, que j'ai l'honneur de présider.

Notre première audition, la semaine dernière, nous a permis de dresser un panorama des spécificités des structures familiales et parentales dans les départements et régions d'outre-mer (les DROM). Trois grands traits se dégagent, qui me semblent particulièrement significatifs dans le cadre de nos travaux.

Premièrement, nous avons identifié une prédominance des familles monoparentales. Ainsi, aux Antilles et en Guyane, un enfant sur deux vit dans une famille monoparentale, contre un sur quatre en France hexagonale. Il s'agit en outre d'une monoparentalité « originelle », dès la naissance de l'enfant et jusqu'à son adolescence, et non d'une monoparentalité faisant suite à une rupture conjugale comme c'est généralement le cas dans l'Hexagone. Aux Antilles et en Guyane, deux tiers des naissances ne sont pas reconnues par le père, contre 10 % dans l'Hexagone.

Deuxième trait caractéristique : une précarité importante. Les allocations familiales sont cruciales pour la majorité des familles ultramarines - tout particulièrement les mères seules. Dans les quatre DROM historiques, 57 à 77 % de la population est bénéficiaire d'au moins une prestation versée par les caisses d'allocations familiales (CAF), contre 49 % en France métropolitaine.

Enfin, le troisième point qu'il me semble important de souligner est la fréquence des grossesses précoces, qui donnent lieu à des taux d'IVG élevés, mais aussi à un taux de maternité précoce - avant 20 ans - d'environ 10 %, contre 1 % en France hexagonale. Ces maternités précoces désirées apparaissent souvent comme un moyen pour des jeunes filles d'obtenir un statut. Elles s'accompagnent cependant d'une déscolarisation et d'un défaut de formation et d'insertion professionnelle problématique.

Un dernier sujet est spécifique à la Guyane et à Mayotte. Il s'agit de la forte proportion de parents qui ne sont pas de nationalité française et/ou ne parlent pas français.

L'objet de notre table ronde d'aujourd'hui est de voir comment tenir compte de ces spécificités ultramarines dans la mise en place de nos politiques familiales et sociales, et tout particulièrement de dispositifs de soutien à la parentalité.

À cette fin, je suis heureuse d'accueillir MM. Thierry Malbert, professeur des universités en anthropologie de la parenté à l'université de La Réunion, directeur scientifique, et Alexandre Hoareau, chargé de mission, de l'Observatoire de la parentalité de La Réunion, en visioconférence ; Mme Béatrice Bayo, directrice générale à la Fédération nationale des écoles des parents et des éducateurs (FNEPE), ainsi que Mme Patricia Augustin, secrétaire générale de la Fédération syndicale des familles monoparentales (FSFM).

Nos attentes s'articulent autour de deux grands axes :

- d'une part, que vous nous présentiez vos organisations respectives et les actions qu'elles mènent dans les territoires d'outre-mer au sein desquels elles sont implantées ;

- d'autre part, que vous nous livriez votre analyse des spécificités parentales et familiales ultramarines et vos recommandations pour y mener des actions de soutien à la parentalité adaptées et efficaces.

Je laisse sans plus tarder la parole à mon collègue Stéphane Artano, président de la délégation sénatoriale aux outre-mer, qui intervient à distance depuis Saint-Pierre-et-Miquelon.

Debut de section - PermalienPhoto de Stéphane Artano

Madame la Présidente, Mesdames, Messieurs, chers collègues, étant retenu à Saint-Pierre-et-Miquelon, je participe en visioconférence à cette deuxième audition sur la parentalité dans les outre-mer. Elle vient opportunément compléter, avec des acteurs de terrain, le panorama dressé lors de notre première réunion.

Comme l'a bien souligné M. Claude-Valentin Marie, de l'Ined, la semaine dernière, les situations sont très différenciées d'un territoire à l'autre et l'une des difficultés du rapport sera sans doute de discerner, dans nos recommandations, la pertinence ou non de mesures ou d'aménagements spécifiques. C'est pourquoi nous sommes très heureux, Mesdames et Messieurs, de recueillir vos témoignages ce matin pour approfondir notre état des lieux sur les réalités sociétales de nos outre-mer et leurs conséquences. Nous entendrons également l'approche de grandes fédérations nationales qui enrichissent la vision comparative.

La semaine dernière, le président du Haut Conseil de la famille, de l'enfance et de l'âge (HCFEA), M. Michel Villac, a notamment évoqué la tension entre une volonté d'harmonisation des prestations avec l'Hexagone et la persistance de réglementations spécifiques justifiées par des situations locales particulières, singulièrement à Mayotte. Ce département requerra sans doute une séquence à part entière, comme l'a pointé la semaine dernière notre co-rapporteure Victoire Jasmin, si vous en êtes d'accord, Madame la Présidente.

Mais la situation de La Réunion, département voisin de l'océan Indien, fournit aussi un bel exemple des multiples défis de la parentalité en outre-mer. Nous nous félicitons d'entendre ce matin le directeur de l'Observatoire dédié à ce sujet, M. Thierry Malbert, que nos collègues connaissent pour ses travaux concernant les impacts de la crise du covid sur la sphère familiale et éducative.

Au-delà de ces sujets, je pense qu'il nous faudra nous intéresser à la situation dans les collectivités d'outre-mer, en particulier en Polynésie française, en Nouvelle-Calédonie et à Wallis-et-Futuna, où de très nombreuses familles connaissent aussi « le cercle vicieux de la précarité », pour reprendre la formule de notre collègue Nassimah Dindar, avec le contexte culturel propre aux sociétés du Pacifique.

Le champ d'étude est donc vaste et je ne serai pas plus long pour laisser la parole aux invités et à nos collègues. Je vous remercie, Madame la Présidente.

Debut de section - PermalienPhoto de Annick Billon

Merci, Monsieur le Président. Je suis accompagnée au Sénat de deux rapporteures, Elsa Schalck et Victoire Jasmin.

Je laisse immédiatement la parole à Thierry Malbert, directeur scientifique de l'Observatoire de la parentalité de La Réunion, qui intervient par visioconférence depuis La Réunion.

Debut de section - Permalien
Thierry Malbert, directeur scientifique de l'Observatoire de la parentalité de La Réunion

Bonjour à tous. C'est un honneur pour nous, depuis La Réunion, de prendre part à cette table ronde. Je suis professeur des universités et anthropologue. Je travaille depuis plus de vingt ans sur le thème de la famille, de la parenté et de la parentalité à La Réunion. Depuis 2015, nous avons créé un observatoire de la parentalité, dans le cadre d'un partenariat entre l'université de La Réunion et la Caisse d'allocations familiales (Caf). Je commencerai par vous présenter cet outil et les actions menées, avant que mon collègue Alexandre Hoareau prenne la parole pour en présenter les spécificités et le futur à construire ensemble.

L'Observatoire de la parentalité est l'oeuvre d'un partenariat développé en 2015 entre l'université, la recherche académique et scientifique, et la Caf de La Réunion pour permettre aux structures d'accompagnement de disposer d'un lieu au service de l'intelligence collective. Entre le niveau macro - les politiques sociales et directions - et le niveau micro - l'action sociale sur le terrain -, nous manquions d'un maillon au niveau méso, reliant à la fois réflexions, analyses, recherches et mises en action sur le terrain. Ce regard croisé s'appuie sur un travail disciplinaire, une émulation, une créativité avec les acteurs du social oeuvrant dans le champ de la parentalité à La Réunion, mais aussi les décideurs et les parents. En effet, les parents sont évidemment inclus dans nos études et ateliers de réflexion. L'Observatoire vise à insuffler une dynamique, à travers un tiers-lieu neutre dans lequel chacun peut s'exprimer sur des thématiques précises. Libérer la parole et partager les expériences des acteurs du soutien à la parentalité est au coeur de notre dynamique et de notre éthique pour que chacun puisse prendre la parole dans les objets et chartes que nous avons créés ensemble. Nous avons par exemple créé une Charte de la parentalité de La Réunion.

Parmi nos missions figure le recensement de tous les acteurs sur le département de La Réunion ainsi que la diffusion d'outils et de méthodes. Le réseau que soutient la Caf est à présent en place depuis vingt ans, mais encore faut-il le nourrir avec de nouveaux outils au regard des évolutions des structures de parentalité et des liens parents-enfants. Nous avons ainsi pour engagement d'être au plus proche des associations et des acteurs de terrain, de participer à l'évaluation des dispositifs existants et nécessaires pour les politiques publiques, de participer à la recherche et à la prospective.

En termes de recherche, à l'Observatoire, nous travaillons sur trois thèmes : l'évolution des structures de parenté en contexte, le champ de l'éducation familiale et le principe de coéducation. Nous avons mené une étude qui nous tenait à coeur sur le rôle des pères en 2018. À partir des résultats de recherche présentés sur ce thème, une réelle dynamique entre les acteurs du champ de la parentalité, les collectivités et la Caf a permis de mettre en oeuvre une politique de sensibilisation sur l'importance du rôle et de la place des pères. Au-delà des films et de la campagne d'affichage réalisée, nous soutenons aujourd'hui les associations qui oeuvrent et mettent en place des groupes de parole spécialement dédiés aux pères. Des lieux d'accueil parents-enfants sont ouverts le samedi matin pour que les pères s'y réunissent avec leurs enfants, par exemple.

Une autre étude porte sur la monoparentalité, une spécificité lorsque l'on étudie les structures de parenté en outre-mer, notamment à La Réunion. Ce type de famille est en augmentation dans l'Hexagone mais surtout en outre-mer. Nous n'affichons pas les chiffres de la Martinique, mais près d'une famille sur trois est monoparentale à La Réunion, ce qui nous place entre l'Hexagone et les Antilles. Nous rencontrons également de nombreuses situations de mères isolées et de violences intrafamiliales ou conjugales. En lien avec ces problématiques fortes, nos études sur la famille et l'évolution du lien social dans la parenté à La Réunion et à Mayotte, contribuent à apporter plus de connaissances et d'analyses, de façon à mieux adapter les politiques publiques et décisions aux spécificités des contextes.

Nous avons par ailleurs travaillé sur la relation parents-enfants durant la pandémie ainsi que sur la famille recomposée.

Être présent sur Internet est aussi très important. Nous avons dû créer d'autres plateformes pour nourrir les acteurs de la parentalité, mais aussi les parents. Notre site reprend les règlements, les lois, les politiques locales et les études sur les contextes locaux et nationaux. Nous avons également cartographié et recensé tous les dispositifs de soutien à la parentalité à La Réunion. Il est aujourd'hui très facile, pour tout parent ou tout acteur, de cibler des structures et outils répondant à ses besoins dans son quartier. En outre-mer, il est primordial d'être proche des populations, encore plus que dans l'Hexagone. Les problématiques de distance géographique, le climat, les cyclones, ne rendent pas toujours faciles les réponses aux différents problèmes. Ainsi, une page Facebook est alimentée et nous publions tous les trois mois une revue, Info parentalité, qui valorise les associations et met en avant leur créativité en matière d'outils et d'expériences pour renforcer les compétences parentales. Nous développons leurs actions et présentons les synthèses de nos recherches ; ce livrable est en accès libre, en version papier et numérique.

Vous comprenez donc que notre observatoire affiche une mission de recherche, de diffusion, mais aussi d'émulation de la pensée et de la réflexion avec les acteurs du soutien à la parentalité. Nous remplissons le niveau méso, souvent manquant.

Nous nous appuyons également sur des outils de la recherche, tels que le logiciel « Être parent de jeunes enfants », issu des travaux de collègues chercheurs sur le champ de l'éducation familiale dans l'Hexagone et au Québec. Ils ont développé des outils pour animer les groupes de parole à travers lesquels l'animation de vignettes permet aux parents de développer et d'améliorer certaines compétences parentales. Dans l'Hexagone comme en outre-mer, on ne devient pas parent du jour au lendemain. En ce moment, nous terminons tout juste une large étude sur l'éducation familiale. À La Réunion, nous constatons que, bien souvent, les jeunes parents se réfèrent au modèle de leurs propres parents. Pourtant, la société a évolué et les enfants n'ont pas les mêmes besoins.

Au-delà de La Réunion, nous oeuvrons également en matière de soutien à la parentalité dans une dimension régionale, avec notre association l'Observatoire de la parentalité de l'océan Indien (Opoi), que j'ai l'honneur de présider, qui intègre l'Afrique du Sud, le Mozambique, la Tanzanie, les Comores, l'île Maurice et les Seychelles. Nous avons mis en place une dynamique avec des acteurs, des porteurs de projets, des politiques, pour agir comme nous le faisons sur le territoire de La Réunion, mais dans une dimension régionale. Nous devons également tenir compte des problématiques parentales des populations des territoires voisins qui parfois migrent jusqu'à La Réunion. L'Opoi met en place des webinaires mensuels entre les acteurs de ces pays sur des thèmes variés tels que le numérique.

L'Observatoire de La Réunion se positionne comme un facilitateur à tous les niveaux.

Vous me demandiez de présenter des propositions et analyses à l'occasion de cette audition. Je propose de construire des outils avec les problématiques locales. Nous disposons d'outils et de logiciels, parfois issus de la recherche, qui proviennent de l'Hexagone ou de l'Occident, mais nous devons développer davantage d'outils pour les parents des outre-mer avec les acteurs pour développer une appropriation plus claire du concept d'« aller vers » et pour renforcer la compétence parentale. Le réseau de soutien à la parentalité a fleuri, mais ce qui fonctionne, c'est lorsqu'on parle du « soi », quand les parents sentent qu'on les prend en considération avec leur culture. Ainsi, des outils spécifiques aux territoires ultramarins nous semblent importants à créer avec une réflexion et des moyens spécifiques.

Nous devons par ailleurs travailler en transversalité. Beaucoup de structures associatives sont relativement vides. Comment y faire venir les parents, que ces derniers soient actifs ou non ? Comment les sensibiliser ? Je pense aussi que nous devons travailler sur le lien entre la parentalité et l'entreprise, et injecter de la formation à l'éducation parentale dans ces structures où les parents passent une large partie de leur temps. La formation est un droit pour les travailleurs de notre pays. Pourquoi ne pas ouvrir ce modèle ? Un travailleur heureux sera davantage un parent heureux en rentrant le soir et vice-versa. Nous devons prendre en considération la globalité de l'être humain. Il est humain, père ou mère, travailleur ou demandeur d'emploi. Nous devons travailler sur l'éducation familiale, et donc le champ du renforcement des compétences parentales, d'une manière plus large et globale qu'actuellement.

Je terminerai mon propos en insistant sur le développement de groupes de parole auprès du réseau actuel sur des thématiques précises. Je pense notamment à la communication non violente (CNV). Les techniques de CNV transmises au plus grand nombre, et également aux parents à travers les groupes de parole du soutien à la parentalité, pourraient nécessairement agir pour diminuer les violences intrafamiliales dont le taux est très élevé dans notre territoire et en outre-mer. Il est clair que l'éducation familiale se traduit également par l'apprentissage d'une capacité à communiquer en paix entre parents et enfants. Injecter des formations à la CNV me semble indispensable, de surcroît dans des territoires où les violences sont parfois reliées à des héritages culturels en lien avec l'esclavage et l'engagisme. La question de la violence dans la famille, et plus spécifiquement des violences faites aux femmes, peut s'envisager par l'apprentissage de la communication non violente à travers la logique du soutien à la parentalité et les groupe de parole. Une politique en ce sens permettrait de « nourrir » le réseau avec des outils concrets à transmettre et diffuser auprès des parents.

Debut de section - Permalien
Alexandre Hoareau, chargé de mission à l'Observatoire de la parentalité de La Réunion

Nous aurions aimé développer davantage les axes concernant le rôle du père à La Réunion ainsi que les situations particulières des familles monoparentales, deux cibles nous étant chères depuis le lancement de l'Observatoire de la parentalité. Puisque je n'ai pas beaucoup de temps, je passerai directement aux préconisations, qui viendront en appui des propos de Thierry Malbert.

La parentalité est un champ de recherche irrigué par de nombreux domaines, tels que la santé ou la scolarité. Ensemble, elles dessinent un système interconnecté. Cette démarche est par nécessité inclusive. Elle requiert la participation de tous les acteurs de notre société. Elle s'inscrit dans un processus d'amélioration continue, que je baptiserai la « résilience apprenante ». Ce projet sociétal prend ses fondements dans l'histoire de notre territoire. À l'échelle de l'individu, elle inclut le chemin de vie, la culture, le lieu d'appartenance, la filiation, et tout ce qui constitue les racines de tout être vivant. Il s'agit pour nous de garantir un terreau favorable à l'expression de cette richesse.

Un accompagnement, l'identification des acteurs culturels et cultuels, la diversité synonyme de richesse et la large diffusion d'outils permettront de rendre visible et lisible cette démarche. C'est ici l'un des enjeux fondamentaux d'une réussite durable.

Nous avons développé un outil intergénérationnel, la généalogie, qui a déjà fait ses preuves sur notre territoire, à petite échelle. Il serait judicieux de l'étendre. Elle permet de se réconcilier, de connaître ses racines. Elle participe à la résilience des populations.

À La Réunion, l'association Isopolis s'inscrit dans cette logique intégrative. Elle a pour mission de faire le lien entre les différentes expertises et forces vives du territoire en donnant un cadre et des moyens pour construire, co-construire et assurer la concrétisation des projets communs. Elle s'appuie sur ces projets qui visent au bonheur comme pilier de la transformation de la société réunionnaise, et la résilience comme un moyen d'y parvenir. Elle s'appuie sur quatre piliers : la résilience individuelle, organisationnelle, culturelle et du territoire.

Pour qu'une action soit adaptée et efficace, il est selon moi primordial de connaître son public, qui doit être au fait de son histoire, et de l'intégrer dans la réflexion et la réalisation des actions, ainsi que leur amélioration continue. Nous devons également construire une culture commune dans un principe de trans-culturalité.

Debut de section - Permalien
Béatrice Bayo, directrice générale à la FNEPE

Bonjour et merci de nous donner l'occasion de vous exposer les actions que nous menons en outre-mer. Permettez-moi de vous présenter la Fédération nationale des écoles des parents et des éducateurs (FNEPE), premier réseau associatif du champ du soutien à la parentalité. La première école a vu le jour en 1929, la Fédération a été structurée progressivement et est née en 1970, à une époque où la parentalité était un sujet peu abordé et ne faisait pas l'objet d'une politique publique comme aujourd'hui. Elle compte désormais trente-neuf associations membres, à dimension locale, départementale ou interdépartementale, dont une à la Martinique et une à La Réunion. Les actions menées par les écoles des parents et des éducateurs (EPE) visent pour partie les parents et pour partie les éducateurs.

À destination des parents, nous déployons des actions collectives, telles que des groupes de parole - nous sommes par exemple à l'origine des cafés de parents - ou des actions individuelles telles que des entretiens individuels avec un psychologue, une CCF, ... ou encore l'écoute téléphonique anonyme et gratuite. Nous menons également des actions sur rendez-vous ou prescriptions judiciaires, telles que de la médiation familiale ou des espaces de rencontre.

À destination des éducateurs, toutes les EPE animent des supervisions ou des analyses de pratiques, et une quinzaine d'EPE organismes de formation certifiées Qualiopi proposent des formations qualifiantes ou certifiantes aux professionnels de l'éducation au sens large.

Les EPE peuvent par ailleurs être à l'origine d'initiatives assez variées, en dehors même de celles que je viens d'exposer rapidement, comme par exemple l'animation de groupes de paroles pour les pères en prison. Quelles que soient les actions, elles reposent sur des valeurs et des principes d'intervention qui constituent le fondement même du réseau des EPE et de leurs actions : accueil inconditionnel et universel, respect de la laïcité, de la liberté et de la singularité de chacun, et reconnaissance des compétences et des potentialités de chacun. Le mot « école » peut prêter à mauvaise interprétation. Nous ne sommes pas là pour faire l'école aux parents mais pour que ces derniers fassent école entre eux. Nous nous appuyons sur leurs compétences pour qu'ils puissent parler entre eux et trouver en eux-mêmes leurs propres solutions. Nous sommes ainsi engagés dans une démarche de co-éducation dans la prévention.

Je ne vous présenterai pas tout ce que font les deux EPE en outre-mer, mais voici quelques initiatives qui me semblent intéressantes. En Martinique, un groupe de parole a été créé, « couple un jour, parents toujours », visant à favoriser la coparentalité au-delà d'une séparation. Vous avez rappelé l'importance de la monoparentalité. Essayer de laisser le couple parental auprès de l'enfant représente un défi, sous la condition que la violence ne soit pas présente bien évidemment au sein du couple parental. Ce groupe se réunit cinq à dix fois par trimestre et compte une dizaine de participants.

À La Réunion, aucun groupe n'est dédié à la question de la monoparentalité, mais ce sujet reste prépondérant dans les groupes de parole, qui s'étendent en général sur un an et regroupent une douzaine de personnes. Y sont développés les sujets mentionnés par l'Observatoire, à savoir le rôle du père, l'accompagnement à la scolarité et à l'utilisation des écrans - thème particulièrement compliqué pour les parents en situation d'illettrisme et d'illectronisme -, ou des angoisses des parents face à l'incompréhension avec l'école, les mauvaises fréquentations ou encore l'insécurité.

Des accompagnements individuels sont également mis en place en Martinique et à La Réunion. Ils ont toujours été importants mais, comme ailleurs, le covid a renforcé les besoins. Face à une forte précarité, l'accompagnement individuel payant est difficile d'accès. Il est ici gratuit, ce qui génère souvent une demande très importante. L'accompagnement peut être téléphonique ou présentiel. Il est aujourd'hui insuffisant, faute de moyens. À La Réunion, les professionnels de l'EPE interviennent notamment dans les quartiers de Saint-Denis et sont confrontés à une forte demande à laquelle ils ne sont pas toujours en mesure de répondre.

Nous parlions plus tôt d'adaptation de dispositifs existants en métropole. Nous avons parfois envie qu'ils puissent s'extrapoler à nos associations ultramarines. Au sein de la Fédération, nous avons lancé un numéro Allô, parents en crise au début de la crise sanitaire. La question de son accessibilité s'est posée à La Réunion et à la Martinique. Assez vite, nous nous sommes aperçus que ce n'était pas possible, pour plusieurs raisons. Cet accueil téléphonique constitue un premier soutien face à une question ou un sujet un peu plus profond. Au-delà du décalage horaire, nous avons été confrontés à la problématique de la langue, mais aussi à des appels s'avérant davantage entremêlés à la Martinique et à La Réunion qu'en métropole. En effet, les parents nous contactaient parce qu'ils rencontraient, en plus d'un problème de parentalité, des difficultés sociales ou financières. Ainsi, il est préférable de développer un service spécifique sur chacun de ces territoires pour être en mesure de répondre aux besoins. Nous essayons aujourd'hui de travailler avec les EPE ultramarines sur les outils ou encore les échanges de pratique, mais nous ne pouvons pas extrapoler les services montés en métropole sur ces territoires.

Enfin, nous avons travaillé avec l'Agence nationale de lutte contre l'illettrisme (ANLCI), en partenariat avec la Fondation Pierre Bellon et le Fonds d'expérimentation pour la jeunesse (Fej), pour développer un programme baptisé Familire. Il s'inscrit dans le cadre des actions éducatives familiales, de manière à faire du soutien à la parentalité un levier contre l'illettrisme. Ce programme d'un an, dédié aux jeunes mères de moins de 26 ans, propose alternativement des ateliers autour des savoirs de base et des temps d'échange sur les questions parentales, ainsi que des ateliers culturels. En clair, il vise à répondre à l'illettrisme et à l'illectronisme et ses conséquences sur l'exercice de la parentalité dans les outre-mer avec un programme commun, mais adapté à chaque réalité. Familire sera déployé au-delà des deux EPE de La Réunion et de la Martinique et porté par trois autres opérateurs en Guyane, en Guadeloupe et à Mayotte. Il sera lancé en septembre 2023. Je ne peux donc pas vous communiquer de bilan aujourd'hui. Nous serons confrontés à un défi en termes de fidélisation des participantes.

En termes d'enjeux qui m'apparaissent importants, je reprendrai certaines idées évoquées plus tôt. Il me semble nécessaire d'élargir l'offre d'accompagnement individuel pour répondre aux problématiques des parents, notamment en situation de précarité, avant la dégradation des questions sociales, sociétales et de santé mentale. Aujourd'hui, certaines personnes nous sollicitant relèvent davantage du sanitaire que de la prévention. Il faut renforcer l'accompagnement pour éviter le glissement dans la précarité et favoriser la bonne orientation du parent : s'il relève d'un accompagnement sanitaire, il est préférable de l'envoyer vers les structures ad hoc.

Ensuite, la question de l'accessibilité de l'offre de soutien à la parentalité est extrêmement importante en outre-mer, encore plus qu'ailleurs. L'« aller vers » repose notamment sur une plus grande implication des communes. Nous devons travailler au développement de solutions de transport, pas uniquement en commun. Comment permettre aux parents éloignés, vivant par exemple au coeur du cirque de Mafate, de se rendre à Saint-Denis ? Le téléphone constitue une première solution, mais nous avons parfois besoin de voir les gens en face.

Enfin, dans les lieux de travail en général, y compris dans l'administration, comment proposer une offre de soutien à la parentalité accessible ?

Nous devons développer des programmes dédiés, tels que le programme Familire. Au-delà de l'universalité de l'accueil et de l'importance de la mixité sociale dans l'approche du soutien à la parentalité, il est parfois nécessaire de développer des programmes dédiés à des parents dans des situations proches pour adapter les dispositifs aux problématiques. Je pense notamment aux parents allophones ou migrants, en situation de handicap ou dont les enfants sont en situation de handicap.

Le développement de partenariats a été évoqué plus tôt. Les comités départementaux des services aux familles se développent, portés par les préfectures, les Caf et les départements. Il est extrêmement important que les associations de soutien à la parentalité puissent y participer.

En conclusion, j'enfoncerai des portes ouvertes. La question du financement est essentielle. Le soutien à la parentalité, en particulier en outre-mer, est aujourd'hui un jeu de puzzle. Mes collègues passent leur temps à remplir des dossiers pour aller chercher 10 000 euros à droite, 5 000 euros à gauche. D'abord, ils perdent du temps, qui n'est pas dédié aux familles. Surtout, ce temps perdu occasionne des pertes de sens et pousse certains professionnels à changer de secteur ou de structure. Ils sont là pour apporter du soutien aux familles, pas pour faire de l'administratif.

Les montants sont trop dispersés et insuffisants. Enfin, dans le secteur social, et particulièrement dans le soutien aux familles, la problématique de l'emploi est énorme. Nous manquons de professionnels. Aujourd'hui, nous ne parvenons pas à les mobiliser. Bien qu'elle ne soit pas le seul facteur de démotivation, la question financière reste importante. À titre d'exemple, le Ségur a prévu une augmentation des psychologues exerçant dans certains domaines, dont le soutien à la parentalité ne fait pas partie. Les acteurs du soutien à la parentalité ne bénéficient donc pas de cette revalorisation. Plusieurs d'entre eux vont changer de domaine pour y avoir droit.

Si nous souhaitons vraiment être accessibles et attractifs à tous niveaux pour les familles les plus éloignées, cette question du financement reste centrale pour que les services associés soient de qualité. L'associatif et la qualité vont de pair, si les moyens nécessaires y sont affectés.

Debut de section - Permalien
Patricia Augustin, secrétaire générale de la FSFM

La Fédération syndicale des familles monoparentales (FSFM) a été créée en 1967. Elle s'appelait à l'origine Fédération des femmes cheffes de famille, car à l'époque celles-ci n'étaient pas reconnues comme telles. Tout était à conquérir. Ensuite, nous nous sommes renommés en 1975 pour répondre aux réalités sociétales et pour accueillir les hommes. Les familles monoparentales étaient au départ surtout des veuves, avant de correspondre à des ruptures de mariage, puis à des situations de concubinage. Notre fédération est implantée en Guadeloupe et en Guyane, où elle est plutôt en sommeil. Nous avons également pour projet de nous installer à Mayotte.

Notre fédération est une composante de la Confédération syndicale des familles (CSF), mouvement beaucoup plus généraliste regroupant près de 350 associations sur tout le territoire. Là où nous ne sommes pas implantés, nous aidons les familles à travers ses antennes pour répondre à leurs préoccupations.

Nous partageons beaucoup de préoccupations avec la FNEPE. Notre public est spécifiquement composé de familles monoparentales. Je ne vous apprendrai rien en disant que ces populations rencontrent essentiellement des difficultés économiques. Elles cumulent les difficultés d'accès au logement et aux structures d'accueil, ainsi qu'à l'emploi. En effet, il est beaucoup plus compliqué pour ces familles de trouver un poste car elles manquent de formations qualifiantes. Ce public est peu qualifié, notamment du fait de grossesses précoces ayant occasionné un départ prématuré de l'école. Elles ne peuvent donc pas accéder à des emplois leur permettant de toucher des salaires décents. On retrouve ces mêmes familles, et particulièrement les mères, sur des postes à horaires atypiques, ou qui cumulent plusieurs petits emplois, parce qu'elles n'ont pas le choix. Ces familles sont confrontées à des problématiques de conciliation des temps de vie, le temps professionnel, social, familial. La fonction parentale devient alors plus compliquée. Lorsque ces parents n'ont pas de formation, il ne leur est pas simple d'aider leurs propres enfants. Ils n'ont pas nécessairement les moyens de payer l'aide d'une tierce personne pour les accompagner. Ainsi, les enfants sont soumis à des problématiques d'enseignement similaires à celles de leur père ou de leur mère, bien que ces parents aient souvent pour leitmotiv que leurs enfants réussissent à l'école. Ils n'en ont parfois pas les moyens.

Évidemment, des pères sont parfois à la tête de familles monoparentales, mais ils sont bien moins nombreux que les mères et se retrouvent dans une structure familiale recomposée beaucoup plus rapidement que les femmes. Ils ne font souvent que traverser les associations, sans y rester longtemps. Ils ne sont pas confrontés aux mêmes problématiques, notamment en matière financière. Le salaire d'un homme est plus élevé que celui d'une femme. Une famille monoparentale dont le chef de famille est un père n'aura pas la même difficulté financière qu'une famille dont une femme est à la tête.

Pour ce qui est de nos actions sur le terrain, nous avons identifié un problème lors de la pandémie : la nécessité d'accorder un répit aux mères seules. C'est en tout cas vrai en Guadeloupe, là où nous sommes implantés. Étant salariée de la CSF, j'étais en charge des associations dans les départements d'outre-mer. Mon bénévolat m'a conduite à m'impliquer un peu plus au sein des familles monoparentales. Nous avons observé qu'une surcharge mentale avait conduit à beaucoup de problèmes psychologiques. Cette particularité n'est pas vraiment prise en compte dans les DOM. Le recours à un psychologue est associé à une connotation assez négative et les personnes ne prennent donc pas en charge leurs difficultés psychologiques. Nous mettons alors en place des universités de familles, dont le concept permet aux familles, qui peuvent être accompagnées de leurs enfants, d'être en immersion pendant une semaine dans un centre de vacances. La journée se compose d'un temps de formation sur un thème particulier et d'un temps de loisir ou de vacances, avec ou sans les enfants. Ceux-ci peuvent en effet être pris en charge par le centre lui-même ou par des animateurs employés à cet effet. Cela permet aux familles de partager un temps privilégié ensemble ou, au contraire, de profiter d'un temps de répit sans avoir à gérer les soucis du quotidien. En pension complète, les familles changent d'environnement - car elles ne sont pas toujours logées dans des conditions favorables en dehors de ce dispositif - pour être détendues et partager avec des pairs et des intervenants qualifiés. Nous avons travaillé sur des thématiques telles que la naturalité ou l'art d'être parents. Ces actions de répit répondent à une demande très prononcée de la part des familles.

Nous proposons aussi de la médiation familiale, et des groupes de parole. En Guadeloupe, nous avons également mis en place l'année dernière un programme de formation pour les familles en général, pas uniquement celles qui sont monoparentales. Nos permanences aident aussi à accéder aux informations juridiques et administratives. Si des prestations sont fournies par les Caf, nous avons observé une réelle méconnaissance des dispositifs existants. J'ai dû participer le mois dernier à une conférence sur les violences intrafamiliales, avec Saint-Martin. Au travers des questions qui m'étaient posées, j'ai réalisé que les familles ne connaissaient même pas l'existence de la réforme des pensions alimentaires. Pourtant, la presse en a suffisamment parlé. J'ai eu à expliquer ce nouveau dispositif pour que les familles puissent adresser leurs demandes et percevoir ces pensions alimentaires, lorsqu'elles ne leur étaient pas versées.

En plus d'un problème d'accès aux droits, nous avons constaté un réel souci d'accès aux Caf et à l'informatique. Tout le monde a un téléphone mais on ne peut pas nécessairement télécharger ou imprimer les formulaires pour émettre des demandes. Maintenant que tout se passe via Internet, certaines familles sont confrontées à une rupture et ne peuvent pas se rendre dans les Caf pour remplir leurs dossiers de prestations. Souvent, elles abandonnent les démarches, qui sont trop difficiles. Il en découle un fort taux d'inaccessibilité au droit de ces familles. Ainsi, nous demandons qu'une personne dédiée soit attachée aux associations représentatives des familles sur les territoires, qu'un contact au sein des Caf puisse être le relais avec les associations en cas de problématique importante avec les familles.

Nous avons observé l'exemple dramatique d'une famille restée quatre mois sans percevoir ses droits, en raison d'un retard très important à la Caf. Pendant ces quatre mois, elle n'a pas perçu de salaire, malgré un soutien familial durant quelque temps. Il est à noter que ces familles, ces mères, sont parfois soutien de leurs propres parents, en plus d'être cheffes de famille. Rester quatre mois sans revenu a été dramatique et a conduit à des impayés de loyer. Le premier retard de loyer est difficilement rattrapable lorsque vous percevez de tout petits revenus.

Debut de section - PermalienPhoto de Annick Billon

Merci à vous pour vos présentations respectives, alimentant les connaissances que nous commençons à engranger sur les problématiques relatives à la parentalité dans les territoires d'outre-mer.

Debut de section - PermalienPhoto de Victoire Jasmin

Bonjour à tous et merci pour la qualité de vos exposés. Le modèle de l'Observatoire de la parentalité de La Réunion m'a beaucoup intéressée. On parle de pères, d'éducation et de parentalité, de construction de la famille. Vous effectuez un travail fantastique, de recherche, en particulier sur le rôle des pères et sur les questions d'éducation, de parentalité, de construction des familles. Il est très important de développer les outils que vous proposez sur votre territoire pour les personnes qui y vivent. Très souvent, les modèles ne sont pas ceux que l'on voit sur nos territoires. Votre démarche est très importante et je ne peux que vous féliciter et vous encourager. Il est également opportun de développer des espaces de parole pour rapprocher les gens. Les personnes se rencontrent et peuvent échanger de bons procédés. Je pense vraiment qu'il s'agit d'un travail de proximité. On parle de tiers-lieux. Les personnes, lorsqu'elles se connaissent, peuvent faire preuve d'une certaine pudeur et ne pas vouloir se dévoiler, mais quand des personnes ressources leur apportent une plus-value vis-à-vis de leur situation particulière, elles peuvent se retrouver. Mmes Bayo et Augustin, vos expériences sont différentes des actions implantées à La Réunion, mais vos actions restent complémentaires et de proximité.

Concernant la situation décrite par Mme Augustin, j'ai eu l'occasion d'interpeller la Première ministre et la Défenseure des droits, avec laquelle j'ai rendez-vous cet après-midi, en raison d'un net recul constaté en termes d'accès au droit. Durant la pandémie, les accueils physiques ont été fermés pendant un temps. Les accueils téléphoniques sont compliqués. Les Centres communaux d'action sociale (CCAS), les Caf, les accueils du département, des impôts ou de la Sécurité sociale ont mis en place du télétravail. Je pense que nous devons faire en sorte que la situation redevienne comme avant, pour que l'accueil physique soit largement rouvert. Certaines personnes sont confrontées à d'importants problèmes de rupture de droit.

Par ailleurs, un problème se pose en matière de données personnelles. Les familles ont des recours lorsqu'elles s'adressent à des associations comme les vôtres, connues et soumises à des règles de fonctionnement. Lorsqu'elles ont recours à des personnes tierces, qui ne sont pas nécessairement habilitées ou connues par les services et institutions, pour établir leurs documents et demandes, celles-ci détiennent toutes leurs données personnelles. On demande souvent une adresse mail à des individus n'ayant jamais eu Internet. Ils délèguent alors tout et sont tributaires de personnes n'étant ni un proche ni un enfant. Cette question pénalise les familles modestes, parce qu'elles n'ont pas accès aux personnes ressources qui devraient les aider et leur apporter des réponses.

Ensuite, la Confédération des familles, représentée un peu partout sur les territoires, peut servir de relais. Je connais moins votre association, puisqu'elle n'est pas implantée en Guadeloupe. Quelles réponses pouvez-vous justement apporter à ceux qui vous écouteraient sur ce territoire ? Avez-vous tenté de vous y installer ? Connaissez-vous des associations réalisant les mêmes démarches que vous et couvrant des champs similaires ?

Enfin, vous avez évoqué les problématiques des plateformes. Vous proposez des plateformes avec un accompagnement. Lorsqu'elles existent au niveau national, et demandent aux familles complètement démunies de faire un certain nombre de choses, quelles solutions proposez-vous ?

Debut de section - Permalien
Béatrice Bayo, directrice générale à la FNEPE

Effectivement, nous ne sommes pas présents sur les trois autres départements d'outre-mer. Les fédérations métropolitaines rencontrent souvent la même problématique, comme tout le milieu associatif. Nous avons quelques contacts en Guadeloupe, avec l'Étoile Mornalienne qui propose quelques actions de soutien à la parentalité. D'autres acteurs en mettent également en place, parmi d'autres actions. C'est le cas des centres sociaux, qui emploient souvent un référent sur ces questions, ou les maisons des adolescents, qui s'adressent plutôt aux parents d'adolescents.

Nous souhaitons ouvrir une maison des parents en Guadeloupe dans les trois ans, pour couvrir petit à petit tous les territoires ultramarins.

Debut de section - Permalien
Thierry Malbert, directeur scientifique de l'Observatoire de la parentalité de La Réunion

Je pense qu'il faut prendre en compte la cellule familiale dans tout son exercice. Nos travaux de recherche en anthropologie de la parenté nous permettent d'affirmer que les liens de parenté sont un des coeurs de nos sociétés. Claude Lévi-Strauss le disait, Maurice Godelier l'a contredit en parlant du religieux ou du politique, mais les liens sociaux demeurent, surtout dans les outre-mer où la précarité et le taux de chômage sont forts. Il est important de comprendre que, pour les individus, être parent est déjà un statut valorisant. Nous devons tirer parti de la valorisation et de la reconnaissance de l'individu dans la famille, en allouant des financements à la recherche et à l'action sociale. Si je peux me permettre, le renforcement des compétences parentales doit être observé d'une manière globale et systémique. Je pense surtout à l'Éducation nationale. En quoi ne pourrions-nous pas influer au niveau des programmes scolaires des collégiens et lycéens pour y intégrer des cours sur l'éducation familiale ? Comment accompagner un enfant ? Quelle est votre vision de votre futur rôle de parent ? À quel moment avez-vous bénéficié de conseils, de modèles, en dehors de celui de vos parents ? Parfois, on grandit dans une monoparentalité qui se répète de génération en génération. Le modèle est tel qu'on a tendance à le reproduire, même si l'évolution est forte et que les influences extérieures sont aujourd'hui multiples avec la mondialisation. La parentalité pourrait tout de même être enseignée dans des formations dès le collège ou le lycée, dans les programmes d'éducation civique, par exemple. Les populations dans lesquelles la précarité de l'emploi est forte doivent être particulièrement ciblées. En cas de précarité, de stage ou d'emploi précaire, il est clair que certains individus usent de stratégies pour construire des familles. Nous les observons par le biais des aides sociales, parfois utilisées pour subvenir aux besoins du quotidien. Parfois, nous constatons un décalage entre l'affirmation de la cellule familiale en tant que famille monoparentale, et la réalité. Nous sommes évidemment très fiers que les familles isolées bénéficient d'aides et que la France perpétue ce système de l'après-guerre ; pourtant, il peut exister un écart avec la réalité. En effet, certains couples sont ensemble mais la place du père est disqualifiée. Il faut le dire. La monoparentalité est forte en outre-mer et peut être parfois attractive dès la première grossesse. Le père devient alors progressivement invisible, dans une stratégie de faibles revenus et de revenus de transferts, son nom n'est pas porté par l'enfant, il n'apparaît pas sur les papiers administratifs ou sur la boîte aux lettres. Il devient invisible, même s'il contribue au foyer. Lorsque le couple bat de l'aile, c'est lui qui se retire, ce qui crée une réelle famille monoparentale.

Ainsi, il est très important de comprendre le contexte social et sociétal pour adapter et prévoir. Ce sont des stratégies de survie et d'affichage. La monoparentalité explose, les chiffres nous le disent. Mais correspondent-ils à la réalité ? Ces problématiques des stratégies familiales pour survivre doivent alimenter nos réflexions quant aux questions portant sur le thème de l'égalité parentale et du maintien du lien parent-enfant.

Debut de section - Permalien
Alexandre Hoareau, chargé de mission à l'Observatoire de la parentalité de La Réunion

Nous avons parlé de particularités, de singularités, de diversité. C'est un signe de richesse, bien sûr. À travers ces particularités se forme tout de même un faisceau commun qui transcende le territoire et nos particularismes, et qui dessine en quelque sorte un socle commun de compétences parentales. C'est celui-ci qu'il s'agit de matérialiser et de rendre visible et lisible pour disposer d'un référentiel et construire un programme de formation évoqué par plusieurs d'entre nous.

Vous avez également évoqué l'accessibilité aux services et aux droits. Il est possible de créer un guichet unique qui permettrait de centraliser les demandes diverses. Souvent, nous sommes confrontés à un effet boule de neige, où une difficulté en génère une autre. Nous devrions pouvoir orienter la personne en prenant en une seule et même fois ses doléances.

Par ailleurs, les services dématérialisés ont été évoqués plus tôt. À La Réunion, plusieurs expérimentations ont été menées, parmi lesquelles une itinérance de la Caf ou d'autres administrations qui se déplacent en bus pour toucher les populations les plus distantes et les plus fragiles. Cette pratique pourrait être diffusée et faire office de support pour accéder aux publics invisibles.

Enfin, malgré un arsenal de prestations bien fourni, de nombreux foyers monoparentaux peinent à faire face aux dépenses incompressibles, notamment en matière de logement. Nous remarquons aussi une pression administrative importante relative à l'actualisation de la situation, qui génère du stress, par peur d'oublier un élément, de se tromper, d'être contraint à rembourser, s'ajoutant à une charge mentale déjà élevée.

On parlait également d'horaires décalés, qui s'accompagnent d'un manque de solutions et de modes de garde adaptés, réellement problématiques pour les familles monoparentales. L'exercice de la co-parentalité est également difficile. Ici, il est nécessaire de renforcer le réseau de médiation familiale afin de réintégrer le père dans le système familial et de favoriser une parentalité apaisée. Des initiatives de médiation innovantes ont également vu le jour. Je pense notamment à la médiation par le rire ou par la nature. Ici, à La Réunion, une association vise à rapprocher les individus de la nature pour qu'ils s'expriment pleinement. Nous pourrions également profiter d'un temps d'accompagnement plus long, plus posé, permettant une approche plus qualitative. Nous sommes contraints dans nos structures respectives à une certaine rentabilité, à une obligation de résultat par nos financeurs. Or, cette rentabilité peut être contre-productive vis-à-vis de l'aspect qualitatif des accompagnements.

Pour ce qui est de la place du père, je pense que l'hypothèse du père légitime et de plein droit est à construire, et même à co-construire. La réflexion préalable doit nécessairement impliquer toutes les parties prenantes : la mère de l'enfant, les instances socialisantes (école, loisirs et cultures), les instances économiques...

Au sein de notre île, nous notons que le père souhaite prendre pleinement sa place dans l'éducation des enfants. Nous le voyons de plus en plus présent dans les crèches ou dans les associations de soutien à la parentalité, de plus en plus nombreuses. Pour autant, ces services ont été construits sur l'idée selon laquelle c'est la mère qui se charge des enfants. Nous devons ainsi déconstruire cette représentation et élargir cette visée dans une approche universaliste de la parentalité.

Lorsque nous leur demandons ce que signifie, à leur sens, le fait d'être père, ces derniers nous répondent qu'il s'agit avant tout d'être présents pour les enfants et la famille, de satisfaire les besoins, de subvenir aux besoins de la famille, de donner de l'amour, d'être à l'écoute, de communiquer le plus possible, de transmettre des valeurs humanistes, de participer aux loisirs, de conseiller, donner l'exemple et protéger. Pour leur permettre de mettre en oeuvre tout cela, nous devons créer des espaces d'écoute dans lesquels recueillir leur parole et faire fleurir de beaux projets.

Debut de section - PermalienPhoto de Annick Billon

Merci. Je cède la parole à Elsa Schalck. Je signale que Nassimah Dindar est connectée depuis La Réunion et que Marie-Laure Phinera-Horth est présente dans la salle. Elles pourront s'exprimer à l'issue de cette intervention.

Debut de section - PermalienPhoto de Elsa Schalck

Je vous remercie pour l'ensemble des interventions très instructives que vous nous avez livrées, par les constats que vous dressez des territoires respectifs et par les outils que vous avez pu mettre en place, inspirés des territoires et d'une réalité territoriale différente. Ils illustrent très concrètement les politiques publiques et les difficultés que vous pouvez rencontrer. Évidemment, les groupes de parole me semblent indispensables mais l'action passe également par l'Observatoire présenté, dont j'ai pu constater la force du partenariat mis en place entre l'université et la Caf.

Ainsi, quel est votre regard sur les partenariats en place et nécessaires avec les structures associatives, mais aussi avec les pouvoirs publics ? En matière de famille, nous sommes à la croisée de plusieurs difficultés, mais aussi d'un épanouissement, pour reprendre le slogan « grandir et s'épanouir » qui apparaît derrière M. Thierry Malbert. Quelle est votre lecture positive et négative des partenariats que vous avez pu mettre en place, et de ce qu'il faudrait fédérer pour déployer une culture de la parentalité plus présente dans notre société ?

Ensuite, vous l'avez dit, les familles monoparentales sont de plus en plus présentes. Comment faire en sorte que les pères, notamment les plus jeunes, adoptent un rôle différent et s'impliquent davantage dans la famille ? Quelles sont d'après vous les pistes d'amélioration à mettre en place, ou qui existent déjà, en lien notamment avec l'Éducation nationale ? Je suis convaincue que c'est dès l'école qu'on apprend le respect et l'importance de la sphère familiale, ô combien précieuse lorsque les deux parents jouent pleinement leur rôle.

Enfin, s'agissant de l'« aller vers », nous voyons que les personnes ont de plus en plus de difficultés à évoquer, avec des personnes qu'elles ne connaissent pas, des difficultés très personnelles ou familiales, notamment par pudeur. Des outils tels que le bus itinérant présenté plus tôt me semble pertinents. D'après vous, une profusion de communication dilue-t-elle le message, ou reste-t-il au contraire des aspects à développer en la matière pour inciter les pères et les mères à aller vers des structures existantes, dont ils n'ont pas nécessairement connaissance ? Nous savons à quel point tout va vite dans notre société. Dans ce cadre, comment communiquer de manière efficace ?

Debut de section - Permalien
Thierry Malbert, directeur scientifique de l'Observatoire de la parentalité de La Réunion

Votre première question porte sur l'observation. Un observatoire observe, récolte, analyse, soutient et diffuse des outils. Nous réalisons des études en partenariat avec des acteurs et devons continuer à le faire, qu'elles soient petites, moyennes, larges, spécifiques, au sein de l'océan Indien ou des différents départements d'outre-mer. J'oserai dire que l'Observatoire de la parentalité de La Réunion est en train d'essaimer, puisqu'une structure similaire est en train de se monter à la Martinique, portée par la Caf et d'autres partenariats.

Je suis professeur d'université en anthropologie. Pourquoi l'université de La Réunion a-elle travaillé avec la Caf pour monter un Observatoire ? Travailler et mener des recherches, c'est très bien, mais en quoi affectons-nous les populations ? Je pense que ces partenariats entre la recherche académique et l'action sociale sont porteurs. Pour preuve, nous avons également monté l'Observatoire régional de l'océan Indien. Nous pouvons ouvrir ce dispositif aux départements, aux collectivités. Nous avons également noué des liens avec le rectorat ou d'autres associations et laboratoires de recherche. Ainsi, nous avons créé au niveau méso - au milieu - une cellule de réflexion présentant des atouts multiples. Il s'agit d'un lieu neutre, porté par l'État, la Caf et l'université. Notre éthique est l'objectivité, comme nous le faisons dans la recherche, et nous sommes au plus près du contact des associations. Les partenariats peuvent ainsi être très riches, puisque la cellule familiale est au coeur de l'économie, des organisations sociales, de nos structures du lien social.

Il est absolument essentiel que les politiques publiques puissent renforcer les budgets, les dispositifs, les pratiques, la concertation. Nous sommes très honorés d'être conviés à cette audition, surtout dans le basculement que nous sommes en train de vivre. Le XXe siècle vient de se terminer. Nous entrons dans une autre période. La cellule familiale, la filiation et le lien social parent-enfant, qui sont des liens primaires, sont à consolider. Vous le savez comme moi, les réseaux sociaux, les écrans créent du délitement et de la non-confiance. Combien de conflits éclatent aujourd'hui avec des adolescents dont les parents n'ont pas de matière à ordonner, à gouverner et à communiquer ? Pour cette raison, j'ai évoqué la communication non violente lors de mon propos. Elle doit être plus présente, à la fois dans les collèges et lycées, mais aussi dans le réseau du soutien à la parentalité.

Les résultats de nos travaux de recherche, partagés dans ce format avec les acteurs du terrain, nous permettent aujourd'hui de proposer de futures actions au coeur de la socialisation des jeunes femmes et des jeunes hommes, avant même qu'ils ne soient parents : lycéens, étudiants, jeunes travailleurs. C'est en amont de la parentalité que nous devons également agir !

Sur le site de l'Observatoire, nous avons publié de petits films de trois minutes dans lesquels des pères s'expriment. On comprend immédiatement leurs solutions pour aider les autres parents en souffrance. Ces supports sont à disposition du réseau pour animer des groupes de parole et briser la glace. Car il n'est pas évident de présenter sa problématique familiale, de parler de ce qu'il se passe à la maison, des liens intimes. Nous constatons que l'absence des parents dans les groupes de parole est en lien avec le fait que tout le monde se connaît dans les quartiers et les cités. Ainsi, nous disposons de très belles structures, appuyées par le département et la Caf, mais nous devons les rendre plus attractives. Pour ce faire, nous devons travailler en transversalité, avec le milieu professionnel qui peut injecter de la formation, mais aussi avec le rectorat, en prenant en compte les spécificités en lien avec la monoparentalité et l'isolement. Je pense que nous devons renforcer ce processus, et « aller vers » en travaillant sur les transversalités.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Laure Phinera-Horth

Je suis sénatrice de la Guyane, territoire particulier dont 50 % de la population est âgée de moins de 25 ans. À leur tour, les enfants font des enfants. Le territoire est également soumis à une forte immigration. Lorsque j'étais maire, j'avais pour volonté de monter une école des parents et des éducateurs. J'ai commencé par mettre en place les mardis de la parentalité, qui rencontraient un franc succès. Nous organisions des réunions avec des mères ou des pères, sur des thèmes précis tels que la contraception, les stupéfiants ou l'autorité parentale. Ces réunions étaient très suivies, de nombreux parents se déplaçaient. Nous avons un peu attendu pour créer la structure. Sachez que je ferai tout pour que la Guyane s'inspire de vos expériences, et notamment de l'EPE, voeu pieux de la ville de Cayenne. La mise en place d'un Observatoire de la parentalité me semble également nécessaire. La Guadeloupe, la Martinique et la Guyane pourraient se regrouper pour travailler sur ce dossier.

J'ai beaucoup apprécié vos interventions. Je me ferai un devoir, dès que je me rendrai sur mon territoire, de rencontrer les assistantes maternelles ou les associations en charge des parents. En Guyane, de nombreuses familles sont plutôt matriarcales. Les femmes ont besoin d'aide et de soutien. Vous pouvez compter sur moi. Lorsque je retournerai chez moi, je parlerai de l'école des parents et des éducateurs dont nous rêvions à l'époque. Je pense que la démarche se poursuit. Nous avions mis en place douze maisons de quartier sur le territoire de Cayenne. Ces espaces d'échanges permettaient de discuter de multiples sujets.

Merci à vous, et merci aux délégations de me permettre d'être en lien avec des acteurs très dynamiques sur la parentalité.

Debut de section - PermalienPhoto de Victoire Jasmin

Je demandais plus tôt aux intervenants, et notamment à Mme Béatrice Bayo, s'ils avaient connaissance d'autres acteurs sur le territoire de la Guadeloupe. Ils sont nombreux, et d'autres tables rondes pourront porter sur le sujet. Je ne sais pas si nous bénéficierons d'une évaluation de ce qui existe, mais le territoire compte déjà beaucoup d'associations qui font énormément de choses. Mme Patricia Augustin le sait. C'est peut-être une des raisons pour lesquelles vous n'y êtes pas encore implantés. Nous verrons plus tard si ces initiatives sont efficientes et efficaces. J'aimerais vraiment que nous puissions poursuivre ce travail en Guyane, puisque des fédérations y sont également implantées.

Je crois que cette initiative des délégations aux outre-mer et aux droits des femmes permettra de mettre en lumière des problématiques importantes de nos territoires. Je suis ravie d'être rapporteure de ce travail, qui nous permet de constater que de nombreuses actions sont mises en place. Cette mission conjointe nous permettra de travailler de façon complémentaire pour trouver des solutions.

Debut de section - PermalienPhoto de Annick Billon

Les spécificités des territoires ultramarins imposent parfois des réponses différentes, raison pour laquelle ces dernières se démultiplient.

Debut de section - PermalienPhoto de Stéphane Artano

Les constats dressés ne font que renforcer ma conviction et celle du Sénat sur les travaux menés en ce moment par le groupe de travail sur la décentralisation.

Je retiens de cette matinée un besoin de déconcentration des moyens financiers et techniques sur nos territoires. Ce sujet renvoie à la verticalité des politiques publiques en général et à leur adaptation aux besoins des territoires.

Je suis également frappé par la nécessité d'aller vers et d'associer les communes, qui interroge sur l'existence éventuelle de schémas locaux d'accompagnement à la parentalité ou de schémas enfance-jeunesse sur tous les territoires. Il en existe un à Saint-Pierre-et-Miquelon, avec la Caisse de prévoyance sociale, équivalent de la Caisse nationale des allocations familiales (Cnaf). Il permet de décliner de manière transversale entre les acteurs des politiques territoriales d'accompagnement. De tels schémas existent-ils sur l'ensemble de vos territoires ? À défaut, le Sénat pourrait-il formuler cette préconisation ?

Je retiens également la complexité des financements. Vous êtes tous des acteurs de terrain et non des professionnels en recherche de financements publics. Cette réalité génère un besoin de simplification de la source de financement public et de l'accès à ces mêmes financements par les acteurs en charge. N'oublions pas que ce sont les réseaux associatifs et les Observatoires qui font aujourd'hui vivre la parentalité dans les territoires et pas nécessairement les politiques publiques qui peuvent être décidées au niveau national avant d'irriguer chacun des territoires.

Ce constat renvoie à la différenciation des approches sur chacun de nos territoires en tenant compte de la sociologie, et à une nécessaire déconcentration des moyens au niveau des territoires. Je reviens également sur une question posée lors de la première audition relative à l'implantation des fédérations nationales sur nos territoires ultramarins, qui sont également des relais associatifs. Je pense notamment à la Fédération nationale des parents et éducateurs : deux des trente-neuf associations sont implantées en outre-mer. Là aussi, est-il nécessaire d'enclencher un processus au niveau national de façon à permettre l'implantation de nouvelles entités dans d'autres territoires ? J'aime beaucoup l'approche régionale évoquée parce qu'elle me semble indispensable. On ne peut pas toujours dire publiquement que nous souhaitons que nos territoires soient insérés dans les régions du monde où ils se situent, sans faire en sorte que ce soit le cas sur le plan sociologique et sans tenir compte des expériences menées. Nos collègues canadiens ont par exemple connu des avancées en matière de sociologie parentale, reconnues au niveau international, méritant que nous les approfondissions. Nous pourrions nous en inspirer.

Enfin, j'aimerais simplement demander aux acteurs s'ils émargent à la fois aux financements sur les appels à projets nationaux et sur les appels à projets territoriaux. Les Cnaf lancent-elles des appels à projets sur la parentalité dans vos territoires ? Le ministère en charge des outre-mer lance-t-il des appels à projets sur ce sujet également ? Pourrait-il devenir une caisse de résonance sur ces politiques de manière à éviter la dispersion de financements ? Au moment où l'on parle de recentrer et d'améliorer l'efficience des politiques publiques, je pense que nous devons être inventifs et « pousser les murs » pour faire tomber certaines barrières.

Debut de section - Permalien
Béatrice Bayo, directrice générale à la FNEPE

Aujourd'hui, à ma connaissance, les financements relèvent majoritairement de la Caf et pas de la Cnaf, qui ne lance pas d'appels à projets spécifiques aux outre-mer. Par ailleurs, il s'agit souvent de financements sur projet, et non structurels, ce qui occasionne des difficultés. J'attire votre attention sur ce point. L'appel à projets est ponctuel et ne vise qu'une partie de l'activité des associations. C'est ce qui génère une dispersion des financements.

Ensuite, les liens directs entre le ministère des outre-mer et les acteurs de terrain sont très rares. Il serait pourtant intéressant d'en nouer, peut-être par le biais d'un intermédiaire local, pour développer une plus grande proximité entre eux.

Les schémas départementaux des services aux familles sont très inégalement déclinés sur les territoires. Aujourd'hui, à ma connaissance, les acteurs du soutien à la parentalité sont très peu associés sur les deux territoires où nous sommes implantés, contrairement aux acteurs de la petite enfance. Ils devraient pourtant participer aux travaux de ces schémas.

S'agissant de la communication, évoquée par Mme Elsa Schalck, j'identifie un enjeu de visibilité et d'accessibilité, tant en termes de langue que de situation d'illettrisme et d'illectronisme des familles. Quelle communication pouvons-nous développer pour les toucher, par des supports visuels ou par du présentiel ?

Enfin, je suis très mitigée vis-à-vis des compétences « socles » évoquées par M. Hoareau. Nous devons être vigilants lorsque nous disons qu'il existe un minimum vital pour chaque parent. Chacun est différent et dispose de ses propres compétences. La différence de situation culturelle, sociale ou géographique occasionne de fait un danger dans la définition de compétences socles à harmoniser pour tout un chacun. Je n'entrerai pas dans le débat, mais j'estime que notre objectif doit être de donner confiance aux parents pour qu'ils se sentent légitimes, et de les accompagner comme ils doivent l'être.

Debut de section - Permalien
Patricia Augustin, secrétaire générale de la FSFM

J'aimerais revenir sur les propos exprimés concernant l'arsenal de prestations dédiées aux familles monoparentales et concernant les femmes se déclarant comme telles alors qu'elles ne le sont pas, écartant volontairement les pères pour des raisons financières. Il y a certainement quelque chose qui m'échappe, car il me semble qu'il n'existe qu'une seule allocation spécifique pour les familles monoparentales, l'allocation soutien familial. La situation décrite a pu exister lorsque l'allocation parent isolé existait. Elle reconnaissait le fait familial et la présence d'enfants, et était versée pendant trois ans sans être associée à une condition de recherche d'emploi, qu'apporte aujourd'hui le RSA. Celui-ci reconnaît la situation de monoparentalité mais est conditionné à la preuve d'une recherche d'emploi. Cette prestation n'a pas les mêmes vertus que l'allocation parent isolé. Il n'y a donc pas d'arsenal de prestation, mais uniquement une allocation qui se substitue à la pension alimentaire.

Par ailleurs, un père, s'il le souhaite vraiment, peut reconnaître son enfant à n'importe quel moment, et ce même à l'insu de la mère. Nous militons pour l'exercice d'une coparentalité effective. La reconnaissance des enfants par le père est très importante à nos yeux pour habiter cette fonction parentale qui ne peut se faire par le bon vouloir de la mère. Si le père veut la prendre à bras le corps, il peut le faire. Je pense qu'aucune prestation ne peut remplacer la présence d'un père. La pension alimentaire ne remplacera jamais un deuxième salaire. Nous constatons bien que les ruptures de concubinage ou les divorces appauvrissent toujours la famille. Quand le couple existe, la précarité diminue.

Debut de section - PermalienPhoto de Annick Billon

J'ai été interpellée par la formulation « couple un jour, parents toujours » employée par Mme Bayo. Dans le cadre de violences intrafamiliales, nous sommes convaincus qu'un conjoint violent n'est pas un bon parent et que l'autorité familiale doit systématiquement lui être retirée. Dans ce cadre, je ne sais pas si c'est la bonne formule à utiliser. Nous n'avons pas le temps d'en débattre ce matin, mais j'aimerais que l'on soit vigilant quant à ce type de message, qui signifierait que l'on a l'autorité parentale à vie, peu importent les violences.

Monsieur Malbert, vous avez mis l'accent sur les statistiques de familles monoparentales qui seraient gonflées en raison d'un besoin de survie et de statut, parce que les politiques familiales pousseraient des mères à s'afficher en tant que famille monoparentale. Nous allons investiguer ce sujet.

S'agissant des différents modèles, je retiens qu'il existe de bonnes initiatives dans divers territoires, qui méritent peut-être d'être dupliquées. Pour autant, le faire dans les outre-mer n'est pas simple. La duplication du 3919 a été confrontée à des problèmes d'horaires d'ouverture ou de décalage horaire. Ce constat illustre la nécessaire adaptation à chaque territoire.

Enfin, je crois que nous devons nous pencher sur la structure des associations dans le cadre de ce travail. Vous avez évoqué les financements et appels à projets. Il serait intéressant d'étudier la situation des associations dans les outre-mer avant et après Covid. Qu'en est-il des permanents qui y travaillent ? Sont-ils en nombre suffisant ou les bénévoles assument-ils la charge totale, du fait des appels à projets ? La réalité est-elle la même dans tous les territoires ultramarins ? Comment réussir à pérenniser l'action des associations ? À travers vos propos, j'ai ressenti leur rôle extrêmement puissant pour tenter de mettre en oeuvre des politiques publiques - pas toujours adaptées - lorsqu'elles existent. Finalement, le rôle de l'État arrive au second plan en matière de parentalité et de gestion des réponses à apporter à ces familles en détresse.

Debut de section - PermalienPhoto de Victoire Jasmin

Avant de conclure, je voudrais que nous ayons une pensée pour une jeune Martiniquaise, Marie-Camille Relouzat, mère de deux enfants et victime de féminicide. Aujourd'hui-même, jeudi 9 février, une marche est organisée en son honneur en Martinique. Ce drame renvoie aux difficultés soulevées par le slogan « couple un jour, parents toujours ». Il me semble important de lui rendre hommage.

Debut de section - PermalienPhoto de Annick Billon

Il est toujours important de rester connecté au terrain. La lutte contre les violences intrafamiliales ne peut pas être séparée du sujet de la parentalité. Merci de nous avoir rappelé cette dure réalité et la difficulté que nous rencontrons, tant dans les territoires ultramarins que dans l'Hexagone, à lutter contre les féminicides, puisque les statistiques à ce sujet sont terribles.

Debut de section - PermalienPhoto de Stéphane Artano

Je vous remercie de la qualité des échanges et des éclairages que vous avez apportés. Loin de moi l'idée ou la présomption de vous dire comment doit être mis en place l'accompagnement à la parentalité. Notre rôle, au Sénat, consiste à vous aider Surtout, nous sommes les porte-voix des collectivités et territoires. Je suis intimement persuadé, comme de nombreux sénateurs aujourd'hui présents, que c'est sur le territoire que les politiques se construisent concernant les populations. C'est bien le message que nous devons porter au travers de ce rapport d'information. Je m'associe évidemment à l'hommage évoqué par Victoire Jasmin.

Merci à tous pour cette très belle audition. Les délégations sont preneuses de toutes vos contributions écrites et de vos remontées de terrain pour alimenter nos travaux dans le cadre de ce rapport. Cette table ronde était très riche. Je ne doute pas que nous pourrons continuer à échanger sous d'autres formats pour enrichir nos recommandations.