Monsieur le président, mes chers collègues, je vous remercie de m'accueillir aujourd'hui pour évoquer les travaux de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe lors de sa première partie de session 2023, qui s'est tenue du 23 au 27 janvier dernier.
S'agissant de la délégation française, peu de changements sont intervenus dès lors que la délégation avait été renouvelée à l'automne. Je signale néanmoins que Didier Marie a été désigné par son groupe politique membre de la commission de suivi, où il rejoint nos collègues Claude Kern et Bernard Fournier.
La partie de session a notamment été marquée par l'intervention de la ministre allemande des affaires étrangères, Annalena Baerbock, qui a appelé les États membres à réaffirmer leur fidélité aux valeurs du Conseil de l'Europe, lors du Sommet des chefs d'État et de gouvernement qui se tiendra à Reykjavik au mois de mai prochain. La guerre en Ukraine a été au coeur de son intervention et elle a été très vivement interpellée par plusieurs membres de l'Assemblée sur la livraison de chars allemands à l'Ukraine, qui n'était alors pas confirmée, mais aussi, de manière plus originale dans l'ambiance du moment, par un collègue grec sur la livraison d'armes allemandes à la Turquie... Elle a fait montre, tout au long de son intervention et de ses réponses, d'une grande habileté politique.
La Première ministre islandaise, Katrín Jakobsdóttir, est également intervenue lors de cette partie de session, qui prenait place sous présidence islandaise du Comité des ministres. Elle a naturellement évoqué le Sommet de Reykjavik, réclamé par l'APCE depuis plusieurs mois, mais qui restera un exercice exclusivement gouvernemental, en dépit des nombreux débats que nous avons pu avoir et de la tenue d'une réunion en format « commission permanente », en parallèle du Sommet des chefs d'État et de gouvernement. Nos collègues Bernard Fournier et André Gattolin ont pu l'interroger, notamment sur la ratification par les États membres des conventions initiées par le Conseil de l'Europe. La Première ministre islandaise a évoqué la possibilité de prendre une initiative sur ce sujet.
La question du point de sortie du Sommet de Reykjavik est un enjeu majeur pour l'avenir et les perspectives du Conseil de l'Europe. On sait que l'adhésion de l'Union européenne à la Convention européenne des droits de l'homme est espérée par certains comme une marque symbolique importante. La ministre allemande l'a d'ailleurs appelée de ses voeux dans son discours. Mais cette adhésion soulève de réelles difficultés concernant la politique étrangère et de sécurité commune, comme votre commission l'a souligné à plusieurs reprises.
Je veux également évoquer un moment d'émotion, qui rejoint le thème que vous aborderez demain au travers de la proposition de résolution européenne présentée par André Gattolin sur les transferts forcés massifs d'enfants ukrainiens par la Fédération de Russie. Ce moment, c'est l'intervention de la lauréate du Prix Nobel de la Paix, Oleksandra Matviichuk, directrice du Centre pour les libertés civiles, qui a mentionné la documentation de 31 000 crimes de guerre en dix mois et a appelé à briser le « cercle d'impunité » dont a bénéficié la Fédération de Russie jusqu'à présent dans le cadre d'autres conflits.
La question de la création d'un tribunal spécial international pour juger des crimes commis en Ukraine a été abordée dans le cadre d'un débat d'urgence, sur la base d'un important travail effectué par la commission des questions juridiques et des droits de l'homme.
L'APCE a appelé à la création d'un tribunal pénal international spécial à La Haye pour juger les dirigeants politiques et militaires russes et biélorusses qui ont « planifié, préparé, initié ou exécuté » la guerre d'agression contre l'Ukraine.
D'autres tensions traversant le continent ont été évoquées lors de cette partie de session, en particulier lors de débats sur les conséquences humanitaires du blocus du corridor de Latchine et sur les tensions entre Pristina et Belgrade, qui ne se sont pas améliorées depuis. La délégation française a eu des échanges directs avec la délégation arménienne, lors d'un dîner entre les délégations. Elle a également reçu le Président de l'Assemblée nationale du Kosovo. Il a évidemment plaidé la cause de la reconnaissance de cet État, qui aspire à intégrer pleinement le Conseil de l'Europe, ce qui ne va pas sans soulever des difficultés et des réserves de la part de plusieurs États membres.
Plusieurs débats thématiques de fond ont eu lieu. Je ne les citerai pas tous pour ne pas être trop long, mais je voudrais en évoquer certains qui me paraissent importants ou novateurs dans leur approche.
Certains débats ont tourné autour de la garantie du respect des droits de l'Homme en cas de conflit, avec des analyses sur les violences sexuelles liées au conflit, qui sont malheureusement une tragique réalité, sur l'impact environnemental des conflits armés et, surtout, sur l'émergence des systèmes d'armes létales autonomes et leur nécessaire appréhension par le droit européen des droits de l'Homme.
Ce dernier débat a donné lieu à des réflexions poussées et à des échanges vifs entre les tenants d'une interdiction absolue de tels systèmes d'armes et les tenants d'une approche réaliste, qui a finalement prévalu. André Gattolin a pris une part très active à ces échanges, puisqu'il a suppléé le président de la commission des questions juridiques et des droits de l'Homme. La résolution finalement adoptée par l'APCE affirme que des systèmes d'armes létales entièrement autonomes, qui sélectionnent des cibles et les éliminent sans le moindre contrôle humain significatif, ne peuvent jamais être conformes au droit international humanitaire et aux droits humains. De tels systèmes auraient donc vocation à être purement et simplement interdits. Mais elle appelle également à élaborer un cadre juridique pour les autres systèmes d'armes létales à autonomie partielle, en mettant en place des règles adaptées aux défis particuliers posés par ce type d'armes, afin d'assurer le respect du droit de la guerre. Dans l'attente de ce nouvel instrument international juridiquement contraignant, la résolution estime que la mise au point d'un code de conduite non contraignant pourrait servir de guide aux négociateurs de la future convention. Ce débat m'est apparu particulièrement intéressant et novateur.
Une séquence importante de la partie de session a été consacrée à la lutte contre les violences faites aux femmes, au travers en particulier d'un rapport sur le suivi de la mise en oeuvre de la Convention d'Istanbul, à laquelle l'Union européenne pourrait prochainement adhérer.
Un débat sur la captivité conjugale a également eu lieu, ce sujet ayant d'abord été étudié et pris en compte par les Pays-Bas. Telle que la définit la résolution adoptée par l'APCE, il s'agit de la situation dans laquelle une personne a contracté un mariage de son plein gré, souhaite y mettre fin, mais constate qu'elle ne peut pas le faire, soit sur le plan juridique, soit aux yeux de sa communauté.
Le dernier débat que je souhaite évoquer concerne celui du traitement des combattants étrangers de Daech et de leurs familles revenant dans nos États membres. La question est éminemment sensible et je sais que vous avez eu l'occasion de l'évoquer avec le juge Guyomar, lorsque vous l'avez auditionné conjointement avec la commission des lois. La délégation française à l'APCE l'avait fait également lors d'une rencontre à notre représentation permanente auprès du Conseil de l'Europe. La position de l'Assemblée parlementaire est plus favorable à ce retour que ne l'est la France. La portée réelle de la décision de la Cour dans l'affaire H.F. et autres contre France a été rappelée par plusieurs membres de la délégation française.
Enfin, puisqu'une délégation de votre commission se rend à la Cour européenne des droits de l'homme la semaine prochaine, je veux signaler que, lors de la prochaine partie de session prévue au mois d'avril, une séquence importante sera consacrée à la mise en oeuvre des arrêts de la Cour et au lien entre la Convention européenne des droits de l'homme et les constitutions nationales.
Je souhaite enfin ajouter un dernier point concernant le rapatriement d'enfants dont les parents sont partis combattre aux côtés de Daech. Je suis, comme vous le savez, président de la Fédération hospitalière de France pour la région Provence-Alpes-Côte d'Azur, où une dizaine de ces enfants ont été placés en hôpital psychiatrique à leur retour de Syrie. Ils sont alors surveillés par des psychiatres, mais ne sont pas en résidence obligatoire et peuvent se promener dans la ville de Marseille tous les jours. Ils sont uniquement tenus de rentrer le soir. D'après les psychiatres, qui ne sont pas formés pour soigner ce genre d'enfants ayant potentiellement subi de véritables lavages de cerveau, ces enfants s'apparentent à de véritables « bombes » humaines. Une fois qu'ils sont en liberté dans les villes, on ne sait pas ce qu'ils peuvent faire. Il me semble important d'alerter sur ce sujet.