Intervention de Pascal Allizard

Commission des affaires européennes — Réunion du 8 mars 2023 à 13h45
Politique étrangère et de défense — Session d'hiver de l'assemblée parlementaire de l'organisation pour la sécurité et la coopération en europe du 22 au 26 février ap-osce - communication

Photo de Pascal AllizardPascal Allizard, premier vice-président de la délégation française à l'AP-OSCE :

Je me réjouis, Monsieur le président, cher Jean-François, Monsieur le président, cher Alain Milon, qu'une fois de plus notre sort soit lié, au sein de cette commission, où, au titre de l'APCE et de l'AP-OSCE, nous représentons en quelque sorte la Grande Europe, l'Europe des valeurs, de la sécurité et de la géopolitique, sans laquelle l'Union européenne ne peut se développer.

Il y a près de trois mois, le 14 décembre 2022, nous avions fait le point sur l'activité de l'assemblée parlementaire de l'Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe (AP-OSCE) l'année dernière, marquée par la guerre déclenchée par la Russie en Ukraine et, sur le plan interne, par le renouvellement de la délégation française à la suite des élections législatives, qui avaient conféré à notre délégation sénatoriale un rôle particulier.

Je vous avais narré le déroulement de la session d'automne de Varsovie, marquée par un débat intense et passionnant, quasi existentiel pour cette organisation, sur le mécanisme de suspension que j'avais proposé, en tant que président de la commission du Règlement, en application du mandat exprès et unanime donné par l'assemblée annuelle de Birmingham en juillet dernier.

Je vous avais exposé combien le mécanisme du « consensus moins un », s'apparentant à un quasi droit de véto, qui gouverne la commission permanente, organe décisionnel de l'assemblée, avait rendu périlleuse une telle entreprise.

À Vienne, il y a dix jours, pour la session statutaire d'hiver, qui se tenait à la date anniversaire de l'invasion russe, ce n'est pas l'ombre de la Russie qui planait sur l'assemblée, mais bel et bien la présence même de délégations de la Douma et de l'assemblée biélorusse, qui suscita, comme vous pouvez l'imaginer, bien des inquiétudes et bien des remous.

En effet, Vienne est le siège permanent et historique de l'OSCE, organisation internationale, intergouvernementale, réunissant 57 États, dont la Russie et la Biélorussie, qui disposent donc d'ambassadeurs et de représentations permanentes, participant aux réunions périodiques avec leurs collègues des autres États membres, en dépit du peu de cas qu'ils font du « décalogue », c'est-à-dire des dix principes fondateurs, foulés aux pieds par l'invasion russe de l'Ukraine. Permettez-moi de les rappeler ici : égalité souveraine des États, non-recours à la menace ou à la force, inviolabilité des frontières, intégrité territoriale des États, règlement pacifique des différends, non-intervention dans les affaires intérieures, respect des droits de l'homme et des libertés fondamentales, droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, coopération et exécution de bonne foi des obligations du droit international, notamment de la charte des Nations Unies.

La Russie est allée à l'encontre de chacun de ces principes.

Le siège de l'assemblée parlementaire se trouve à Copenhague, mais l'assemblée d'hiver se tient rituellement, chaque année, à Vienne, ce qui permet un contact étroit avec les responsables exécutifs de l'organisation, ainsi qu'avec les ambassadeurs ou représentants permanents, afin d'assurer un dialogue et une cohérence nécessaires entre nos travaux parlementaires et les missions des autres organes - voire un contrôle de ceux-ci.

Si le Règlement de l'assemblée n'inscrit pas dans le marbre le lieu de ce rendez-vous attendu, il dispose qu'il doit se tenir avant la fin février, ce qui rendit nulles et non avenues les solutions de rechange tardivement proposées, par exemple par la Lituanie.

En effet, face à la décision des autorités autrichiennes, après quelques pressions et tergiversations, d'octroyer des visas aux représentants russes et biélorusses, en vertu de l'accord de siège qui les lie à l'OSCE, des réticences et oppositions se sont manifestées, de la part des délégations de plusieurs pays membres, soucieux de ne pas voir la Russie saisir cette occasion d'une tribune de propagande et de désinformation, au détriment de l'Ukraine et de l'OSCE dans son ensemble.

Il fallut tout d'abord tordre le cou aux rumeurs selon lesquelles la présence russe et biélorusse s'annonçait massive, des chiffres fantaisistes ayant circulé, prévoyant des délégations pléthoriques, garnies de titulaires et de suppléants, plusieurs fonctionnaires et collaborateurs, soit 35 personnes en tout et jusqu'à plusieurs dizaines de journalistes, sans compter les diplomates et assimilés en poste à Vienne.

Les autorités autrichiennes se sont montrées prudentes quant à l'octroi de visas, à leurs nombre et conditions : elles n'ont accordé en tout et pour tout que sept visas aux Russes, pour six parlementaires et un fonctionnaire, et trois aux Biélorusses, strictement limités dans le temps, du début de la première réunion plénière le jeudi matin à la fin de la commission permanente le vendredi après-midi, et circonscrits dans l'espace, aux abords du centre de Vienne, entre l'hôtel désigné, leurs ambassades et le centre de congrès de la Hofburg.

La question de la présence ukrainienne était épineuse à plus d'un titre. La Rada prit, début février, une résolution recommandant aux parlementaires de tous les pays membres de ne pas se rendre à Vienne, puis la délégation ukrainienne choisit finalement d'y aller, mais sans pénétrer dans l'immeuble où ils auraient craint de croiser physiquement les Russes, donc en restant cantonnée dans son ambassade. C'est là que nous nous réunîmes avec elle, à plusieurs reprises.

Ces précisions ne sont pas qu'anecdotiques. Elles dessinent le cadre d'une session tout à fait inédite dans l'histoire de l'organisation issue de l'Acte d'Helsinki, dont nous commémorerons le cinquantenaire dans deux ans.

Dans le contexte si particulier de l'anniversaire de l'invasion de l'Ukraine, cette session s'est tout compte fait déroulée sans encombre, en dépit des tensions qui avaient entouré sa préparation : 52 États sur 57 étaient représentés par 247 parlementaires, soit près de 500 participants au total.

Certaines interventions des hauts responsables de l'OSCE, dont celle du président en fonction, le ministre des affaires étrangères de Macédoine du Nord, M. Osmani, eurent lieu en visioconférence depuis l'assemblée générale extraordinaire des Nations unies à New York.

Les enjeux de sécurité de cette rencontre firent naturellement l'objet d'une vigilance particulière. Le bureau de l'assemblée et les autorités autrichiennes y ont oeuvré diligemment, avec le concours de services compétents et efficaces, déployés sur place, auprès des délégations, aux abords de l'édifice principal et des hôtels, et jusque dans les salles de réunion, ce qui fut une première.

La chorégraphie des séances avait été minutieusement préparée, lors de réunions de bureaux en visioconférence, dans les semaines et jours précédents et sur place jusqu'à la veille de l'ouverture de la session.Les délégations russe et biélorusse étaient judicieusement placées au fond de la salle, relativement isolées et proches de sorties dédiées.

Ne serait-ce que grâce à cet agencement, elles n'ont pas pu perturber l'ordonnancement des débats, qui restèrent concentrés sur le fond, marquant une condamnation vigoureuse de la guerre menée par la Russie en Ukraine et une évaluation rigoureuse de ses conséquences considérables pour les trois « dimensions » de l'OSCE, correspondant aux compétences de chacune de ses trois commissions : les affaires politiques et de sécurité ; l'économie et l'environnement ; les droits de l'homme.

Le message principal de la délégation ukrainienne, réclamant la sanction des crimes de guerre perpétrés par la Russie, fut prononcé avec force par le chef de la délégation slovaque.

Après avoir en vain tenté d'en contester l'ordre du jour, les délégations russe et biélorusse ont fini par quitter la commission permanente, au deuxième jour, pour ne pas avoir à entendre l'adresse de l'opposante biélorusse Svletana Tikhanovskaïa. Encore leur fallait-il passer par une antichambre où était disposée une exposition très poignante de photographes ukrainiens sur la guerre.

Lorsque la parole leur fut accordée, pour de brèves interventions, ils respectèrent peu ou prou le temps imparti et subirent la sortie de salle de la plupart des délégations, tandis que d'autres brandissaient des drapeaux ukrainiens...Bref, ce fut une session difficile pour eux ! À l'outrance du chef de la délégation russe, comparant l'exclamation « Slava Ukraini ! » (« Vive l'Ukraine ! ») au salut nazi « Heil Hitler ! », répondit une indignation unanime...et la reprise, par le chef de la délégation lettone, en russe dans le texte, de la célèbre réponse du soldat ukrainien de l'île des serpents aux marins russes qui lui intimaient de se rendre.

Je précise que la délégation française s'était réunie auparavant pour arrêter une position commune : elle sortit unanime lors de chaque intervention russe ou biélorusse. L'assemblée tout entière a montré son unité autour de sa condamnation de l'agression russe et de son soutien à l'Ukraine : c'est évidemment « le » message de Vienne !

Des échanges avec les responsables exécutifs de l'organisation, il faut retenir le véto russe à la présidence estonienne pour 2024, avant celle de 2025 revenant à la Finlande. Quant au budget de l'OSCE pour cette année, il n'est toujours pas adopté, pour la même raison, et son fonctionnement est assuré par des douzièmes provisoires...Il n'en va pas encore de même pour l'assemblée, même si la délégation russe l'a menacée du même sort !

Au fond, l'assemblée de Vienne a exprimé le souhait et l'engagement quasi-unanimes des parlementaires de cette très grande région de poursuivre, contre vents et marées, leur mission de recherche du dialogue, de la paix, de la sécurité et de la coopération entre les peuples qu'ils représentent. Mission ô combien ingrate et difficile dans le contexte actuel, mais le décalogue d'Helsinki, que j'ai rappelé au début de mon propos, demeure notre boussole.

En ma qualité de représentant spécial de l'AP-OSCE pour les affaires méditerranéennes, en charge des relations avec les six pays partenaires que sont le Maroc, l'Algérie, la Tunisie, l'Égypte, Israël et la Jordanie, j'ai pu m'entretenir avec les délégations parlementaires marocaine et algérienne présentes à Vienne, ainsi qu'avec l'ambassadeur d'Israël, et laisser un message à la représentation permanente de Jordanie, en vue de l'organisation du prochain Forum méditerranéen, prévu en principe en automne de cette année.

Je suis intervenu en commission permanente sur les défis immenses posés dans cette grande région par la guerre en Ukraine. En commission du Règlement, désormais élargie, permettez-moi de le souligner en ce jour particulier, j'ai soutenu une proposition tendant à introduire, non pas encore la parité, mais une représentation plus équilibrée des genres au sein de l'assemblée parlementaire.

Nos collègues membres de la délégation souhaiteront peut-être l'évoquer eux-mêmes, mais je dirais juste que Valérie Boyer a plaidé pour l'Arménie et pour la paix, Ludovic Haye pour la sécurité nucléaire après la sortie annoncée de la Russie du Traité de réduction des armes stratégiques New Start, et Jean-Yves Leconte pour la paix et le retour à l'esprit d'Helsinki, en soulignant combien la Russie l'avait violé.

Au total, nous pouvons nous réjouir de la bonne tenue de cette session dans des circonstances difficiles, et du soutien fort exprimé à l'Ukraine, même si des interrogations existentielles profondes demeurent sur le rôle d'une organisation quelque peu déphasée face à la recrudescence de la guerre et des tensions, mais qui n'aspire qu'à jouer, le moment venu, tout son rôle pour la paix et la sécurité durable de l'Europe et du monde.

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