Intervention de Claude Raynal

Réunion du 22 mars 2023 à 15h00
Dépôt du rapport public annuel de la cour des comptes suivi d'un débat

Photo de Claude RaynalClaude Raynal :

Monsieur le président, monsieur le Premier président de la Cour des comptes, mes chers collègues, comme chaque année, nous nous retrouvons pour la remise du rapport public annuel de la Cour au Parlement.

L’exercice est traditionnel, mais il présente des nouveautés, puisque cette édition est consacrée à un bilan de quarante ans de décentralisation. Le Sénat, représentant des collectivités territoriales, ne peut que se réjouir d’un tel choix thématique, qui suscitera – j’en suis sûr – de nombreuses observations de la part de mes collègues.

Avant d’aborder le thème de la décentralisation, je note que le rapport conserve une tradition : celle de consacrer sa première insertion à la situation de nos finances publiques.

La Cour rappelle ainsi que la croissance s’est élevée à 2, 6 % en 2022 et estime qu’elle devrait s’établir à seulement 0, 5 % en 2023, soit en dessous de l’hypothèse gouvernementale de 1 %. Ces chiffres traduisent clairement le ralentissement de notre économie.

Le déficit public atteindrait 5 % du PIB en 2023 et la dette publique 111, 2 % du PIB. Les dépenses publiques ont, certes, progressé sous l’effet de l’inflation et des mesures de soutien à l’économie et aux ménages, ce qui explique en partie ces chiffres, mais, comme le note aussi la Cour, entre 2019 et 2023, les baisses discrétionnaires de prélèvements obligatoires ont représenté à elles seules un point de déficit public.

Le projet de loi de programmation des finances publiques n’a toujours pas été adopté par le Parlement. La Cour note que celui-ci repose sur des hypothèses macroéconomiques très optimistes et estime, rejoignant ainsi la majorité sénatoriale, qu’il n’est pas suffisamment ambitieux en matière de baisse des dépenses.

Je formule le vœu que la Cour tire aussi les enseignements de ses constats sur les prélèvements obligatoires pour observer a minima que le projet de loi de programmation ne repose que sur une jambe, celle de la maîtrise des dépenses, sans jamais interroger le volet recettes. Nous aurons à en reparler dans les semaines et les mois à venir.

Je souhaite à présent évoquer le bilan que dresse la Cour de la décentralisation.

Le rapport montre que si les dépenses de fonctionnement et d’investissement des collectivités territoriales ont augmenté depuis le premier acte de la décentralisation, cette hausse s’explique par les transferts successifs de compétences et la recherche d’amélioration des services publics.

La Cour reconnaît par exemple que la décentralisation a permis d’améliorer les conditions matérielles d’accueil des élèves dans les collèges – on pourrait aussi parler des écoles et des lycées –, même si les départements sont désormais confrontés aux enjeux de rénovation du bâti scolaire, notamment en matière d’efficacité énergétique : cette question est précisément l’objet d’une mission d’information du Sénat dont les travaux viennent d’être lancés.

La Cour note aussi le dynamisme territorial du spectacle vivant. Ses observations rejoignent celles des rapporteurs spéciaux de la commission des finances. Lors de l’examen du dernier projet de loi de finances, ces derniers regrettaient l’absence de réflexion sur la pertinence de l’action de l’État en faveur de la création dans les territoires, qui pourrait s’apparenter à un renouvellement automatique des aides habituellement versées, à l’image d’une dépense de guichet.

De manière générale, qu’il s’agisse de l’appui au développement économique dans les territoires, de la gestion de l’eau ou des déchets ou encore des politiques sociales, sujet sur lequel nos collègues rapporteurs spéciaux de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances » se sont largement penchés – la commission des affaires sociales a fait de même –, la Cour appelle à la clarification des compétences non seulement entre collectivités, mais aussi avec l’État.

Globalement, le poids des dépenses locales dans le PIB demeure inférieur à la moyenne européenne. Comme le souligne la Cour, la France reste finalement un pays peu décentralisé.

Pour en venir plus précisément aux finances locales, qui font l’objet d’un développement spécifique, le principal enjeu me semble résider moins dans le niveau des dépenses des collectivités que dans le mode de financement, ce dernier apparaissant de plus en plus inadapté.

En effet, la substitution progressive aux ressources provenant de la fiscalité locale de parts d’impôts nationaux a distendu le lien qui existait entre les collectivités territoriales, pourvoyeuses de services à la population et aux entreprises, et ces derniers. Les dotations de l’État sont trop complexes et leur effet péréquateur est insuffisant. Le dispositif actuel manque de prévisibilité et de lisibilité pour les élus comme pour les citoyens.

Les constats du rapport public rejoignent ceux de l’enquête de la Cour sur les scénarios de financement des collectivités territoriales demandée par la commission des finances en application du 2° de l’article 58 de la loi organique relative aux lois de finances (Lolf). J’ai beaucoup apprécié ce travail et je crois que les différents scénarios doivent être poussés au maximum. Ces constats sont partagés par l’ensemble des acteurs, élus locaux et parlementaires.

La question qui doit désormais être posée est celle des mesures à mettre en œuvre. Or nombre de sujets à trancher ne sont pas consensuels et mériteront dans les mois à venir d’être étudiés par le Sénat pour tracer des pistes concrètes : la frontière entre autonomie fiscale et financière et la place qui doit être faite à la première ; les modalités de compensation des transferts de compétences et des réformes de la fiscalité locale, la compensation au coût historique n’étant pas soutenable dans certains domaines et pour certains territoires ; le dynamisme des recettes qui doit être envisagé au regard de celui des charges. Aujourd’hui, le mode de financement des collectivités est trop souvent décorrélé de leurs charges et, plus fondamentalement, des missions qu’elles exercent et de la qualité des services publics.

La question de l’éventuelle contribution des collectivités au redressement des finances publiques ne pourra être posée qu’une fois ces questions préalablement tranchées.

Par ailleurs, il me semble indispensable d’avoir une approche différenciée de la situation financière des collectivités. La Cour souligne de manière régulière la bonne santé financière des collectivités, mais les écarts entre catégories de collectivités et au sein d’une même catégorie sont trop importants pour ne pas être pris en compte.

En conclusion, le temps qui m’est imparti est trop court pour commenter l’ensemble des contributions particulièrement riches de ce rapport, qui se penche sur sept politiques sectorielles. Il n’est pas possible de porter une appréciation sur les nombreuses recommandations formulées par la Cour, qui dépassent largement l’analyse purement financière. La commission des finances, par ses rapporteurs spéciaux, qui suivent chacune des politiques publiques, tirera – soyez-en sûr, monsieur le Premier président – le meilleur profit de ces contributions, sur des sujets souvent abordés au moment de l’examen des projets de loi de finances.

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