Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je veux d’abord exprimer ma sincère émotion de présenter cette proposition de loi devant notre Haute Assemblée en tant que premier coauteur et président de la commission spéciale chargée de son examen.
Début 2022, j’ai proposé au président de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable la création d’une mission de contrôle sur les feux de forêt à la suite du feu hors norme de Gonfaron, dans le Var, qui a coûté la vie à deux personnes et détruit huit mille hectares dans la plaine des Maures en août 2021.
Je dois admettre que j’étais alors loin d’imaginer le chemin que nous allions parcourir de manière que ce travail aboutisse, plus d’un an après, à l’examen par une commission spéciale d’une proposition de loi visant à renforcer la prévention et la lutte contre l’intensification et l’extension du risque incendie, qui compte depuis la semaine dernière quarante-quatre articles.
Comme vous le savez, cette proposition de loi constitue la traduction législative du rapport d’information de la mission conjointe de contrôle présenté en août dernier par Anne-Catherine Loisier, Pascal Martin, Olivier Rietmann et moi-même.
Au-delà du pourtour méditerranéen et de l’Aquitaine, où nous assistons à une intensification de l’aléa incendie, nous constatons une extension de ce risque à de nouveaux territoires jusqu’alors épargnés. Cette évolution du risque a évidemment jeté une lumière particulière sur nos travaux et les a empreints d’une gravité et d’une urgence toutes particulières.
L’examen de cette proposition de loi est l’occasion de démontrer les capacités d’anticipation et d’analyse du Sénat. Dans la suite de notre rapport d’information présenté en août 2022, nous nous étions fixé comme objectif initial de changer le droit avant la prochaine saison des feux. Il ne sera peut-être pas possible de respecter un tel délai, d’autant que – c’est un constat essentiel de notre rapport – la saison des feux commence de plus en plus tôt dans l’année. Pour preuve, depuis ce week-end, les Alpes-Maritimes sont déjà en train de brûler.
Toutefois, l’aspect constructif de nos échanges avec les administrations centrales et déconcentrées et avec les établissements publics chargés de la forêt, l’engagement tout récent de la procédure accélérée et l’élan collectif que nous sentons de la part des acteurs de terrain me laissent espérer que la proposition de loi sera adoptée au plus vite.
Pour ce qui concerne cette première lecture du texte au Sénat, je me félicite que le cadre institutionnel ait permis aux deux commissions auxquelles nous appartenons – celle de l’aménagement du territoire et du développement durable et celle des affaires économiques – de collaborer et de croiser leurs approches, qui sont complémentaires, par la constitution d’une commission spéciale.
Dans un esprit d’entente cordiale, les compétences de la commission des lois et de celle des finances ont également été mobilisées, respectivement pour les questions de sécurité civile et de fiscalité. Ce format ad hoc a sans doute contribué à la remarquable assiduité des membres de la commission spéciale, dont les interventions, constructives, ont toujours été formulées à bon escient.
Nous avons pu constater, lors des dernières auditions que nous avons menées, que les acteurs concernés – fédérations d’élus locaux, administrations des trois ministères impliqués, forces de sécurité civile, propriétaires et gestionnaires forestiers, agriculteurs et monde associatif – accueillaient le texte de manière très positive.
Du reste, la proposition de loi est largement issue des contributions de ces mêmes acteurs à l’occasion de la conduite d’un premier cycle d’auditions au printemps 2022.
Notre objectif étant d’aboutir au texte le plus robuste et le plus consensuel possible en vue de son inscription rapide à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale, les rapporteurs ont eu pour ligne directrice d’intégrer au texte, autant que faire se peut, les suggestions provenant de part et d’autre de notre hémicycle.
Ainsi, en commission spéciale, sur cent quatre-vingt-trois amendements déposés, soixante-treize ont été adoptés, dont près du tiers n’avaient pas été déposés par les rapporteurs. Les travaux de notre commission spéciale ont permis d’améliorer et d’enrichir le texte, selon une ligne directrice qui peut être définie en quatre axes.
Premièrement, il s’agit de tirer les leçons des retours d’expérience des feux, notamment après les épisodes dévastateurs qui ont embrasé la Provence en 2021 et la Gironde en juillet dernier.
Deuxièmement, nous souhaitons consacrer le rôle essentiel des sylviculteurs et des agriculteurs dans la prévention.
Troisièmement, la stratégie nationale et interministérielle de lutte contre les incendies doit être intégrée à nos politiques de gestion de l’eau et de protection de la biodiversité.
Quatrièmement, le texte vise à renforcer le caractère dissuasif des sanctions en cas d’absence de déploiement de mesures de prévention et de lutte contre l’intensification du risque incendie ou de non-respect de celles-ci.
Avant de laisser les rapporteurs présenter leurs orientations sur leurs volets respectifs, je tiens, à titre personnel, à attirer votre attention sur le fait que notre stratégie de protection de la forêt et des espaces végétalisés repose sur deux piliers indissociablement liés : la préparation de la forêt à éviter le feu et, le cas échéant, à s’en défendre plus facilement, d’une part ; l’organisation, l’adaptation et le renforcement des moyens de lutte, d’autre part.
Si ces deux vecteurs d’intervention tiennent évidemment une place singulière et suivent un ordre chronologique dans notre doctrine d’attaque des feux naissants, ils sont de même importance, bien qu’ils se distinguent par leur dimension économique respective.
En effet, il apparaît que 1 euro investi au titre de la prévention et de la protection de la forêt préserve l’équivalent de 20 euros engagés lorsqu’elle est en feu. Cette approche en termes de « valeur du sauvé » souligne l’importance cruciale de la notion de défendabilité.
Par ailleurs, j’insisterai sur trois progrès majeurs que l’adoption de cette proposition de loi permettrait pour les territoires.
Tout d’abord, ce texte vise à mieux articuler la politique de prévention des feux de forêt avec l’ensemble des autres politiques publiques. À cet égard, nous avons réaffirmé la nécessité de faire figurer la protection des forêts contre l’incendie dans les documents de gestion durable des forêts, dans la stratégie nationale des aires protégées, dans les schémas d’aménagement et de gestion des eaux et dans les documents d’urbanisme.
Les travaux de la commission spéciale ont mis en évidence le besoin de gérer cette question à l’échelle interministérielle afin de procéder à des arbitrages relevant de l’intérêt général dès lors que l’on oppose – parce que l’on ne saurait pas les conjuguer – l’intérêt de la forêt à celui de la biodiversité. Il n’est pas acceptable que les acteurs de terrain soient entravés par des injonctions contradictoires, par exemple entre le code forestier et le code de l’environnement. L’objectif du législateur doit être de leur donner un cadre et des orientations clairs.
Ensuite, nous devons poursuivre nos efforts pour assurer une application plus effective et plus complète des obligations légales de débroussaillement (OLD). Cela passe à la fois par une clarification de cette législation touffue et par la mise à disposition de leviers incitatifs et dissuasifs.
Enfin, l’obligation de réaliser des plans de protection des forêts contre les incendies doit s’appliquer dans tous les territoires classés à risque et non plus seulement dans les zones particulièrement exposées au risque incendie.
Nous devons définir une politique publique globale et cohérente qui puisse se décliner dans les territoires, en s’adaptant à leurs particularismes. Rien ne nous tient plus à cœur, en tant que sénateurs, que de voter des textes adaptés aux réalités du terrain, dont nous nous faisons sans cesse l’écho.
Ainsi modifiée, cette proposition de loi visant à renforcer la prévention et la lutte contre l’intensification et l’extension du risque incendie a été adoptée par la commission spéciale à l’unanimité et poursuit désormais son cheminement démocratique.
En vue de son examen en séance, cent trente-cinq amendements ont été déposés. C’est le signe du grand intérêt porté par le Sénat, chambre des territoires, à cette question cruciale, dont il s’était saisi avant même la saison des feux éprouvante de 2022.
Je vous remercie de votre écoute et laisse sans plus tarder la parole à nos trois rapporteurs, qui vous présenteront l’esprit de cette proposition de loi et les thématiques qu’ils ont traitées.