Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, tout d’abord, je tiens à remercier M. Pascal Savoldelli de son engagement et notre collègue rapporteure, Mme Cathy Apourceau-Poly, de la qualité de son travail.
Cette proposition de loi vise à encadrer le recours aux algorithmes et la numérisation des relations de travail. Il s’agit de renforcer la responsabilité des employeurs et la protection des salariés.
Cette initiative parlementaire s’inscrit dans le prolongement du rapport d’information de Pascal Savoldelli du 29 septembre 2021 sur l’ubérisation de la société et l’incidence des plateformes numériques sur les métiers et le marché de l’emploi.
Selon les conclusions de cette mission d’information, les plateformes tendent à remettre en cause notre modèle social et économique, en imposant aux travailleurs auxquelles elles recourent les pratiques du management algorithmique. Il serait donc nécessaire de mieux les encadrer.
Des recommandations sont ainsi formulées autour de quatre grands axes : l’amélioration des conditions de travail, le développement du dialogue social, l’encadrement du management et la transparence et la régulation des algorithmes des plateformes.
Antérieurement à la parution de ce rapport, la proposition de loi relative au statut des travailleurs des plateformes numériques a été rejetée par notre assemblée en juin 2020. Notre ancienne collègue Catherine Fournier soulignait alors que la transformation de la relation commerciale du travailleur indépendant de plateforme en un contrat relevant du droit du travail, centrée sur les plateformes de services, était trop restrictive et faisait fi de la diversité de celles-ci.
Par ailleurs, j’appelle votre attention sur la proposition de loi déposée en août 2022 par notre collègue Bruno Retailleau relative aux travailleurs en situation de dépendance économique vis-à-vis des plateformes numériques. Ce texte met l’accent sur le développement du numérique qui a donné naissance à de nouvelles formes d’organisation du travail.
L’émergence de ces dernières a permis l’accès à l’emploi de personnes qui en étaient parfois éloignées. Les profils de ces travailleurs sont variés : anciens chômeurs, étudiants, actifs souhaitant compléter les revenus d’un emploi salarié… La question de leur protection est ainsi abordée par une réflexion sous le prisme de leur statut.
Cette proposition de loi s’appuie notamment sur les conclusions d’un rapport d’information de Mme Frédérique Puissat, M. Michel Forissier et Mme Catherine Fournier au nom de la commission des affaires sociales, déposé en mai 2020 et intitulé Travailleurs de plateformes : au-delà de la question du statut, quelles protections ? Les auteurs estimaient « nécessaire de dépasser le débat sur le statut et de développer des droits et une couverture sociale indépendants de ce dernier ».
Le texte de Bruno Retailleau vise à appliquer cette recommandation. Sans toucher au régime des travailleurs indépendants, il crée un nouveau type de contrat sur mesure, qui améliorera la protection sociale des travailleurs. De plus, il comporte des mesures de prévention en matière de santé, ainsi que des garanties sur la transparence du fonctionnement des algorithmes.
Ces différents travaux menés au Sénat témoignent de l’intérêt que nous portons à ce sujet et mettent en lumière la nécessité de mieux connaître ce phénomène, qui recouvre tout un spectre d’activités et de situations sociales.
Née dans divers secteurs des mobilités, la plateformisation s’étend désormais à l’ensemble de l’économie. Elle se traduit par une explosion du nombre de travailleurs de plateforme : ils sont actuellement 28 millions au sein de l’Union européenne et seront, selon les estimations, 43 millions en 2025.
L’extension de cette nouvelle façon de travailler exige de porter un nouveau regard sur les conséquences de ce phénomène et nous impose de réorganiser le dialogue social.
Dans un contexte où les discriminations se développent, les travailleurs doivent bénéficier d’une protection adéquate. Force est de constater que ces personnes, souvent précaires, isolées et contraintes de recourir à ces formes d’emploi, cumulent les fragilités : faiblesse des rémunérations, protection sociale incomplète, exposition aux risques professionnels… Soumises à un degré élevé de contrôle, elles peuvent ressentir une forme de dépendance à l’égard des plateformes.
Nous défendons l’idée d’un travail décent dans le monde en ligne. Pour lutter contre les effets discriminatoires, il nous semble important que la chaîne de responsabilité soit considérée comme humaine, même si son fonctionnement repose sur des algorithmes.
Idéalement, les algorithmes doivent être contrôlés et encadrés, puisqu’ils sont utilisés à des fins de gestion des ressources humaines, d’organisation du travail et de recrutement.
Le groupe Union Centriste approuve la démarche parlementaire consistant à proposer des améliorations aux conditions de vie et de travail des travailleurs de plateformes et à diminuer ainsi leur exposition aux risques.
En tout état de cause, nous ne pouvons pas voter contre cette proposition de loi qui vise à améliorer la transparence de nouveaux modes d’organisation du travail, ainsi qu’à responsabiliser les employeurs.
Toutefois, mes chers collègues, nous savons qu’une proposition de directive sur la reconnaissance d’une présomption irréfragable de salariat pour certains de ces travailleurs est en cours de négociation à l’échelle de l’Union européenne. Il est nécessaire que ces travaux aboutissent.
Par conséquent, il nous semble prématuré de légiférer sur ce sujet avant que ces travaux n’aboutissent, étant donné que notre travail législatif risque d’être détricoté à l’avenir.
La prise en considération de la dimension européenne de cette question constitue une étape importante dans la recherche de solutions pour améliorer les conditions de travail. Ce combat à l’échelle européenne tracera de nouvelles perspectives pour aborder cette thématique, qui occupera certainement une place importante dans les débats sur les droits sociaux des travailleurs dans les prochaines années.
Pour toutes ces raisons, le groupe Union Centriste s’abstiendra.