Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, Mark MacGann, ancien dirigeant de l'entreprise Uber devenu lanceur d'alerte, s'interrogeait le 23 mars dernier lors de son audition par la commission d'enquête de l'Assemblée nationale relative aux révélations des Uber Files : « Combien de fois ai-je eu affaire à des gouvernements qui nous accusaient, à raison, d'être des hors-la-loi, mais qui, en privé, nous promettaient de trouver des solutions rapides et favorables à la croissance effrénée exigée par nos dirigeants et nos investisseurs ? [...] En quoi cacher des rencontres avec des dirigeants d'entreprises sert-il la démocratie ? »
Il poursuivait : « Comment est-il possible que le fer de lance des États membres de l'Union européenne qui cherchent à vider de son sens la directive européenne sur les travailleurs des plateformes, adoptée par le Parlement européen, soit la France ? La même France qui a créé la sécurité sociale en 1945 et le salaire minimum interprofessionnel garanti (Smig) en 1950, la France des congés payés, du minimum vieillesse, de la couverture médicale universelle (CMU), du revenu de solidarité active (RSA) et – c'est d'actualité – de la retraite à taux plein à 60 ans ! »
Nous saluons la proposition de loi de nos collègues du groupe CRCE qui, au-delà des plateformes numériques dites de mise en relation, adapte une partie de notre droit à l'avancée de l'organisation algorithmique du travail dans les entreprises.
Il nous apparaît en effet fondamental et urgent de définir juridiquement l'algorithme comme une intégration automatisée du pouvoir de direction, d'organisation et de contrôle de l'employeur, qui est le seul responsable in fine des critères et des finalités retenus dans le cahier des charges destiné aux informaticiens.
Le traitement automatisé qui s'ensuit ne peut masquer et invisibiliser le concepteur derrière le management algorithmique. Oui, selon une formule pertinente de l'exposé des motifs de cette proposition de loi, « l'algorithme est devenu le contremaître des temps modernes ».
C'est pourquoi l'employeur doit pouvoir répondre d'un possible biais de discrimination de l'algorithme et avoir l'obligation de s'en expliquer comme de le corriger. Dans ce cadre, le comité social et économique de l'entreprise devrait avoir connaissance des logiques de fonctionnement des algorithmes afin d'exercer pleinement ses prérogatives.
Enfin, concernant le cas spécifique des plateformes numériques, lorsqu'elles définissent et contrôlent les caractéristiques essentielles de la prestation et de la relation de travail, l'article 3 de ce texte prévoit d'intégrer dans le droit du travail la jurisprudence de la Cour de cassation, en leur contestant la qualité de simple « opérateur de mise en relation ».
Dès lors, nous appelons la France à soutenir – enfin ! – au Conseil de l'Union européenne la proposition de directive relative à l'amélioration des conditions de travail dans le cadre du travail via une plateforme, sur laquelle le Parlement européen a adopté le 2 février une position de négociation. Ce texte établit une présomption légale de salariat. D'autres pays européens ont déjà légiféré en ce sens.
En effet, le récit d'une prétendue indépendance des opérateurs de ces plateformes se révèle souvent être une fiction, déconstruite par la force de rappel d'une exploitation sans régulation.
« Faites-vous livrer là où la vie vous mène » propose Uber Eats via une campagne commerciale. Il s'agit de livraisons réalisées au détriment des conditions de travail des coursiers : contrôle en temps réel, opacité de la fixation des tarifs, dépendance à l'algorithme…
Dans les faits, le modèle économique des plateformes numériques participe massivement à la précarisation et à la paupérisation des travailleurs. Ainsi, au sein de l'Union européenne, plus de la moitié des travailleurs des plateformes gagnent moins que le salaire horaire net minimum du pays dans lequel ils travaillent.
Le journal Le Progrès, comme d'autres journaux régionaux, publiait mardi un dossier titré : « Qui sont les forçats de l'ubérisation ? »
Selon la Commission européenne, le texte qu'elle a proposé permettrait à la France, outre d'améliorer de façon substantielle les revenus des travailleurs, de percevoir entre 328 millions et 780 millions d'euros de recettes annuelles supplémentaires. Nous l'avons déjà souligné pendant l'examen du projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale réformant les retraites, voilà de véritables solutions de financement de substitution renouant enfin avec le progrès social.
Aussi, le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires votera cette proposition de loi, qui reprend plusieurs recommandations de la mission d'information sénatoriale. §