Intervention de Olivier Jacquin

Réunion du 6 avril 2023 à 14h45
Maîtrise de l'organisation algorithmique du travail — Rejet d'une proposition de loi

Photo de Olivier JacquinOlivier Jacquin :

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je tiens à remercier notre collègue Pascal Savoldelli et le groupe communiste républicain citoyen et écologiste de nous permettre de débattre à nouveau de l'impact du numérique et des nouvelles formes de travail issues de la plateformisation et de ce que l'on appelle communément l'ubérisation.

Ce texte est le quatrième sur le sujet que nous étudions en quatre ans, après deux missions d'information et de nombreuses autres propositions, déposées pour alimenter nos réflexions. Il faut croire que l'on parle davantage du travail grâce aux initiatives parlementaires que dans les textes du Gouvernement !

La question centrale est simple : comment s'assurer que le progrès technologique permette l'émancipation des travailleurs, et non leur assujettissement via un contremaître 2.0 ?

Corinne Féret a cité ma proposition de loi visant à lutter contre l'indépendance fictive, en permettant des requalifications en salarié par action de groupe et en contrôlant la place de l'algorithme dans les relations contractuelles, qui a été rejetée ici en 2021. Nous y défendions déjà la nécessité de contrôle et de transparence des algorithmes.

Le texte présenté aujourd'hui avance encore dans cette direction, et je m'étonne que la majorité sénatoriale continue, quant à elle, à se cacher sur ce sujet majeur, après le revirement opéré l'année dernière, lors des débats sur la ratification de l'ordonnance du 21 avril 2021 relative aux modalités de représentation des travailleurs indépendants recourant pour leur activité aux plateformes et aux conditions d'exercice de cette représentation, dite ordonnance Mettling.

En 2019, la commission des affaires sociales s'est opposée au tiers statut, mais, en 2021, elle a donné un blanc-seing au Gouvernement, dont l'intention était claire, comme l'était celle de la rapporteure de l'Assemblée nationale à l'époque : « réduire le faisceau d'indices susceptibles de révéler l'existence d'un lien de subordination » de telle sorte que « le risque d'une requalification [...] soit aussi réduit que possible ».

Je ne fais que vous citer, madame la ministre : vous étiez en effet cette rapporteure, et vous oubliiez alors que nombre de ces travailleurs étaient des « indépendants fictifs », comme les a qualifiés la Cour de cassation.

L'excellent rapport de Cathy Apourceau-Poly nous apprend que notre collègue Frédérique Puissat a évoqué en commission une position plus nuancée de la majorité sénatoriale, sans pour autant nous en dire davantage ni déposer d'amendements sur ce texte. J'ai du mal à comprendre cette position.

Je rejoins notre collègue Pascale Gruny sur la nécessité de s'assurer que les textes que nous votons soient conformes à la proposition de directive de Nicolas Schmit relative à l'amélioration des conditions de travail dans le cadre du travail via une plateforme, en cours de discussion au niveau européen et que vous n'avez même pas citée, madame la ministre.

Je vous suggère donc, mes chers collègues, de voter la proposition de résolution européenne que j'ai déposée hier, avec Monique Lubin et Laurence Harribey, par laquelle nous appelons le Gouvernement à soutenir cette proposition de directive qui garantit de véritables droits aux travailleurs des plateformes.

Elle reprend d'ailleurs beaucoup des propositions défendues depuis des années par le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, notamment dans ma proposition de loi de 2021 : présomption de salariat, inversion de la charge de la preuve en matière de requalification et transparence des algorithmes.

De même, une idée que je défends depuis plusieurs années y trouve sa place : l'adaptation du devoir de vigilance des multinationales à l'ubérisation, pour garantir un ultime filet de sécurité aux travailleurs. L'article 8 de la proposition de directive prévoit ainsi que ces derniers pourront exiger des explications sur les décisions algorithmiques les concernant, avec obligation pour la plateforme de répondre par écrit sous une semaine. Cette disposition est donc en parfaite concordance avec la proposition de loi en débat.

Mes chers collègues, en votant ce texte, nous signifierons surtout au Gouvernement qu'il fait fausse route : il doit cesser de bloquer l'adoption d'un texte proposant un cadre de régulation des algorithmes pour la protection des travailleurs des plateformes et, au contraire, souhaiter son adoption sous la présidence espagnole de l'Union européenne.

Dès lors, avec mon groupe, nous vous appelons, malgré les réserves qui ont été avancées par certains, à voter cette proposition de loi. §

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