Intervention de Gérard Longuet

Réunion du 6 avril 2023 à 14h45
Protéger le groupe électricité de france d'un démembrement — Adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Photo de Gérard LonguetGérard Longuet :

une proposition de loi présentée par le député Philippe Brun, élu de l'ancienne circonscription de Pierre Mendès France, dans l'Eure. Ce texte a été voté à l'unanimité, ou presque, par l'Assemblée nationale, ce qui cache un profond malentendu quant aux intentions des députés qui se sont exprimés.

J'évoquerai trois points. Sur deux d'entre eux, la commission des finances, au nom de laquelle je rapporte ce texte, a tenu à apporter des modifications substantielles.

Le premier concerne Mayotte, qui apparaissait mystérieusement dans une demande de rapport sur l'opportunité de nationaliser la société Électricité de Mayotte, qui appartient pour partie au département et pour partie à EDF. S'il n'est pas l'habitude de notre assemblée d'accepter des demandes de rapport, il était impossible de trancher sur le fond dans les délais d'étude accordés à la commission des finances.

Le deuxième point tient au soutien apporté aux entreprises, et il explique en grande partie le vote qui sera celui du groupe Les Républicains du Sénat – ce sera, du reste, le même que celui du groupe LR de l'Assemblée nationale.

La commission des finances a estimé que nous pouvions faire sauter le verrou que constitue le seuil de 36 kilovoltampères. Celui-ci distingue en effet inutilement les artisans selon que la puissance du transformateur dont leur entreprise est équipée est en dessous de ce seuil – ils bénéficient alors du bouclier tarifaire – ou au-dessus – dans ce cas, ils ne bénéficient pas du bouclier tarifaire, alors qu'ils exercent peu ou prou le même métier que les premiers et que leur entreprise satisfait aux normes fixées par l'Union européenne quant à la définition d'une TPE.

La suppression de ce verrou permettra à tout artisan employant moins de dix salariés et réalisant moins de 2 millions d'euros de chiffre d'affaires de bénéficier du TRVE, quelle que soit la capacité de son transformateur.

Aller plus loin – nous y reviendrons dans le cadre du débat d'amendements – serait impossible et dangereux juridiquement, tant vis-à-vis des sociétés qui délivrent de l'électricité que vis-à-vis de l'Union européenne.

Le troisième point, passionnant au demeurant, a trait à la crainte, exprimée avec force par l'auteur de la proposition de loi, d'un démembrement d'EDF. En cela, M. Brun nous oblige à réfléchir, monsieur le ministre, mes chers collègues, à une évolution du marché de l'électricité européen qui, depuis plus d'un an, connaît d'importantes secousses.

De ce marché de l'électricité européen dépendent en effet les libertés dont les dirigeants d'EDF disposent pour diriger leur entreprise.

J'ai le plus grand respect, y compris pour des raisons personnelles, pour Marcel Paul, mais nous ne sommes plus en 1946. Le marché de l'énergie électrique est libre, non seulement en ce qui concerne la production, ce qui n'était pas le cas jusqu'en 2002, mais aussi en matière de vente aux consommateurs, qu'ils soient petits ou grands, que les pays soient producteurs d'électricité ou non. Personne en Europe ne songe à remettre en cause cette liberté.

Cette liberté et ce marché ont-ils été catastrophiques ? La réponse est non. En réalité, entre 2015 et 2020, le prix spot moyen s'est situé entre 35 et 40 euros le mégawattheure, si bien que l'accès régulé à l'électricité nucléaire historique (Arenh), mécanisme par lequel EDF revendait alors de l'électricité à 43 euros le mégawattheure, n'a été que peu sollicité, voire pas du tout, pendant cette période.

Pour autant, certaines questions qui relèvent des négociations intergouvernementales et du Parlement européen ne sont pas tranchées.

Il convient tout d'abord de réaffirmer la liberté à laquelle est attachée l'immense majorité des Européens en matière de production et de vente d'électricité.

Il convient ensuite de fixer le cap de ce marché électrique. Faut-il décarboner la société ou faut-il la verdir ? Ce n'est pas tout à fait la même chose : si l'on décarbone, on s'appuie sur le nucléaire, alors que s'il s'agit simplement de verdir, le malheureux nucléaire se trouvera confronté aux mêmes difficultés de financement qui l'handicapent aujourd'hui.

Par ailleurs, à l'aune de l'expérience tragique que constitue l'invasion de l'Ukraine par la Russie, acceptons-nous de placer l'indépendance énergétique au rang qui doit être le sien, c'est-à-dire celui de principale préoccupation ? Une telle préoccupation présidait au programme nucléaire français, dans le sillage duquel nous nous inscrivons toujours, que Georges Pompidou et Pierre Messmer ont présenté en mars 1974, un mois avant la disparition du président Pompidou.

Faut-il verdir ou décarboner ? Faut-il bâtir notre indépendance ou bénéficier du prix le plus bas, ce qui nous a longtemps conduits à acheter du gaz russe, l'accès à cet approvisionnement étant aujourd'hui frappé d'incertitude ?

Peut-on imaginer une organisation de marché qui dépende moins du prix spot, c'est-à-dire du coût marginal de la dernière entreprise de production électrique thermique – en général allemande et fonctionnant au lignite ? Ne peut-on bâtir un système différent ?

Le marché de l'électricité – nos amis électriciens le savent bien – achoppe sur la difficulté que constitue l'impossibilité de stocker l'électricité, ce qui rend la régulation à peu près impossible : cela aboutit, dès lors que les prix dépendent essentiellement du coût marginal de production, à des écarts de prix spectaculaires et insupportables pour le consommateur.

J'ajoute que nous, Français, sommes fiers de notre parc nucléaire et que nous souhaiterions profiter de l'avantage qu'il constitue plutôt que de subir des hausses dues à un calcul fondé sur le coût marginal.

Ces interrogations relatives au marché de l'électricité doivent être tranchées, car de fait, elles pèsent déjà sur le statut d'EDF. À ce titre, je souhaite indiquer à l'auteur de la présente proposition de loi que le démembrement d'EDF est déjà en partie effectif s'agissant du transport et de la distribution de l'électricité.

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