Intervention de Agnès Canayer

Réunion du 6 avril 2023 à 14h45
Loi de financement des collectivités territoriales et de leurs groupements — Rejet d'une proposition de loi constitutionnelle

Photo de Agnès CanayerAgnès Canayer :

Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, voilà quarante ans, les lois Defferre instauraient la décentralisation. Vingt ans plus tard, ce nouveau principe d'organisation de la République était gravé dans le marbre de la Constitution.

Les fondements constitutionnels de la décentralisation sont nombreux et consacrent notamment deux principes, d'une part, la libre administration des collectivités territoriales, de l'autre, leur autonomie financière. Les deux sont liées, car sans autonomie financière, il n'y a pas de réelles marges de manœuvre.

Aujourd'hui, nous partageons un constat avec les auteurs de la proposition de loi constitutionnelle dont nous débattons : l'autonomie fiscale et financière des collectivités territoriales est insuffisante.

Alors que nous traversons une crise inflationniste et énergétique, s'interroger sur le niveau et la prévisibilité des ressources des collectivités territoriales n'est ni un gadget ni une lubie de parlementaires.

Nous ne pouvons faire l'économie de ces sujets, ne serait-ce que pour éviter que l'investissement local ne fléchisse, alors qu'il représente une part déterminante de l'investissement public.

Aussi, les auditions menées dans le cadre de l'examen de cette proposition de loi constitutionnelle ont souligné, tout d'abord, l'amoindrissement des marges de manœuvre fiscales et financières des collectivités territoriales, du côté des recettes, du fait de la suppression de la taxe d'habitation et de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE), et du côté des dépenses, avec l'introduction des contrats de Cahors.

Les auditions ont également mis en exergue, pour les élus locaux, le défaut de prévisibilité sur leurs ressources, en raison d'une absence de programmation budgétaire pluriannuelle, mais encore l'insuffisante lisibilité sur les décisions financières et l'attribution des dotations. Ainsi, l'enchevêtrement des réformes successives a opacifié les modalités d'attribution des dotations pour les collectivités territoriales.

Le défaut d'information des collectivités territoriales en amont des projets de loi de finances et lors des décisions d'attribution des dotations a été en outre largement souligné.

Enfin, on peut déplorer l'émiettement, dans le projet de loi de finances, des mesures budgétaires et fiscales ayant un impact sur les ressources comme sur les dépenses des collectivités territoriales. Cela nuit à une appréhension globale des relations financières entre l'État et les collectivités.

C'est pourquoi, mes chers collègues, nous nous accordons tous, me semble-t-il, sur la nécessité de remédier à la situation actuelle des collectivités territoriales, qui ont vu leurs marges de manœuvre se réduire, comme sur l'urgence de corriger les nombreux défauts du cadre législatif et constitutionnel actuel des finances locales pour les collectivités territoriales.

Face à l'absence de garantie réelle de l'autonomie financière et fiscale des collectivités territoriales, la proposition de loi constitutionnelle déposée par notre collègue Éric Kerrouche comporte deux mesures d'inégale portée : d'une part, la création d'une loi de financement des collectivités territoriales et de leurs groupements, de l'autre, la rénovation des modalités de compensation financière des transferts de compétences, pour mieux appliquer le principe « qui décide paie ».

Je ne puis que partager pleinement l'objectif de cette proposition de loi, qui s'attache à répondre aux attentes légitimes des élus locaux.

Toutefois, il semble que les mesures proposées présentent un certain nombre de difficultés opérationnelles et juridiques, n'apportant qu'une réponse imparfaite aux souhaits de lisibilité et de prévisibilité des élus locaux quant à leurs ressources financières.

En premier lieu, plusieurs personnes auditionnées, en particulier l'ensemble des représentants des associations d'élus locaux, se sont interrogées sur l'utilité de la création d'une loi de financement spécifique aux collectivités territoriales et à leurs groupements.

Ainsi, les associations d'élus locaux ont rappelé que l'institution d'une telle loi ne figurait pas parmi leurs demandes et que d'autres mesures leur semblaient davantage répondre à leurs attentes.

En deuxième lieu, une telle loi de financement n'empêcherait pas une révision annuelle du montant des concours financiers de l'État aux collectivités, conformément au principe d'annualité budgétaire.

Dès lors, il n'est pas certain que l'inscription dans la Constitution d'un véhicule financier spécifique aux collectivités territoriales et à leurs groupements aurait une incidence majeure sur leur autonomie financière ou sur la prévisibilité de leurs ressources.

En troisième lieu et de l'avis quasi unanime des personnes entendues, élus locaux comme professeurs de droit ou de finances locales, un tel véhicule recèle le risque de confier au Gouvernement un nouvel outil procédural lui permettant d'imposer unilatéralement aux collectivités territoriales et à leurs groupements de nouvelles réductions de leurs marges de manœuvre financières.

Comme pour tout véhicule financier, le Gouvernement serait libre de faire usage des facultés prévues à l'alinéa 3 de l'article 49 de la Constitution ou d'adopter par voie d'ordonnances les mesures proposées si le Parlement ne respectait pas les délais d'examen impartis.

En quatrième lieu, ces dispositions se heurtent à de nombreux écueils juridiques et pratiques, en particulier à la difficulté d'isoler, dans les finances publiques, les ressources des collectivités territoriales de celles de l'État.

De la même manière, il serait nécessaire de tirer les conséquences de toute loi de financement sur les recettes et les charges de l'État dans la loi de finances, ce qui semble, de facto, en relativiser l'intérêt.

Enfin, l'insertion d'un nouveau texte financier dans le calendrier parlementaire, déjà très chargé, est un point de vigilance qui peut sembler anecdotique, mais qui doit être soulevé.

En cinquième lieu, et ce sujet me semble être le plus irritant entre nous, la proposition de loi constitutionnelle vise « les collectivités territoriales et leurs groupements ». Or, aujourd'hui, les groupements, émanations des communes, ne bénéficient pas, en matière financière, des mêmes garanties que les collectivités territoriales, car ils n'en sont tout simplement pas.

Dès lors, ces dispositions modifieraient les équilibres constitutionnels et institutionnels existants au sein du bloc local et reviendraient à accorder aux groupements des garanties actuellement applicables aux seules collectivités, ce qui ne me paraît pas souhaitable.

Enfin, s'agissant des dispositions relatives au réexamen régulier des compensations financières des transferts de compétences et à une amélioration des modalités de ces compensations à l'article 2, je ne puis qu'y être favorable sur le principe.

Elles sont la traduction constitutionnelle d'un principe cher à la présidente de la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation : « Qui décide paie ».

Néanmoins, je tiens à rappeler que les principales dispositions de cet article ont déjà été adoptées par le Sénat et transmises à l'Assemblée nationale, qui est libre de les inscrire à son ordre du jour.

En outre, la proposition de loi tendant à étendre ces garanties financières aux groupements, je ne pourrai qu'y être défavorable, par cohérence avec la position constante de la commission sur ce point.

Ainsi, mes chers collègues, si cette proposition de loi pose un débat essentiel, celui de l'équilibre à trouver en matière d'autonomie financière et fiscale des collectivités territoriales au sein d'un État unitaire et décentralisé, les solutions qu'elle y apporte m'apparaissent imparfaites et insuffisantes pour répondre à l'enjeu soulevé. Le sujet a déjà été, de surcroît, largement exploré par la proposition de loi de notre collègue Philippe Bas.

Pour terminer, j'ajouterai qu'il m'apparaît préférable de traiter ces sujets dans le cadre d'une réflexion plus large sur la place des collectivités territoriales dans l'architecture institutionnelle actuelle.

Cette réflexion est pour l'heure menée par le groupe de travail transpartisan sur la décentralisation, lancé par le président du Sénat et dont le président de notre commission, François-Noël Buffet, est le rapporteur général.

Dans ce cadre, nous avons discuté la semaine dernière, sur l'initiative du rapporteur général de la commission des finances, Jean-François Husson, de propositions couvrant l'ensemble du champ des finances locales.

Dans ces conditions, je forme le vœu que nous continuions à cheminer, ensemble, pour redéfinir les relations financières entre l'État et les collectivités territoriales. Je suis convaincue que l'autonomie financière des collectivités territoriales est une condition indispensable à l'effectivité de la décentralisation.

En l'espèce, mes chers collègues, je vous invite donc à ne pas adopter cette proposition de loi constitutionnelle.

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