Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, l'idée d'une loi annuelle de prévision des dépenses des collectivités territoriales ne date pas d'hier.
Les premières propositions remontent au mois d'avril 2014, lorsque Martin Malvy et Alain Lambert avaient formulé les leurs dans un rapport intitulé Pour un redressement des finances publiques fondé sur la confiance et l'engagement de chacun.
Force est de constater que, quasiment dix années plus tard, ce constat de défiance entre l'État et les territoires est resté le même.
Il est à rappeler pourtant que le Conseil constitutionnel s'efforce de consacrer, à jurisprudence constante, l'exigence de protection de l'autonomie financière et fiscale des collectivités.
Dans une décision du 24 juillet 1991, les sages rappelaient déjà à titre d'exemple que les ressources des collectivités ne doivent pas être restreintes « au point d'entraver leur libre administration ».
Pourtant, plus de trente années plus tard, la voilure de ces ressources n'a cessé de se recroqueviller sur elle-même.
Les collectivités décentralisées n'ont pu qu'observer avec impuissance leurs ressources fiscales et budgétaires fondre comme neige au soleil, sans que les compensations apportées viennent véritablement corriger les pertes subies.
Après la baisse de la dotation globale de fonctionnement (DGF), la suppression de la taxe d'habitation (TH) et de la CVAE ou la révision prochaine des valeurs locatives cadastrales, les communes n'ont souvent d'autre choix que de répercuter la compensation manquante sur la fiscalité des particuliers, ou bien d'accélérer les coupes budgétaires.
Grande est ainsi la tentation, pour le législateur, de canaliser les velléités de recentralisation de l'État.
C'est le cadre juridique nouveau que propose notre collègue Éric Kerrouche, par la création d'une loi de financement des collectivités territoriales et de leurs groupements.
Certes, donner une assise constitutionnelle à une nouvelle loi de finances spéciale serait l'occasion de mettre fin à l'émiettement des versements de l'État aux collectivités, ainsi qu'à la faible lisibilité qui en résulte.
Cet émiettement entre budget général, prélèvements sur recettes et comptes spéciaux conduit à des débats parlementaires distincts, donc à des votes séparés, ce qui nuit in fine à l'exigence de clarté et de sincérité du débat parlementaire.
Une loi de financement des collectivités consacrerait aussi la place des administrations publiques locales dans le triptyque institutionnel et financier de notre pays, aux côtés de l'État et du système de santé.
Il apparaît toutefois que l'intention originelle de notre collègue, si louable qu'elle fût pour nos territoires, vient se heurter au cadre constitutionnel existant. Celui-ci compromet l'objet même de la présente proposition de loi constitutionnelle.
En effet, c'est bien parce que le fonctionnement même de notre service public et de nos institutions est conditionné à l'adoption des lois de finances que le Gouvernement se voit offrir un puissant arsenal, en complément de celui dont il dispose pour les lois ordinaires.
Dès lors, enchâsser le financement des collectivités dans le cadre de la Lolf, c'est offrir au Gouvernement une nouvelle occasion de faire usage du 49.3, autant de fois qu'il le jugera nécessaire.
C'est aussi lui accorder le droit d'atrophier la durée des débats, suivant les dispositions de l'article 47 de la Constitution.
C'est également laisser au Gouvernement, dans le cas où la procédure parlementaire excéderait les délais prévus par la Constitution, la possibilité de légiférer par ordonnance et ainsi de conserver une mainmise absolue sur les versements aux territoires, leur montant et leur ventilation.
C'est enfin ouvrir la perspective de lois de financement rectificatives et de lois de règlement des collectivités, et démultiplier ainsi les véhicules législatifs pour lesquels ces outils constitutionnels pourraient être activés.
Bien davantage qu'un nouveau souffle apporté au principe d'autonomie des collectivités, c'est donc plutôt un nouveau carcan qui pourrait leur être imposé !
Si l'objet de la démarche de nos collègues est de garantir que le Parlement puisse tenir un débat annuel sur les dépenses des collectivités, qu'à cela ne tienne : nous pourrions avoir ce débat dans le cadre de l'examen d'une loi d'orientation et de programmation !
Cette option aurait l'avantage d'être plus vertueuse et moins contraignante. En outre, elle s'articulerait sagement avec le traité européen sur la stabilité, la coordination et la gouvernance de 2012.
Par ailleurs, fédérer dans une mission budgétaire unique, au sein de la loi de finances, toutes les contributions de l'État aux collectivités serait d'une immense valeur ajoutée pour la lisibilité de nos comptes et le suivi des transferts de compétences.
Comme nombre de nos collègues l'ont exprimé à cette tribune à de multiples reprises, nous avons besoin d'un séisme institutionnel pour nos territoires.
À cet égard, je ferai miens les mots du président du Sénat, Gérard Larcher, qui a défendu pour les finances locales l'objectif de ressources stables et planifiées, d'une évaluation régulière des compensations et d'une contractualisation bâtie sur le consensus.
Un État trop jacobin aura raison de la démocratie locale, sauf à ce que le Parlement lui donne les conditions de s'épanouir. Mes chers collègues, continuons de donner à cette démocratie locale les moyens de son épanouissement !
Notre groupe se référera à l'avis de la commission et ne votera pas cette proposition de loi constitutionnelle, même s'il salue vivement l'intention de ses auteurs.