Intervention de Bruno Retailleau

Réunion du 10 mai 2006 à 15h00
Droit d'auteur et droits voisins dans la société de l'information — Article additionnel avant l'article 7 bis, amendement 21

Photo de Bruno RetailleauBruno Retailleau :

Je ferai deux remarques générales et une brève démonstration.

Première remarque générale, pour la clarté de nos débats, il aurait été plus utile de commencer par l'examen de l'amendement n° 21 rectifié de M. le rapporteur relatif au principe même de création et de composition de l'Autorité de régulation. Malheureusement, nous ne l'avons pas fait : nous avons d'abord abordé les missions de cette autorité.

Je n'ai aucune phobie contre les autorités administratives indépendantes. Toutefois, comme je l'avais souligné lors de la discussion générale, si le travers du xxe siècle a été la création de commissions, celui du xxie siècle est bien parti pour que ce soit la création d'autorités administratives indépendantes. Ce travers nous vient du monde anglo-saxon : une autorité administrative indépendante est nécessairement plus indépendante que l'administration en raison du spoil system, qui n'existe pas dans notre tradition française.

Comme mon excellent collègue Yann Gaillard, j'observe que l'Autorité de régulation, ce « machin » supplémentaire, devra à l'évidence s'appuyer sur deux béquilles, les deux autres autorités indépendantes que sont l'ARCEP et le Conseil de la concurrence. En matière d'action publique, on aurait pu procéder d'une autre façon !

Ma seconde remarque générale porte sur le principe même d'interopérabilité.

Je vous remercie de la patience dont vous avez fait preuve pour tenter de me convaincre, monsieur le ministre, mais vous n'y êtes pas parvenu. L'amendement n° 18 constitue vraiment, selon moi, un recul. Pour reprendre la métaphore chinoise que vous avez utilisée, je dirai que, loin d'être un premier pas en avant, c'est plutôt un pas en arrière.

Face à la conception du droit latin, fondée sur l'affirmation du principe d'opérabilité, il y a la conception du common law, qui repose sur la conciliation, la négociation. Cela m'amène à la rapide démonstration que je voudrais faire.

Le texte proposé pour l'article L. 331-5-1 par l'amendement n° 18 ne mentionne pas l'interopérabilité. Il fait seulement allusion à l'incapacité d'interopérer. Cette définition par une antiphrase, en quelque sorte, est très révélatrice de ce passage d'une interopérabilité de droit et à une interopérabilité véritablement amoindrie.

Elle l'est encore dans le paragraphe suivant, l'article L. 331-5-2, où il est précisé qu'il peut être demandé à l'Autorité de régulation de favoriser ou de susciter une solution de conciliation. La conciliation tournera à l'avantage du « plus gros », celui qui disposera de budgets énormes permettant de faire durer la conciliation, la négociation.

Pierre Hérisson a cité tout à l'heure l'amende de près de 500 millions d'euros concernant Microsoft. Je vous signale que le budget de cette même entreprisepour le lobbying en Europe est aussi de 500 millions d'euros. Cela vous donne une idée des sommes qui sont en jeu ! Et lorsque l'Autorité de régulation devra favoriser ou susciter une solution de conciliation, le poids ne sera pas égal dans la balance selon les budgets de l'un ou de l'autre !

Vous auriez pu accepter le sous-amendement que nous avons présenté hier soir sur le droit d'entrée, repris dans le sous-amendement n° 269 proposé par ma collègue Mme Morin-Desailly. Pourquoi, en effet, ne pas concevoir une interopérabilité gratuite, uniquement facturée selon les frais de logistique, au lieu de laisser à l'Autorité de régulation le soin de prévoir un ticket d'entrée sur le marché ? C'était peu de chose, mais vous l'avez refusé. Cela en dit long !

L'interopérabilité est amoindrie, car l'Autorité de régulation pourra, à défaut de conciliation, prendre une décision motivée de rejet de la demande, comme le mentionne l'avant-dernier alinéa de l'amendement.

Enfin, il n'y aura pas de décompilation et c'est la vraie menace dans les cas qui seront extrêmement compliqués à juger et où les sommes en jeu seront énormes. Si ce principe n'est pas clairement affirmé, les autorités du monde entier ne pourront pas faire respecter une interopérabilité effective et de droit.

Monsieur le ministre, j'ai un grand respect pour le combat que vous avez mené à l'Assemblée nationale, avec beaucoup d'élégance et de ténacité, afin de concilier le principe personnaliste du droit d'auteur, par rapport au copyright, avec la liberté des internautes. Il ne faudrait pas gâcher ce que vous avez obtenu par vos efforts à l'Assemblée nationale en diminuant au Sénat l'interopérabilité, qui est l'emblème même de la conception que vous vous faites de la liberté en la matière.

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