Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous examinons la proposition de loi déposée par Mmes Annick Billon, Martine Filleul et Dominique Vérien visant à renforcer l’accès des femmes aux responsabilités dans la fonction publique. Comme l’a rappelé Annick Billon, cette proposition de loi découle des travaux menés par la délégation aux droits des femmes en 2022 sur le bilan des dix ans de l’application de la loi Sauvadet.
Dans sa version initiale, la proposition de loi visait à traduire quatre des douze recommandations formulées alors, dans le but d’accélérer la féminisation des postes à responsabilité dans la fonction publique.
D’abord, était prévu le relèvement à 50 % du taux de personnes de chaque sexe dans les primo-nominations aux emplois supérieurs et dirigeants.
Ensuite, le champ d’application de la loi Sauvadet était élargi.
De plus, les pénalités financières étaient systématisées à l’encontre des employeurs publics ne respectant pas l’obligation de nominations équilibrées.
Enfin, un index de l’égalité professionnelle entre les hommes et les femmes était instauré.
La commission souscrit à l’objectif général des auteurs de la proposition de loi. Dix ans après l’entrée en vigueur de la loi Sauvadet, la présence de femmes aux postes à responsabilité est encore minoritaire. Il convient donc d’y remédier.
La commission a toutefois considéré que cet objectif louable devait être concilié avec les impératifs d’efficacité, d’opérationnalité et de proportionnalité.
S’agissant des articles 1er, 2 et 3 de la proposition de loi, elle a ainsi estimé que le texte déposé ne respectait pas tout à fait ces exigences. Elle a donc apporté un certain nombre de modifications, afin de rendre les dispositions applicables par les employeurs publics et bénéfiques pour l’ensemble des agents publics.
S’agissant de l’article 4, elle a au contraire considéré que la disposition initiale visant à instaurer des indicateurs relatifs aux écarts de rémunération et de représentation entre les hommes et les femmes devait être consolidée afin d’en renforcer la portée.
Examinons le texte dans le détail.
Premièrement, la commission a considéré que l’augmentation à 50 % du taux de personnes de chaque sexe dans les nominations, qui était visée par l’article 2 du texte initial, se heurterait à des difficultés d’application, voire aurait des effets contre-productifs pour les hommes comme pour les femmes.
En effet, une telle disposition reviendrait à nommer rigoureusement 50 % de femmes et 50 % d’hommes, si bien qu’elle serait inapplicable en cas de nominations en nombre impair. De manière générale, elle ne laisserait aucune marge de manœuvre aux employeurs publics. Il y a d’ailleurs fort à parier qu’une telle obligation ne serait, en pratique, jamais respectée et que l’ensemble des administrations se trouveraient contraintes de payer la pénalité financière prévue pour non-respect de l’obligation de nominations équilibrées.
L’instauration d’un taux de 50 % serait également contraire à l’intérêt des femmes en ce qu’elle empêcherait des nominations selon un ratio autre que 50-50, y compris dans un sens qui leur serait favorable.
En rigidifiant les recrutements, elle pourrait également se révéler contraire à l’intérêt des fonctionnaires, dont les chances de progression de carrière pourraient être amoindries s’ils ne sont pas du bon sexe, c’est-à-dire celui permettant de satisfaire au taux strict de 50 %. Je pense que le risque de voir les considérations liées au sexe l’emporter sur celles liées à la compétence ne doit pas être sous-estimé.
C’est pourquoi la commission a préféré porter le taux de primo-nominations à 45 % au moins de personnes de chaque sexe.
Par ailleurs, il convient de laisser le temps aux administrations de s’adapter à cette obligation renforcée et il faut en particulier veiller à ne pas produire d’effets sur les cycles de nomination en cours dans le versant territorial. C’est pourquoi la commission a souhaité que le taux de 45 % entre en vigueur au 1er janvier 2025 dans la fonction publique de l’État et la fonction publique hospitalière, et à l’issue du prochain renouvellement général des assemblées délibérantes pour la fonction publique territoriale.
Deuxièmement, la commission a estimé que l’élargissement du champ des emplois soumis à l’obligation de nominations équilibrées, tel qu’il était visé par l’article 3 dans la version initiale de la proposition de loi, n’était pas opportun.
D’une part, il lui a semblé qu’étendre ce champ aux emplois dits d’encadrement supérieur entraînerait un risque d’insécurité juridique, dans la mesure où une telle notion n’est pas définie par la loi.
D’autre part, abaisser à 20 000 habitants le seuil de population pour les communes et les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) concernés par l’obligation de nominations équilibrées n’a pas non plus semblé opportun, dans la mesure où cela risquerait d’accentuer les difficultés de recrutement des collectivités comptant entre 20 000 et 40 000 habitants.
En revanche, la commission a précisé la définition des emplois assujettis à l’obligation de nominations équilibrées s’agissant des établissements publics de l’État et de la fonction publique hospitalière dans un but de clarification et de cohérence.
Troisièmement, la commission a salué l’instauration, par l’article 4 de la proposition de loi, d’indicateurs relatifs aux écarts de rémunération et de représentation. Cette initiative est bienvenue, d’autant qu’un tel index existe dans le secteur privé depuis 2019 pour les entreprises de plus de 250 salariés et depuis 2020 pour les entreprises de plus de 50 salariés.
La commission a souhaité renforcer la portée de cette disposition en reprenant et en adaptant les mesures prévues pour le secteur privé. Elle a ainsi créé une nouvelle section au sein du code général de la fonction publique consacrée, d’une part, à la suppression des écarts de rémunération entre les hommes et les femmes et, d’autre part, à la mesure des écarts de représentation au sein des emplois supérieurs et de direction.
La commission a veillé à ce que les employeurs publics disposent d’un volume de données permettant des statistiques significatives. C’est pourquoi elle a décidé que seules les administrations publiques disposant d’au moins 50 agents en gestion se verraient appliquer les nouvelles obligations relatives aux indicateurs de rémunération et de représentation. Pour les collectivités territoriales, ce critère serait cumulé avec le seuil de 40 000 habitants.
De plus, afin de garantir le respect de ces obligations, la commission a prévu des sanctions financières en cas de non-publication des écarts de rémunération ou de non-publication des écarts de représentation. Elles pourraient également être prononcées si les écarts de rémunération constatés sont supérieurs à un niveau défini par décret.
Un tel index se fondera sur les données du rapport social unique, élaboré au printemps par les administrations publiques ; en conséquence, lui-même ne pourra pas être disponible avant le printemps de chaque année.
Nous proposons donc une entrée en vigueur des dispositions au 1er juin 2024 dans la fonction publique de l’État, et au 1er juin 2025 dans les versants territorial et hospitalier.
Quatrièmement, la commission a jugé nécessaire d’aller plus loin que l’obligation de publication des écarts de représentation entre les hommes et les femmes dans les emplois soumis à l’obligation de nominations équilibrées que vise l’article 4. Comme l’a rappelé la présidente de la délégation aux droits des femmes, le taux obligatoire au niveau des primo-nominations n’apporte qu’une réponse partielle à la question de la féminisation des emplois à responsabilité dans la fonction publique.
Pour garantir le maintien des femmes en fonction, la commission a souhaité instaurer un taux minimal de 40 % de personnes de chaque sexe dans les emplois supérieurs et de direction, à l’article 3 bis.
Cette disposition, recommandée l’an dernier par la délégation aux droits des femmes, mais non présente dans le texte initial de la proposition de loi, est d’autant plus justifiée qu’une obligation analogue est prévue dans le secteur privé depuis la loi du 24 décembre 2021 visant à accélérer l’égalité économique et professionnelle, dite loi Rixain. Les entreprises qui emploient plus de 1 000 salariés devront, à partir du 1er mars 2029, respecter le taux de 40 % de personnes de chaque sexe au sein des cadres dirigeants et des membres des instances dirigeantes.
Sur le modèle du secteur privé, la commission a décidé de sanctionner le non-respect de cette obligation par une pénalité financière d’un montant maximal de 1 % de la rémunération brute annuelle globale de l’ensemble des personnels.
C’est donc un texte alliant ambition et opérationnalité que la commission des lois vous propose d’adopter.