Intervention de Fabien Gay

Réunion du 6 avril 2023 à 14h45
Maîtrise de l'organisation algorithmique du travail — Rejet d'une proposition de loi

Photo de Fabien GayFabien Gay :

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à remercier mon collègue Pascal Savoldelli d’avoir présenté la proposition de loi relative à la maîtrise de l’organisation algorithmique du travail. Celle-ci s’inscrit dans la continuité de son tour de France et de son travail en faveur de la création d’un véritable statut des travailleuses et des travailleurs des plateformes numériques.

Je remercie également ma collègue Cathy Apourceau-Poly de la présentation de son rapport et des auditions qu’elle a conduites, qui ont enrichi le travail de Pascal Savoldelli.

Cette réflexion sur le travail dans notre société est essentielle. Au lieu de voter la retraite à 64 ans et, ainsi, voler les deux plus belles années de vie à la retraite des travailleurs et des travailleuses, le Gouvernement et la droite sénatoriale auraient été mieux inspirés de débattre du partage des richesses et du sens du travail.

Nous ne pouvons plus en faire l’économie. Le travail connaît des mutations sous l’effet de la généralisation de l’informatisation et de la robotisation amorcée dans les années 1980 et, à présent, de l’intelligence artificielle et des algorithmes, ce qui constitue une étape supplémentaire.

Les algorithmes dictent les contenus de nos téléphones et les articles de presse que nous lisons, influençant ainsi nos pensées et nos vies ; en nous orientant vers ce que nous aimons, ils nous privent de découvertes et donc de l’inconnu.

Ils modifient également notre rapport au travail et notre vie en société. En tant qu’êtres humains, citoyens et travailleurs, nous leurs sommes subordonnés. Il est donc urgent d’encadrer l’intelligence artificielle et les algorithmes.

Même Elon Musk, pourtant fondamentalement opposé aux droits sociaux et syndicaux, a réclamé, avec une centaine d’experts mondiaux, une pause de six mois dans la recherche sur les intelligences artificielles – un comble ! –, car ces technologies posent des problèmes de protection des données, de dérégulation du marché de l’emploi et de circulation de fausses informations.

Sous couvert de neutralité et d’équité, ces algorithmes sont en réalité des aides à la décision pour l’employeur, qui demeure pourtant le seul donneur d’ordres ; or ils sont subjectifs. Ils constituent un nouvel outil de contrôle des travailleurs, de management, mais aussi de discrimination, voire de répression syndicale : ce n’est plus le patron qui vous licencie, c’est l’algorithme qui vous suspend.

Nous proposons donc de modifier le code du travail afin que les décisions prises à l’aide de moyens technologiques relèvent du pouvoir de direction de l’employeur, qui programme la machine à son avantage.

La relation de travail qui en est issue est, certes, moins directe avec l’employé, mais elle reste contractuelle et elle accroît la domination de l’employeur, en faisant peser de nouvelles contraintes sur les salariés. En étant maître de la programmation et en organisant son opacité, l’employeur reste le décideur unique : il existe donc bien un lien de subordination.

Les algorithmes incitent à davantage de rendement, en notant les travailleurs et en les poussant à augmenter leur productivité. Il est donc urgent de garantir à ces derniers un droit à la déconnexion, car le contremaître numérique, lui, ne prend jamais de pause.

Surtout, l’algorithme est froid ; avec lui, plus de débats, plus d’association du salarié aux prises de décision, plus non plus de discussions sur le sens du travail. L’intelligence artificielle et les algorithmes, c’est « travaille et tais-toi ! »

Ne pas légiférer reviendrait à refuser d’équilibrer la relation entre les employeurs et les travailleurs, à laisser ces derniers en dehors du champ du code du travail et à refuser de les protéger face à un système qui s’étendra peut-être, à l’avenir, à tous les champs du salariat. Les algorithmes impliquent souvent des salariés déguisés en auto-entrepreneurs, sans droits ni salaire, mais avec une rémunération à la tâche, subissant la contrainte de devoir atteindre 60 heures par semaine pour s’en sortir.

La commission des affaires sociales du Sénat a estimé qu’il était prématuré de légiférer avant l’aboutissement de la réflexion européenne. Le Sénat français devrait pourtant œuvrer pour faire avancer la législation. Notre proposition de loi porte cette ambition : elle prend acte de la résolution adoptée par la Confédération européenne des syndicats le 6 décembre dernier, laquelle a établi la nécessité, pour les représentants des travailleurs, de bénéficier d’une expertise externe afin d’évaluer l’impact des algorithmes sur les conditions de travail.

Il est essentiel de faire valoir transparence et expertise pour rééquilibrer la relation au travail des plateformes numériques ; nous proposons donc de lever la zone d’ombre qui dissimule le véritable statut de ces travailleurs.

Dès lors que les plateformes encadrent juridiquement et économiquement l’activité des travailleurs, ceux-ci ne peuvent être considérés comme des indépendants, mais doivent être reconnus pour ce qu’ils sont : des salariés dans un rapport de subordination aux plateformes.

Aux entreprises qui ne respectent pas leurs obligations fiscales et administratives, la loi doit imposer le respect de leurs obligations sociales. C’est pourquoi nous voterons cette proposition de loi.

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