Intervention de Christine Lavarde

Réunion du 6 avril 2023 à 14h45
Protéger le groupe électricité de france d'un démembrement — Adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Photo de Christine LavardeChristine Lavarde :

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la proposition de loi dont nous discutons cet après-midi porte sur trois sujets, le dernier étant sans lien direct avec les deux premiers : la nationalisation d’EDF, son possible démembrement et l’extension des tarifs réglementés de vente de l’électricité.

En ce qui concerne le premier point, sans grande surprise, le groupe Les Républicains soutient la position du rapporteur, dont je salue le travail de qualité, qui a proposé la suppression de l’article 1er prévoyant la nationalisation.

Cela ne signifie pas que la question de la garantie de la non-privatisation d’une activité hautement stratégique ne mérite pas d’être considérée. Je vous renvoie, mes chers collègues, aux débats que nous avons eus sur Aéroports de Paris (ADP) à l’occasion de l’examen du projet de loi relatif à la croissance et la transformation des entreprises, dite loi Pacte.

La souveraineté énergétique de la France repose sur EDF, dont l’État possédait 84 % du capital jusqu’en 2022. Une montée au capital pour passer à 100 % est en cours – le déblocage de 9, 7 milliards d’euros de crédits a d’ailleurs été voté dans le cadre du projet de loi de finances rectificative du mois de juillet dernier – sous la forme d’une offre publique d’achat (OPA) simplifiée à un prix de 12 euros par action qui a été validé par le conseil d’administration d’EDF.

L’inconvénient de cette OPA est que la procédure échappe presque totalement au contrôle du Parlement. Les députés du groupe Les Républicains l’ont d’ailleurs souligné, tout en reconnaissant que la nationalisation n’était certainement pas la meilleure réponse à apporter. Nous partageons cette position : l’OPA étant en cours, la nationalisation ne se justifie pas.

Par cette OPA, l’État cherche à se donner les moyens de mettre en œuvre une politique de relance du nucléaire. Nous avons envie de vous croire, monsieur le ministre, même si c’est votre majorité – il faut quand même le rappeler – qui a mis fin au programme Astrid en 2019.

En juillet 2021, notre collègue Stéphane Piednoir, dans un rapport fait au nom de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (Opecst) – je m’exprime sous le contrôle de son premier vice-président Gérard Longuet – et intitulé L ’ énergie nucléaire du futur et les conséquences de l ’ abandon du projet de réacteur nucléaire de 4 e génération « Astrid », a mis en évidence les conséquences néfastes de cet abandon pour la stratégie énergétique française.

Si la relance du nucléaire est un défi technique – quel type de réacteurs devons-nous construire ? –, elle constitue surtout un défi financier.

Le groupe EDF est très endetté – sa dette s’élevait à 64, 5 milliards d’euros à la fin de l’année 2022 – et les investissements nécessaires au développement du nouveau nucléaire sont considérables, alors qu’il faut en même temps financer le programme de grand carénage, dont le montant s’élève à près de 60 milliards d’euros, tout en tenant compte des impératifs d’adaptation au changement climatique – la commission des finances a travaillé récemment sur ce dernier sujet.

En mars 2021, Bercy estimait que le programme de six EPR2 pourrait coûter, hors frais financiers, entre 52 milliards et 57 milliards d’euros « dans un scénario de bonne maîtrise industrielle », ce montant pouvant atteindre 64 milliards d’euros dans un scénario plus dégradé…

Pouvez-vous nous en dire plus sur la stratégie de financement du Gouvernement, monsieur le ministre ?

J’ai cru lire ou comprendre qu’un appel aux investisseurs étrangers pourrait être envisagé – cela ressort d’une visioconférence à laquelle participait l’ancien patron d’EDF, Jean-Bernard Lévy, en janvier 2021 – ou qu’il pourrait être fait appel aux fonds du Livret A qui sont pour l’heure consacrés au financement du logement social.

Comme vous l’aurez compris, monsieur le ministre, si nous n’avons pas d’opposition à cette offre publique d’achat, nous avons de véritables interrogations sur les modalités de financement de la stratégie qui est menée.

À court terme, la seule question que pose cette OPA est celle du devenir des actionnaires salariés.

Depuis le 8 février 2023, date de clôture provisoire de l’offre, l’État détient près de 95 % du capital d’EDF, alors que 1, 17 % du capital social reste détenu par les salariés. Rien n’empêche donc l’État de se retirer de la cote.

La clôture définitive de l’opération a été retardée par un procès des petits actionnaires d’EDF à l’État français, portant notamment sur le prix de rachat des actions, jugé trop faible.

Dans les faits, le prix de rachat, fixé à 12 euros, constitue une prime par rapport à la valorisation du marché à court terme de l’entreprise ; je rappelle qu’au mois de juillet dernier, l’action est descendue à près de 7 euros. Mais les petits actionnaires qui ont acheté l’action à 32 euros pour les non-salariés et à 25, 6 euros, en 2005, pour les salariés, subissent une perte nette en capital. En effet, le cours de l’action a été divisé de plus de sa moitié, et l’inflation rend la perte d’autant plus importante.

Ces petits actionnaires, au nombre de 82 000, salariés ou anciens salariés, souhaitent être maintenus au capital ; la justice rendra sa décision dans le procès en cours le 2 mai prochain.

Pour cranter dans la loi le passage d’EDF à 100 % dans le giron de l’État, la commission des finances, sur l’initiative de son rapporteur Gérard Longuet, a inscrit dans la proposition de loi l’objectif d’une détention par l’État de 100 % du capital d’EDF au plus tard au 1er janvier 2024. Le texte issu des travaux de la commission, celui que nous examinons, prévoit que 2 % de ce capital pourrait toutefois être accordé aux salariés ou anciens salariés d’EDF.

Je m’interroge sur la mise en œuvre concrète de cette disposition. En effet, dans la mesure où l’offre publique d’achat prévoit une montée à 100 % du capital par l’État, comment serait-il possible d’en rétrocéder ensuite 2 % aux salariés ?

Je m’interroge aussi sur l’intérêt pour les petits actionnaires de détenir une action non liquide, puisque EDF ne sera plus cotée. Par ailleurs, l’entreprise n’est actuellement pas profitable. En 2022, elle a enregistré une perte de près de 18 milliards d’euros, notamment du fait du mécanisme de l’accès régulé à l’électricité nucléaire historique (Arenh), qui doit s’éteindre en 2025. Si l’on ne connaît rien des suites qui seront données, il est certain que celle-ci aura des conséquences très fortes sur la rentabilité du groupe.

Tous ces sujets méritent que l’on en débatte.

En outre, le versement de dividendes sera-t-il possible alors que les besoins d’investissement seront très importants ? Je rappelle qu’EDF emprunte déjà entre 1, 5 milliard d’euros et 3 milliards d’euros par an pour verser des dividendes à ses actionnaires. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle, depuis 2016, l’État accepte de toucher ses dividendes non plus en cash, mais en actions pour soulager la trésorerie de l’entreprise.

Certes, le Gouvernement a déposé un amendement au texte de la commission. Mais je ne comprends pas bien en quoi un tel dispositif permet de mieux répondre à ces interrogations. Nous aurons l’occasion d’en débattre tout à l’heure.

La question du démembrement d’EDF se pose depuis que le Gouvernement l’avait envisagée en 2019 en lançant le projet Hercule, qui a été abandonné depuis.

Les élus du groupe LR du Sénat n’ont pas d’opposition de principe à ce qui est écrit dans la note d’information à l’Autorité des marchés financiers, à savoir qu’il faut « poursuivre le plan de cessions d’actifs à hauteur d’environ 3 milliards d’euros entre 2022 et 2024 », dès lors que les décisions qui seront prises participeront d’une stratégie d’indépendance énergétique et de décarbonation.

C’est la raison pour laquelle nous soutiendrons la réécriture de l’article 2 : l’État possédera désormais une entreprise qui agit dans le cadre fixé par le code de l’énergie. Cette nouvelle rédaction lève un certain nombre de risques pesant sur les filiales du groupe, notamment Réseau de transport d’électricité (RTE).

Enfin, sur l’extension des tarifs réglementés de vente de l’électricité (TRVE), les députés socialistes avaient prévu une mesure dont le coût est beaucoup trop important, le Gouvernement le chiffrant à 18 milliards d’euros par an. Il est vrai qu’en matière de chiffrage sur le coût des dispositions dans le domaine de l’énergie, nous ne pouvons que nous montrer circonspects depuis l’examen du projet de loi de finances pour 2023, en décembre dernier, et le fameux sous-amendement à 6 milliards d’euros ; nous attendons d’ailleurs toujours les chiffres à l’appui des assertions du Gouvernement, monsieur le ministre. Nous ne vous accordons donc qu’un crédit limité sur le coût de la mesure.

Toutefois, cette mesure reste très onéreuse, puisque s’applique l’article 13 du règlement européen du 6 octobre 2022, en vertu duquel l’État doit indemniser les fournisseurs dès lors qu’ils vendent à perte.

Enfin, l’extension aux entreprises de taille intermédiaire (ETI) est contraire au droit européen, les aides d’État temporaires n’étant possibles que pour les très petites entreprises et les petites et moyennes entreprises (TPE-PME).

En revanche, nous souscrivons à l’objet de cette mesure, qui était, dans l’esprit de ses auteurs, d’apporter une réponse aux petites entreprises, en particulier aux boulangers, mais aussi aux collectivités, dont certaines se trouvent exclues des tarifs réglementés, alors même qu’elles remplissent les critères de chiffre d’affaires, de budget ou de nombre de salariés pour y prétendre. Dans les deux cas, il s’agit de pouvoir disposer d’une puissance installée forte, qu’il s’agisse de faire fonctionner une pompe à chaleur pour les collectivités ou bien un four pour les boulangers.

La solution qui consiste à supprimer la mention de 36 kilovoltampères (kVA) est très pertinente. Elle aurait d’ailleurs pu être mise en œuvre bien plus tôt, car elle relève du niveau règlementaire. Il aurait été bien plus facile de faire évoluer une mesure réglementaire que de corriger la loi.

À l’instar de ce que mon collègue Daniel Gremillet avait pu dire en ouverture de l’examen du projet de loi relatif à l’accélération des procédures liées à la construction de nouvelles installations nucléaires à proximité de sites nucléaires existants et au fonctionnement des installations existantes, je ne peux que déplorer le manque de vision d’ensemble sur l’avenir de notre politique énergétique. Depuis quelques mois, nous empilons des briques, sur le nucléaire, sur les énergies renouvelables, aujourd’hui sur EDF, sans disposer d’aucun plan pour le mur que nous cherchons à construire.

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