Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, à deux jours près, nous aurions pu fêter l’anniversaire de la loi du 8 avril 1946 sur la nationalisation de l’électricité et du gaz. Je ne vois pas là une simple coïncidence, mais j’ai pensé, et même rêvé que par une sorte de connivence de pensée et d’action, ce qui s’est produit sur les travées de la gauche et de la droite à l’Assemblée nationale, sous l’impulsion de Philippe Brun, pouvait se répéter ici. J’ai sincèrement pensé que ceux qui siègent sur les travées de droite de l’hémicycle pourraient se réclamer de ces aïeux et se considérer comme les héritiers du Conseil national de la Résistance, dont l’esprit s’est prolongé dans toutes les générations politiques depuis 1946.
Ainsi, en 1974, dans le cadre du plan Messmer, 56 réacteurs ont été mis en place, ce qui a permis d’engager des baisses de prix pendant une vingtaine d’années, le prix moyen de l’électricité étant inférieur de 28 % à la moyenne européenne, à 17 centimes du kilowattheure (kWh) contre 28 centimes en Allemagne, ce qui donnait un avantage compétitif considérable à la France. Or ce n’est plus tout à fait le cas.
Hélas ! Mon rêve est en train de sombrer dans les marécages de l’idéologie, ce rêve d’un consensus transpartisan que nous souhaiterions et que nous appellerions de nos vœux, de sorte que nous répéterions ici ce qui s’est fait là-bas, en préservant l’essentiel. Mais à la faveur de ce texte, on voit s’affronter deux visions diamétralement opposées, orthogonales, en quelque sorte : l’étatisation n’est pas une nationalisation.
Le texte proposé par Philippe Brun, par le groupe socialiste et, de manière plus générale, par l’ensemble de la gauche a du souffle et, si j’ose dire, une âme. Nationaliser, c’est rendre à la Nation, et cela implique non seulement le transfert des moyens de production, mais aussi leur utilisation en faveur des usagers, des citoyens et de la Nation.
Or, avec toutes les directives qui ont été prises depuis 1996, que ce soit en 2003, en 2009, en 2010 ou en 2019, on n’a cessé d’ouvrir des fenêtres. On a commencé par le faire pour les salariés depuis 1973, puis pour des filialisations, pour des hybridations et pour des croisements de capital, ce qui correspondait parfois à une privatisation rampante.
Notre collègue député du groupe socialiste entendait insuffler une âme nouvelle au groupe EDF, moteur de la souveraineté énergétique du pays, en proposant de ne pas le confier à une élite, quels que soient sa qualité et les grands commis de l’État qui ont pu œuvrer. Ne confions pas la souveraineté énergétique du pays à une technostructure qui n’a rien fait d’autre que se soumettre ; le terme est fort, nul besoin de citer la littérature sur ce sujet.
À Gérard Longuet, notre excellent collègue, je veux dire que je suis malheureux de constater que nous n’avons pas su trouver ce consensus, alors que nous aurions pu le faire : c’est une occasion manquée. La nationalisation n’est pas l’affaire de l’Europe, qui reste dans une sorte de neutralité technologique et juridique à cet égard, que le monopole soit public ou privé, car cela ne la concerne pas. Elle ne s’intéresse qu’à l’ouverture du marché et considère que s’il y a un monopole, qu’il soit de fait ou juridique, il faut que le marché soit ouvert et donc contestable. La « contestabilité du marché » : la sémantique est belle pour désigner une affreuse réalité.
Le problème est donc national, et Philippe Brun a proposé de nous doter d’une arme nationale. Nationaliser EDF, c’est réarmer la France. Une entreprise verticalement intégrée, d’intérêt général et d’intérêt national, cela équivaut à un nouveau ministère de la défense. Mais nous passons à côté pour des raisons idéologiques : il faut faire la tarification au coût marginal ou bien encore il faut corréler le prix de l’électricité à la dernière unité mise en œuvre, à savoir du lignite ou peut-être du charbon allemand.
Et quand, voulant faire le bien des Français, certains proposent un TRVE qui vaudrait pour tous, on préfère changer le mode de calcul et se référer au coût d’approvisionnement du fournisseur alternatif, qui n’a de fournisseur que le nom. Tel est le modèle qui nous est soumis et auquel nous nous soumettons tous ; je le regrette vraiment.
Il nous faut un champion national. Il faut donc nationaliser EDF et défendre les intérêts de la France. Il faut délimiter le périmètre pour éviter les cessions. Il faut un TRVE revu et corrigé. Telles sont les mesures que nous vous proposons par nos amendements de réintroduire dans le texte qui vous est soumis.
Nous réservons notre vote en espérant, avec optimisme, que vous ferez en sorte qu’il soit favorable.