Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, « que les objectifs fixés au sein d’une loi d’orientation pluriannuelle soient déclinés au sein d’une loi de financement ou de finances, ils permettraient en tout état de cause d’inscrire les débats sur la fiscalité locale dans une nécessaire pluriannualité ». Si notre proposition de loi constitutionnelle opte pour une loi de financement des collectivités territoriales, nous souscrivons entièrement à ces propos du rapporteur spécial de la mission « Relations avec les collectivités territoriales », ou RCT, du projet de loi de finances pour 2020, M. Loïc Hervé.
Notre proposition est partagée par des acteurs aux horizons divers.
L’Association des maires de France (AMF), tout d’abord, l’a fait savoir par la voix de son précédent président François Baroin lors des débats sur la révision constitutionnelle de 2018. Elle l’a réaffirmé à l’occasion de l’élection présidentielle de 2022 et, plus récemment, dans son communiqué de presse du 14 mars 2023. Quelque 80 % des maires interrogés en 2019 sont favorables à ce projet.
La Cour des comptes, ensuite, l’a signifié dans ses rapports de 2013, 2016 et 2018. Les rapporteurs de la mission flash « Autonomie financière des collectivités locales », Charles de Courson et Christophe Jerretie, aboutissaient aux mêmes conclusions en mai 2018. Notre collègue Roger Karoutchi, enfin, a déposé une proposition de loi constitutionnelle comparable à la nôtre.
Le constat est donc partagé. La révision constitutionnelle de 2003 n’a pas garanti l’autonomie fiscale des collectivités locales, se limitant à l’autonomie financière. Encore cette dernière était-elle interprétée de manière stricte par la jurisprudence du Conseil constitutionnel, notamment lors de la suppression de la taxe d’habitation. Cette consécration de l’autonomie financière n’a donc été, pour citer le professeur Michel Bouvier, « qu’un rendez-vous manqué, une illusion. »
Il en va de même de la jurisprudence concernant l’appréciation des mécanismes de compensation financière des transferts de compétences. C’est particulièrement édifiant en ce qui concerne les dépenses sociales de nos départements. Quoique les collectivités territoriales aient soulevé de nombreuses questions prioritaires de constitutionnalité (QPC), aucune d’entre elles n’a prospéré face à l’interprétation stricte retenue par le Conseil constitutionnel.
L’autonomie financière des collectivités locales a donc été vidée de son sens, alors qu’elle doit tout de même garantir la libre administration de ces dernières, donc le respect d’une véritable organisation décentralisée de la République.
La part de la fiscalité locale s’est progressivement réduite, au profit de dotations de compensation de l’État. Les dernières dispositions budgétaires issues de la loi de finances pour 2023 ont encore illustré cette évolution, avec la diminution de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE).
Le système est de plus en plus opaque et illisible. En octobre 2022, la Cour des comptes soulignait « la sédimentation historique des recettes » et dressait le constat d’un « système complexe et à bout de souffle ». Ce système opaque et illisible entrave l’action des collectivités locales, qui n’ont pas de visibilité sur les réformes fiscales, les décisions d’attributions des dotations d’investissement ou l’imposition de normes de toute nature.
L’éparpillement des mesures budgétaires et fiscales concernant les collectivités locales dans la loi de finances ne fait qu’ajouter à la confusion qui s’est installée dans les relations financières entre l’État et nos collectivités locales. L’État cherche souvent à faire payer aux collectivités ce qu’il ne souhaite plus assumer.
Notre proposition est, d’une part, de créer une loi de financement des collectivités locales, et, d’autre part, de prévoir une compensation dynamique dans le temps des transferts de compétences.
Cette idée remonte au rapport réalisé par Olivier Guichard en 1976. Elle a été reprise régulièrement, notamment dans le rapport Lambert-Malvy.
Les objectifs d’une telle loi de financement seraient simples : fixer un cadre de référence unique pour le Parlement et constituer un outil de transparence pour une meilleure information des élus locaux. Elle améliorerait la lisibilité et la visibilité pour les collectivités territoriales, qui ont besoin de prévisibilité. Elle nous donnerait une meilleure lisibilité des engagements financiers de l’État et clarifierait les responsabilités de chacun.
Articulée, comme le PLFSS, à la loi de finances, qui fixe les grands équilibres financiers de l’État, elle constituerait avec ces textes une sorte de trépied des lois budgétaires.
Toutefois, notre proposition de loi a d’autres ambitions encore : accroître la clarté et la sincérité du débat parlementaire sur les collectivités territoriales et reconnaître les collectivités locales au sein de notre édifice constitutionnel, car celles-ci représentent 20 % du budget de la Nation et 57 % de l’investissement local.
Une telle évolution mettrait fin à l’infantilisation des collectivités locales par l’État et instaurerait un véritable espace de dialogue entre celles-ci et l’État.
Plusieurs arguments nous sont opposés par Mme le rapporteur, qui a évoqué des écueils pratiques, au regard du calendrier parlementaire. En vérité, il y aurait déjà matière à discuter du calendrier d’examen de la loi de finances, qui mériterait d’être revu.
On invoque également un problème d’articulation avec la loi de finances initiale. Or cette dernière retrace les versements de l’État à la sécurité sociale, ce qui n’empêche pas le Parlement de voter une LFSS.
On craint que ce texte ne confère un pouvoir de contrainte supplémentaire au Gouvernement. Mais les atteintes à la libre administration sont déjà légion : gel ou diminution des dotations, contrats de Cahors… Nous pensons que c’est plutôt le manque de transparence qui menace l’autonomie des collectivités territoriales.
Mes chers collègues, ne nous laissons pas égarer par le parallèle avec la LFSS : la loi de financement des collectivités territoriales n’aurait pas pour objet d’instituer un plafond de dépenses, la libre administration des collectivités territoriales interdisant de donner à ce texte un caractère prescriptif.
On nous objecte aussi l’utilisation du 49.3. Mais quelle est la différence avec la situation actuelle, cet article pouvant être utilisé, et il l’a été largement, sur les lois de finances ?
L’absence de loi organique, enfin, empêcherait de se prononcer. Nous sommes prêts à y travailler avec vous, madame le rapporteur, notamment en faisant référence à la proposition de loi constitutionnelle de notre collègue Karoutchi, que vous avez cosignée.
L’article 2 de notre texte prévoit une garantie dynamique dans le temps des transferts de compétence. Cela répond à une demande récurrente des collectivités territoriales. Une telle disposition a été adoptée, sur notre initiative, lors de l’examen de la loi relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l’action publique locale, mais elle a malheureusement été retirée en commission mixte paritaire.
Ce dispositif avait également été intégré par Philippe Bas dans sa proposition de loi constitutionnelle pour le plein exercice des libertés locales. Cela n’enlève rien à l’intérêt de ce que nous proposons.
Notre texte vise à réaffirmer le rôle que jouent les collectivités locales dans l’organisation décentralisée de la République. Cette reconnaissance est, pour nous, impérative. Elle ne peut être sacrifiée sur l’autel de la politique partisane. Nous vous proposons donc de travailler ensemble, comme nous l’avons fait pour le « zéro artificialisation nette » (ZAN).
Pour conclure, il est temps de sortir de la verticalité du pouvoir, qui place l’État et les collectivités locales dans un rapport de défiance permanent. Cette loi permettrait une nouvelle avancée des libertés et de la démocratie locale.