Intervention de Éric Dupond-Moretti

Réunion du 6 avril 2023 à 14h45
Loi de financement des collectivités territoriales et de leurs groupements — Rejet d'une proposition de loi constitutionnelle

Éric Dupond-Moretti :

Pour cette institution, « une loi de financement des collectivités territoriales constituerait un instrument efficace au service de la gouvernance des finances locales ».

Cette loi de financement des collectivités territoriales aurait pour objectif de déterminer les ressources des collectivités territoriales et de retracer l’ensemble des relations financières des collectivités territoriales avec l’État.

Il est vrai qu’un tel instrument législatif offrirait l’avantage de garantir un espace de discussion parlementaire consacré aux finances locales.

Toutefois, il faut relever qu’il existe déjà la possibilité de faire suivre d’un débat au Parlement la remise du rapport prévu à l’article 7 de la loi organique du 28 décembre 2021 relative à la modernisation de la gestion des finances publiques, modifiant l’article 52 de la loi organique du 1er août 2001 relative aux lois de finances (Lolf).

Ce rapport porte sur la situation des finances publiques locales, sur l’évolution de leurs charges et de leurs dépenses ou encore sur les conséquences du projet de loi de finances sur les finances publiques locales. Un débat de ce type a eu lieu pour la première fois lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2023.

En outre, il faut bien prendre garde aux conséquences concrètes d’une telle réforme pour le débat parlementaire. En effet, le champ matériel de ces lois de financement des collectivités territoriales serait exclusif de celui des lois de finances. Or de nombreux sujets ont une implication budgétaire au niveau national et au niveau local.

Je citerai par exemple la hausse de la dotation globale de fonctionnement ou la suppression de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises opérées en 2023. L’une et l’autre ont des conséquences financières pour l’État comme pour les collectivités et nécessiteraient d’être abordées lors de l’examen de la loi de finances comme lors de l’examen d’une loi de financement des collectivités.

Serait-il judicieux, dans ces circonstances, de scinder dans deux véhicules distincts les aspects nationaux et les aspects locaux ? Serait-ce même possible ? Une telle dissociation nuirait à mon sens davantage à l’information du Parlement, dans un calendrier budgétaire encore plus restreint par l’examen de trois textes financiers.

Enfin, il n’est tout simplement pas certain, comme l’ont très justement souligné les travaux de la commission, que ce nouvel instrument soit adapté à l’objectif que nous partageons tous, à savoir donner aux collectivités une visibilité et une protection financière suffisantes pour la réalisation de leurs actions.

La seconde mesure de cette proposition de loi consiste à réviser les règles de compensation financière des transferts de compétences, afin d’y introduire un mécanisme de réexamen périodique.

Tout d’abord, j’observe que le principe de libre administration des collectivités territoriales prémunit déjà les collectivités contre une dégradation excessive de leur situation financière du fait de l’évolution de leurs charges.

Le Conseil constitutionnel a eu l’occasion de l’affirmer dans deux décisions du 30 juin 2011 : les mécanismes de compensation doivent être suffisants pour que ne soit pas entravée la libre administration des collectivités concernées.

Par ailleurs, dans un objectif de bonne gestion des finances publiques, la capacité des collectivités locales à financer les compétences transférées doit pouvoir s’apprécier au regard de l’ensemble de leurs ressources et de leur dynamisme, et pas uniquement à l’aune des recettes directement affectées lors du transfert historique de compétences.

Enfin, la comparaison entre le niveau de ressources et de dépenses transférées poserait de grandes difficultés méthodologiques.

L’évolution ultérieure du niveau de dépenses des collectivités dépend de circonstances nationales, mais également des choix de gestion de la collectivité locale.

Une telle mécanique induirait, entre l’État et les collectivités, un examen de l’exercice de chaque compétence au niveau global, mais ensuite, inévitablement aussi, au niveau individuel. Or les choix d’une collectivité de porter l’effort sur telle compétence ou sur telle autre sont consubstantiels à la libre administration.

Vous l’avez compris, mesdames, messieurs les sénateurs, le Gouvernement n’est pas favorable, en l’état, à cette proposition de loi constitutionnelle.

Je veux être très clair : les pistes qui y sont avancées ne sont pas à balayer d’un revers de main, loin de là. Elles semblent néanmoins, pour l’heure, soulever plus d’interrogations que de solutions.

Surtout, cette proposition de loi intervient dans un contexte où un bilan plus large pourrait être dressé en matière de décentralisation. Les enjeux que cette proposition de loi aborde sont réels, mais ils ne sont pas les seuls à considérer.

Le président Larcher évoquait la différenciation des collectivités territoriales. Le Gouvernement avait souhaité se saisir en 2018 de ce sujet au travers du projet de loi constitutionnelle pour un renouveau de la vie démocratique.

La réflexion doit encore se poursuivre. En témoignent d’ailleurs les travaux menés au sein du Sénat par le groupe de travail transpartisan évoqué au début de mon intervention, ainsi que ceux qu’a lancés le Président de la République avec les associations d’élus locaux.

Sur ce sujet comme sur les autres, le Gouvernement sera particulièrement attentif à la restitution des conclusions de ces groupes de travail.

Vingt ans après que la décentralisation a fait son apparition dans notre Constitution, poursuivons notre réflexion commune, pour que nos collectivités territoriales puissent exercer pleinement leurs missions au service de nos compatriotes.

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