Intervention de Jean Sol

Réunion du 11 avril 2023 à 14h30
Avenir de la ressource en eau : comment en améliorer la gestion — Débat organisé à la demande de la délégation sénatoriale à la prospective

Photo de Jean SolJean Sol :

« Qui dit eau dit santé, assainissement, hygiène et prévention des maladies ; dit paix ; dit développement durable, lutte contre la pauvreté, soutien aux systèmes alimentaires et création d’emplois et prospérité. […] C’est pourquoi l’eau doit être au centre de l’agenda politique mondial. » Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, c’est par ces mots qu’António Guterres, secrétaire général des Nations unies, concluait la Conférence des Nations unies sur l’eau, le 24 mars dernier.

En France aussi, l’eau est au cœur du développement de nos territoires, de notre agriculture, de notre système énergétique, puisqu’il faut beaucoup d’eau pour refroidir les centrales thermiques.

L’eau est également essentielle à l’équilibre des écosystèmes et, quand elle vient à se dégrader, à manquer ou, à l’inverse, à être en trop, les conséquences sont dramatiques.

Plus trivialement, l’eau est au cœur de notre vie quotidienne. Nous ne faisons même plus attention à la prouesse que constitue le fait d’avoir tout le temps à notre disposition une eau de qualité, simplement en ouvrant le robinet, et pour un coût relativement modeste, de 4, 30 euros en moyenne pour 1 000 litres, assainissement compris.

Cela sera-t-il toujours le cas ?

L’année dernière, plus de 2 000 communes ont connu des difficultés d’approvisionnement en eau potable.

La sécheresse s’installe comme une situation non plus exceptionnelle, mais habituelle et récurrente. Dans un pays tempéré comme le nôtre, c’est un choc culturel.

Dans l’Hexagone, nous recevons chaque année plus de 500 milliards de mètres cubes de précipitations, dont un bon tiers s’infiltre dans le sol ou va dans nos rivières. C’est ce que l’on appelle les « pluies utiles », qui représentent 200 milliards de mètres cubes.

En toute logique, nous ne devrions pas avoir de difficulté, puisque nous utilisons de l’ordre de 30 à 32 milliards de mètres cubes par an : 15 pour le refroidissement de nos centrales, 5 pour l’alimentation des canaux, 5 pour l’eau potable, 3 pour l’agriculture et un peu moins de 3 pour l’industrie.

Bien sûr, il faut laisser une partie de cette eau dans les nappes, dans les rivières et, plus largement, dans les milieux, mais nous devrions pouvoir répondre à tous nos besoins.

Malheureusement, le réchauffement climatique change la donne. L’étude Explore 2070 indique que le débit de nos rivières va baisser de 10 % à 40 %. D’une année sur l’autre, nous pouvons connaître des variations importantes de précipitations.

La sécheresse extrêmement forte que nous avons connue en 2022, qui vient après d’autres étés secs, a fait prendre conscience que nous n’allions pas échapper à une remise en cause de nos modèles.

Au 1er mars de cette année, 80 % des nappes phréatiques sont encore à un niveau considéré comme bas par le Bureau de recherches géologiques et minières.

Aucune région n’échappe au phénomène : l’année dernière, c’est la quasi-totalité des départements qui a été touchée par des arrêtés sécheresse.

Pour l’eau, l’été, entre juin et août, devient de plus en plus critique et, à l’heure où nous parlons, les perspectives estivales 2023 sont particulièrement sombres.

La délégation sénatoriale à la prospective a déjà tiré le signal d’alarme en 2016, avec l’excellent rapport d’information Eau : urgence déclarée de nos collègues Jean-Jacques Lozach et Henri Tandonnet.

Début 2022, nous avons lancé de nouveaux travaux pour actualiser nos données, affiner notre analyse, avec pas moins de quatre rapporteurs – Catherine Belrhiti, Cécile Cukierman, Alain Richard et moi-même –, au nom desquels je parle aujourd’hui.

Notre rapport d’information, articulé autour de huit axes, s’intitule Éviter la panne sèche – Huit questions sur l ’ avenir de l ’ eau. De fait, sans être alarmistes, il nous faut être lucides : nous pouvons gérer l’eau dans la nouvelle période qui s’ouvre, mais il va falloir nous en donner les moyens.

Ces moyens existent.

Depuis 1964, nous avons une gouvernance de l’eau par grand bassin hydrologique reposant sur les agences de l’eau, une planification pluriannuelle, à travers les schémas directeurs d’aménagement et de gestion des eaux (Sdage), des moyens financiers, mobilisés grâce aux redevances – plus de 2 milliards d’euros par an.

Nous avons des collectivités territoriales impliquées dans le petit comme le grand cycle de l’eau, qui se sont parfois regroupées dans des établissements publics de bassin, pour gérer en commun les ressources et les milieux avec, comme philosophie, la démocratie de l’eau.

Bref, nous sommes armés pour faire face aux défis de l’avenir de l’eau, mais nous sommes aussi en difficulté pour définir ce que nous voulons pour mieux gérer notre eau.

D’un point de vue qualitatif, nous continuons à poursuivre un objectif d’excellence, fixé d’ailleurs par les textes européens, comme la directive-cadre sur l’eau. Malheureusement, le bon état des masses d’eau souterraines et de surface ne sera pas atteint à l’échéance retenue par la directive, qui a pourtant déjà été reportée à 2027. Cela ne veut pas dire que nous ne devons pas continuer nos efforts. Lutter contre les pollutions organiques, les nitrates, les résidus de pesticides, les résidus médicamenteux, les pollutions plastiques ou les substances perfluoroalkylées et polyfluoroalkylées (PFAS) est un enjeu de santé publique non négociable.

D’un point de vue quantitatif, l’équation se corse. La priorité doit être la sobriété. C’est en tout cas ce qu’a déclaré le Président de la République en présentant, le 30 mars dernier, le plan Eau du Gouvernement, qui comporte 53 mesures. Nous le disons aussi dans notre rapport d’information.

Toutefois, cela ne doit pas se faire en partant d’un dogme d’interdiction de toute nouvelle retenue d’eau. Gérer l’eau est consubstantiel à la civilisation. Refuser par principe de le faire, c’est se condamner à des difficultés futures pour tous, à commencer par les agriculteurs.

La première recommandation de notre rapport d’information est de permettre de nouvelles retenues, dès lors que le service environnemental et économique rendu est positif.

La deuxième est de mettre en œuvre les solutions de gestion de l’eau fondées sur la nature.

Nous proposons aussi d’accélérer la transformation des pratiques agricoles pour faire face aux tensions hydriques. Disons-le tout net : faire de l’agriculture sans eau est impossible, mais améliorer les systèmes d’irrigation, les pratiques culturales, mieux gérer la ressource, c’est possible, à condition d’accompagner les agriculteurs.

La recherche et l’innovation peuvent aussi être mobilisées pour avancer, par exemple en encourageant la réutilisation des eaux usées traitées, particulièrement utile dans les zones côtières, en bout de bassin. Cette proposition de notre rapport d’information figure dans le plan Eau du Gouvernement.

La question des moyens financiers ne peut être éludée, madame la secrétaire d’État. Notre rapport d’information juge notamment indispensable de rehausser les moyens des agences de l’eau, point sur lequel le plan Eau apporte aussi une réponse.

Notre rapport d’information préconise également de davantage décentraliser la décision publique sur l’eau et de repolitiser les instances de l’eau, qui ne doit pas être l’affaire des seuls techniciens.

Enfin, nous préconisons de faire davantage de pédagogie auprès du grand public pour faire connaître les enjeux de l’eau et faire prendre conscience des efforts que nous allons tous devoir consentir.

Je conclus en insistant sur le fait que les principes de la politique de l’eau ne doivent pas nous faire perdre notre bon sens. J’évoquerai à cette fin nos vieux canaux d’irrigation des Pyrénées-Orientales. Au nom des « débits réservés », on empêche l’eau d’y circuler ; or ils contribuent à recharger la nappe, à ralentir l’écoulement de notre fleuve, la Têt, vers la Méditerranée, et font vivre un maraîchage local vertueux – vous en conviendrez !

Tuer nos agriculteurs ne résoudra pas nos soucis d’eau.

Dès lors, je formule un vœu : que l’on trouve des solutions raisonnables, comme le faisaient nos anciens, car, si l’eau est plus rare, elle n’a pas disparu, et la France ne sera jamais le Sahara. Notre intelligence collective doit nous permettre d’éviter la panne sèche.

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