Séance en hémicycle du 11 avril 2023 à 14h30

Résumé de la séance

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Sommaire

La séance

Source

La séance est ouverte à quatorze heures trente.

Debut de section - PermalienPhoto de Nathalie Delattre

Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

Debut de section - PermalienPhoto de Nathalie Delattre

Par lettre en date de ce jour, le Gouvernement demande l’inscription à l’ordre du jour du mardi 9 mai des conclusions de la commission mixte paritaire sur la proposition de loi portant amélioration de l’accès aux soins par la confiance aux professionnels de santé, après l’examen des conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi relatif à l’accélération des procédures liées à la construction de nouvelles installations nucléaires.

Acte est donné de cette demande.

Le délai limite pour les inscriptions de parole sera fixé au vendredi 5 mai, à 15 heures.

Y a-t-il des observations ?…

Il en est ainsi décidé.

Avenir de la ressource en eau : comment en améliorer la gestion ?

Debut de section - PermalienPhoto de Nathalie Delattre

L’ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande de la délégation sénatoriale à la prospective, sur le thème : « L’avenir de la ressource en eau : comment en améliorer la gestion ? »

Je vous rappelle que, dans ce débat, le Gouvernement aura la faculté, s’il le juge nécessaire, de prendre la parole immédiatement après chaque orateur pour une durée de deux minutes ; l’orateur disposera alors à son tour d’un droit de répartie, pour une minute.

Madame la secrétaire d’État, vous pourrez donc, si vous le souhaitez, répondre après chaque orateur, une fois que celui-ci aura regagné sa place dans l’hémicycle.

Le temps de réponse du Gouvernement à l’issue du débat est limité à cinq minutes.

Dans le débat, la parole est à M. Jean Sol, au nom de la délégation qui a demandé ce débat.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Sol

« Qui dit eau dit santé, assainissement, hygiène et prévention des maladies ; dit paix ; dit développement durable, lutte contre la pauvreté, soutien aux systèmes alimentaires et création d’emplois et prospérité. […] C’est pourquoi l’eau doit être au centre de l’agenda politique mondial. » Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, c’est par ces mots qu’António Guterres, secrétaire général des Nations unies, concluait la Conférence des Nations unies sur l’eau, le 24 mars dernier.

En France aussi, l’eau est au cœur du développement de nos territoires, de notre agriculture, de notre système énergétique, puisqu’il faut beaucoup d’eau pour refroidir les centrales thermiques.

L’eau est également essentielle à l’équilibre des écosystèmes et, quand elle vient à se dégrader, à manquer ou, à l’inverse, à être en trop, les conséquences sont dramatiques.

Plus trivialement, l’eau est au cœur de notre vie quotidienne. Nous ne faisons même plus attention à la prouesse que constitue le fait d’avoir tout le temps à notre disposition une eau de qualité, simplement en ouvrant le robinet, et pour un coût relativement modeste, de 4, 30 euros en moyenne pour 1 000 litres, assainissement compris.

Cela sera-t-il toujours le cas ?

L’année dernière, plus de 2 000 communes ont connu des difficultés d’approvisionnement en eau potable.

La sécheresse s’installe comme une situation non plus exceptionnelle, mais habituelle et récurrente. Dans un pays tempéré comme le nôtre, c’est un choc culturel.

Dans l’Hexagone, nous recevons chaque année plus de 500 milliards de mètres cubes de précipitations, dont un bon tiers s’infiltre dans le sol ou va dans nos rivières. C’est ce que l’on appelle les « pluies utiles », qui représentent 200 milliards de mètres cubes.

En toute logique, nous ne devrions pas avoir de difficulté, puisque nous utilisons de l’ordre de 30 à 32 milliards de mètres cubes par an : 15 pour le refroidissement de nos centrales, 5 pour l’alimentation des canaux, 5 pour l’eau potable, 3 pour l’agriculture et un peu moins de 3 pour l’industrie.

Bien sûr, il faut laisser une partie de cette eau dans les nappes, dans les rivières et, plus largement, dans les milieux, mais nous devrions pouvoir répondre à tous nos besoins.

Malheureusement, le réchauffement climatique change la donne. L’étude Explore 2070 indique que le débit de nos rivières va baisser de 10 % à 40 %. D’une année sur l’autre, nous pouvons connaître des variations importantes de précipitations.

La sécheresse extrêmement forte que nous avons connue en 2022, qui vient après d’autres étés secs, a fait prendre conscience que nous n’allions pas échapper à une remise en cause de nos modèles.

Au 1er mars de cette année, 80 % des nappes phréatiques sont encore à un niveau considéré comme bas par le Bureau de recherches géologiques et minières.

Aucune région n’échappe au phénomène : l’année dernière, c’est la quasi-totalité des départements qui a été touchée par des arrêtés sécheresse.

Pour l’eau, l’été, entre juin et août, devient de plus en plus critique et, à l’heure où nous parlons, les perspectives estivales 2023 sont particulièrement sombres.

La délégation sénatoriale à la prospective a déjà tiré le signal d’alarme en 2016, avec l’excellent rapport d’information Eau : urgence déclarée de nos collègues Jean-Jacques Lozach et Henri Tandonnet.

Début 2022, nous avons lancé de nouveaux travaux pour actualiser nos données, affiner notre analyse, avec pas moins de quatre rapporteurs – Catherine Belrhiti, Cécile Cukierman, Alain Richard et moi-même –, au nom desquels je parle aujourd’hui.

Notre rapport d’information, articulé autour de huit axes, s’intitule Éviter la panne sèche – Huit questions sur l ’ avenir de l ’ eau. De fait, sans être alarmistes, il nous faut être lucides : nous pouvons gérer l’eau dans la nouvelle période qui s’ouvre, mais il va falloir nous en donner les moyens.

Ces moyens existent.

Depuis 1964, nous avons une gouvernance de l’eau par grand bassin hydrologique reposant sur les agences de l’eau, une planification pluriannuelle, à travers les schémas directeurs d’aménagement et de gestion des eaux (Sdage), des moyens financiers, mobilisés grâce aux redevances – plus de 2 milliards d’euros par an.

Nous avons des collectivités territoriales impliquées dans le petit comme le grand cycle de l’eau, qui se sont parfois regroupées dans des établissements publics de bassin, pour gérer en commun les ressources et les milieux avec, comme philosophie, la démocratie de l’eau.

Bref, nous sommes armés pour faire face aux défis de l’avenir de l’eau, mais nous sommes aussi en difficulté pour définir ce que nous voulons pour mieux gérer notre eau.

D’un point de vue qualitatif, nous continuons à poursuivre un objectif d’excellence, fixé d’ailleurs par les textes européens, comme la directive-cadre sur l’eau. Malheureusement, le bon état des masses d’eau souterraines et de surface ne sera pas atteint à l’échéance retenue par la directive, qui a pourtant déjà été reportée à 2027. Cela ne veut pas dire que nous ne devons pas continuer nos efforts. Lutter contre les pollutions organiques, les nitrates, les résidus de pesticides, les résidus médicamenteux, les pollutions plastiques ou les substances perfluoroalkylées et polyfluoroalkylées (PFAS) est un enjeu de santé publique non négociable.

D’un point de vue quantitatif, l’équation se corse. La priorité doit être la sobriété. C’est en tout cas ce qu’a déclaré le Président de la République en présentant, le 30 mars dernier, le plan Eau du Gouvernement, qui comporte 53 mesures. Nous le disons aussi dans notre rapport d’information.

Toutefois, cela ne doit pas se faire en partant d’un dogme d’interdiction de toute nouvelle retenue d’eau. Gérer l’eau est consubstantiel à la civilisation. Refuser par principe de le faire, c’est se condamner à des difficultés futures pour tous, à commencer par les agriculteurs.

La première recommandation de notre rapport d’information est de permettre de nouvelles retenues, dès lors que le service environnemental et économique rendu est positif.

La deuxième est de mettre en œuvre les solutions de gestion de l’eau fondées sur la nature.

Nous proposons aussi d’accélérer la transformation des pratiques agricoles pour faire face aux tensions hydriques. Disons-le tout net : faire de l’agriculture sans eau est impossible, mais améliorer les systèmes d’irrigation, les pratiques culturales, mieux gérer la ressource, c’est possible, à condition d’accompagner les agriculteurs.

La recherche et l’innovation peuvent aussi être mobilisées pour avancer, par exemple en encourageant la réutilisation des eaux usées traitées, particulièrement utile dans les zones côtières, en bout de bassin. Cette proposition de notre rapport d’information figure dans le plan Eau du Gouvernement.

La question des moyens financiers ne peut être éludée, madame la secrétaire d’État. Notre rapport d’information juge notamment indispensable de rehausser les moyens des agences de l’eau, point sur lequel le plan Eau apporte aussi une réponse.

Notre rapport d’information préconise également de davantage décentraliser la décision publique sur l’eau et de repolitiser les instances de l’eau, qui ne doit pas être l’affaire des seuls techniciens.

Enfin, nous préconisons de faire davantage de pédagogie auprès du grand public pour faire connaître les enjeux de l’eau et faire prendre conscience des efforts que nous allons tous devoir consentir.

Je conclus en insistant sur le fait que les principes de la politique de l’eau ne doivent pas nous faire perdre notre bon sens. J’évoquerai à cette fin nos vieux canaux d’irrigation des Pyrénées-Orientales. Au nom des « débits réservés », on empêche l’eau d’y circuler ; or ils contribuent à recharger la nappe, à ralentir l’écoulement de notre fleuve, la Têt, vers la Méditerranée, et font vivre un maraîchage local vertueux – vous en conviendrez !

Tuer nos agriculteurs ne résoudra pas nos soucis d’eau.

Dès lors, je formule un vœu : que l’on trouve des solutions raisonnables, comme le faisaient nos anciens, car, si l’eau est plus rare, elle n’a pas disparu, et la France ne sera jamais le Sahara. Notre intelligence collective doit nous permettre d’éviter la panne sèche.

Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC. – M. Daniel Breuiller applaudit également.

Debut de section - Permalien
Bérangère Couillard

Monsieur le sénateur Sol, je vous remercie de vos propos introductifs.

Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, trois mois nous séparent du précédent débat sur l’eau au Sénat. En effet, le 10 janvier dernier, nous nous réunissions, dans cet hémicycle, autour de l’enjeu d’une gestion résiliente et concertée de la ressource en eau dans les territoires. À ce moment précis, j’avais déjà pris connaissance avec beaucoup d’attention du rapport d’information de la délégation sénatoriale à la prospective. Je tiens à saluer de nouveau la qualité du travail fourni.

J’ai plaisir à revenir aujourd’hui sur ce sujet, quelques jours après la présentation du plan Eau par le Président de la République. Il s’agit d’un plan très complet, prévoyant 53 mesures et des moyens inédits, qui, je crois, apportent des réponses concrètes à vos préoccupations et à celles des collectivités.

La politique de l’eau est structurée. Elle est bien outillée, mais, le Président de la République l’a confirmé, nous devons aller plus loin pour être à la hauteur des enjeux environnementaux. Nous avons donc travaillé pour définir un plan d’action collectif, à partir d’une concertation notamment avec les comités de bassin, le Comité national de l’eau ainsi que des représentants des collectivités.

Nous avons désormais la méthode, le chemin pour respecter les engagements pris lors des assises de l’eau et dans le cadre du Varenne agricole de l’eau. L’ambition est bien de garantir à long terme un accès à l’eau pour tous, une eau de qualité et des écosystèmes préservés.

Le thème de votre débat s’inscrit dans l’avenir. Je m’en félicite, car je souhaite que nous soyons très concrets dans notre réflexion sur les solutions à apporter pour nous adapter aux bouleversements climatiques. Il y va également de notre avenir.

Mesdames, messieurs les sénateurs, les questions que vous soulèverez lors de ce débat me donneront l’occasion d’entrer plus dans le détail du plan Eau, ce dont je vous remercie. Je me tiens évidemment à votre disposition pour répondre à toutes vos interrogations.

SaLUTATIONS À UN Conseil MUNICIPal EN TRIBUNE

Debut de section - PermalienPhoto de Nathalie Delattre

Mes chers collègues, je salue la présence, dans nos tribunes, de Mme le maire de Sainte-Terre et du conseil municipal des jeunes de cette commune.

Avenir de la ressource en eau : comment en améliorer la gestion ?

Debut de section - PermalienPhoto de Nathalie Delattre

Dans la suite du débat, la parole est à M. Alain Joyandet.

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Joyandet

Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, c’est sur la longue histoire de la gouvernance de la gestion de l’eau en milieu rural que je concentrerai mon propos.

Une majorité de communes rurales veulent conserver la gestion de l’eau, ce qui est sans doute conforme à l’intérêt général. Reste que le parcours du combattant qui leur est imposé les épuise. Ici, nous sommes leurs porte-voix, mais pas seulement, puisque nous défendons aussi des textes. J’espère que, étape après étape, nous finirons par obtenir satisfaction – mais à quel prix ? Quel temps perdu !

Je rappelle ce parcours. Il commence en 2015, avec la fameuse loi portant nouvelle organisation territoriale de la République, dite NOTRe, qui oblige au transfert des compétences eau et assainissement des communes vers les communautés de communes. Ce parcours est émaillé de propositions de loi. J’en ai notamment déposé une, avec un certain nombre de collègues, en 2017. En 2017 toujours, la proposition de loi Retailleau a été adoptée, qui fait de nouveau de l’eau une compétence optionnelle. En 2018, une nouvelle loi a permis de repousser le transfert de 2020 à 2026, ce qui démontre bien l’existence d’un problème, le Gouvernement ayant accepté ce report.

Je mentionnerai d’autres étapes, comme la proposition de loi que j’ai déposée en 2020, avec un certain nombre de collègues. En 2022, une nouvelle loi a permis le maintien des syndicats infracommunautaires : on est donc passé de trois communautés de communes, à deux, puis une, nouvelle preuve qu’il existe véritablement un problème.

Mathieu Darnaud a déposé de nouveau une proposition de loi le 22 juin 2022. Puis, en 2023, une proposition de loi visant à permettre une gestion différenciée des compétences eau et assainissement, qui fait passer les compétences eau et assainissement dans la catégorie des compétences optionnelles, est adoptée : 329 suffrages exprimés, 259 voix pour, 70 voix contre.

Voyez, madame la secrétaire d’État, que c’est sur toutes les travées de cet hémicycle que l’on considère qu’il y a un problème et qu’il faut y apporter une solution !

Enfin, neuvième étape, voilà quelques jours, votre ministre de tutelle a déclaré, ici même, lors de la séance de questions d’actualité au Gouvernement – j’espère le citer fidèlement – que ce n’est pas « nécessairement » l’intercommunalité – contrairement, je le rappelle, à ce que prévoit le texte actuel –, en précisant aussitôt que ce n’est pas non plus les « communes isolées ».

Madame la ministre, qu’est-ce que cela signifie ? Des milliers de communes attendent de savoir ce qu’elles doivent faire d’ici à 2026. Celles qui ont anticipé le transfert, pensant qu’il allait arriver de toute façon, constatent que, pour un grand nombre d’intercommunalités en milieu rural, la situation est absolument ingouvernable ! On embauche des dizaines de fonctionnaires territoriaux supplémentaires, ce qui a pour conséquence l’augmentation des prix. Dans mon département, il y a même une intercommunalité qui ne peut pas envoyer les factures d’eau à ses concitoyens depuis un an et demi…

Je ne dis pas qu’il ne faut pas faire le transfert ; je fais simplement partie de ceux qui estiment qu’il faut refaire de l’eau une compétence optionnelle et, surtout, laisser les élus décider. Nos collègues élus locaux ont du bon sens et du sérieux. Ils sont, bien sûr, attachés à la quantité et à la qualité de l’eau !

Il est intolérable que des mesures venues d’en haut s’imposent à tout le monde, avec pour conséquence une multiplication par trois du prix de l’eau dans des communes rurales, sans que l’eau ait changé en quoi que ce soit. Que le tarif de l’eau augmente, parce que l’on a fait des travaux pour améliorer les réseaux, la filtration ou la qualité, est normal. Si le service public coûte plus cher, cela doit correspondre à une amélioration !

Madame la secrétaire d’État, un certain nombre d’entre nous se battent pour défendre l’intérêt de nos concitoyens. Quand on a déjà tellement d’inconvénients au quotidien en zone rurale – vous le savez –, doit-on dire aux gens qu’il faut augmenter le prix de l’eau parce que c’est la mode, parce que l’eau est notre avenir ?

Une représentante du Gouvernement dans mon département m’a même dit que c’étaient la qualité de l’eau et la santé de nos enfants qui étaient en jeu. Pourquoi casser ce qui marche bien chez nous, dans une petite commune où tout va bien, où l’eau est bonne, suffisante, où le fontainier, souvent bénévole, fait un travail extraordinaire depuis vingt-cinq ans, au prétexte qu’il faudrait que tout soit exactement pareil, quels que soient les territoires et l’importance des collectivités ?

Madame la secrétaire d’État, je vous supplie de faire l’exégèse des propos du ministre et de nous transmettre un texte le plus vite possible, de manière que des milliers de communes sachent ce qu’elles doivent faire…

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Joyandet

… ou ne pas faire avant 2026.

D’avance, je vous remercie de vos réponses !

Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.

Debut de section - Permalien
Bérangère Couillard, secrétaire d'État auprès du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée de l'écologie

Monsieur le sénateur Joyandet, je tiens à rappeler que, pour 88 % des communes, c'est déjà l'intercommunalité qui assume la compétence eau et assainissement. La mutualisation sous la forme de l'intercommunalité est donc largement enclenchée pour ces communes. Les communes qui assument seules la compétence sont concentrées dans certains départements. C'est par exemple le cas des Hautes-Alpes, où le Président de la République a annoncé le plan Eau.

À cette occasion, le chef de l'État a rappelé l'importance de la mutualisation dans la capacité d'ingénierie, la capacité d'investissement, ainsi que la capacité d'innovation. Je crois que c'est essentiel pour garantir un service public efficace et, surtout, un niveau de service que méritent nos usagers.

Monsieur le sénateur, vous avez cité des exemples de communes où cela fonctionne bien. Bien sûr, il en existe, mais il y a aussi 2 000 communes qui ont connu des tensions dans l'approvisionnement en eau potable. Une large majorité d'entre elles étaient des communes isolées. Des travaux de sécurisation sont nécessaires pour améliorer leur résilience. Les 170 communes dont le rendement est de 50 % seulement sont des communes isolées. Il existe donc bel et bien un lien entre l'isolement des communes et la baisse de rendement.

Des moyens financiers sont apportés pour soutenir les collectivités en difficulté. L'État a engagé 100 millions d'euros complémentaires aux agences de l'eau en 2022 et 100 autres millions d'euros en 2023. Cela ne suffira pas : il faut que les collectivités agissent et aient la capacité d'ingénierie nécessaire.

C'est pourquoi le Gouvernement ne souhaite pas revenir sur le transfert des compétences eau et assainissement à l'échelon communal. Mes propos seront identiques à ceux que Christophe Béchu a tenus ici même – je m'en souviens très bien, puisque j'étais présente.

Debut de section - Permalien
Bérangère Couillard

Monsieur le sénateur Joyandet, je tiens à rappeler que, pour 88 % des communes, c’est déjà l’intercommunalité qui assume la compétence eau et assainissement. La mutualisation sous la forme de l’intercommunalité est donc largement enclenchée pour ces communes. Les communes qui assument seules la compétence sont concentrées dans certains départements. C’est par exemple le cas des Hautes-Alpes, où le Président de la République a annoncé le plan Eau.

À cette occasion, le chef de l’État a rappelé l’importance de la mutualisation dans la capacité d’ingénierie, la capacité d’investissement, ainsi que la capacité d’innovation. Je crois que c’est essentiel pour garantir un service public efficace et, surtout, un niveau de service que méritent nos usagers.

Monsieur le sénateur, vous avez cité des exemples de communes où cela fonctionne bien. Bien sûr, il en existe, mais il y a aussi 2 000 communes qui ont connu des tensions dans l’approvisionnement en eau potable. Une large majorité d’entre elles étaient des communes isolées. Des travaux de sécurisation sont nécessaires pour améliorer leur résilience. Les 170 communes dont le rendement est de 50 % seulement sont des communes isolées. Il existe donc bel et bien un lien entre l’isolement des communes et la baisse de rendement.

Des moyens financiers sont apportés pour soutenir les collectivités en difficulté. L’État a engagé 100 millions d’euros complémentaires aux agences de l’eau en 2022 et 100 autres millions d’euros en 2023. Cela ne suffira pas : il faut que les collectivités agissent et aient la capacité d’ingénierie nécessaire.

C’est pourquoi le Gouvernement ne souhaite pas revenir sur le transfert des compétences eau et assainissement à l’échelon communal. Mes propos seront identiques à ceux que Christophe Béchu a tenus ici même – je m’en souviens très bien, puisque j’étais présente.

Debut de section - Permalien
Bérangère Couillard, secrétaire d'État

S'il peut y avoir une remise en cause de l'intercommunalité, il n'en est aucunement de même pour la mutualisation. L'échelon communal ne semble donc pas correspondre aux besoins, surtout pour les communes qui sont aujourd'hui en manque d'eau, particulièrement durant les périodes estivales.

Il a notamment été annoncé qu'une mission parlementaire allait être prochainement lancée pour examiner les solutions aux situations où l'intercommunalité ne répondait pas aux besoins du territoire, et uniquement pour ce cas.

Il est évidemment possible de revoir l'intercommunalité, mais pas la mutualisation. C'est l'esprit même de ce que le ministre a défendu, et que je réitère ici.

Debut de section - Permalien
Bérangère Couillard

S’il peut y avoir une remise en cause de l’intercommunalité, il n’en est aucunement de même pour la mutualisation. L’échelon communal ne semble donc pas correspondre aux besoins, surtout pour les communes qui sont aujourd’hui en manque d’eau, particulièrement durant les périodes estivales.

Il a notamment été annoncé qu’une mission parlementaire allait être prochainement lancée pour examiner les solutions aux situations où l’intercommunalité ne répondait pas aux besoins du territoire, et uniquement pour ce cas.

Il est évidemment possible de revoir l’intercommunalité, mais pas la mutualisation. C’est l’esprit même de ce que le ministre a défendu, et que je réitère ici.

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Joyandet

Madame la secrétaire d'État, vos propos ne répondent pas à ma question, …

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Joyandet

Madame la secrétaire d’État, vos propos ne répondent pas à ma question, …

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Joyandet

… puisque vous n'arbitrez pas. Je n'en suis d'ailleurs pas surpris.

Vous savez tout de même qu'aujourd'hui une intercommunalité a la possibilité de prendre la compétence puis de décider, dans la demi-heure qui suit, de la redéléguer aux communes ! Faisons donc ainsi : demandons aux intercommunalités de délibérer, de prendre la compétence et de la redéléguer aux communes dans la demi-heure qui suit.

Madame la secrétaire d'État, le texte est ainsi ! Pourquoi ne pas clarifier les choses ?

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Joyandet

… puisque vous n’arbitrez pas. Je n’en suis d’ailleurs pas surpris.

Vous savez tout de même qu’aujourd’hui une intercommunalité a la possibilité de prendre la compétence puis de décider, dans la demi-heure qui suit, de la redéléguer aux communes ! Faisons donc ainsi : demandons aux intercommunalités de délibérer, de prendre la compétence et de la redéléguer aux communes dans la demi-heure qui suit.

Madame la secrétaire d’État, le texte est ainsi ! Pourquoi ne pas clarifier les choses ?

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Joyandet

Pour ma part, je ne demande d'obligation ni dans un sens ni dans l'autre. Je demande simplement de redonner aux élus locaux le pouvoir de décider.

Bien sûr qu'il faut agir dans les communes où il n'y a plus d'eau ! De fait, elles le font, elles ne nous ont pas attendus. Dans mon département, il existe, depuis trente ans, des syndicats qui regroupent 17 ou 18 communes.

Faisons donc confiance à nos élus locaux, madame la secrétaire d'État. Pourquoi vouloir encore faire un truc alambiqué ? « Pas l'intercommunalité, mais pas la commune » : qu'est-ce que cela signifie ? Faut-il refaire une mission parlementaire, alors qu'il serait tellement facile de dire que, dans les communes de moins de 20 000 habitants, par exemple, on remet l'eau dans les compétences optionnelles ? Un peu de simplification et de bon sens ! §

Je vous invite à venir faire un petit séjour en Haute-Saône. Vous y serez reçue cordialement !

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Joyandet

Pour ma part, je ne demande d’obligation ni dans un sens ni dans l’autre. Je demande simplement de redonner aux élus locaux le pouvoir de décider.

Bien sûr qu’il faut agir dans les communes où il n’y a plus d’eau ! De fait, elles le font, elles ne nous ont pas attendus. Dans mon département, depuis trente ans, il existe des syndicats qui regroupent dix-sept ou dix-huit communes.

Faisons donc confiance à nos élus locaux, madame la secrétaire d’État. Pourquoi vouloir encore faire un truc alambiqué ? « Pas l’intercommunalité, mais pas la commune » : qu’est-ce que cela signifie ? Faut-il refaire une mission parlementaire, alors qu’il serait tellement facile de dire que, dans les communes de moins de 20 000 habitants par exemple, on remet l’eau dans les compétences optionnelles ? Un peu de simplification et de bon sens !

M. Alain Chatillon acquiesce.

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Joyandet

Je vous invite à venir faire un petit séjour en Haute-Saône. Vous y serez reçue cordialement !

Debut de section - PermalienPhoto de Vanina Paoli-Gagin

Madame la présidente, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, lors de son dernier discours devant le Parlement néo-zélandais, Jacinda Ardern, ancienne Première ministre de Nouvelle-Zélande, a déclaré que le changement climatique définissait notre génération de politiciens. Je partage cette affirmation.

Sur toutes les travées de cet hémicycle et sur tous les bancs de celui de la rue de l'Université, malgré des sensibilités différentes, nous essayons de lutter contre le dérèglement climatique et ses effets. Nos visions pour y parvenir ne sont à l'évidence pas les mêmes.

Pourtant, les conséquences sont déjà là. Nous les subissons et essayons de nous adapter. C'est en cela que, quoi que nous pensions et même si nous avons beau ne pas nous occuper du changement climatique, on peut dire que celui-ci s'occupe de nous.

L'avenir de la ressource en eau en est l'exemple parfait. Je ne pense pas me tromper : nous souhaitons tous une gestion améliorée de cette ressource vitale.

L'eau régule l'ensemble du cycle de vie et notre environnement : nos mers et océans abritent une biodiversité essentielle à la vie et absorbent une part importante de notre pollution en CO2. L'accès à l'eau, à travers le monde, est l'un des principaux enjeux pour nombre de populations et, bien souvent, malheureusement, la source de conflits meurtriers. Face à cette rareté, les solutions impliquent de travailler à l'échelle mondiale, à la chaîne d'approvisionnement globale en eau, à commencer par les glaciers.

La qualité de l'eau est évidemment tout aussi importante. Les récentes détections dans notre eau potable d'un pesticide interdit depuis des années relancent ce sujet. Madame la secrétaire d'État, quelles sont les pistes envisagées en matière de gestion pour juguler des risques de ce type ? Comment s'attaquer aux causes de ces pollutions ? Surtout, comment accélérer – je vous sais sensible à ce sujet – les homologations de nouveaux produits, comme les biocontrôles, en substitution aux pesticides chimiques, sachant que l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses) et ses homologues européens sont sursaturés ?

Le stress hydrique que nous subissons depuis l'été dernier, par périodes répétées et toujours plus fréquentes, participe à nos questionnements sur l'état de cette ressource. Si nous faisons le point sur la qualité de l'eau, son manque, sur certains de nos territoires, ainsi que sur les hausses de sa consommation, nous devons inévitablement parler gestion.

C'est là que la vision libérale de l'écologie que défend le groupe Les Indépendants – République et Territoires prend tout son sens. Il est impossible de revenir en arrière, avec les méthodes d'autres siècles, pour gérer une ressource confrontée à de nouvelles problématiques. Nous sommes simplement trop avancés dans le changement climatique ; les solutions qui comptent viendront de l'innovation et de la recherche. Nous ne pouvons nous adapter qu'en regardant devant, avec un devoir d'anticiper et de prévenir.

Il faut réaliser les investissements nécessaires dans nos réseaux, dans un pilotage optimisé et une gestion intelligente de l'eau. Le système a besoin de clarifications quant aux responsabilités qui incombent à chacun, notamment au sein des collectivités.

Je salue le plan sobriété que vous avez lancé, madame la secrétaire d'État, avec certains de vos collègues. Nombre de ses propositions rejoignent ce en quoi nous croyons et ce sur quoi nous axons notre travail.

J'évoquais à l'instant la recherche et l'innovation : il est pertinent d'actualiser nos projections hydrologiques et d'évaluer les perspectives. Nous serons plus réactifs dans une gestion que je conçois comme flexible, pour une adaptation rapide. Je suis, à cet égard, particulièrement sensible aux outils qui nous permettront de prendre en compte l'aménagement de nos territoires, dans leurs spécificités. En effet, la ressource en eau n'est pas la même en Aveyron, dans l'Aube ou en Corse. Nous devons partager nos bonnes pratiques et trouver les solutions et les meilleurs instruments en fonction de nos besoins propres, qui dépendent des territoires dans lesquels nous sommes.

Vous le savez, je crois aussi beaucoup en la sensibilisation et la formation, madame la secrétaire d'État. Nous avons besoin de gens formés dans la gestion de l'eau et de sa préservation. Qu'envisagez-vous concernant la formation, notamment d'ingénieurs, en ce domaine ?

Sur le volet financement, votre plan met en lumière une nouvelle génération d'Aqua Prêts à taux bonifié. Pouvez-vous nous expliquer les évolutions que vous prévoyez ? Quid du crédit d'impôt sur les récupérateurs d'eau dans les zones en tension ? Nous avons également besoin de vos éclairages sur ce sujet.

Enfin, je ne saurais conclure sans évoquer le sujet de la tarification progressive de l'eau, sur laquelle le Conseil économique, social et environnemental (Cese) sera saisi. Je forme le vœu que le plus d'acteurs possible, notamment des praticiens, soient associés à la réflexion.

La gestion de notre ressource en eau sera de plus en plus complexifiée par le changement climatique. Une bonne gestion impliquera un pilotage fin, qui devra allier flexibilité et adaptabilité, pour répondre à tous les enjeux de nos territoires. La recherche et l'innovation devront nous y aider.

Debut de section - Permalien
Bérangère Couillard, secrétaire d'État auprès du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée de l'écologie

Je vais avoir besoin d'un plus que les deux minutes qui me sont imparties pour répondre à toutes ces questions !

Debut de section - PermalienPhoto de Vanina Paoli-Gagin

Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, lors de son dernier discours devant le Parlement néo-zélandais, Jacinda Ardern, ancienne Première ministre de Nouvelle-Zélande, a déclaré que le changement climatique définissait notre génération de politiciens. Je partage cette affirmation.

Sur toutes les travées de cet hémicycle et sur tous les bancs de celui de la rue de l’Université, malgré des sensibilités différentes, nous essayons de lutter contre le dérèglement climatique et ses effets. Nos visions pour y parvenir ne sont à l’évidence pas les mêmes.

Pourtant, les conséquences sont déjà là. Nous les subissons et essayons de nous adapter. C’est en cela que, quoi que nous pensions et même si nous avons beau ne pas nous occuper du changement climatique, on peut dire que celui-ci s’occupe de nous.

L’avenir de la ressource en eau en est l’exemple parfait. Je ne pense pas me tromper : nous souhaitons tous une gestion améliorée de cette ressource vitale.

L’eau régule l’ensemble du cycle de vie et notre environnement : nos mers et océans abritent une biodiversité essentielle à la vie et absorbent une part importante de notre pollution en CO2. L’accès à l’eau, à travers le monde, est l’un des principaux enjeux pour nombre de populations et, bien souvent, malheureusement, la source de conflits meurtriers. Face à cette rareté, les solutions impliquent de travailler à l’échelle mondiale, à la chaîne d’approvisionnement globale en eau, à commencer par les glaciers.

La qualité de l’eau est évidemment tout aussi importante. Les récentes détections dans notre eau potable d’un pesticide interdit depuis des années relancent ce sujet. Madame la secrétaire d’État, quelles sont les pistes envisagées en matière de gestion pour juguler des risques de ce type ? Comment s’attaquer aux causes de ces pollutions ? Surtout, comment accélérer – je vous sais sensible à ce sujet – les homologations de nouveaux produits, comme les biocontrôles, en substitution aux pesticides chimiques, sachant que l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) et ses homologues européens sont sursaturés ?

Le stress hydrique que nous subissons depuis l’été dernier, par périodes répétées et toujours plus fréquentes, participe à nos questionnements sur l’état de cette ressource. Si nous faisons le point sur la qualité de l’eau, son manque, sur certains de nos territoires, ainsi que sur les hausses de sa consommation, nous devons inévitablement parler gestion.

C’est là que la vision libérale de l’écologie que défend le groupe Les Indépendants – République et Territoires prend tout son sens. Il est impossible de revenir en arrière, avec les méthodes d’autres siècles, pour gérer une ressource confrontée à de nouvelles problématiques. Nous sommes simplement trop avancés dans le changement climatique ; les solutions qui comptent viendront de l’innovation et de la recherche. Nous ne pouvons nous adapter qu’en regardant devant, avec un devoir d’anticiper et de prévenir.

Il faut réaliser les investissements nécessaires dans nos réseaux, dans un pilotage optimisé et une gestion intelligente de l’eau. Le système a besoin de clarifications quant aux responsabilités qui incombent à chacun, notamment au sein des collectivités.

Je salue le plan sobriété que vous avez lancé, madame la secrétaire d’État, avec certains de vos collègues. Nombre de ses propositions rejoignent ce en quoi nous croyons et ce sur quoi nous axons notre travail.

J’évoquais à l’instant la recherche et l’innovation : il est pertinent d’actualiser nos projections hydrologiques et d’évaluer les perspectives. Nous serons plus réactifs dans une gestion que je conçois comme flexible, pour une adaptation rapide. Je suis, à cet égard, particulièrement sensible aux outils qui nous permettront de prendre en compte l’aménagement de nos territoires, dans leurs spécificités. En effet, la ressource en eau n’est pas la même en Aveyron, dans l’Aube ou en Corse. Nous devons partager nos bonnes pratiques et trouver les solutions et les meilleurs instruments en fonction de nos besoins propres, qui dépendent des territoires dans lesquels nous sommes.

Vous le savez, je crois aussi beaucoup en la sensibilisation et la formation, madame la secrétaire d’État. Nous avons besoin de gens formés dans la gestion de l’eau et de sa préservation. Qu’envisagez-vous concernant la formation, notamment d’ingénieurs, en ce domaine ?

Sur le volet financement, votre plan met en lumière une nouvelle génération d’Aqua Prêts à taux bonifié. Pouvez-vous nous expliquer les évolutions que vous prévoyez ? Quid du crédit d’impôt sur les récupérateurs d’eau dans les zones en tension ? Nous avons également besoin de vos éclairages sur ce sujet.

Enfin, je ne saurais conclure sans évoquer le sujet de la tarification progressive de l’eau, sur laquelle le Conseil économique, social et environnemental (Cese) sera saisi. Je forme le vœu que le plus d’acteurs possible, notamment des praticiens, soient associés à la réflexion.

La gestion de notre ressource en eau sera de plus en plus complexifiée par le changement climatique. Une bonne gestion impliquera un pilotage fin, qui devra allier flexibilité et adaptabilité, pour répondre à tous les enjeux de nos territoires. La recherche et l’innovation devront nous y aider.

Debut de section - Permalien
Bérangère Couillard, secrétaire d'État

C'est du manque de temps que je me plains, monsieur le sénateur, car mon souhait est de pouvoir répondre à toutes vos questions…

Madame la sénatrice Paoli-Gagin, vous avez raison : le sujet de l'eau est mondial. Je suis d'ailleurs très heureuse d'avoir participé à la conférence des Nations unies qui s'est tenue à New York sur cette question il y a une quinzaine de jours. Voilà quarante-six ans qu'une telle conférence n'avait pas eu lieu, alors même qu'elle permet d'évoquer ces questions avec de nombreux pays à travers le monde. C'est en effet un sujet éminemment important pour les prochaines décennies.

Bien évidemment, fournir une eau de qualité est une nécessité, pour la santé de toutes les personnes à l'échelle mondiale, mais aussi, bien sûr, pour la santé des Français.

On observe bien une tendance à la dégradation de la qualité chimique des eaux souterraines. Je rappelle tout de même que le dépassement du seuil de potabilité est une alerte qui ne signifie pas un danger imminent pour la santé des Français. C'est un signal sur la nécessité d'agir pour inverser la tendance. L'eau potable vient, aux deux tiers, des nappes. Il convient donc de mieux prévenir les pollutions diffuses, à l'échelle des aires d'alimentation de captage.

Pour cela, nous allons accompagner des évolutions de pratiques agricoles, pour utiliser moins de pesticides, moins d'engrais chimiques dans ces zones particulièrement sensibles. Vous avez raison, la question du biocontrôle m'importe. C'est une solution qui peut permettre d'utiliser moins de produits chimiques.

Au cours du précédent mandat, des enveloppes ont été déployées pour doper la recherche dans ce domaine : avant d'interdire l'usage de telle ou telle molécule, il faut trouver une solution de substitution relevant du biocontrôle. Un tel fonds permet précisément de mener les recherches nécessaires.

En outre, nous souhaitons accompagner les nouvelles générations pour favoriser l'installation en bio et en agroécologie.

Dans la même logique, nous apporterons 100 millions d'euros supplémentaires pour soutenir financièrement les agriculteurs qui utilisent moins d'intrants.

Évidemment, le niveau européen a toute son importance. Le règlement pour un usage durable des pesticides, ou règlement SUR (Sustainable Use of pesticides), est précisément en cours de négociation. Notre ambition, à ce titre, c'est une meilleure protection des captages.

Nous allons aussi agir plus vite en cas de dépassement d'un seuil sanitaire. Si la molécule en question est toujours utilisée, le préfet mettra automatiquement en œuvre un certain nombre de mesures en complément du plan de gestion de la sécurité sanitaire des eaux de la collectivité.

Madame la sénatrice, vous m'avez interrogée au sujet du crédit d'impôt pour les récupérateurs d'eau de pluie : nous sommes en train d'instruire les conditions de sa réactivation. Je ne manquerai pas de vous tenir informée de l'avancée de ces travaux.

Vous avez également abordé le sujet de la formation. Nous avons, en France, la chance d'avoir des établissements d'enseignement supérieur reconnus, et même réputés, pour la qualité de leur formation, notamment au sujet de l'eau...

Debut de section - PermalienPhoto de Nathalie Delattre

Madame la secrétaire d'État, vous pourrez poursuivre lors de votre prochaine intervention.

Debut de section - Permalien
Bérangère Couillard

Je vais avoir besoin d’un plus que les deux minutes qui me sont imparties pour répondre à toutes ces questions !

Debut de section - PermalienPhoto de François Bonhomme

M. François Bonhomme. Nous allons y revenir, ne vous inquiétez pas !

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-François Husson

C’est l’exercice, madame la secrétaire d’État !

Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.

Debut de section - Permalien
Bérangère Couillard

C’est du manque de temps que je me plains, monsieur le sénateur, car mon souhait est de pouvoir répondre à toutes vos questions…

Madame la sénatrice Paoli-Gagin, vous avez raison : le sujet de l’eau est mondial. Je suis d’ailleurs très heureuse d’avoir participé à la conférence des Nations unies qui s’est tenue à New York sur cette question il y a une quinzaine de jours. Voilà quarante-six ans qu’une telle conférence n’avait pas eu lieu, alors même qu’elle permet d’évoquer ces questions avec de nombreux pays à travers le monde. C’est en effet un sujet éminemment important pour les prochaines décennies.

Bien évidemment, fournir une eau de qualité est une nécessité, pour la santé de toutes les personnes à l’échelle mondiale, mais aussi, bien sûr, pour la santé des Français.

On observe bien une tendance à la dégradation de la qualité chimique des eaux souterraines. Je rappelle tout de même que le dépassement du seuil de potabilité est une alerte qui ne signifie pas un danger imminent pour la santé des Français. C’est un signal sur la nécessité d’agir pour inverser la tendance. L’eau potable vient, aux deux tiers, des nappes. Il convient donc de mieux prévenir les pollutions diffuses, à l’échelle des aires d’alimentation de captage.

Pour cela, nous allons accompagner des évolutions de pratiques agricoles, pour utiliser moins de pesticides, moins d’engrais chimiques dans ces zones particulièrement sensibles. Vous avez raison, la question du biocontrôle m’importe. C’est une solution qui permet d’utiliser moins de produits chimiques.

Au cours du précédent mandat, des enveloppes ont été déployées pour doper la recherche dans ce domaine : avant d’interdire l’usage de telle ou telle molécule, il faut trouver une solution de substitution relevant du biocontrôle. Un tel fonds permet précisément de mener les recherches nécessaires.

En outre, nous souhaitons accompagner les nouvelles générations pour favoriser l’installation en bio et en agroécologie.

Dans la même logique, nous apporterons 100 millions d’euros supplémentaires pour soutenir financièrement les agriculteurs qui utilisent moins d’intrants.

Évidemment, l’échelon européen a toute son importance. Le règlement pour un usage durable des pesticides, ou SUR (Sustainable Use of pesticides Regulation), est précisément en cours de négociation. Notre ambition, à ce titre, c’est une meilleure protection des captages.

Nous allons aussi agir plus vite en cas de dépassement d’un seuil sanitaire. Si la molécule en question est toujours utilisée, le préfet mettra automatiquement en œuvre un certain nombre de mesures en complément du plan de gestion de la sécurité sanitaire des eaux de la collectivité.

Madame la sénatrice, vous m’avez interrogée au sujet du crédit d’impôt pour les récupérateurs d’eau de pluie : nous sommes en train d’instruire les conditions de sa réactivation. Je ne manquerai pas de vous tenir informée de l’avancée de ces travaux.

Vous avez également abordé le sujet de la formation. Nous avons, en France, la chance d’avoir des établissements d’enseignement supérieur reconnus, et même réputés, pour la qualité de leur formation, notamment au sujet de l’eau…

Debut de section - Permalien
Bérangère Couillard

C’est du manque de temps que je me plains, monsieur le sénateur, car mon souhait est de pouvoir répondre à toutes vos questions…

Madame la sénatrice Paoli-Gagin, vous avez raison : le sujet de l’eau est mondial. Je suis d’ailleurs très heureuse d’avoir participé à la conférence des Nations unies qui s’est tenue à New York sur cette question il y a une quinzaine de jours. Voilà quarante-six ans qu’une telle conférence n’avait pas eu lieu, alors même qu’elle permet d’évoquer ces questions avec de nombreux pays à travers le monde. C’est en effet un sujet éminemment important pour les prochaines décennies.

Bien évidemment, fournir une eau de qualité est une nécessité, pour la santé de toutes les personnes à l’échelle mondiale, mais aussi, bien sûr, pour la santé des Français.

On observe bien une tendance à la dégradation de la qualité chimique des eaux souterraines. Je rappelle tout de même que le dépassement du seuil de potabilité est une alerte qui ne signifie pas un danger imminent pour la santé des Français. C’est un signal sur la nécessité d’agir pour inverser la tendance. L’eau potable vient, aux deux tiers, des nappes. Il convient donc de mieux prévenir les pollutions diffuses, à l’échelle des aires d’alimentation de captage.

Pour cela, nous allons accompagner des évolutions de pratiques agricoles, pour utiliser moins de pesticides, moins d’engrais chimiques dans ces zones particulièrement sensibles. Vous avez raison, la question du biocontrôle m’importe. C’est une solution qui permet d’utiliser moins de produits chimiques.

Au cours du précédent mandat, des enveloppes ont été déployées pour doper la recherche dans ce domaine : avant d’interdire l’usage de telle ou telle molécule, il faut trouver une solution de substitution relevant du biocontrôle. Un tel fonds permet précisément de mener les recherches nécessaires.

En outre, nous souhaitons accompagner les nouvelles générations pour favoriser l’installation en bio et en agroécologie.

Dans la même logique, nous apporterons 100 millions d’euros supplémentaires pour soutenir financièrement les agriculteurs qui utilisent moins d’intrants.

Évidemment, l’échelon européen a toute son importance. Le règlement pour un usage durable des pesticides, ou règlement SUR (Sustainable Use of pesticides), est précisément en cours de négociation. Notre ambition, à ce titre, c’est une meilleure protection des captages.

Nous allons aussi agir plus vite en cas de dépassement d’un seuil sanitaire. Si la molécule en question est toujours utilisée, le préfet mettra automatiquement en œuvre un certain nombre de mesures en complément du plan de gestion de la sécurité sanitaire des eaux de la collectivité.

Madame la sénatrice, vous m’avez interrogée au sujet du crédit d’impôt pour les récupérateurs d’eau de pluie : nous sommes en train d’instruire les conditions de sa réactivation. Je ne manquerai pas de vous tenir informée de l’avancée de ces travaux.

Vous avez également abordé le sujet de la formation. Nous avons, en France, la chance d’avoir des établissements d’enseignement supérieur reconnus, et même réputés, pour la qualité de leur formation, notamment au sujet de l’eau…

Debut de section - PermalienPhoto de Nathalie Delattre

Madame la secrétaire d’État, vous pourrez poursuivre lors de votre prochaine intervention.

Debut de section - PermalienPhoto de Daniel Breuiller

Avant tout, je tiens à remercier notre collègue Jean Sol et la délégation à la prospective d'avoir demandé ce débat.

Madame la présidente, mes chers collègues, j'ai écouté, comme nous tous ici, les déclarations du Président de la République à propos de l'eau. J'ai eu la satisfaction d'entendre que des propositions que nous avions défendues en projet de loi de finances et qui avaient alors été rejetées étaient reprises dans le plan Eau. Je pense au plafond mordant des agences de l'eau, à la tarification progressive de l'eau, à l'augmentation des financements à l'agriculture biologique et pour la sortie des engrais azotés de synthèse, ou encore au développement des paiements pour services environnementaux, même si, pour ces trois mesures, nous proposions un accompagnement sur tout le territoire et non pas seulement sur les aires de captage.

Madame la secrétaire d'État, afin d'accélérer votre action contre les dérèglements climatiques et pour une gestion durable de l'eau, n'hésitez pas à consulter nos amendements passés et nos propositions actuelles. §En voici quelques-unes.

Notre première suggestion porte sur la qualité de l'eau. Cet enjeu essentiel est traité de manière trop superficielle dans le plan présidentiel.

La moitié des masses d'eau sont polluées par des plastiques, des nitrates, des herbicides et des pesticides. Or, sur ce sujet, vous ne dites rien ou presque. Pis, au lendemain de l'annonce du plan Eau, le ministre de l'agriculture – et des pesticides… – demandait à l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail de revenir sur l'interdiction de l'herbicide S-métolachlore. Il témoignait, ce faisant, d'un remarquable sens des priorités : deux jours après étaient rendues publiques de nouvelles études confirmant la non-conformité d'un tiers de l'eau distribuée en France en raison de la présence de métabolite chlorothalonil R471 811.

Pour la qualité de l'eau, nous revendiquons un grand plan d'appui à la transition de l'agriculture vers l'agroécologie, un plan massif en faveur de l'agriculture biologique. En effet, ces dernières reposent sur des pratiques sobres en eau et permettent de retenir l'eau dans les sols par les haies, les couverts végétaux, les prairies ou les rotations longues.

La nature a ses propres solutions et les agriculteurs ont toujours répondu aux demandes de la Nation. Encore faut-il les engager sur ce chemin au lieu de défendre un modèle qui, s'il craque face aux pénuries, reste rentable pour l'agro-industrie.

Notre seconde suggestion porte sur la gestion quantitative.

Les assises de l'eau ont fixé, en 2019, un objectif de réduction de 10 % des consommations à échéance 2024. Vous le reprenez, mais à échéance 2030. Or la situation se dégrade vite : on ne peut repousser de telles échéances, exonérer l'agriculture, qui consomme 56 % de la ressource, ou encore l'industrie, dont les développements espérés, potentiellement très consommateurs, peuvent provoquer des tensions. Le projet d'extension de STMicroelectronics à Crolles en est l'illustration.

Les membres du groupe Écologiste – Solidarité et Territoires souhaitent également un moratoire sur les projets à fort impact sur les cycles de l'eau et non compatibles avec les bouleversements climatiques, qu'il s'agisse des mégabassines, des réserves d'eau pour canons à neige ou de la ligne ferroviaire Lyon-Turin.

Il est aussi primordial de considérer les évolutions de la ressource en eau dans nos choix énergétiques. Je pense notamment aux risques liés à la baisse du débit d'étiage des fleuves. Il va diminuer de 20 % à 40 % d'ici à 2050. De combien va-t-il chuter d'ici à 2100, date de fin de vie de vos potentiels futurs EPR ?

Je n'oublie pas non plus les impacts de ces choix sur les milieux aquatiques, la biodiversité et la qualité de l'eau. L'été, il faudra choisir entre la préservation des milieux, la fourniture d'eau potable, la production d'électricité et l'agriculture. Qui arbitrera ? Comment le fera-t-on sans conflit ?

Pour nous, c'est à la science partagée et à la démocratie qu'il revient d'arbitrer. Nous demandons la réalisation d'études académiques en amont de tout projet affectant le cycle de l'eau et le partage des ressources.

Madame la secrétaire d'État, il y aura de plus en plus de conflits d'usage. Au fond, ce qui s'est passé à Sainte-Soline n'est que l'illustration de tensions beaucoup plus nombreuses, mais parfois moins visibles ou moins médiatisées.

L'agriculture a besoin d'eau, mais elle en a davantage besoin dans les sols que dans des mégabassines. Elle en a besoin pour alimenter des systèmes d'irrigation vertueux.

Debut de section - PermalienPhoto de François Bonhomme

M. François Bonhomme. Nous allons y revenir, ne vous inquiétez pas !

M. Laurent Duplomb s'exclame.

Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.

Debut de section - PermalienPhoto de Daniel Breuiller

Pour que les conflits d'usage ne deviennent pas des conflits violents, il faut trouver des réponses démocratiques plutôt que sécuritaires.

À l'échelle de nos territoires, les commissions locales de l'eau (CLE) et les projets de territoire pour la gestion de l'eau (PTGE) doivent être généralisés. Surtout, ils doivent être réellement ouverts à tous, sans omission des associations environnementales ou de la Confédération paysanne, comme c'est le cas ici ou là.

À l'échelle nationale, les élus du groupe Écologiste – Solidarité et Territoires vous proposent d'organiser une convention citoyenne de l'eau, portant sur les chemins de sobriété et les priorisations en temps de sécheresse.

La convention citoyenne sur la fin de vie est la preuve heureuse que les Françaises et les Français ont envie d'une démocratie ouverte, qu'ils sont capables de trouver un consensus éthique et profond sur des sujets complexes. Si une telle démarche peut éviter des affrontements dramatiques, osons ce chemin.

La France et le monde subissent à présent cette crise de plein fouet.

Faites donc confiance aux citoyens. Écoutez les organisations non gouvernementales (ONG), les scientifiques et même les parlementaires écologistes ! Écoutez les membres de la mission d'information sur la gestion durable de l'eau, notamment son rapporteur, Hervé Gillé, qui remettront prochainement leurs travaux. C'est indispensable pour être à la hauteur des enjeux.

En 1974, René Dumont prédisait la raréfaction de l'eau dans l'indifférence généralisée, voire sous les sarcasmes des partis de gouvernement. Il avait pourtant raison : aujourd'hui, nous sommes dans la crise.

Applaudissements sur les travées du groupe GEST.

Debut de section - PermalienPhoto de Daniel Breuiller

Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, avant tout, je tiens à remercier notre collègue Jean Sol et la délégation à la prospective d’avoir demandé ce débat.

J’ai écouté, comme nous tous ici, les déclarations du Président de la République à propos de l’eau. J’ai eu la satisfaction d’entendre que des propositions que nous avions défendues en projet de loi de finances et qui avaient alors été rejetées étaient reprises dans le plan Eau. Je pense au plafond mordant des agences de l’eau, à la tarification progressive de l’eau, à l’augmentation des financements à l’agriculture biologique et pour la sortie des engrais azotés de synthèse, ou encore au développement des paiements pour services environnementaux, même si, pour ces trois mesures, nous proposions un accompagnement sur tout le territoire et non pas seulement sur les aires de captage.

Madame la secrétaire d’État, afin d’accélérer votre action contre les dérèglements climatiques et pour une gestion durable de l’eau, n’hésitez pas à consulter nos amendements passés et nos propositions actuelles. §En voici quelques-unes.

Notre première suggestion porte sur la qualité de l’eau. Cet enjeu essentiel est traité de manière trop superficielle dans le plan présidentiel.

La moitié des masses d’eau sont polluées par des plastiques, des nitrates, des herbicides et des pesticides. Or, sur ce sujet, vous ne dites rien ou presque. Pis, au lendemain de l’annonce du plan Eau, le ministre de l’agriculture – et des pesticides ! – demandait à l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail de revenir sur l’interdiction de l’herbicide S-métolachlore. Il témoignait, ce faisant, d’un remarquable sens des priorités : deux jours après étaient rendues publiques de nouvelles études confirmant la non-conformité d’un tiers de l’eau distribuée en France en raison de la présence de métabolite chlorothalonil R471 811.

Pour la qualité de l’eau, nous revendiquons un grand plan d’appui à la transition de l’agriculture vers l’agroécologie, un plan massif en faveur de l’agriculture biologique. En effet, ces dernières reposent sur des pratiques sobres en eau et permettent de retenir l’eau dans les sols par les haies, les couverts végétaux, les prairies ou les rotations longues.

La nature a ses propres solutions et les agriculteurs ont toujours répondu aux demandes de la Nation. Encore faut-il les engager sur ce chemin au lieu de défendre un modèle qui, s’il craque face aux pénuries, reste rentable pour l’agro-industrie.

Notre seconde suggestion porte sur la gestion quantitative.

Les assises de l’eau ont fixé, en 2019, un objectif de réduction de 10 % des consommations à échéance 2024. Vous le reprenez, mais à échéance 2030. Or la situation se dégrade vite : on ne peut repousser de telles échéances, exonérer l’agriculture, qui consomme 56 % de la ressource, ou encore l’industrie, dont les développements espérés, potentiellement très consommateurs, peuvent provoquer des tensions. Le projet d’extension de STMicroelectronics à Crolles en est l’illustration.

Les membres du groupe Écologiste – Solidarité et Territoires souhaitent également un moratoire sur les projets à fort impact sur les cycles de l’eau et non compatibles avec les bouleversements climatiques, qu’il s’agisse des mégabassines, des réserves d’eau pour canons à neige ou de la ligne ferroviaire Lyon-Turin.

Il est aussi primordial de considérer les évolutions de la ressource en eau dans nos choix énergétiques. Je pense notamment aux risques liés à la baisse du débit d’étiage des fleuves. Il va diminuer de 20 % à 40 % d’ici à 2050. De combien va-t-il chuter d’ici à 2100, date de fin de vie de vos potentiels futurs EPR ?

Je n’oublie pas non plus les impacts de ces choix sur les milieux aquatiques, la biodiversité et la qualité de l’eau. L’été, il faudra choisir entre la préservation des milieux, la fourniture d’eau potable, la production d’électricité et l’agriculture. Qui arbitrera ? Comment le fera-t-on sans conflit ?

Pour nous, c’est à la science partagée et à la démocratie qu’il revient d’arbitrer. Nous demandons la réalisation d’études académiques en amont de tout projet affectant le cycle de l’eau et le partage des ressources.

Madame la secrétaire d’État, il y aura de plus en plus de conflits d’usage. Au fond, ce qui s’est passé à Sainte-Soline n’est que l’illustration de tensions beaucoup plus nombreuses, mais parfois moins visibles ou moins médiatisées.

L’agriculture a besoin d’eau, mais elle en a davantage besoin dans les sols que dans des mégabassines. Elle en a besoin pour alimenter des systèmes d’irrigation vertueux.

M. Laurent Duplomb s ’ exclame.

Debut de section - PermalienPhoto de Daniel Breuiller

Pour que les conflits d’usage ne deviennent pas des conflits violents, il faut trouver des réponses démocratiques plutôt que sécuritaires.

À l’échelle de nos territoires, les commissions locales de l’eau (CLE) et les projets de territoire pour la gestion de l’eau (PTGE) doivent être généralisés. Surtout, ils doivent être réellement ouverts à tous, sans omission des associations environnementales ou de la Confédération paysanne, comme c’est le cas ici ou là.

À l’échelle nationale, les élus du groupe Écologiste – Solidarité et Territoires vous proposent d’organiser une convention citoyenne de l’eau, portant sur les chemins de sobriété et les priorisations en temps de sécheresse.

La convention citoyenne sur la fin de vie est la preuve heureuse que les Françaises et les Français ont envie d’une démocratie ouverte, qu’ils sont capables de trouver un consensus éthique et profond sur des sujets complexes. Si une telle démarche peut éviter des affrontements dramatiques, osons ce chemin.

La France et le monde subissent à présent cette crise de plein fouet.

Faites donc confiance aux citoyens. Écoutez les organisations non gouvernementales (ONG), les scientifiques et même les parlementaires écologistes ! Écoutez les membres de la mission d’information sur la gestion durable de l’eau, notamment son rapporteur, Hervé Gillé, qui remettront prochainement leurs travaux. C’est indispensable pour être à la hauteur des enjeux.

En 1974, René Dumont prédisait la raréfaction de l’eau dans l’indifférence généralisée, voire sous les sarcasmes des partis de gouvernement. Il avait pourtant raison : aujourd’hui, nous sommes dans la crise.

Debut de section - Permalien
Bérangère Couillard, secrétaire d'État auprès du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée de l'écologie

Monsieur le sénateur Breuiller, vous avez apporté de nombreux éléments au débat.

Tout d'abord, je tiens à vous remercier de vos dix propositions : elles confirment que nous avons mené un travail de qualité, sous le signe de la concertation. §Comme vous l'avez souligné, nous en avons repris de nombreuses.

Ensuite – je vous le confirme –, nous souhaitons parvenir à une réduction de 10 % des prélèvements d'eau. Certes, nous avons opté pour une échéance en 2030 ; mais, désormais, nous précisons clairement la manière dont nous allons y parvenir. Jusqu'à présent, nous avons fixé un objectif sans nous donner les moyens. Aujourd'hui, nous disposons d'un plan complet permettant à chacun de se donner les moyens de cette ambition.

Toutes les parties prenantes doivent prendre leurs responsabilités. Collectivités territoriales, particuliers, industriels ou encore agriculteurs, chacun va contribuer à la baisse de 10 % des prélèvements.

Dans le domaine agricole, cette évolution ne sera pas facile, c'est certain. Vous insistez sur l'enjeu que représente l'irrigation, mais celle-ci ne concerne que 7 % des eaux utilisées par l'agriculture. Peut-être faudra-t-il oublier telle culture trop gourmande en eau dans tel territoire pour la développer ailleurs.

À cet égard, il faut déployer les investissements qu'exige la réutilisation des eaux usées traitées : notre pays n'a pas suffisamment œuvré en ce sens. Aujourd'hui, notre taux de réutilisation des eaux reste inférieur à 1 % alors que celui de nos voisins espagnols, par exemple, avoisine les 13 %.

Le plan Eau nous donne les moyens d'atteindre l'objectif fixé.

Applaudissements sur les travées du groupe GEST.

Debut de section - PermalienPhoto de Daniel Breuiller

Madame la secrétaire d'État, l'accélération et l'aggravation de la crise climatique ne nous permettent pas d'aller à un train de sénateur : nous devons changer de rythme et lancer des débats démocratiques dès aujourd'hui, face aux conflits d'usage qui – j'en ai bien peur – vont se développer.

Je prends note de vos engagements. Je vous le répète, nous sommes disposés à participer à ce travail : il y va de l'avenir, non seulement de notre pays, mais de la planète.

Debut de section - Permalien
Bérangère Couillard

Monsieur le sénateur Breuiller, vous avez apporté de nombreux éléments au débat.

Tout d’abord, je tiens à vous remercier de vos dix propositions : elles confirment que nous avons mené un travail de qualité, sous le signe de la concertation. §Comme vous l’avez souligné, nous en avons repris de nombreuses.

Ensuite – je vous le confirme –, nous souhaitons parvenir à une réduction de 10 % des prélèvements d’eau. Certes, nous avons opté pour une échéance en 2030 ; mais, désormais, nous précisons clairement la manière dont nous allons y parvenir. Jusqu’à présent, nous avons fixé un objectif sans nous donner les moyens. Aujourd’hui, nous disposons d’un plan complet permettant à chacun de se donner les moyens de cette ambition.

Toutes les parties prenantes doivent prendre leurs responsabilités. Collectivités territoriales, particuliers, industriels ou encore agriculteurs, chacun va contribuer à la baisse de 10 % des prélèvements.

Dans le domaine agricole, cette évolution ne sera pas facile, c’est certain. Vous insistez sur l’enjeu que représente l’irrigation, mais celle-ci ne concerne que 7 % des eaux utilisées par l’agriculture. Peut-être faudra-t-il oublier telle culture trop gourmande en eau dans tel territoire pour la développer ailleurs.

À cet égard, il faut déployer les investissements qu’exige la réutilisation des eaux usées traitées : notre pays n’a pas suffisamment œuvré en ce sens. Aujourd’hui, notre taux de réutilisation des eaux reste inférieur à 1 %, alors que celui de nos voisins espagnols, par exemple, avoisine les 13 %.

Le plan Eau nous donne les moyens d’atteindre l’objectif fixé.

Debut de section - PermalienPhoto de Nadège Havet

Madame la présidente, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, au cours de l'été 2022, 93 départements ont été soumis à des restrictions de consommation d'eau du fait de la sécheresse, plus de 1 000 communes ont dû être ravitaillées en eau par bouteilles, 32 départements sont actuellement en état de vigilance ou d'alerte renforcée et la faible pluviométrie observée ces derniers mois sur l'ensemble du territoire national interroge déjà notre gestion de cette ressource fondamentale au cours des prochains mois.

Depuis vingt ans, la France métropolitaine a perdu 14 % de ses ressources en eau renouvelable par rapport à la période 1990-2001. La délégation sénatoriale à la prospective le rappelle dans son rapport d'information : le changement climatique, dont les effets sont déjà visibles, rend notre accès à l'eau de plus en plus difficile.

Oui, le cycle de l'eau en France se modifie et va encore évoluer. Les précipitations deviendront de plus en plus irrégulières, le débit des cours d'eau se réduira et le stress hydrique s'accroîtra là où, encore récemment, cette problématique n'était pas première.

La répétition des vagues de chaleur, lourdes de conséquences comme, à l'opposé, la survenue d'épisodes de pluies extrêmement violentes imposeront une meilleure gestion quantitative de l'eau sur toute l'année. Nous devrons anticiper les événements, nous adapter aux aléas pluviométriques et à leur soudaineté tout en veillant, encore et toujours, au respect des impératifs sanitaires.

Ce défi, qui est à la fois celui du volume et celui de la qualité, il nous faut nécessairement le relever en provoquant et en favorisant la mobilisation de tous – industriels, acteurs du monde agricole, particuliers – pour la sobriété dans les usages et la compréhension partagée des enjeux et des progrès techniques à soutenir.

Face à cet état de fait, qui n'est pas uniquement conjoncturel, des mesures ont déjà été prises. Ainsi, un nouvel objectif de sobriété a été fixé par le plan d'action pour une gestion résiliente et concertée de l'eau : réaliser 10 % d'économies d'eau en 2030.

Les moyens seront mis en œuvre par secteur et par territoire. Chaque sous-bassin hydrographique, selon ses spécificités, sera doté d'une trajectoire particulière.

Parmi les mesures annoncées, je relève à mon tour la création d'un EcoWatt de l'eau et l'élaboration de plans sectoriels de sobriété. Je citerai également non seulement la hausse du budget des agences de l'eau et la suppression de leur plafond de dépenses, afin de lutter contre les fuites dans les réseaux, mais aussi la mise en place d'une tarification progressive de l'eau et le soutien à la réutilisation des eaux usées.

Ma question portera sur ce dernier point. Il s'agit pour notre pays de faire un véritable bond, en passant d'un taux d'environ 1 % actuellement à 10 % d'ici à 2030. Ce faisant, nous nous rapprocherons de plusieurs de nos voisins, comme l'Espagne, qui réemploie 14 % de ses eaux usées, ou l'Italie, qui en réutilise 8 %.

Pour impulser ce mouvement essentiel, plusieurs leviers vont être actionnés : lancement de 1 000 projets en cinq ans pour recycler et réutiliser l'eau ; lancement par l'État, en partenariat avec l'Association nationale des élus du littoral (Anel), d'un appel à manifestation d'intérêt (AMI) spécifique à destination des communes littorales sur la faisabilité des projets ; mise en place d'un observatoire national ; accélération des procédures administratives.

Si, aujourd'hui, la réutilisation des eaux usées traitées est possible dans quelques cas précis, comme pour l'arrosage des espaces verts, il est nécessaire d'accélérer.

C'est le sens de la sixième recommandation, transpartisane, énoncée par nos quatre rapporteurs : encourager la recherche et l'innovation dans le domaine de l'eau, qu'il s'agisse de la recharge artificielle des nappes, du développement de la télésurveillance des réseaux, du recours aux données numériques et à l'imagerie satellitaire pour mieux connaître en temps réel l'état de la ressource ou, justement, de la réutilisation des eaux usées traitées. En effet, les eaux traitées constituent non pas une ressource nouvelle, mais un moyen de réduire les prélèvements d'eau dans la nature.

Cette solution présente un intérêt certain en période estivale dans les zones littorales touristiques. Je pense notamment aux lieux où la consommation d'eau et les besoins de l'agriculture sont particulièrement importants en été.

C'est précisément pourquoi l'Union européenne a voulu se doter au mois de mai 2020 d'un nouveau règlement, qui entrera bientôt en vigueur. Il s'agit de faciliter la réutilisation de l'eau, en particulier pour l'irrigation agricole. Selon la Commission européenne, plus de 40 milliards de mètres cubes d'eaux usées sont traités chaque année dans l'Union européenne, mais moins de 1 milliard sont réutilisés.

Ces avancées, comme les autres mesures précédemment évoquées, iront de pair avec une plus grande pédagogie sur l'eau, notamment auprès du grand public.

À la fin du mois d'août dernier, à l'occasion de la rencontre des entrepreneurs de France, Élisabeth Borne a évoqué la planification écologique de l'eau. L'objectif est d'identifier les actions dont nous avons besoin pour accélérer la transition écologique et atteindre les baisses de prélèvement.

La gestion de l'eau doit devenir plus résiliente et plus fiable dans trois domaines principaux : l'industrie, l'agriculture et les usages du quotidien.

Pour ce faire, il paraît indispensable de parvenir à un consensus sur l'eau. Cet enjeu national et territorial suppose un effort de démocratisation et d'éducation. Il implique une communication ciblée et continue sur les usages et leur priorisation.

Madame la secrétaire d'État, quelles nouvelles mesures réglementaires pourrait-on rapidement prendre en la matière, en particulier pour le secteur industriel ? Comment entendez-vous accélérer les procédures en vigueur – un grand nombre d'acteurs le demandent –, tout en rassurant quant aux évolutions souhaitables ?

Debut de section - PermalienPhoto de Daniel Breuiller

Madame la secrétaire d’État, l’accélération et l’aggravation de la crise climatique ne nous permettent pas d’aller à un train de sénateur : nous devons changer de rythme et lancer des débats démocratiques dès aujourd’hui, face aux conflits d’usage qui – j’en ai bien peur – vont se développer.

Je prends note de vos engagements. Je vous le répète, nous sommes disposés à participer à ce travail : il y va de l’avenir, non seulement de notre pays, mais de la planète.

Debut de section - Permalien
Bérangère Couillard, secrétaire d'État auprès du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée de l'écologie

Madame la sénatrice Havet, je l'indiquais il y a un instant en réponse à M. Breuiller : notre taux de réutilisation d'eaux usées et traitées, aujourd'hui inférieur à 1 %, est réellement insuffisant. Vous l'avez rappelé, ce taux est de 13 % en Espagne et de 8 % en Italie. Nous pouvons faire mieux.

Nous voulons atteindre 10 % en développant jusqu'à 1 000 projets de réutilisation sur le territoire. Nous donnerons la priorité à l'animation et à l'accompagnement des porteurs de projet. Comme vous le soulignez, un appel à manifestation d'intérêt sera lancé par l'État, en partenariat avec l'Anel, pour financer cent études de faisabilité par an.

Yannick Moreau, président de l'Anel, est extrêmement attentif à ces questions et nous souhaitons tout particulièrement valoriser de tels projets dans les communes littorales. En effet – nous en sommes persuadés –, ce sont là des solutions d'avenir. À l'heure actuelle, nombre de ces communes relâchent leur eau douce dans la mer : autant la récupérer.

Vous évoquez avec raison les évolutions réglementaires qui s'imposent. De nombreux chantiers ont d'ores et déjà été ouverts cette année. Notre objectif est de lever les freins à la valorisation des eaux non conventionnelles pour les usages les plus pertinents. Il s'agit d'assurer des économies d'eau tout en garantissant, bien sûr, la sécurité sanitaire, au nom de laquelle nombre de projets ont été bloqués jusqu'à présent.

Le projet de décret relatif à la réutilisation des eaux dans les industries agroalimentaires est actuellement soumis à consultation publique. Nous souhaitons publier ce texte aussi rapidement que possible. À ce titre, nous engageons régulièrement des discussions avec les filières agroalimentaires : elles attendent le décret avec impatience, car bien des projets sont prêts à être mis en œuvre.

Debut de section - PermalienPhoto de Nadège Havet

Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, au cours de l’été 2022, 93 départements ont été soumis à des restrictions de consommation d’eau du fait de la sécheresse, plus de 1 000 communes ont dû être ravitaillées en eau par bouteilles, 32 départements sont actuellement en état de vigilance ou d’alerte renforcée et la faible pluviométrie observée ces derniers mois sur l’ensemble du territoire national interroge déjà notre gestion de cette ressource fondamentale au cours des prochains mois.

Depuis vingt ans, la France métropolitaine a perdu 14 % de ses ressources en eau renouvelable par rapport à la période 1990-2001. La délégation sénatoriale à la prospective le rappelle dans son rapport d’information : le changement climatique, dont les effets sont déjà visibles, rend notre accès à l’eau de plus en plus difficile.

Oui, le cycle de l’eau en France se modifie et va encore évoluer. Les précipitations deviendront de plus en plus irrégulières, le débit des cours d’eau se réduira et le stress hydrique s’accroîtra là où, encore récemment, cette problématique n’était pas première.

La répétition des vagues de chaleur, lourdes de conséquences comme, à l’opposé, la survenue d’épisodes de pluies extrêmement violentes imposeront une meilleure gestion quantitative de l’eau sur toute l’année. Nous devrons anticiper les événements, nous adapter aux aléas pluviométriques et à leur soudaineté tout en veillant, encore et toujours, au respect des impératifs sanitaires.

Ce défi, qui est à la fois celui du volume et celui de la qualité, il nous faut nécessairement le relever en provoquant et en favorisant la mobilisation de tous – industriels, acteurs du monde agricole, particuliers – pour la sobriété dans les usages et la compréhension partagée des enjeux et des progrès techniques à soutenir.

Face à cet état de fait, qui n’est pas uniquement conjoncturel, des mesures ont déjà été prises. Ainsi, un nouvel objectif de sobriété a été fixé par le plan d’action pour une gestion résiliente et concertée de l’eau : réaliser 10 % d’économies d’eau en 2030.

Les moyens seront mis en œuvre par secteur et par territoire. Chaque sous-bassin hydrographique, selon ses spécificités, sera doté d’une trajectoire particulière.

Parmi les mesures annoncées, je relève à mon tour la création d’un EcoWatt de l’eau et l’élaboration de plans sectoriels de sobriété. Je citerai également non seulement la hausse du budget des agences de l’eau et la suppression de leur plafond de dépenses, afin de lutter contre les fuites dans les réseaux, mais aussi la mise en place d’une tarification progressive de l’eau et le soutien à la réutilisation des eaux usées.

Ma question portera sur ce dernier point. Il s’agit pour notre pays de faire un véritable bond, en passant d’un taux d’environ 1 % actuellement à 10 % d’ici à 2030. Ce faisant, nous nous rapprocherons de plusieurs de nos voisins, comme l’Espagne, qui réemploie 14 % de ses eaux usées, ou l’Italie, qui en réutilise 8 %.

Pour impulser ce mouvement essentiel, plusieurs leviers seront actionnés : lancement de 1 000 projets en cinq ans pour recycler et réutiliser l’eau ; lancement par l’État, en partenariat avec l’Association nationale des élus du littoral (Anel), d’un appel à manifestation d’intérêt (AMI) spécifique à destination des communes littorales sur la faisabilité des projets ; mise en place d’un observatoire national ; accélération des procédures administratives.

Si, aujourd’hui, la réutilisation des eaux usées traitées est possible dans quelques cas précis, comme pour l’arrosage des espaces verts, il est nécessaire d’accélérer.

C’est le sens de la sixième recommandation, transpartisane, énoncée par nos quatre rapporteurs : encourager la recherche et l’innovation dans le domaine de l’eau, qu’il s’agisse de la recharge artificielle des nappes, du développement de la télésurveillance des réseaux, du recours aux données numériques et à l’imagerie satellitaire pour mieux connaître en temps réel l’état de la ressource ou, justement, de la réutilisation des eaux usées traitées. En effet, les eaux traitées constituent non pas une ressource nouvelle, mais un moyen de réduire les prélèvements d’eau dans la nature.

Cette solution présente un intérêt certain en période estivale dans les zones littorales touristiques. Je pense notamment aux lieux où la consommation d’eau et les besoins de l’agriculture sont particulièrement importants en été.

C’est précisément pourquoi l’Union européenne a voulu se doter au mois de mai 2020 d’un nouveau règlement, qui entrera bientôt en vigueur. Il s’agit de faciliter la réutilisation de l’eau, en particulier pour l’irrigation agricole. Selon la Commission européenne, plus de 40 milliards de mètres cubes d’eaux usées sont traités chaque année dans l’Union européenne, mais moins de 1 milliard sont réutilisés.

Ces avancées, comme les autres mesures précédemment évoquées, iront de pair avec une plus grande pédagogie sur l’eau, notamment auprès du grand public.

À la fin du mois d’août dernier, à l’occasion de la rencontre des entrepreneurs de France, Élisabeth Borne a évoqué la planification écologique de l’eau. L’objectif est d’identifier les actions dont nous avons besoin pour accélérer la transition écologique et atteindre les baisses de prélèvement.

La gestion de l’eau doit devenir plus résiliente et plus fiable dans trois domaines principaux : l’industrie, l’agriculture et les usages du quotidien.

Pour ce faire, il paraît indispensable de parvenir à un consensus sur l’eau. Cet enjeu national et territorial suppose un effort de démocratisation et d’éducation. Il implique une communication ciblée et continue sur les usages et leur priorisation.

Madame la secrétaire d’État, quelles nouvelles mesures réglementaires pourrait-on rapidement prendre en la matière, en particulier pour le secteur industriel ? Comment entendez-vous accélérer les procédures en vigueur – un grand nombre d’acteurs le demandent –, tout en rassurant quant aux évolutions souhaitables ?

Applaudissements sur les travées du groupe SER. – M. Daniel Breuiller applaudit également.

Debut de section - PermalienPhoto de Hervé Gillé

Madame la présidente, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, les élus du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain ont proposé la création d'une mission d'information sur la « gestion durable de l'eau : l'urgence d'agir pour nos usages, nos territoires et notre environnement ». J'ai le plaisir d'en être le rapporteur.

Cette mission d'information entend réaliser une évaluation des politiques publiques de la gestion de l'eau mise en œuvre en France au regard des enjeux environnementaux, sociaux et économiques. J'insiste sur l'importance d'une telle approche sociétale.

Nos travaux s'inspirent évidemment du rapport d'information de la délégation sénatoriale à la prospective, que nous remercions de ce débat. Ils s'organisent selon trois axes.

Le premier axe, c'est la qualité de l'eau et la lutte contre les pollutions. Pour assurer, non seulement notre approvisionnement en eau potable, mais aussi l'équilibre des milieux, de la faune et de la flore aquatiques, il est essentiel de disposer d'une eau non polluée.

Pourtant, près de la moitié des masses d'eau de surface sont contaminées par des pesticides. Le rapport de l'Anses et ses récentes révélations sur le chlorothalonil et le S-métolachlore démontrent à quel point nos quelques progrès sont insuffisants et combien ce sujet doit être abordé avec humilité. Le constat de la contamination est d'ailleurs relativement absent du plan Eau ; nous le regrettons.

Madame la secrétaire d'État, je note néanmoins que la protection des 500 points de captage prioritaires semble porter ces fruits. Ne faudrait-il pas accroître leur nombre pour améliorer, à moyen et long termes, la qualité des prélèvements ? Quels sont vos objectifs en la matière ? Florence Blatrix Contat reviendra sur ce sujet.

Le deuxième axe, c'est la gestion quantitative de l'eau. D'ici à 2050, les débits moyens annuels des cours d'eau devraient en effet diminuer de 10 % à 40 % : il s'agit là d'une proportion importante. En parallèle, les épisodes extrêmes, comme les sécheresses et les inondations, seront beaucoup plus fréquents.

Ainsi, nous devons optimiser les ressources disponibles – je pense bien sûr au stockage naturel –, voire créer de nouvelles ressources multi-usages et vertueuses pour l'environnement.

La démarche et la méthode des PTGE vont dans le bon sens. Cependant, au-delà des consensus territoriaux, l'on se heurte souvent à des recours tardifs réduisant les négociations à néant. Que comptez-vous faire pour que cette situation évolue, madame la secrétaire d'État ?

Nous sommes tous d'accord pour ériger en priorité une politique de sobriété. Dès lors, explorons toutes les pistes pour atteindre l'objectif de baisse d'eau prélevée fixé à 10 % d'ici à 2030.

Le Gouvernement prévoit 30 millions d'euros pour les retenues agricoles, 180 millions d'euros pour la réduction des fuites prioritaires, 50 millions d'euros pour la préservation des zones humides et l'infiltration des nappes. Il veut également un plan pour la réutilisation des eaux usées traitées et la récupération des eaux de toitures.

Madame la secrétaire d'État, le plan Eau détaille des pistes intéressantes, mais comment ces chantiers seront-ils réellement financés ? Allez-vous augmenter la fiscalité existante ou créer des redevances supplémentaires ? Quelles sont vos réponses sur ce sujet ? Une clarification est nécessaire, faute de quoi l'on en restera aux effets d'annonce.

La tarification différenciée est souhaitable, mais son application pose question. Certes, la mise en œuvre d'un tel dispositif est discutée depuis de nombreuses années, mais elle exigera un travail approfondi et partagé avec le Parlement, les syndicats des eaux et les élus des territoires pour assurer un développement optimal.

À l'instar des déchets, les types d'activité devront faire l'objet d'une tarification différenciée en fonction des consommations. Ce doit également être le cas pour les ménages : une famille nombreuse ne saurait être lésée par rapport à un couple sans enfant. Il faudra donc prévoir des adaptations. Comment le Gouvernement réussira-t-il à faire de la tarification différenciée un dispositif efficace, adapté à chaque usage ? Notre mission d'information est à votre disposition pour travailler sur ce sujet.

Le troisième et dernier axe, c'est la gouvernance. Qui doit agir et avec quels moyens ?

Nous devons sans cesse rappeler le rôle des collectivités territoriales : elles sont en première ligne, qu'il s'agisse de la gestion de l'eau, des fuites, de la baisse d'approvisionnement, de l'assainissement ou encore de la gestion des milieux aquatiques et de la prévention des inondations (Gemapi), bien que cette compétence ne soit pas toujours bien financée.

Nous insistons en outre sur l'échelle des bassins versants, qui permet d'optimiser la ressource. Au Sénat, nous le savons mieux que quiconque : cet échelon territorial doit être préservé et renforcé au titre de la gouvernance.

La revalorisation financière substantielle dont les agences de l'eau bénéficient est, partant, la bienvenue. Elle doit être de 475 millions d'euros par an, mais ne sera pas mise en œuvre avant le douzième programme, donc pas avant 2025.

Pour atteindre nos objectifs, nous pourrions étudier la mise en place des contrats d'objectifs et de performance (COP) avec l'ensemble des parties prenantes ou encore le conditionnement des aides et des financements à des objectifs communs pour sécuriser la ressource. Il serait normal de partager ces objectifs de performance et de sobriété.

Mes chers collègues, la gestion de l'eau est un sujet éminemment politique et multidimensionnel. Elle exige, en conséquence, un travail interministériel associant les acteurs agricoles, environnementaux, économiques et sociaux. Elle mériterait même, sinon un ministère de plein exercice, du moins un secrétariat d'État. Je l'appelle de mes vœux.

Travaillons ensemble à des solutions concertées. Investissons nos instances et repolitisons-les au sens noble du terme !

Debut de section - Permalien
Bérangère Couillard

Madame la sénatrice Havet, je l’indiquais il y a un instant en réponse à M. Breuiller : notre taux de réutilisation d’eaux usées et traitées, aujourd’hui inférieur à 1 %, est réellement insuffisant. Vous l’avez rappelé, ce taux est de 13 % en Espagne et de 8 % en Italie. Nous pouvons faire mieux.

Nous voulons atteindre 10 % en développant jusqu’à 1 000 projets de réutilisation sur le territoire. Nous donnerons la priorité à l’animation et à l’accompagnement des porteurs de projet. Comme vous le soulignez, un appel à manifestation d’intérêt sera lancé par l’État, en partenariat avec l’Anel, pour financer cent études de faisabilité par an.

Yannick Moreau, président de l’Anel, est extrêmement attentif à ces questions et nous souhaitons tout particulièrement valoriser de tels projets dans les communes littorales. En effet, nous en sommes persuadés, ce sont là des solutions d’avenir. À l’heure actuelle, nombre de ces communes relâchent leur eau douce dans la mer : autant la récupérer.

Vous évoquez avec raison les évolutions réglementaires qui s’imposent. De nombreux chantiers ont d’ores et déjà été ouverts cette année. Notre objectif est de lever les freins à la valorisation des eaux non conventionnelles pour les usages les plus pertinents. Il s’agit d’assurer des économies d’eau tout en garantissant, bien sûr, la sécurité sanitaire, au nom de laquelle nombre de projets ont été bloqués jusqu’à présent.

Le projet de décret relatif à la réutilisation des eaux dans les industries agroalimentaires est actuellement soumis à consultation publique. Nous souhaitons publier ce texte aussi rapidement que possible. À ce titre, nous engageons régulièrement des discussions avec les filières agroalimentaires : elles attendent le décret avec impatience, car bien des projets sont prêts à être mis en œuvre.

Applaudissements sur les travées du groupe SER. – Mme Marie-Claude Varaillas et M. Daniel Breuiller applaudissent également.

Applaudissements sur les travées du groupe SER. – M. Daniel Breuiller applaudit également.

Debut de section - Permalien
Bérangère Couillard, secrétaire d'État auprès du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée de l'écologie

Monsieur le sénateur Gillé, je m'efforcerai d'être aussi exhaustive et concise que possible.

Avant tout, je tiens à saluer le travail que vous avez entrepris. Je sais que vous avez déjà mené un certain nombre d'auditions dans le cadre de la mission d'information.

Vous avez rappelé les engagements financiers pris par le Gouvernement. Je vous le confirme, nous ne procéderons pas à la création de nouveaux outils fiscaux ; nous avons opté pour le rehaussement du taux des redevances existantes.

Vous avez abordé de nombreux autres sujets. Je concentrerai ma réponse sur la gouvernance.

La compétence dont il s'agit est décentralisée depuis les années 1960 à l'échelle des bassins et des sous-bassins ; le Gouvernement – vous avez pu le constater – n'a nullement l'intention de remettre en cause ce transfert. Ce que nous voulons, c'est une gestion de l'eau associant l'ensemble des acteurs pour une gouvernance ouverte et plus efficace. Au total, 54 % du territoire national est couvert par une commission locale de l'eau, par un document de planification et par un schéma d'aménagement et de gestion des eaux (Sage).

Des simplifications réglementaires seront apportées pour accélérer et généraliser à l'échelle de chaque sous-bassin versant la création d'une CLE, véritable instance de dialogue, et d'un PTGE, au plus tard en 2027, selon le principe « un territoire, un projet politique pour l'eau ».

Ainsi, nous serons à même de répondre à toutes les exigences du plan Eau. Je pense notamment à la réduction de 10 % que j'ai évoquée précédemment. Pour discuter à l'échelle des territoires, il n'y a pas meilleure instance que les parlements de l'eau.

Mesdames, messieurs les sénateurs, vous qui représentez les collectivités territoriales, je vous invite à jouer un rôle moteur pour la création des Sage et des CLE. J'insiste également sur les PTGE, qui sont encore trop peu nombreux sur notre territoire.

Debut de section - PermalienPhoto de Hervé Gillé

Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, les élus du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain ont proposé la création d’une mission d’information sur la « gestion durable de l’eau : l’urgence d’agir pour nos usages, nos territoires et notre environnement ». J’ai le plaisir d’en être le rapporteur.

Cette mission d’information entend réaliser une évaluation des politiques publiques de la gestion de l’eau mise en œuvre en France au regard des enjeux environnementaux, sociaux et économiques. J’insiste sur l’importance d’une telle approche sociétale.

Nos travaux s’inspirent évidemment du rapport d’information de la délégation sénatoriale à la prospective, que nous remercions de ce débat. Ils s’organisent selon trois axes.

Le premier axe, c’est la qualité de l’eau et la lutte contre les pollutions. Pour assurer, non seulement notre approvisionnement en eau potable, mais aussi l’équilibre des milieux, de la faune et de la flore aquatiques, il est essentiel de disposer d’une eau non polluée.

Pourtant, près de la moitié des masses d’eau de surface sont contaminées par des pesticides. Le rapport de l’Anses et ses récentes révélations sur le chlorothalonil et le S-métolachlore démontrent à quel point nos quelques progrès sont insuffisants et combien ce sujet doit être abordé avec humilité. Le constat de la contamination est d’ailleurs relativement absent du plan Eau ; nous le regrettons.

Madame la secrétaire d’État, je note néanmoins que la protection des 500 points de captage prioritaires semble porter ces fruits. Ne faudrait-il pas accroître leur nombre pour améliorer, à moyen et long termes, la qualité des prélèvements ? Quels sont vos objectifs en la matière ? Florence Blatrix Contat reviendra sur ce sujet.

Le deuxième axe, c’est la gestion quantitative de l’eau. D’ici à 2050, les débits moyens annuels des cours d’eau devraient en effet diminuer de 10 % à 40 % : il s’agit là d’une proportion importante. En parallèle, les épisodes extrêmes, comme les sécheresses et les inondations, seront beaucoup plus fréquents.

Ainsi, nous devons optimiser les ressources disponibles – je pense bien sûr au stockage naturel –, voire créer de nouvelles ressources multi-usages et vertueuses pour l’environnement.

La démarche et la méthode des PTGE vont dans le bon sens. Cependant, au-delà des consensus territoriaux, l’on se heurte souvent à des recours tardifs réduisant les négociations à néant. Que comptez-vous faire pour que cette situation évolue, madame la secrétaire d’État ?

Nous sommes tous d’accord pour ériger en priorité une politique de sobriété. Dès lors, explorons toutes les pistes pour atteindre l’objectif de baisse d’eau prélevée fixé à 10 % d’ici à 2030.

Le Gouvernement prévoit 30 millions d’euros pour les retenues agricoles, 180 millions d’euros pour la réduction des fuites prioritaires, 50 millions d’euros pour la préservation des zones humides et l’infiltration des nappes. Il veut également un plan pour la réutilisation des eaux usées traitées et la récupération des eaux de toitures.

Madame la secrétaire d’État, le plan Eau détaille des pistes intéressantes, mais comment ces chantiers seront-ils réellement financés ? Allez-vous augmenter la fiscalité existante ou créer des redevances supplémentaires ? Quelles sont vos réponses sur ce sujet ? Une clarification est nécessaire, faute de quoi l’on en restera aux effets d’annonce.

La tarification différenciée est souhaitable, mais son application pose question. Certes, la mise en œuvre d’un tel dispositif est discutée depuis de nombreuses années, mais elle exigera un travail approfondi et partagé avec le Parlement, les syndicats des eaux et les élus des territoires pour assurer un développement optimal.

À l’instar des déchets, les types d’activité devront faire l’objet d’une tarification différenciée en fonction des consommations. Ce doit également être le cas pour les ménages : une famille nombreuse ne saurait être lésée par rapport à un couple sans enfant. Il faudra donc prévoir des adaptations. Comment le Gouvernement réussira-t-il à faire de la tarification différenciée un dispositif efficace, adapté à chaque usage ? Notre mission d’information est à votre disposition pour travailler sur ce sujet.

Le troisième et dernier axe, c’est la gouvernance. Qui doit agir et avec quels moyens ?

Nous devons sans cesse rappeler le rôle des collectivités territoriales : elles sont en première ligne, qu’il s’agisse de la gestion de l’eau, des fuites, de la baisse d’approvisionnement, de l’assainissement ou encore de la gestion des milieux aquatiques et de la prévention des inondations (Gemapi), bien que cette compétence ne soit pas toujours bien financée.

Nous insistons en outre sur l’échelle des bassins versants, qui permet d’optimiser la ressource. Au Sénat, nous le savons mieux que quiconque : cet échelon territorial doit être préservé et renforcé au titre de la gouvernance.

La revalorisation financière substantielle dont les agences de l’eau bénéficient est, partant, la bienvenue. Elle doit être de 475 millions d’euros par an, mais ne sera pas mise en œuvre avant le douzième programme, donc pas avant 2025.

Pour atteindre nos objectifs, nous pourrions étudier la mise en place des contrats d’objectifs et de performance (COP) avec l’ensemble des parties prenantes ou encore le conditionnement des aides et des financements à des objectifs communs pour sécuriser la ressource. Il serait normal de partager ces objectifs de performance et de sobriété.

Mes chers collègues, la gestion de l’eau est un sujet éminemment politique et multidimensionnel. Elle exige, en conséquence, un travail interministériel associant les acteurs agricoles, environnementaux, économiques et sociaux. Elle mériterait même, sinon un ministère de plein exercice, du moins un secrétariat d’État. Je l’appelle de mes vœux.

Travaillons ensemble à des solutions concertées. Investissons nos instances et repolitisons-les au sens noble du terme !

Applaudissements sur les travées du groupe SER. – Mme Marie-Claude Varaillas et M. Daniel Breuiller applaudissent également.

Debut de section - PermalienPhoto de Hervé Gillé

Madame la secrétaire d'État, je vous remercie de vos réponses. Vous nous confirmez que les redevances existantes feront l'objet d'un relèvement. Dont acte.

Personnellement, je suis très favorable à un renforcement de la planification en matière de gestion de l'eau. Les établissements publics territoriaux de bassin (EPTB) jouent un rôle essentiel : il faut s'efforcer de les développer et de les conforter dans l'ensemble des territoires, en lien avec les établissements publics d'aménagement et de gestion de l'eau (Epage).

Il faut effectivement multiplier les Sage et faire en sorte que les CLE deviennent de véritables parlements locaux et territoriaux de l'eau. Ce travail est indispensable.

À mon sens, il faudra également assurer l'intégration de la gestion de l'eau dans les politiques d'urbanisme. Les schémas de cohérence territoriale (Scot) permettraient sans doute d'approfondir encore davantage ce sujet.

Mme la secrétaire d'État le confirme.

Debut de section - Permalien
Bérangère Couillard

Monsieur le sénateur Gillé, je m’efforcerai d’être aussi exhaustive et concise que possible.

Avant tout, je tiens à saluer le travail que vous avez entrepris. Je sais que vous avez déjà mené un certain nombre d’auditions dans le cadre de la mission d’information.

Vous avez rappelé les engagements financiers pris par le Gouvernement. Je vous le confirme, nous ne procéderons pas à la création de nouveaux outils fiscaux ; nous avons opté pour le rehaussement du taux des redevances existantes.

Vous avez abordé de nombreux autres sujets. Je concentrerai ma réponse sur la gouvernance.

La compétence dont il s’agit est décentralisée depuis les années 1960 à l’échelle des bassins et des sous-bassins ; le Gouvernement – vous avez pu le constater – n’a nullement l’intention de remettre en cause ce transfert. Ce que nous voulons, c’est une gestion de l’eau associant l’ensemble des acteurs pour une gouvernance ouverte et plus efficace. Au total, 54 % du territoire national est couvert par une commission locale de l’eau, par un document de planification et par un schéma d’aménagement et de gestion des eaux (Sage).

Des simplifications réglementaires seront apportées pour accélérer et généraliser à l’échelle de chaque sous-bassin versant la création d’une CLE, véritable instance de dialogue, et d’un PTGE, au plus tard en 2027, selon le principe « un territoire, un projet politique pour l’eau ».

Ainsi, nous serons à même de répondre à toutes les exigences du plan Eau. Je pense notamment à la réduction de 10 % que j’ai évoquée précédemment. Pour discuter à l’échelle des territoires, il n’y a pas meilleure instance que les parlements de l’eau.

Mesdames, messieurs les sénateurs, vous qui représentez les collectivités territoriales, je vous invite à jouer un rôle moteur pour la création des Sage et des CLE. J’insiste également sur les PTGE, qui sont encore trop peu nombreux sur notre territoire.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Claude Varaillas

Madame la présidente, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, le monde est entré dans une nouvelle ère. Désormais, il fait face à la vulnérabilité de ses écosystèmes et à des tensions accrues s'exerçant sur ses ressources naturelles. Au total, 40 % de la population mondiale souffre de pénuries d'eau au moins une fois par an et 1, 4 milliard de personnes sont privées d'accès à l'eau potable.

Ces pénuries, que nous observons aujourd'hui sur notre propre sol, nous obligent à nous saisir de l'enjeu de la gestion de l'eau.

Ainsi, durant trente-deux jours d'affilée, en plein hiver, la France a été privée de pluie, ce qui entraînera probablement des pénuries d'eau cet été dans de nombreuses communes.

L'été 2022 fut le plus chaud depuis les années 1950. Au total, 93 départements ont été soumis à des restrictions et plus de 1 000 communes ont subi des coupures d'eau.

Si nous n'intervenons pas, la situation continuera à se dégrader. Le groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (Giec) l'affirme : sans réduction immédiate des émissions de CO2 à l'échelle mondiale, tous les scénarios prévoient une augmentation de la température globale de deux degrés d'ici à 2050.

Après les assises de l'eau de 2018 et le Varenne de l'eau de 2021 et 2022, le Président de la République a présenté son plan Eau. Aujourd'hui même, la commission interministérielle de l'eau remettra quant à elle son rapport sur le sujet. La litanie des annonces débouche sur tout ce qui aurait dû être anticipé et qui s'impose à nous aujourd'hui.

Le rapport d'information de la délégation sénatoriale à la prospective, auquel a participé ma collègue Cécile Cukierman, a le mérite d'aborder très largement la problématique de l'eau et d'apporter plusieurs solutions utiles, que je salue. On y lit notamment que « la mise en œuvre concrète des actions en faveur de l'eau repose sur les acteurs locaux ».

Les élus ont en effet un rôle essentiel à jouer dans la gouvernance de l'eau en France, que ce soit dans les comités de bassin, dans les agences de l'eau, dans les CLE, pour la fourniture d'eau potable, la gestion des milieux aquatiques, avec la Gemapi, ou encore les travaux d'assainissement.

Je note d'ailleurs que le transfert obligatoire, prévu par la loi portant nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRe), de la compétence eau et assainissement aux établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) en 2026 n'est pas clairement évoquée dans le plan du Président de la République, malgré l'opposition de très nombreuses communes.

Nous devons gagner en efficacité en renforçant l'échelon local de prise de décision afin de mieux prendre en compte la réalité des bassins de vie, notamment dans l'élaboration des PTGE.

Il faut redonner à nos collectivités territoriales et à nos agences de l'eau, qui sont la clef de voûte de la politique de l'eau, la capacité financière d'agir.

Madame la secrétaire d'État, si le plafond mordant – en d'autres termes, le plafonnement des recettes des agences de l'eau – est supprimé, on peut s'interroger sur l'annonce de 475 millions d'euros de rehaussement des moyens des agences et sur la provenance de ces crédits : leur budget est abondé non par l'État, mais par les redevances des consommateurs.Peut-être me répondrez-vous sur ce sujet.

Les collectivités n'ont pas de capacité d'intervention directe sur tous les secteurs consommateurs d'eau. Tout ne peut pas non plus reposer sur les usagers, même si la sobriété s'impose.

Ce n'est pas l'installation de mousseurs sur les robinets qui permettra d'assurer un accès durable à l'eau, alors même que nous perdons, à cause des fuites dans les réseaux à rénover, l'équivalent de la consommation annuelle de 18 millions d'habitants. C'est énorme !

N'opposons pas les usages de l'eau : agriculture, industrie, tourisme, nous avons besoin de toutes ces activités.

Les épisodes cévenols vont se multiplier. Savoir retenir l'eau avant qu'elle ne ravage habitations, routes et équipements sera un enjeu important.

Debut de section - PermalienPhoto de Hervé Gillé

Madame la secrétaire d’État, je vous remercie de vos réponses. Vous nous confirmez que les redevances existantes feront l’objet d’un relèvement. Dont acte.

Personnellement, je suis très favorable à un renforcement de la planification en matière de gestion de l’eau. Les établissements publics territoriaux de bassin (EPTB) jouent un rôle essentiel : il faut s’efforcer de les développer et de les conforter dans l’ensemble des territoires, en lien avec les établissements publics d’aménagement et de gestion de l’eau (Epage).

Il faut en effet multiplier les Sage et faire en sorte que les CLE deviennent de véritables parlements locaux et territoriaux de l’eau. Ce travail est indispensable.

À mon sens, il faudra également assurer l’intégration de la gestion de l’eau dans les politiques d’urbanisme. Les schémas de cohérence territoriale (Scot) permettraient sans doute d’approfondir encore davantage ce sujet.

Mme la secrétaire d ’ État le confirme.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Claude Varaillas

Mme Marie-Claude Varaillas. Même si la question de la récupération de l'eau fait rage, nous devons avoir un débat apaisé. On ne vole pas plus d'eau avec une retenue collinaire qu'avec un récupérateur en maison individuelle.

Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains. – M. Pierre Louault applaudit également.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Claude Varaillas

Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, le monde est entré dans une nouvelle ère. Désormais, il fait face à la vulnérabilité de ses écosystèmes et à des tensions accrues s’exerçant sur ses ressources naturelles. Au total, 40 % de la population mondiale souffre de pénuries d’eau au moins une fois par an et 1, 4 milliard de personnes sont privées d’accès à l’eau potable.

Ces pénuries, que nous observons aujourd’hui sur notre propre sol, nous obligent à nous saisir de l’enjeu de la gestion de l’eau.

Ainsi, durant trente-deux jours d’affilée, en plein hiver, la France a été privée de pluie, ce qui entraînera probablement des pénuries d’eau cet été dans de nombreuses communes.

L’été 2022 fut le plus chaud depuis les années 1950. Au total, 93 départements ont été soumis à des restrictions et plus de 1 000 communes ont subi des coupures d’eau.

Si nous n’intervenons pas, la situation continuera à se dégrader. Le groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) l’affirme : sans réduction immédiate des émissions de CO2 à l’échelle mondiale, tous les scénarios prévoient une augmentation de la température globale de deux degrés d’ici à 2050.

Après les assises de l’eau de 2018 et le Varenne de l’eau de 2021 et 2022, le Président de la République a présenté son plan Eau. Aujourd’hui même, la commission interministérielle de l’eau remettra quant à elle son rapport sur le sujet. La litanie des annonces débouche sur tout ce qui aurait dû être anticipé et qui s’impose à nous aujourd’hui.

Le rapport d’information de la délégation sénatoriale à la prospective, auquel a participé ma collègue Cécile Cukierman, a le mérite d’aborder très largement la problématique de l’eau et d’apporter plusieurs solutions utiles, que je salue. On y lit notamment que « la mise en œuvre concrète des actions en faveur de l’eau repose sur les acteurs locaux ».

Les élus ont en effet un rôle essentiel à jouer dans la gouvernance de l’eau en France, que ce soit dans les comités de bassin, dans les agences de l’eau, dans les CLE, pour la fourniture d’eau potable, la gestion des milieux aquatiques, avec la Gemapi, ou encore les travaux d’assainissement.

Je note d’ailleurs que le transfert obligatoire, prévu par la loi portant nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRe), de la compétence eau et assainissement aux établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) en 2026 n’est pas clairement évoquée dans le plan du Président de la République, malgré l’opposition de très nombreuses communes.

Nous devons gagner en efficacité en renforçant l’échelon local de prise de décision afin de mieux prendre en compte la réalité des bassins de vie, notamment dans l’élaboration des PTGE.

Il faut redonner à nos collectivités territoriales et à nos agences de l’eau, qui sont la clef de voûte de la politique de l’eau, la capacité financière d’agir.

Madame la secrétaire d’État, si le plafond mordant – en d’autres termes, le plafonnement des recettes des agences de l’eau – est supprimé, on peut s’interroger sur l’annonce de 475 millions d’euros de rehaussement des moyens des agences et sur la provenance de ces crédits : leur budget est abondé non par l’État, mais par les redevances des consommateurs.Peut-être me répondrez-vous sur ce sujet.

Les collectivités n’ont pas de capacité d’intervention directe sur tous les secteurs consommateurs d’eau. Tout ne peut pas non plus reposer sur les usagers, même si la sobriété s’impose.

Ce n’est pas l’installation de mousseurs sur les robinets qui permettra d’assurer un accès durable à l’eau, alors même que nous perdons, à cause des fuites dans les réseaux à rénover, l’équivalent de la consommation annuelle de 18 millions d’habitants. C’est énorme !

N’opposons pas les usages de l’eau : agriculture, industrie, tourisme, nous avons besoin de toutes ces activités.

Les épisodes cévenols vont se multiplier. Savoir retenir l’eau avant qu’elle ne ravage habitations, routes et équipements sera un enjeu important.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Claude Varaillas

Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, le monde est entré dans une nouvelle ère. Désormais, il fait face à la vulnérabilité de ses écosystèmes et à des tensions accrues s’exerçant sur ses ressources naturelles. Au total, 40 % de la population mondiale souffre de pénuries d’eau au moins une fois par an et 1, 4 milliard de personnes sont privées d’accès à l’eau potable.

Ces pénuries, que nous observons aujourd’hui sur notre propre sol, nous obligent à nous saisir de l’enjeu de la gestion de l’eau.

Ainsi, durant trente-deux jours d’affilée, en plein hiver, la France a été privée de pluie, ce qui entraînera probablement des pénuries d’eau cet été dans de nombreuses communes.

L’été 2022 fut le plus chaud depuis les années 1950. Au total, 93 départements ont été soumis à des restrictions et plus de 1 000 communes ont subi des coupures d’eau.

Si nous n’intervenons pas, la situation continuera à se dégrader. Le groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) l’affirme : sans réduction immédiate des émissions de CO2 à l’échelle mondiale, tous les scénarios prévoient une augmentation de la température globale de deux degrés d’ici à 2050.

Après les assises de l’eau de 2018 et le Varenne de l’eau de 2021 et 2022, le Président de la République a présenté son plan Eau. Aujourd’hui même, la commission interministérielle de l’eau remettra quant à elle son rapport sur le sujet. La litanie des annonces débouche sur tout ce qui aurait dû être anticipé et qui s’impose à nous aujourd’hui.

Le rapport d’information de la délégation sénatoriale à la prospective, auquel a participé ma collègue Cécile Cukierman, a le mérite d’aborder très largement la problématique de l’eau et d’apporter plusieurs solutions utiles, que je salue. On y lit notamment que « la mise en œuvre concrète des actions en faveur de l’eau repose sur les acteurs locaux ».

Les élus ont en effet un rôle essentiel à jouer dans la gouvernance de l’eau en France, que ce soit dans les comités de bassin, dans les agences de l’eau, dans les CLE, pour la fourniture d’eau potable, la gestion des milieux aquatiques, avec la Gemapi, ou encore les travaux d’assainissement.

Je note d’ailleurs que le transfert obligatoire, prévu par la loi NOTRe, de la compétence eau et assainissement aux établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) en 2026 n’est pas clairement évoquée dans le plan du Président de la République, malgré l’opposition de très nombreuses communes.

Nous devons gagner en efficacité en renforçant l’échelon local de prise de décision afin de mieux prendre en compte la réalité des bassins de vie, notamment dans l’élaboration des PTGE.

Il faut redonner à nos collectivités territoriales et à nos agences de l’eau, qui sont la clef de voûte de la politique de l’eau, la capacité financière d’agir.

Madame la secrétaire d’État, si le plafond mordant – en d’autres termes, le plafonnement des recettes des agences de l’eau – est supprimé, on peut s’interroger sur l’annonce de 475 millions d’euros de rehaussement des moyens des agences et sur la provenance de ces crédits : leur budget est abondé non par l’État, mais par les redevances des consommateurs.Peut-être me répondrez-vous sur ce sujet.

Les collectivités n’ont pas de capacité d’intervention directe sur tous les secteurs consommateurs d’eau. Tout ne peut pas non plus reposer sur les usagers, même si la sobriété s’impose.

Ce n’est pas l’installation de mousseurs sur les robinets qui permettra d’assurer un accès durable à l’eau, alors même que nous perdons, à cause des fuites dans les réseaux à rénover, l’équivalent de la consommation annuelle de 18 millions d’habitants. C’est énorme !

N’opposons pas les usages de l’eau : agriculture, industrie, tourisme, nous avons besoin de toutes ces activités.

Les épisodes cévenols vont se multiplier. Savoir retenir l’eau avant qu’elle ne ravage habitations, routes et équipements sera un enjeu important.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Claude Varaillas

Nous devons accélérer vers l'agroécologie et généraliser une agriculture de conservation qui améliore la rétention d'eau.

Il est regrettable que notre pays manque d'ambition : l'eau doit être enfin traitée comme un bien commun et non plus comme une marchandise sur un marché opaque et juteux pour les multinationales.

Je me souviens pourtant des sages paroles du Président de la République lors de la crise sanitaire : « Il est des biens et des services qui doivent être placés en dehors des lois du marché. »

La gestion publique de l'eau, par la création d'un service public dédié, doit guider notre action, avec une intervention particulière et prioritaire dans les outre-mer, où l'état des réserves d'eau et des réseaux d'approvisionnement est très préoccupant.

Enfin, une tarification sociale de l'eau doit garantir le droit inaliénable à l'accès de tous à l'eau, via la gratuité des premiers mètres cubes, ainsi que je le préconisais dans la proposition de loi que j'ai déposée avec certains de mes collègues en 2021.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Claude Varaillas

Mme Marie-Claude Varaillas. Même si la question de la récupération de l’eau fait rage, nous devons avoir un débat apaisé. On ne vole pas plus d’eau avec une retenue collinaire qu’avec un récupérateur en maison individuelle.

Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains. – M. Pierre Louault applaudit également.

Debut de section - Permalien
Bérangère Couillard, secrétaire d'État auprès du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée de l'écologie

Madame la sénatrice Varaillas, permettez-moi de rappeler les grands axes du plan Eau : la sobriété – avec la baisse de 10 % des prélèvements –, l'optimisation – avec la réutilisation des eaux usées traitées et le recours à des solutions fondées sur la nature –, la qualité – avec la protection des captages – et le renforcement de la gouvernance locale – avec la multiplication des Sage, des CLE et des PTGE, afin de définir la politique de l'eau à l'échelle locale. Tous les acteurs pourront ainsi décider, à cet échelon, des engagements à prendre pour répondre à l'objectif d'une réduction de 10 % des prélèvements.

Qui va payer ? Ce sont l'ensemble des usagers qui paieront. Nous avons été extrêmement vigilants à faire porter la responsabilité sur les ménages, les agriculteurs, les industriels et le secteur de l'énergie. Quand l'effort est partagé, il est beaucoup mieux accepté par l'ensemble de la population. Permettez-moi de rappeler qu'il s'agit de 475 millions d'euros supplémentaires, soit un budget complémentaire de 20 %.

Le sujet de la tarification de l'eau relève directement des collectivités, ainsi que David Lisnard, le président de l'Association des maires de France et des présidents d'intercommunalité, nous l'a rappelé dès l'annonce du plan Eau par le Président de la République. L'État sera aux côtés des collectivités pour les accompagner dans la tarification sociale de l'eau, mais n'imposera en aucun cas une tarification : ce sera décidé par territoire.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Claude Varaillas

Nous devons accélérer vers l’agroécologie et généraliser une agriculture de conservation qui améliore la rétention d’eau.

Il est regrettable que notre pays manque d’ambition : l’eau doit être enfin traitée comme un bien commun et non plus comme une marchandise sur un marché opaque et juteux pour les multinationales.

Je me souviens pourtant des sages paroles du Président de la République lors de la crise sanitaire : « Il est des biens et des services qui doivent être placés en dehors des lois du marché. »

La gestion publique de l’eau, par la création d’un service public dédié, doit guider notre action, avec une intervention particulière et prioritaire dans les outre-mer, où l’état des réserves d’eau et des réseaux d’approvisionnement est très préoccupant.

Enfin, une tarification sociale de l’eau doit garantir le droit inaliénable à l’accès de tous à l’eau, via la gratuité des premiers mètres cubes, ainsi que je le préconisais dans la proposition de loi que j’ai déposée avec certains de mes collègues en 2021.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-François Longeot

Madame la présidente, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, les sécheresses et les canicules de ces dernières années l'ont prouvé : le temps de l'abondance et de l'insouciance hydrique est révolu. Face à la raréfaction de la ressource, nous savons que nous devons désormais changer de modèle de gestion de l'eau. Nul besoin d'être docteur en mathématiques pour poser l'équation, tant elle est simple : faire mieux avec moins !

La nouvelle donne hydrique nous impose de repenser notre modèle de gestion durable de l'eau, d'accroître la sobriété de nos consommations et de nos prélèvements, de trouver les moyens de prévenir et d'apaiser les conflits d'usage, mais également d'anticiper les conséquences d'étés plus secs pour ne pas les subir. Angle mort des réflexions d'un pays que l'on a souvent comparé à un château d'eau, la ressource en eau peut devenir, dans la France de 2023 et des années à venir, un facteur de tensions, voire de conflits. Ne pas s'y préparer serait suicidaire.

Les assises de l'eau et le Varenne agricole de l'eau ont préparé le terrain, mais également les esprits. Le plan Eau conclut cette séquence de réflexion et de concertation par une série de mesures que les élus, les acteurs et les citoyens attendaient depuis longtemps. On pourrait regretter que la cible de 10 % d'économies d'eau prélevée dans tous les secteurs ne soit qu'indicative. Certes, toute politique est perfectible, mais je préfère l'action à l'immobilisme.

Je salue l'annonce d'un plan de 180 millions d'euros par an pour lutter contre les canalisations fuyardes des collectivités dont le rendement des réseaux est inférieur à 50 %, ainsi que je l'avais appelé de mes vœux au mois de novembre dernier dans une tribune largement cosignée par des parlementaires et des élus locaux.

J'ai cependant quelques inquiétudes concernant la conditionnalité des aides : il ne faudrait pas que les collectivités les plus fragiles soient pénalisées par des exigences hors de leur portée. Les élus locaux doivent être accompagnés et non stigmatisés. Madame la secrétaire d'État, pouvez-vous me rassurer et nous en dire plus sur la manière dont les aides seront attribuées et évaluées ?

Ces dernières semaines, des articles de presse ont ravivé les préoccupations relatives à la qualité de l'eau destinée à la consommation humaine. De nouvelles molécules chimiques mises sur le marché, dont les effets à long terme sont encore mal connus, finissent par se retrouver dans les milieux aquatiques et les aquifères, par conséquent dans l'eau distribuée aux usagers. Madame la secrétaire d'État, quelles actions comptez-vous mettre en œuvre pour rassurer sur la potabilité de l'eau du robinet et son innocuité pour la santé à long terme ?

En matière d'action publique, l'État doit être exemplaire et s'appliquer à lui-même les efforts qu'il demande aux collectivités, aux entreprises et aux citoyens. Comment comptez-vous mettre en place, dans les administrations publiques, une gestion de l'eau irréprochable et en finir avec les gaspillages ? Le parc immobilier de l'État comprend plus de 190 000 bâtiments, pour une surface d'environ 94 millions de mètres carrés… Un rapide calcul conduit à un montant vertigineux. Il ne s'agit pourtant que d'une mesure parmi les 53 qui ont été annoncées. Comment comptez-vous la financer et communiquer autour de cette exemplarité ?

Sans moyens financiers adéquats, la parole publique et les programmes d'action restent lettre morte. Madame la secrétaire d'État, vous augmentez le plafond mordant des agences de l'eau, mais, dans le même temps, vous fléchez une grande partie de ces augmentations vers des mesures que vous avez identifiées par ailleurs. Même si les montants annoncés par le Président de la République paraissent importants, les besoins annuels identifiés pour le petit et le grand cycle de l'eau se chiffrent en milliards d'euros.

Madame la secrétaire d'État, ma question est toute simple : que comptez-vous faire pour que le plan Eau ne soit pas un plan qui prenne l'eau ?

Applaudissements sur les travées du groupe UC. – Exclamations amusées sur des travées du groupe Les Républicains.

Debut de section - Permalien
Bérangère Couillard

Madame la sénatrice Varaillas, permettez-moi de rappeler les grands axes du plan Eau : la sobriété – avec la baisse de 10 % des prélèvements –, l’optimisation – avec la réutilisation des eaux usées traitées et le recours à des solutions fondées sur la nature –, la qualité – avec la protection des captages – et le renforcement de la gouvernance locale – avec la multiplication des Sage, des CLE et des PTGE, afin de définir la politique de l’eau à l’échelle locale. Tous les acteurs pourront ainsi décider, à cet échelon, des engagements à prendre pour répondre à l’objectif d’une réduction de 10 % des prélèvements.

Qui va payer ? Ce sont l’ensemble des usagers qui paieront. Nous avons été extrêmement vigilants à faire porter la responsabilité sur les ménages, les agriculteurs, les industriels et le secteur de l’énergie. Quand l’effort est partagé, il est beaucoup mieux accepté par l’ensemble de la population. Permettez-moi de rappeler qu’il s’agit de 475 millions d’euros supplémentaires, soit un budget complémentaire de 20 %.

Le sujet de la tarification de l’eau relève directement des collectivités, ainsi que David Lisnard, le président de l’Association des maires de France et des présidents d’intercommunalité, nous l’a rappelé dès l’annonce du plan Eau par le Président de la République. L’État sera aux côtés des collectivités pour les accompagner dans la tarification sociale de l’eau, mais n’imposera en aucun cas une tarification : ce sera décidé par territoire.

Debut de section - Permalien
Bérangère Couillard, secrétaire d'État auprès du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée de l'écologie

Monsieur le sénateur Longeot, j'ai déjà apporté un certain nombre d'éléments d'information.

Vous évoquez la conditionnalité des aides aux collectivités. L'objectif est de soutenir les collectivités en vue d'une gestion performante du service eau et assainissement. La conditionnalité des aides sera dimensionnée afin d'être incitative, sans laisser les collectivités les plus en difficulté au bord du chemin.

Deux profils de collectivités sont plus particulièrement ciblés dans le plan Eau : les collectivités qui présentent des risques d'approvisionnement en eau potable – nous en avons identifié 2 000 – et celles qui présentent de graves défauts d'entretien de leurs réseaux, avec plus de 50 % de fuites – nous en avons répertorié 171, mais elles sont en réalité bien plus nombreuses. L'enjeu est d'entraîner toutes celles qui ont des performances moyennes. Il conviendrait de doubler le rythme actuel de renouvellement des infrastructures au regard de leur durée de vie. Cette accélération sera principalement soutenue par un juste prix de l'eau et la mobilisation des Aqua Prêts à taux bonifié de la Banque des territoires.

Les agences de l'eau fixeront les critères de la conditionnalité des aides, selon les principes généraux posés par l'État qui porteront notamment sur la conformité au regard des cibles de fuites et de qualité des rejets des eaux usées traitées. Il ne s'agit pas, bien entendu, de pénaliser les collectivités les plus en difficulté : au contraire, celles qui n'atteindraient pas les critères de conformité, pourront être aidées à condition de présenter un plan correctif.

Comment faire en sorte que le plan Eau ne prenne pas l'eau ? Monsieur le sénateur, nous avons tâché d'envisager la problématique de la gestion de l'eau dans son ensemble, en répondant à l'objectif de baisse des prélèvements, en renforçant la gouvernance, en permettant d'autres utilisations – je pense à la réutilisation des eaux usées traitées ainsi qu'aux solutions fondées sur la nature –, en étant attentifs à la qualité de l'eau. Ainsi, nous répondons à l'ensemble des besoins, sans oublier les moyens financiers.

Debut de section - PermalienPhoto de Nathalie Delattre

La parole est à M. Jean-François Longeot. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – M. Louis-Jean de Nicolaÿ applaudit également.)

Debut de section - PermalienPhoto de Nathalie Delattre

La parole est à M. Jean-François Longeot, pour la réplique.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-François Longeot

Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, les sécheresses et les canicules de ces dernières années l’ont prouvé : le temps de l’abondance et de l’insouciance hydrique est révolu. Face à la raréfaction de la ressource, nous savons que nous devons désormais changer de modèle de gestion de l’eau. Nul besoin d’être docteur en mathématiques pour poser l’équation, tant elle est simple : faire mieux avec moins !

La nouvelle donne hydrique nous impose de repenser notre modèle de gestion durable de l’eau, d’accroître la sobriété de nos consommations et de nos prélèvements, de trouver les moyens de prévenir et d’apaiser les conflits d’usage, mais également d’anticiper les conséquences d’étés plus secs pour ne pas les subir. Angle mort des réflexions d’un pays que l’on a souvent comparé à un château d’eau, la ressource en eau peut devenir, dans la France de 2023 et des années à venir, un facteur de tensions, voire de conflits. Ne pas s’y préparer serait suicidaire.

Les assises de l’eau et le Varenne agricole de l’eau ont préparé le terrain, mais également les esprits. Le plan Eau conclut cette séquence de réflexion et de concertation par une série de mesures que les élus, les acteurs et les citoyens attendaient depuis longtemps. On pourrait regretter que la cible de 10 % d’économies d’eau prélevée dans tous les secteurs ne soit qu’indicative. Certes, toute politique est perfectible, mais je préfère l’action à l’immobilisme.

Je salue l’annonce d’un plan de 180 millions d’euros par an pour lutter contre les canalisations fuyardes des collectivités dont le rendement des réseaux est inférieur à 50 %, ainsi que je l’avais appelé de mes vœux au mois de novembre dernier dans une tribune largement cosignée par des parlementaires et des élus locaux.

J’ai cependant quelques inquiétudes concernant la conditionnalité des aides : il ne faudrait pas que les collectivités les plus fragiles soient pénalisées par des exigences hors de leur portée. Les élus locaux doivent être accompagnés et non stigmatisés. Madame la secrétaire d’État, pouvez-vous me rassurer et nous en dire plus sur la manière dont les aides seront attribuées et évaluées ?

Ces dernières semaines, des articles de presse ont ravivé les préoccupations relatives à la qualité de l’eau destinée à la consommation humaine. De nouvelles molécules chimiques mises sur le marché, dont les effets à long terme sont encore mal connus, finissent par se retrouver dans les milieux aquatiques et les aquifères, donc dans l’eau distribuée aux usagers. Madame la secrétaire d’État, quelles actions comptez-vous mettre en œuvre pour rassurer sur la potabilité de l’eau du robinet et son innocuité pour la santé à long terme ?

En matière d’action publique, l’État doit être exemplaire et s’appliquer à lui-même les efforts qu’il demande aux collectivités, aux entreprises et aux citoyens. Comment comptez-vous mettre en place, dans les administrations publiques, une gestion de l’eau irréprochable et en finir avec les gaspillages ? Le parc immobilier de l’État comprend plus de 190 000 bâtiments, pour une surface d’environ 94 millions de mètres carrés… Un rapide calcul conduit à un montant vertigineux. Il ne s’agit pourtant que d’une mesure parmi les 53 qui ont été annoncées. Comment comptez-vous la financer et communiquer autour de cette exemplarité ?

Sans moyens financiers adéquats, la parole publique et les programmes d’action restent lettre morte. Madame la secrétaire d’État, vous augmentez le plafond mordant des agences de l’eau, mais, dans le même temps, vous fléchez une grande partie de ces augmentations vers des mesures que vous avez identifiées par ailleurs. Même si les montants annoncés par le Président de la République paraissent importants, les besoins annuels identifiés pour le petit et le grand cycle de l’eau se chiffrent en milliards d’euros.

Madame la secrétaire d’État, ma question est toute simple : que comptez-vous faire pour que le plan Eau ne soit pas un plan qui prenne l’eau ?

Applaudissements sur les travées du groupe UC. – Exclamations amusées sur des travées du groupe Les Républicains.

Applaudissements sur les travées du groupe RDSE. – Mme Nadège Havet et M. Pierre Louault applaudissent également.

Debut de section - PermalienPhoto de Éric Gold

Madame la présidente, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, après les affrontements de Sainte-Soline le 25 mars dernier, ce débat sur la gestion de la ressource en eau apparaît cruellement d'actualité.

Sainte-Soline n'est pas une affaire d'écologistes et d'ultragauche. Il s'agit d'un débat de fond et d'une véritable inquiétude : dans un contexte de pénurie croissante, l'eau va-t-elle enfin être gérée comme un bien commun à préserver ?

Jusqu'à présent, nous vivions dans un pays où l'eau coulait en abondance. Nous pouvions prélever jusqu'à 35 milliards de mètres cubes par an sans avoir à remettre en cause notre modèle. Toutefois, après plusieurs épisodes de sécheresse et la confirmation d'une trajectoire inquiétante de réchauffement climatique, des tensions autour du partage de cette ressource apparaissent.

Pour autant, connaissons-nous réellement la situation ? Sommes-nous en mesure de quantifier l'état de la ressource en eau ? Le sentiment général, madame la secrétaire d'État, est que nous nous réveillons alors qu'il est déjà trop tard, que les cours d'eau sont à sec, que les nappes phréatiques sont au plus bas et que les prévisions à moyen terme ne sont pas des plus optimistes.

Sous l'effet du réchauffement climatique, les précipitations vont diminuer, l'évaporation va s'accentuer. Dans le même temps, l'augmentation de la population mondiale accroît les besoins en eau. Les pressions sur les gestionnaires de l'eau en ville s'intensifient. En zone rurale, le partage et les conflits d'usage posent des problèmes croissants. Parallèlement, les besoins en énergie et en alimentation augmentent, alors que les centrales nucléaires et l'agriculture sont de très gros consommateurs d'eau.

Gérer durablement l'eau, c'est être en capacité de reconstituer les stocks chaque année, c'est ne pas puiser plus que l'alimentation annuelle des réserves souterraines et de surface, alors même que les glaciers fondent sans se reconstituer.

Pour cela, nous devons d'abord revoir entièrement notre modèle, à commencer par le modèle économique des agences de l'eau, qui n'incite pas suffisamment à une utilisation rationnelle de l'eau. Le plan Eau prévoit le déplafonnement des dépenses de ces structures. Attention toutefois à élargir le champ des contributeurs, afin de conserver une logique pollueur-payeur. Si une tarification progressive et responsabilisante de l'eau peut contribuer à faire baisser la consommation des ménages, le financement de la politique de l'eau ne peut continuer à reposer entièrement sur eux.

L'objectif de réduction de 10 % des prélèvements par rapport à 2019, dans tous les secteurs, est un premier pas. Nous regrettons toutefois que cette ambition, affichée pour 2025 lors des assises de l'eau, soit désormais reportée à 2030.

Un objectif n'est rien sans moyens à la hauteur. Le plan Eau nous apporte quelques réponses, avec 500 millions d'euros supplémentaires chaque année pour les agences de l'eau, 100 millions pour les pratiques vertueuses des agriculteurs ou encore 100 millions d'euros du fonds vert pour des projets de renaturation des collectivités. Une grande campagne de sensibilisation et d'accompagnement des particuliers complétera cet arsenal, pour couvrir l'ensemble de la chaîne de consommation.

Pour ma part, je défends un modèle où l'État fixe un cap ambitieux associé à des moyens suffisants, tout en laissant la main aux collectivités territoriales, car un modèle unique ne saurait être appliqué sur tout le territoire. Il nous faut des approches intégrées, par exemple avec une gestion par bassin ou par écosystème. Il nous faut achever l'évolution de la gouvernance de l'eau, pour que tous les acteurs définissent ensemble les priorités de leur bassin, dans le but d'éviter les conflits et de garantir une utilisation de la ressource en fonction des besoins prioritaires.

Sur la question très sensible de l'irrigation en agriculture, les quantités autorisées doivent être définies par les agences de l'eau, en lien avec les chambres d'agriculture, mais aussi les associations locales, pour faire baisser le niveau de tension. De tels projets de territoire pourraient nous éviter d'autres Sainte-Soline.

Nous devons aussi mieux accompagner les élus locaux, parfois démunis face aux enjeux, notamment dans les petites communes hors syndicat. Il faut les aider à mieux identifier, financer et mettre en œuvre leurs projets.

Enfin, des solutions très concrètes doivent être développées. La technologie nous offre des opportunités intéressantes dans tous les secteurs. Outre l'irrigation de précision, le goutte-à-goutte enterré ou les drones et les capteurs en agriculture, la réutilisation des eaux usées doit faire figure de priorité. Le Président de la République a fixé l'objectif de passer de 1 % à 10 % d'eau usée réutilisée, notamment en levant certains verrous administratifs. Alors qu'Israël réutilise 80 % de ses eaux usées, nous continuons à arroser nos jardins avec de l'eau potable… Il y a là une absurdité à lever.

Sourires.

Debut de section - Permalien
Bérangère Couillard, secrétaire d'État auprès du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée de l'écologie

eaucoup a déjà été dit, mais je tiens à répondre à chacun.

Monsieur Gold, je partage en partie votre constat. Les deux épisodes de sécheresse que nous avons connus l'an dernier – que nous connaîtrons probablement de nouveau cette année, malheureusement – ont constitué une prise de conscience collective, permettant de sensibiliser citoyens et élus. Nous n'avons jamais autant débattu de l'eau et je m'en réjouis.

Le Gouvernement a fait de ce sujet sa préoccupation et agit. La diminution de 10 % des prélèvements a été anticipée : elle avait été annoncée par Emmanuelle Wargon, alors secrétaire d'État. Nous annonçons maintenant comment nous comptons y parvenir. Il est bon que l'effort soit partagé entre les acteurs. Des solutions techniques permettront aussi d'atteindre cet objectif de diminution de 10 %, comme la réutilisation des eaux usées traitées. Nos voisins savent très bien le faire et des entreprises françaises le pratiquent déjà à l'étranger : alors, pourquoi pas chez nous ?

La participation de l'ensemble des collectivités, et notamment de l'Association nationale des élus du littoral (Anel) pour encourager ces solutions dans les communes littorales, est bienvenue afin d'amplifier cette dynamique. La réduction des contraintes réglementaires nous permettra aussi d'accélérer. Il nous remonte des territoires une envie de bien faire ; il faut désormais donner les moyens, notamment réglementaires, pour que ces solutions se mettent en place dans les territoires.

Debut de section - Permalien
Bérangère Couillard

Monsieur le sénateur Longeot, j’ai déjà apporté un certain nombre d’éléments d’information.

Vous évoquez la conditionnalité des aides aux collectivités. L’objectif est de soutenir les collectivités en vue d’une gestion performante du service eau et assainissement. La conditionnalité des aides sera dimensionnée afin d’être incitative, sans laisser les collectivités les plus en difficulté au bord du chemin.

Deux profils de collectivités sont plus particulièrement ciblés dans le plan Eau : les collectivités qui présentent des risques d’approvisionnement en eau potable – nous en avons identifié 2 000 – et celles qui présentent de graves défauts d’entretien de leurs réseaux, avec plus de 50 % de fuites – nous en avons répertorié 171, mais elles sont en réalité bien plus nombreuses. L’enjeu est d’entraîner toutes celles qui ont des performances moyennes. Il conviendrait de doubler le rythme actuel de renouvellement des infrastructures au regard de leur durée de vie. Cette accélération sera principalement soutenue par un juste prix de l’eau et la mobilisation des Aqua Prêts à taux bonifié de la Banque des territoires.

Les agences de l’eau fixeront les critères de la conditionnalité des aides, selon les principes généraux posés par l’État qui porteront notamment sur la conformité au regard des cibles de fuites et de qualité des rejets des eaux usées traitées. Il ne s’agit pas, bien entendu, de pénaliser les collectivités les plus en difficulté : au contraire, celles qui n’atteindraient pas les critères de conformité, pourront être aidées à condition de présenter un plan correctif.

Comment faire en sorte que le plan Eau ne prenne pas l’eau ? Monsieur le sénateur, nous avons tâché d’envisager la problématique de la gestion de l’eau dans son ensemble, en répondant à l’objectif de baisse des prélèvements, en renforçant la gouvernance, en permettant d’autres utilisations – je pense à la réutilisation des eaux usées traitées ainsi qu’aux solutions fondées sur la nature –, en étant attentifs à la qualité de l’eau. Ainsi, nous répondons à l’ensemble des besoins, sans oublier les moyens financiers.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-François Husson

Madame la présidente, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, après un été 2022 historiquement sec, qui a été l'occasion de controverses notamment liées au partage de l'eau, été qui a succédé à un printemps caractérisé par des inondations à répétition, la question de la gestion de l'eau s'invite plus que jamais dans le débat public. Je m'en réjouis.

Nous devons préserver l'intégrité et la pérennité de la ressource en eau. Sa préservation ne pourra se faire qu'avec une gouvernance ad hoc.

Fort d'un regard rétrospectif, je pense qu'il serait bienvenu de recréer des services d'ingénierie de l'eau dans tous les territoires. En effet, la dégradation de la gestion patrimoniale des réseaux d'eau et d'assainissement est incontestablement corrélée à la disparition de l'ingénierie publique. Dans mon territoire, au cours de la période 2012-2022, 25 % des postes de l'agence de l'eau Rhin-Meuse ont été supprimés. Conséquence logique, les collectivités locales, souvent livrées à elles-mêmes, rencontrent des difficultés dans leur choix d'un mode de gestion et d'assainissement.

Il est donc essentiel de reconstituer une ingénierie territoriale spécialisée dans le domaine de l'eau, facilement mobilisable par le plus grand nombre de collectivités. C'est une question d'équité entre les territoires. La piste d'une ingénierie de proximité, articulée entre les acteurs et leur laissant le choix d'une éventuelle mutualisation à l'échelon intercommunal, mérite d'être explorée pour aller vers une amélioration fonctionnelle et des performances de service. L'émergence d'une nouvelle ingénierie me paraît la condition nécessaire à l'amélioration de la gouvernance du service public de l'eau.

Ainsi, nous pourrons stimuler les mécanismes de solidarité pour rattraper le retard d'équipement en matière d'eau et d'assainissement, notamment en milieu rural. Sans revenir sur le caractère obligatoire de la loi NOTRe, il serait utile de faciliter la remise à niveau des infrastructures d'eau et d'assainissement en cas d'intégration d'une commune à une intercommunalité.

Trop souvent, le rattrapage d'investissement est tel qu'il freine l'adhésion : soit le ticket d'entrée est trop élevé, soit la solidarité forcée de l'intercommunalité d'accueil trouve ses limites. Or l'intercommunalité en matière d'eau, notamment grâce au budget annexe qui permet une programmation pluriannuelle, est, dans l'absolu, un bon vecteur de modernisation des infrastructures et de professionnalisation des services. Nous pourrions imaginer un contrat de transition permettant de réaliser, dans des conditions apaisées et soutenables, des adhésions volontaires à des structures intercommunales, guidées par des logiques de performance et de service. Les agences de l'eau y trouveraient naturellement leur place.

Ce serait l'occasion de fixer les conditions d'une transformation des usages et d'un partage des ressources en eau, grâce à un dialogue territorial renouvelé, avec une vision à 360 degrés. Le changement climatique continuera d'avoir un impact durable sur les ressources en eau. Les projections font apparaître une baisse moyenne de la pluviométrie dans la plupart des régions de France, sauf le Grand Est, avec une très forte variabilité interannuelle.

L'ambition du schéma d'aménagement et de gestion de l'eau (Sage), issu de la loi de 1992, était claire : permettre aux élus, mais pas seulement eux, de tenir compte de la nouvelle situation climatique pour définir, dans leur bassin, les scénarios prospectifs d'aménagement. Là où les conflits d'usage étaient prégnants, cette forme de démocratie locale était pionnière et a montré son intérêt. Elle permet en effet de concilier les usages avec les disponibilités en eau et les aléas. Il faut certainement, madame la secrétaire d'État, lui donner un nouveau souffle. Nous devons donc réinventer les Sage, en imaginant des formes de gouvernance plus souples et en tirant les enseignements de leurs échecs ou de leurs limites – en un mot, en ayant un plan d'action opérationnel.

Nous devons aussi réinvestir dans l'innovation. Comment en sommes-nous arrivés à couper les ailes de nos entreprises spécialisées dans la gestion de l'eau, qui incarnaient pourtant l'excellence technologique à la française ? Nous sommes, une fois de plus, en retard par rapport à nos voisins européens – l'Italie, l'Espagne – en matière de réutilisation des eaux grises et des eaux usées. Le Président de la République a annoncé la mise en place d'un volet Eau au sein du programme France 2030 ; or c'est dans les territoires ruraux que le renchérissement du coût de l'énergie a les effets les plus marqués sur les services d'eau et d'assainissement ou qu'il existe des pressions non traitables du fait de la faiblesse de services moins intégrés.

Madame la secrétaire d'État, sur ces quatre orientations, le Gouvernement va, par votre voix, nous faire connaître la suite qu'il entend leur donner.

Debut de section - PermalienPhoto de Nathalie Delattre

La parole est à M. Jean-François Longeot, pour la réplique.

Debut de section - Permalien
Bérangère Couillard, secrétaire d'État auprès du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée de l'écologie

Monsieur le sénateur Husson, je vous remercie des propositions que vous venez de formuler. J'espère que vous aurez l'occasion de les réitérer et de les compléter dans le cadre de la mission parlementaire qui va être lancée et qui sera l'occasion d'aborder la question du renforcement de la gouvernance locale de l'eau. Tous les élus locaux, tous les participants aux parlements de l'eau l'appellent de leurs vœux : la gouvernance locale doit être renforcée.

Vous avez évoqué deux sujets : les moyens et l'ingénierie publique, notamment de l'État.

S'agissant des moyens, je rappelle que les agences de l'eau sont dotées de 2, 2 milliards d'euros. Le plan Eau prévoit 475 millions d'euros supplémentaires, ce qui représente une augmentation de 20 %. S'y ajoute également une enveloppe annuelle de 180 millions d'euros pour aider les communes en difficulté à sécuriser leur approvisionnement en eau potable, via des travaux d'interconnexion, de résorption de fuites et de forage de secours. Pour répondre au risque de sécheresse, 100 millions d'euros ont été renouvelés cette année. Enfin, 400 millions d'euros sont prévus pour déployer une nouvelle génération d'Aqua Prêts, sur plus d'un milliard d'euros dans les territoires.

Depuis 2010, l'État n'assure plus l'ingénierie publique en matière d'eau et d'assainissement. Il revient désormais aux collectivités de consolider leur propre ingénierie, d'où l'intérêt d'une mutualisation – pas nécessairement dans le cadre intercommunal –, afin de disposer des moyens nécessaires.

Il reste malgré tout une offre d'ingénierie d'État, grâce au Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (Cerema). La gouvernance de cet établissement a connu d'importantes évolutions en 2022, en application de la loi relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l'action publique locale, dite 3DS. Cet établissement, partagé entre l'État et les collectivités, pourra venir en appui et proposer un accompagnement des projets les plus complexes.

Nous avons également obtenu que les équivalents temps plein (ETP) du pôle ministériel ne baissent pas au cours des cinq prochaines années. Cela n'est pas toujours simple à obtenir. Aussi Christophe Béchu et moi-même en sommes-nous très heureux.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-François Longeot

Les collectivités attendent certes des moyens financiers, mais aussi des conseils et des aides. En matière d’assainissement, les décisions que les maires doivent prendre sont difficiles – je peux en témoigner pour avoir exercé ce mandat –, notamment au regard des nouveaux traitements à opérer. Je ne suis pas certain que l’Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT), cher Louis-Jean de Nicolaÿ, soit en mesure d’accompagner toutes les communes dans leurs décisions de traitement des eaux usées.

Debut de section - PermalienPhoto de Nathalie Delattre

La parole est à M. Jean-François Husson, pour la réplique.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-François Husson

Madame la secrétaire d'État, nous sommes à Gravelotte : il pleut des millions et des milliards ! Pourtant, ce n'est pas le seul élément de réponse qu'attendent les élus et nos concitoyens. Vous omettez en outre de rappeler que le Sénat a obtenu, lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2023, 50 millions d'euros supplémentaires de l'État. Ces crédits seront effectivement décaissés, contrairement aux 100 millions d'euros dont la Première ministre a demandé le déblocage pour les agences de l'eau.

Sur l'ingénierie, vous vous trompez : le Cerema rencontre de grandes difficultés pour intervenir dans les communes de moins de 2 000 habitants, faute de ressources techniques suffisantes. Il en va de même pour les agences de l'eau. Ne nous renvoyons pas la balle. Vous évoquez les parlements de l'eau ; je considère qu'il faut une vision à 360 degrés et regarder les choses en toute objectivité. La solidarité entre urbain et rural joue, notamment via un prélèvement de recettes au bénéfice des territoires ruraux, mais il faut aller plus loin : ne pas se contenter de belles phrases prononcées ici, mais constater sur le terrain les efforts qu'il faut déployer pour remettre la gestion publique de l'eau au bon niveau.

Applaudissements sur les travées du groupe RDSE. – Mme Nadège Havet et M. Pierre Louault applaudissent également.

Debut de section - PermalienPhoto de Nathalie Delattre

Mme la présidente. La parole est à Mme Marta de Cidrac.

Debut de section - PermalienPhoto de Éric Gold

Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, après les affrontements de Sainte-Soline le 25 mars dernier, ce débat sur la gestion de la ressource en eau apparaît cruellement d’actualité.

Sainte-Soline n’est pas une affaire d’écologistes et d’ultragauche. Il s’agit d’un débat de fond et d’une véritable inquiétude : dans un contexte de pénurie croissante, l’eau va-t-elle enfin être gérée comme un bien commun à préserver ?

Jusqu’à présent, nous vivions dans un pays où l’eau coulait en abondance. Nous pouvions prélever jusqu’à 35 milliards de mètres cubes par an sans avoir à remettre en cause notre modèle. Toutefois, après plusieurs épisodes de sécheresse et la confirmation d’une trajectoire inquiétante de réchauffement climatique, des tensions autour du partage de cette ressource apparaissent.

Pour autant, connaissons-nous réellement la situation ? Sommes-nous en mesure de quantifier l’état de la ressource en eau ? Le sentiment général, madame la secrétaire d’État, est que nous nous réveillons alors qu’il est déjà trop tard, que les cours d’eau sont à sec, que les nappes phréatiques sont au plus bas et que les prévisions à moyen terme ne sont pas des plus optimistes.

Sous l’effet du réchauffement climatique, les précipitations vont diminuer, l’évaporation va s’accentuer. Dans le même temps, l’augmentation de la population mondiale accroît les besoins en eau. Les pressions sur les gestionnaires de l’eau en ville s’intensifient. En zone rurale, le partage et les conflits d’usage posent des problèmes croissants. Parallèlement, les besoins en énergie et en alimentation augmentent, alors que les centrales nucléaires et l’agriculture sont de très gros consommateurs d’eau.

Gérer durablement l’eau, c’est être en capacité de reconstituer les stocks chaque année, c’est ne pas puiser plus que l’alimentation annuelle des réserves souterraines et de surface, alors même que les glaciers fondent sans se reconstituer.

Pour cela, nous devons d’abord revoir entièrement notre modèle, à commencer par le modèle économique des agences de l’eau, qui n’incite pas suffisamment à une utilisation rationnelle de l’eau. Le plan Eau prévoit le déplafonnement des dépenses de ces structures. Attention toutefois à élargir le champ des contributeurs, afin de conserver une logique pollueur-payeur. Si une tarification progressive et responsabilisante de l’eau peut contribuer à faire baisser la consommation des ménages, le financement de la politique de l’eau ne peut continuer à reposer entièrement sur eux.

L’objectif de réduction de 10 % des prélèvements par rapport à 2019, dans tous les secteurs, est un premier pas. Nous regrettons toutefois que cette ambition, affichée pour 2025 lors des assises de l’eau, soit désormais reportée à 2030.

Un objectif n’est rien sans moyens à la hauteur. Le plan Eau nous apporte quelques réponses, avec 500 millions d’euros supplémentaires chaque année pour les agences de l’eau, 100 millions pour les pratiques vertueuses des agriculteurs ou encore 100 millions d’euros du fonds vert pour des projets de renaturation des collectivités. Une grande campagne de sensibilisation et d’accompagnement des particuliers complétera cet arsenal, pour couvrir l’ensemble de la chaîne de consommation.

Pour ma part, je défends un modèle où l’État fixe un cap ambitieux associé à des moyens suffisants, tout en laissant la main aux collectivités territoriales, car un modèle unique ne saurait être appliqué sur tout le territoire. Il nous faut des approches intégrées, par exemple avec une gestion par bassin ou par écosystème. Il nous faut achever l’évolution de la gouvernance de l’eau, pour que tous les acteurs définissent ensemble les priorités de leur bassin, dans le but d’éviter les conflits et de garantir une utilisation de la ressource en fonction des besoins prioritaires.

Sur la question très sensible de l’irrigation en agriculture, les quantités autorisées doivent être définies par les agences de l’eau, en lien avec les chambres d’agriculture, mais aussi les associations locales, pour faire baisser le niveau de tension. De tels projets de territoire pourraient nous éviter d’autres Sainte-Soline.

Nous devons aussi mieux accompagner les élus locaux, parfois démunis face aux enjeux, notamment dans les petites communes hors syndicat. Il faut les aider à mieux identifier, financer et mettre en œuvre leurs projets.

Enfin, des solutions très concrètes doivent être développées. La technologie nous offre des opportunités intéressantes dans tous les secteurs. Outre l’irrigation de précision, le goutte-à-goutte enterré ou les drones et les capteurs en agriculture, la réutilisation des eaux usées doit faire figure de priorité. Le Président de la République a fixé l’objectif de passer de 1 % à 10 % d’eau usée réutilisée, notamment en levant certains verrous administratifs. Alors qu’Israël réutilise 80 % de ses eaux usées, nous continuons à arroser nos jardins avec de l’eau potable… Il y a là une absurdité à lever.

Debut de section - PermalienPhoto de Éric Gold

Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, après les affrontements de Sainte-Soline le 25 mars dernier, ce débat sur la gestion de la ressource en eau apparaît cruellement d’actualité.

Sainte-Soline n’est pas une affaire d’écologistes et d’ultragauche. Il s’agit d’un débat de fond et d’une véritable inquiétude : dans un contexte de pénurie croissante, l’eau va-t-elle enfin être gérée comme un bien commun à préserver ?

Jusqu’à présent, nous vivions dans un pays où l’eau coulait en abondance. Nous pouvions prélever jusqu’à 35 milliards de mètres cubes par an sans avoir à remettre en cause notre modèle. Toutefois, après plusieurs épisodes de sécheresse et la confirmation d’une trajectoire inquiétante de réchauffement climatique, des tensions autour du partage de cette ressource apparaissent.

Pour autant, connaissons-nous réellement la situation ? Sommes-nous en mesure de quantifier l’état de la ressource en eau ? Le sentiment général, madame la secrétaire d’État, est que nous nous réveillons alors qu’il est déjà trop tard, que les cours d’eau sont à sec, que les nappes phréatiques sont au plus bas et que les prévisions à moyen terme ne sont pas des plus optimistes.

Sous l’effet du réchauffement climatique, les précipitations vont diminuer, l’évaporation va s’accentuer. Dans le même temps, l’augmentation de la population mondiale accroît les besoins en eau. Les pressions sur les gestionnaires de l’eau en ville s’intensifient. En zone rurale, le partage et les conflits d’usage posent des problèmes croissants. Parallèlement, les besoins en énergie et en alimentation augmentent, alors que les centrales nucléaires et l’agriculture sont de très gros consommateurs d’eau.

Gérer durablement l’eau, c’est être capable de reconstituer les stocks chaque année, c’est ne pas puiser plus que l’alimentation annuelle des réserves souterraines et de surface, alors même que les glaciers fondent sans se reconstituer.

Pour cela, nous devons d’abord revoir entièrement notre modèle, à commencer par le modèle économique des agences de l’eau, qui n’incite pas suffisamment à une utilisation rationnelle de l’eau. Le plan Eau prévoit le déplafonnement des dépenses de ces structures. Attention toutefois à élargir le champ des contributeurs, afin de conserver une logique pollueur-payeur. Si une tarification progressive et responsabilisante de l’eau peut contribuer à faire baisser la consommation des ménages, le financement de la politique de l’eau ne peut continuer à reposer entièrement sur eux.

L’objectif de réduction de 10 % des prélèvements par rapport à 2019, dans tous les secteurs, est un premier pas. Nous regrettons toutefois que cette ambition, affichée pour 2025 lors des assises de l’eau, soit désormais reportée à 2030.

Un objectif n’est rien sans moyens à la hauteur. Le plan Eau nous apporte quelques réponses, avec 500 millions d’euros supplémentaires chaque année pour les agences de l’eau, 100 millions pour les pratiques vertueuses des agriculteurs ou encore 100 millions d’euros du fonds vert pour des projets de renaturation des collectivités. Une grande campagne de sensibilisation et d’accompagnement des particuliers complétera cet arsenal, pour couvrir l’ensemble de la chaîne de consommation.

Pour ma part, je défends un modèle où l’État fixe un cap ambitieux associé à des moyens suffisants, tout en laissant la main aux collectivités territoriales, car un modèle unique ne saurait être appliqué sur tout le territoire. Il nous faut des approches intégrées, par exemple avec une gestion par bassin ou par écosystème. Il nous faut achever l’évolution de la gouvernance de l’eau, pour que tous les acteurs définissent ensemble les priorités de leur bassin, dans le but d’éviter les conflits et de garantir une utilisation de la ressource en fonction des besoins prioritaires.

Sur la question très sensible de l’irrigation en agriculture, les quantités autorisées doivent être définies par les agences de l’eau, en lien avec les chambres d’agriculture, mais aussi les associations locales, pour faire baisser le niveau de tension. De tels projets de territoire pourraient nous éviter d’autres Sainte-Soline.

Nous devons aussi mieux accompagner les élus locaux, parfois démunis face aux enjeux, notamment dans les petites communes hors syndicat. Il faut les aider à mieux identifier, financer et mettre en œuvre leurs projets.

Enfin, des solutions très concrètes doivent être développées. La technologie nous offre des opportunités intéressantes dans tous les secteurs. Outre l’irrigation de précision, le goutte-à-goutte enterré ou les drones et les capteurs en agriculture, la réutilisation des eaux usées doit faire figure de priorité. Le Président de la République a fixé l’objectif de passer de 1 % à 10 % d’eau usée réutilisée, notamment en levant certains verrous administratifs. Alors qu’Israël réutilise 80 % de ses eaux usées, nous continuons à arroser nos jardins avec de l’eau potable… Il y a là une absurdité à lever.

Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Michel Laugier applaudit également.

Debut de section - PermalienPhoto de Marta de Cidrac

Madame la présidente, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, autrefois abondante, bon marché et disponible, la ressource en eau fait face à une situation d'une gravité historique. Sous l'effet du réchauffement climatique, elle se raréfie. Selon l'étude Explore 2070, le dérèglement du climat aura pour effet de réduire la pluviométrie estivale de 16 % à 23 %.

La France ne sera pas épargnée : baisse des débits des cours d'eau, temps de recharge des nappes allongés, sécheresse des sols... Notre pays connaît déjà des périodes de stress hydrique inédites dans son histoire. Pourtant, rien ne nous prédisposait à connaître une telle situation, ni notre climat ni notre hydrographie.

Depuis plusieurs années, nous oscillons entre étés caniculaires et sécheresses précoces, avec des conséquences parfois dramatiques. Cette ressource fait d'ores et déjà l'objet de nombreuses tensions qui exigent que nous fassions preuve, en tant que législateurs, de toute la vigilance possible.

Faut-il stocker l'eau à des fins agricoles ou laisser les nappes phréatiques se recharger sans retenues ? La question se pose par exemple à Sainte-Soline, où une véritable bataille pour l'eau a eu lieu ; cet épisode illustre, au-delà des postures, une problématique qu'il est impossible d'ignorer et qui n'est qu'une interrogation parmi tant d'autres.

Dans ce souci de projection et d'anticipation, je salue l'excellent rapport d'information de la délégation sénatoriale à la prospective, qui éclaire un sujet dense et brûlant.

On observe à quel point la question de l'eau en France nous concerne désormais tous et nous n'avancerons pas en tenant nos concitoyens à l'écart de toute forme de démocratie locale autour de l'eau.

Je sais que la tentation est forte d'en rester à une approche purement technique et technocratique du problème, mais nous devons aussi en développer les dimensions pédagogiques et citoyennes, tout en étant attentifs aux territoires et à leurs besoins.

La loi de 1964, qui fonde notre modèle français de gestion de l'eau, institue le principe bien connu selon lequel « l'eau paie l'eau ». Or, aujourd'hui, celui-ci n'est plus respecté. Pour reprendre les mots de Mathieu Darnaud, que je salue : aujourd'hui, « l'eau paie l'État ». Face aux nouveaux enjeux climatiques, c'est toute une stratégie qu'il faut repenser et accompagner.

« Oui, mais il y a le plan Eau », me direz-vous, madame la secrétaire d'État. Plusieurs fois reporté, il a finalement été présenté par le Président de la République, le 30 mars dernier.

Permettez-moi de saluer ceux dont les travaux de réflexion, d'auditions et de prospective ont de longue date préfiguré ce plan Eau. Il s'agit, bien évidemment, de notre délégation sénatoriale, mais également de l'Association nationale des élus des bassins (Aneb), des collectivités concédantes et régies, du Comité national de l'eau, ainsi que du Centre d'information sur l'eau. Le plan présidentiel n'arrive pas de nulle part et tant mieux ! Il s'empare d'un certain nombre des problèmes identifiés de notre gestion de l'eau et propose différents axes.

J'ai été particulièrement sensible au troisième intitulé : « Investir massivement dans la réutilisation des eaux usées ». Sur ce sujet, nous sommes très en retard en matière de normes, notamment en comparaison des pays de l'Europe du Sud, confrontés depuis plus longtemps que nous aux problématiques de l'eau.

Dans les logements français, on doit pouvoir réutiliser les eaux grises et les eaux pluviales. Notre pays abrite des champions mondiaux du traitement des eaux ; nous devons les associer pleinement à cet effort et ne pas les déstabiliser comme cela a pu être le cas dans le passé.

Notre modèle de gestion de l'eau a besoin de transformations pour coller aux enjeux climatiques et environnementaux, mais il doit conserver certaines spécificités françaises. Il convient ainsi que l'eau potable soit disponible pour tous sans distinction sociale, mais que chaque citoyen soit contributeur à hauteur de ce qu'il consomme. Certains grands pays comme les États-Unis voient la potabilité de leur eau reculer dans certains États, en raison du coût de traitement, de la vétusté des réseaux ou du manque de moyens, problèmes que nous rencontrons également, hélas ! dans nos territoires.

Madame la secrétaire d'État, soyons exigeants et économes et rappelons-nous d'adapter non seulement chaque eau à son usage – mes collègues l'ont rappelé –, mais aussi chaque usage à la disponibilité de l'eau. §

Debut de section - Permalien
Bérangère Couillard

Beaucoup a déjà été dit, mais je tiens à répondre à chacun.

Monsieur Gold, je partage en partie votre constat. Les deux épisodes de sécheresse que nous avons connus l’an dernier – que nous connaîtrons probablement de nouveau cette année, malheureusement – ont constitué une prise de conscience collective, permettant de sensibiliser citoyens et élus. Nous n’avons jamais autant débattu de l’eau et je m’en réjouis.

Le Gouvernement a fait de ce sujet sa préoccupation et agit. La diminution de 10 % des prélèvements a été anticipée : elle avait été annoncée par Emmanuelle Wargon, alors qu’elle était secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire. Nous annonçons maintenant comment nous comptons y parvenir. Il est bon que l’effort soit partagé entre les acteurs. Des solutions techniques permettront aussi d’atteindre cet objectif de diminution de 10 %, comme la réutilisation des eaux usées traitées. Nos voisins savent très bien le faire et des entreprises françaises le pratiquent déjà à l’étranger : alors, pourquoi pas chez nous ?

La participation de l’ensemble des collectivités, notamment de l’Association nationale des élus du littoral (Anel) pour encourager ces solutions dans les communes littorales, est bienvenue afin d’amplifier cette dynamique. La réduction des contraintes réglementaires nous permettra aussi d’accélérer. Il nous remonte des territoires une envie de bien faire ; il faut désormais donner les moyens, notamment réglementaires, pour que ces solutions se mettent en place dans les territoires.

Debut de section - Permalien
Bérangère Couillard

Beaucoup a déjà été dit, mais je tiens à répondre à chacun.

Monsieur Gold, je partage en partie votre constat. Les deux épisodes de sécheresse que nous avons connus l’an dernier – que nous connaîtrons probablement de nouveau cette année, malheureusement – ont constitué une prise de conscience collective, permettant de sensibiliser citoyens et élus. Nous n’avons jamais autant débattu de l’eau et je m’en réjouis.

Le Gouvernement a fait de ce sujet sa préoccupation et agit. La diminution de 10 % des prélèvements a été anticipée : elle avait été annoncée par Emmanuelle Wargon, alors qu’elle était secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire. Nous annonçons maintenant comment nous comptons y parvenir. Il est bon que l’effort soit partagé entre les acteurs. Des solutions techniques permettront aussi d’atteindre cet objectif de diminution de 10 %, comme la réutilisation des eaux usées traitées. Nos voisins savent très bien le faire et des entreprises françaises le pratiquent déjà à l’étranger : alors, pourquoi pas chez nous ?

La participation de l’ensemble des collectivités, notamment de l’Anel pour encourager ces solutions dans les communes littorales, est bienvenue afin d’amplifier cette dynamique. La réduction des contraintes réglementaires nous permettra aussi d’accélérer. Il nous remonte des territoires une envie de bien faire ; il faut désormais donner les moyens, notamment réglementaires, pour que ces solutions se mettent en place dans les territoires.

Debut de section - Permalien
Bérangère Couillard, secrétaire d'État auprès du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée de l'écologie

Madame la sénatrice de Cidrac, pour éviter d'être redondante, j'évoquerai un sujet nouveau, celui de la réutilisation des eaux de pluie. Il a son importance, car, sans en généraliser le principe, nous souhaiterions un déploiement beaucoup plus large sur les logements – vous avez abordé cette question.

Jusqu'à présent, il était très difficile pour un particulier de mettre en place la réutilisation des eaux de pluie, alors qu'un tel système pourrait en réalité très facilement être déployé. Il faut pour cela que l'on simplifie un certain nombre de pratiques. Nous avons d'ailleurs bénéficié d'un soutien politique important de la part d'Agnès Firmin Le Bodo pour que les services du ministère contribuent à cette dynamique, de manière que l'on puisse récupérer les eaux de pluie, par exemple pour alimenter les chasses d'eau dans les logements. L'idée peut paraître anecdotique, mais cela représente une quantité d'eau importante pour les ménages ; qui plus est, on permettrait ainsi que chacun participe à la sobriété.

Vous avez rappelé d'autres grands enjeux comme la réutilisation des eaux usées traitées ou le fait de réduire de 10 % les prélèvements, en veillant à ce que l'effort soit mieux partagé, de manière que chacun y participe à son niveau. Je crois avoir répondu sur tous ces sujets, à l'occasion des interventions précédentes.

Je veux vous dire que le plan Eau est ambitieux. Certes, il a été retardé, mais il est à la hauteur : nous n'avons pas voulu nous en ternir à la crise qui aura probablement lieu cet été, mais penser les dix ou vingt années à venir. Il est important que nous ayons tous les moyens à notre disposition pour atteindre les objectifs que nous nous sommes fixés, qu'il s'agisse du renforcement de la gouvernance locale, de l'optimisation de la ressource ou de la sobriété. Nous devons nous engager sur tous ces sujets.

La mise en œuvre du plan Eau, initialement prévue à la fin du mois de janvier, a été légèrement décalée à la fin du mois de mars ou au début du mois d'avril. C'était nécessaire pour obtenir les arbitrages financiers, indispensables pour réussir.

Debut de section - PermalienPhoto de Éric Gold

M. Éric Gold . Madame la secrétaire d’État, compte tenu des tensions croissantes autour de la ressource en eau, une actualisation de la loi de 2006 sur l’eau et les milieux aquatiques serait utile, prenant en compte la priorité des usages, afin de rappeler à chacun que, dans un contexte de pénurie, l’accès à la ressource pour tous et la biodiversité sont nos priorités.

Applaudissements sur les travées des groupes RDSE et GEST.

Debut de section - PermalienPhoto de Marta de Cidrac

Je tiens à préciser le sens de mon intervention. Madame la secrétaire d'État, vous l'avez bien compris, aujourd'hui, en France, on considère que l'on peut utiliser la même eau pour tous les usages. Or je crois qu'il est important de travailler sur l'aspect normatif du sujet, dans la mesure où cette ressource est précieuse. L'ensemble des collègues qui se sont exprimés avant moi l'ont rappelé et les interventions suivantes iront sans doute dans le même sens. Je souhaitais donc appeler votre attention sur la nécessité d'un bon usage de l'eau pour préserver cette ressource.

Debut de section - PermalienPhoto de Nathalie Delattre

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-François Husson.

Debut de section - PermalienPhoto de Florence Blatrix Contat

Madame la présidente, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, je remercie la délégation à la prospective d'avoir permis ce débat.

L'été 2022 s'est caractérisé par des records de chaleur et de sécheresse ; l'hiver 2023, quant à lui, se classe déjà parmi les hivers les plus secs avec un déficit de pluviométrie de 50 % au mois de février dernier. Durant l'été 2022, en France, près de 500 communes ont été concernées par des problèmes d'approvisionnement en eau potable, selon les dires du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires. À l'été 2023, sans action forte et déterminée des pouvoirs publics, la situation risque d'être pire, si l'on en croit le rapport d'inspection interministériel rendu public ce jour.

La gestion de la ressource en eau devient cruciale pour la satisfaction d'un besoin essentiel, que l'on croyait définitivement acquis : l'accès à l'eau potable.

Ma question portera sur la gestion du petit cycle de l'eau, en particulier sur la question des captages et de leur protection. Nombre de collectivités sont concernées par des problématiques de qualité des eaux brutes prélevées. La protection des captages est une préoccupation croissante des gestionnaires du service public d'eau potable, car la détection de pollutions diffuses est de plus en plus fréquente.

À la suite du Grenelle de l'environnement, en 2009, un peu plus de 500 captages ont été désignés comme prioritaires, notamment sur la base de l'état de la ressource vis-à-vis des pollutions diffuses et de son caractère stratégique.

En 2013, quelque 500 nouveaux ouvrages prioritaires ont été identifiés.

L'intérêt de cette classification réside dans la gestion concertée de ces aires et dans la prévention des pollutions diffuses. Des diagnostics permettent de mieux connaître les vulnérabilités et les modes de contamination subis par ces captages, et des programmes d'action adaptés aux objectifs d'amélioration de qualité des eaux sont élaborés en partenariat avec les chambres d'agriculture. Ils comprennent la plupart du temps des mesures agro-environnementales.

Cette stratégie, qui a démontré son efficacité, devrait être étendue, alors qu'elle ne concerne que 1 000 captages sur les 35 000 recensés en France.

Par ailleurs, la directive du 16 décembre 2020 relative à la qualité des eaux destinées à la consommation humaine, dite Eau potable, sera transposée prochainement par ordonnance. Le texte, que nous aurons à examiner, vise le déploiement d'une démarche préventive pour garantir la qualité de l'eau jusqu'au robinet du consommateur, avec l'obligation de réaliser un plan de gestion de la sécurité sanitaire des eaux pour les personnes responsables de la production ou de la distribution de l'eau. C'est d'ailleurs l'une des mesures qui figurent dans le plan Eau.

Par conséquent, madame la secrétaire d'État, comment les collectivités seront-elles accompagnées dans cette démarche ?

L'ordonnance vise également une rationalisation des périmètres de protection de captage, en réformant la politique de préservation de la ressource en eau par des captages sensibles à la pollution aux pesticides. Elle prévoit aussi que les collectivités qui le souhaitent pourront contribuer à la mission de préservation de la ressource en eau, en liaison avec le préfet, afin d'établir un programme d'action encadrant les pratiques qui dégradent la qualité des points de prélèvement.

Le programme d'action peut notamment concerner les pratiques agricoles, en limitant ou en interdisant, le cas échéant, certaines occupations des sols et l'utilisation d'intrants.

Madame la secrétaire d'État, s'agit-il, comme nous le souhaitons, d'une extension de la politique des captages prioritaires ? Les préfets disposeront-ils de moyens pour interdire l'utilisation d'intrants, notamment les pesticides ? Comment les agriculteurs seront-ils accompagnés dans cette transition ? Surtout, comment développer les baux environnementaux qui sont encore trop peu utilisés ?

« L'eau est le miroir de notre société. Les liens que nous entretenons avec elle montrent dans le vide ce qu'est notre société. » Ces mots sont d'Erik Orsenna. Notre engagement dans la préservation de l'eau dira quelle société nous voulons. Dans le cadre de la mission d'information « Gestion durable de l'eau : l'urgence d'agir pour nos usages, nos territoires et notre environnement », nous nous attacherons à y contribuer. §

Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-François Husson

Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, après un été 2022 historiquement sec, qui a été l’occasion de controverses notamment liées au partage de l’eau, été qui a succédé à un printemps caractérisé par des inondations à répétition, la question de la gestion de l’eau s’invite plus que jamais dans le débat public. Je m’en réjouis.

Nous devons préserver l’intégrité et la pérennité de la ressource en eau. Sa préservation ne pourra se faire qu’avec une gouvernance ad hoc.

Fort d’un regard rétrospectif, je pense qu’il serait bienvenu de recréer des services d’ingénierie de l’eau dans tous les territoires. En effet, la dégradation de la gestion patrimoniale des réseaux d’eau et d’assainissement est incontestablement corrélée à la disparition de l’ingénierie publique. Dans mon territoire, au cours de la période 2012-2022, 25 % des postes de l’agence de l’eau Rhin-Meuse ont été supprimés. Conséquence logique, les collectivités locales, souvent livrées à elles-mêmes, rencontrent des difficultés dans leur choix d’un mode de gestion et d’assainissement.

Il est donc essentiel de reconstituer une ingénierie territoriale spécialisée dans le domaine de l’eau, facilement mobilisable par le plus grand nombre de collectivités. C’est une question d’équité entre les territoires. La piste d’une ingénierie de proximité, articulée entre les acteurs et leur laissant le choix d’une éventuelle mutualisation à l’échelon intercommunal, mérite d’être explorée pour aller vers une amélioration fonctionnelle et des performances de service. L’émergence d’une nouvelle ingénierie me paraît la condition nécessaire à l’amélioration de la gouvernance du service public de l’eau.

Ainsi, nous pourrons stimuler les mécanismes de solidarité pour rattraper le retard d’équipement en matière d’eau et d’assainissement, notamment en milieu rural. Sans revenir sur le caractère obligatoire de la loi NOTRe, il serait utile de faciliter la remise à niveau des infrastructures d’eau et d’assainissement en cas d’intégration d’une commune à une intercommunalité.

Trop souvent, le rattrapage d’investissement est tel qu’il freine l’adhésion : soit le ticket d’entrée est trop élevé, soit la solidarité forcée de l’intercommunalité d’accueil trouve ses limites. Or l’intercommunalité en matière d’eau, notamment grâce au budget annexe qui permet une programmation pluriannuelle, est, dans l’absolu, un bon vecteur de modernisation des infrastructures et de professionnalisation des services. Nous pourrions imaginer un contrat de transition permettant de réaliser, dans des conditions apaisées et soutenables, des adhésions volontaires à des structures intercommunales, guidées par des logiques de performance et de service. Les agences de l’eau y trouveraient naturellement leur place.

Ce serait l’occasion de fixer les conditions d’une transformation des usages et d’un partage des ressources en eau, grâce à un dialogue territorial renouvelé, avec une vision à 360 degrés. Le changement climatique continuera d’avoir un impact durable sur les ressources en eau. Les projections font apparaître une baisse moyenne de la pluviométrie dans la plupart des régions de France, sauf le Grand Est, avec une très forte variabilité interannuelle.

L’ambition du schéma d’aménagement et de gestion de l’eau (Sage), issu de la loi de 1992, était claire : permettre aux élus, mais pas seulement eux, de tenir compte de la nouvelle situation climatique pour définir, dans leur bassin, les scénarios prospectifs d’aménagement. Là où les conflits d’usage étaient prégnants, cette forme de démocratie locale était pionnière et a montré son intérêt. Elle permet en effet de concilier les usages avec les disponibilités en eau et les aléas. Il faut certainement, madame la secrétaire d’État, lui donner un nouveau souffle. Nous devons donc réinventer les Sage, en imaginant des formes de gouvernance plus souples et en tirant les enseignements de leurs échecs ou de leurs limites – en un mot, en ayant un plan d’action opérationnel.

Nous devons aussi réinvestir dans l’innovation. Comment en sommes-nous arrivés à couper les ailes de nos entreprises spécialisées dans la gestion de l’eau, qui incarnaient pourtant l’excellence technologique à la française ? Nous sommes, une fois de plus, en retard par rapport à nos voisins européens – l’Italie, l’Espagne – en matière de réutilisation des eaux grises et des eaux usées. Le Président de la République a annoncé la mise en place d’un volet Eau au sein du programme France 2030 ; or c’est dans les territoires ruraux que le renchérissement du coût de l’énergie a les effets les plus marqués sur les services d’eau et d’assainissement ou qu’il existe des pressions non traitables du fait de la faiblesse de services moins intégrés.

Madame la secrétaire d’État, sur ces quatre orientations, le Gouvernement va, par votre voix, nous faire connaître la suite qu’il entend leur donner.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-François Husson

Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, après un été 2022 historiquement sec, qui a été l’occasion de controverses notamment liées au partage de l’eau, été qui a succédé à un printemps caractérisé par des inondations à répétition, la question de la gestion de l’eau s’invite plus que jamais dans le débat public. Je m’en réjouis.

Nous devons préserver l’intégrité et la pérennité de la ressource en eau. Sa préservation ne pourra se faire qu’avec une gouvernance ad hoc.

Fort d’un regard rétrospectif, je pense qu’il serait bienvenu de recréer des services d’ingénierie de l’eau dans tous les territoires. En effet, la dégradation de la gestion patrimoniale des réseaux d’eau et d’assainissement est incontestablement corrélée à la disparition de l’ingénierie publique. Dans mon territoire, au cours de la période 2012-2022, 25 % des postes de l’agence de l’eau Rhin-Meuse ont été supprimés. Conséquence logique, les collectivités locales, souvent livrées à elles-mêmes, rencontrent des difficultés dans leur choix d’un mode de gestion et d’assainissement.

Il est donc essentiel de reconstituer une ingénierie territoriale spécialisée dans le domaine de l’eau, facilement mobilisable par le plus grand nombre de collectivités. C’est une question d’équité entre les territoires. La piste d’une ingénierie de proximité, articulée entre les acteurs et leur laissant le choix d’une éventuelle mutualisation à l’échelon intercommunal, mérite d’être explorée pour aller vers une amélioration fonctionnelle et des performances de service. L’émergence d’une nouvelle ingénierie me paraît la condition nécessaire à l’amélioration de la gouvernance du service public de l’eau.

Ainsi, nous pourrons stimuler les mécanismes de solidarité pour rattraper le retard d’équipement en matière d’eau et d’assainissement, notamment en milieu rural. Sans revenir sur le caractère obligatoire de la loi NOTRe, il serait utile de faciliter la remise à niveau des infrastructures d’eau et d’assainissement en cas d’intégration d’une commune à une intercommunalité.

Trop souvent, le rattrapage d’investissement est tel qu’il freine l’adhésion : soit le ticket d’entrée est trop élevé, soit la solidarité forcée de l’intercommunalité d’accueil trouve ses limites. Or l’intercommunalité en matière d’eau, notamment grâce au budget annexe qui permet une programmation pluriannuelle, est, dans l’absolu, un bon vecteur de modernisation des infrastructures et de professionnalisation des services. Nous pourrions imaginer un contrat de transition permettant de réaliser, dans des conditions apaisées et soutenables, des adhésions volontaires à des structures intercommunales, guidées par des logiques de performance et de service. Les agences de l’eau y trouveraient naturellement leur place.

Ce serait l’occasion de fixer les conditions d’une transformation des usages et d’un partage des ressources en eau, grâce à un dialogue territorial renouvelé, avec une vision à 360 degrés. Le changement climatique continuera d’avoir un impact durable sur les ressources en eau. Les projections font apparaître une baisse moyenne de la pluviométrie dans la plupart des régions de France, sauf le Grand Est, avec une très forte variabilité interannuelle.

L’ambition du Sage, issu de la loi de 1992, était claire : permettre aux élus, mais pas seulement eux, de tenir compte de la nouvelle situation climatique pour définir, dans leur bassin, les scénarios prospectifs d’aménagement. Là où les conflits d’usage étaient prégnants, cette forme de démocratie locale était pionnière et a montré son intérêt. Elle permet en effet de concilier les usages avec les disponibilités en eau et les aléas. Il faut certainement, madame la secrétaire d’État, lui donner un nouveau souffle. Nous devons donc réinventer les Sage, en imaginant des formes de gouvernance plus souples et en tirant les enseignements de leurs échecs ou de leurs limites – en un mot, en ayant un plan d’action opérationnel.

Nous devons aussi réinvestir dans l’innovation. Comment en sommes-nous arrivés à couper les ailes de nos entreprises spécialisées dans la gestion de l’eau, qui incarnaient pourtant l’excellence technologique à la française ? Nous sommes, une fois de plus, en retard par rapport à nos voisins européens – l’Italie, l’Espagne – en matière de réutilisation des eaux grises et des eaux usées. Le Président de la République a annoncé la mise en place d’un volet Eau au sein du programme France 2030 ; or c’est dans les territoires ruraux que le renchérissement du coût de l’énergie a les effets les plus marqués sur les services d’eau et d’assainissement ou qu’il existe des pressions non traitables du fait de la faiblesse de services moins intégrés.

Madame la secrétaire d’État, sur ces quatre orientations, le Gouvernement va, par votre voix, nous faire connaître la suite qu’il entend leur donner.

Debut de section - Permalien
Bérangère Couillard, secrétaire d'État auprès du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée de l'écologie

Madame la sénatrice, une grande partie d'entre vous, quasiment sur toutes les travées de cet hémicycle, souhaitent que l'on réduise l'usage des pesticides. La dynamique est enclenchée depuis 2017, puisque l'on constate une baisse des ventes de produits phytosanitaires, dont on peut dire qu'elle est le résultat concret de la mise en œuvre des plans de réduction des usages et des effets des produits phytopharmaceutiques, dits plans Écophyto.

Le Gouvernement travaille activement à ce changement de méthode, qui consiste à anticiper le retrait des substances actives potentiellement problématiques et à renforcer le pilotage et l'adaptation des techniques de protection des cultures pour soutenir nos agriculteurs dans les transitions. Trois principes d'action simples ont été définis.

Le premier principe consiste à aligner les calendriers français et européen et à défendre la mise en place des clauses miroir. En effet, nous ne souhaitons pas consommer des produits qui entreraient sur notre territoire, alors qu'ils ont été cultivés avec des substances phytosanitaires interdites en France.

Debut de section - Permalien
Bérangère Couillard

Monsieur le sénateur Husson, je vous remercie des propositions que vous venez de formuler. J’espère que vous aurez l’occasion de les réitérer et de les compléter dans le cadre de la mission parlementaire qui va être lancée et qui sera l’occasion d’aborder la question du renforcement de la gouvernance locale de l’eau. Tous les élus locaux, tous les participants aux parlements de l’eau l’appellent de leurs vœux : la gouvernance locale doit être renforcée.

Vous avez évoqué deux sujets : les moyens et l’ingénierie publique, notamment de l’État.

S’agissant des moyens, je rappelle que les agences de l’eau sont dotées de 2, 2 milliards d’euros. Le plan Eau prévoit 475 millions d’euros supplémentaires, ce qui représente une augmentation de 20 %. S’y ajoute une enveloppe annuelle de 180 millions d’euros pour aider les communes en difficulté à sécuriser leur approvisionnement en eau potable, via des travaux d’interconnexion, de résorption de fuites et de forage de secours. Pour répondre au risque de sécheresse, 100 millions d’euros ont été renouvelés cette année. Enfin, 400 millions d’euros sont prévus pour déployer une nouvelle génération d’Aqua Prêts, sur plus d’un milliard d’euros dans les territoires.

Depuis 2010, l’État n’assure plus l’ingénierie publique en matière d’eau et d’assainissement. Il revient désormais aux collectivités de consolider leur propre ingénierie, d’où l’intérêt d’une mutualisation – pas nécessairement dans le cadre intercommunal –, afin de disposer des moyens nécessaires.

Il reste malgré tout une offre d’ingénierie d’État, grâce au Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement (Cerema). La gouvernance de cet établissement a connu d’importantes évolutions en 2022, en application de la loi relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l’action publique locale, dite 3DS. Cet établissement, partagé entre l’État et les collectivités, pourra venir en appui et proposer un accompagnement des projets les plus complexes.

Nous avons également obtenu que les équivalents temps plein (ETP) du pôle ministériel ne baissent pas au cours des cinq prochaines années. Cela n’est pas toujours simple à obtenir. Aussi Christophe Béchu et moi-même en sommes-nous très heureux.

Debut de section - Permalien
Bérangère Couillard

Monsieur le sénateur Husson, je vous remercie des propositions que vous venez de formuler. J’espère que vous aurez l’occasion de les réitérer et de les compléter dans le cadre de la mission parlementaire qui va être lancée et qui sera l’occasion d’aborder la question du renforcement de la gouvernance locale de l’eau. Tous les élus locaux, tous les participants aux parlements de l’eau l’appellent de leurs vœux : la gouvernance locale doit être renforcée.

Vous avez évoqué deux sujets : les moyens et l’ingénierie publique, notamment de l’État.

S’agissant des moyens, je rappelle que les agences de l’eau sont dotées de 2, 2 milliards d’euros. Le plan Eau prévoit 475 millions d’euros supplémentaires, ce qui représente une augmentation de 20 %. S’y ajoute une enveloppe annuelle de 180 millions d’euros pour aider les communes en difficulté à sécuriser leur approvisionnement en eau potable, via des travaux d’interconnexion, de résorption de fuites et de forage de secours. Pour répondre au risque de sécheresse, 100 millions d’euros ont été renouvelés cette année. Enfin, 400 millions d’euros sont prévus pour déployer une nouvelle génération d’Aqua Prêts, sur plus d’un milliard d’euros dans les territoires.

Depuis 2010, l’État n’assure plus l’ingénierie publique en matière d’eau et d’assainissement. Il revient désormais aux collectivités de consolider leur propre ingénierie, d’où l’intérêt d’une mutualisation – pas nécessairement dans le cadre intercommunal –, afin de disposer des moyens nécessaires.

Il reste malgré tout une offre d’ingénierie d’État, grâce au Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement (Cerema). La gouvernance de cet établissement a connu d’importantes évolutions en 2022, en application de la loi relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l’action publique locale, dite loi 3DS. Cet établissement, partagé entre l’État et les collectivités, pourra venir en appui et proposer un accompagnement des projets les plus complexes.

Nous avons également obtenu que les équivalents temps plein (ETP) du pôle ministériel ne baissent pas au cours des cinq prochaines années. Cela n’est pas toujours simple à obtenir. Aussi Christophe Béchu et moi-même en sommes-nous très heureux.

Debut de section - Permalien
Bérangère Couillard, secrétaire d'État

Cette concordance relève d'une exigence à la fois sanitaire et environnementale.

Le deuxième principe consiste à rechercher des solutions de substitution. J'ai évoqué notamment le biocontrôle, mais ce n'est qu'un exemple parmi les solutions sur lesquelles travaillent l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (Inrae) et les instituts techniques. Nous devons continuer d'accompagner les agriculteurs, qui vont encore devoir faire face à la suppression d'un certain nombre de produits.

Le troisième principe concerne la gouvernance. Nous assumons d'avoir refusé la réintroduction de substances actives interdites et, en même temps, d'avoir accompagné les agriculteurs lorsque la décision d'interdire les néonicotinoïdes a été prise. L'un n'empêche pas l'autre.

Sur les captages, madame la sénatrice, j'ai déjà répondu à votre collègue Paoli-Gagin.

Debut de section - PermalienPhoto de Nathalie Delattre

La parole est à M. Jean-François Husson, pour la réplique.

Debut de section - PermalienPhoto de Nathalie Delattre

La parole est à Mme Florence Blatrix Contat, pour la réplique.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-François Husson

Madame la secrétaire d’État, nous sommes à Gravelotte : il pleut des millions et des milliards ! Pourtant, ce n’est pas le seul élément de réponse qu’attendent les élus et nos concitoyens. Vous omettez en outre de rappeler que le Sénat a obtenu, lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2023, 50 millions d’euros supplémentaires de l’État. Ces crédits seront effectivement décaissés, contrairement aux 100 millions d’euros dont la Première ministre a demandé le déblocage pour les agences de l’eau.

Sur l’ingénierie, vous vous trompez : le Cerema rencontre de grandes difficultés pour intervenir dans les communes de moins de 2 000 habitants, faute de ressources techniques suffisantes. Il en va de même pour les agences de l’eau. Ne nous renvoyons pas la balle. Vous évoquez les parlements de l’eau ; je considère qu’il faut une vision à 360 degrés et regarder les choses en toute objectivité. La solidarité entre urbain et rural joue, notamment via un prélèvement de recettes au bénéfice des territoires ruraux, mais il faut aller plus loin : ne pas se contenter de belles phrases prononcées ici, mais constater sur le terrain les efforts qu’il faut déployer pour remettre la gestion publique de l’eau au bon niveau.

Debut de section - PermalienPhoto de Florence Blatrix Contat

Le dernier rapport de l'Anses montre que la rémanence de certaines molécules après leur interdiction impose que l'on anticipe. Si l'on veut éviter d'entrer dans une logique curative, qui sera très coûteuse pour nos collectivités, donc pour les consommateurs, il faut davantage anticiper. Par conséquent, la préconisation formulée par l'Anses de retirer le S-métolachlore est utile : ce serait une très mauvaise idée pour le Gouvernement que de revenir sur ce retrait. Nous sommes très attachés à l'indépendance de cette agence dans les décisions qu'elle prend.

De manière plus générale, il faut accélérer la transition de notre agriculture vers l'agro-écologie en veillant, bien entendu, à accompagner les agriculteurs, ce qui permettra de concilier la résilience de notre agriculture et la préservation de notre ressource en eau. §

Debut de section - PermalienPhoto de Nathalie Delattre

Mme la présidente. La parole est à Mme Marta de Cidrac.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre Louault

Madame la présidente, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, comment retrouver une ressource plus abondante ? À la fin de ce débat sur la gestion de l'eau, je souhaite poser cette question, puisque le sujet n'a pas encore été abordé.

Aujourd'hui, le niveau des rivières baisse, les nappes phréatiques s'épuisent et, depuis soixante-dix ans, on a accumulé un certain nombre de fautes. Dans les années 1960 et 1970, on a créé des fossés profonds, on a approfondi et mis à sec les ruisseaux. Dans les années 2000, on a interprété à la française la nouvelle directive européenne sur l'eau, dans la loi sur l'eau et les milieux aquatiques (Lema) de 2006, qui prévoyait de manière pompeuse un principe de « continuité écologique » valant seulement pour les poissons migrateurs, sans prendre en compte les incidences.

Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Michel Laugier applaudit également.

Debut de section - PermalienPhoto de Marta de Cidrac

Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, autrefois abondante, bon marché et disponible, la ressource en eau fait face à une situation d’une gravité historique. Sous l’effet du réchauffement climatique, elle se raréfie. Selon l’étude Explore 2070, le dérèglement du climat aura pour effet de réduire la pluviométrie estivale de 16 % à 23 %.

La France ne sera pas épargnée : baisse des débits des cours d’eau, temps de recharge des nappes allongés, sécheresse des sols… Notre pays connaît déjà des périodes de stress hydrique inédites dans son histoire. Pourtant, rien ne nous prédisposait à connaître une telle situation, ni notre climat ni notre hydrographie.

Depuis plusieurs années, nous oscillons entre étés caniculaires et sécheresses précoces, avec des conséquences parfois dramatiques. Cette ressource fait d’ores et déjà l’objet de nombreuses tensions qui exigent que nous fassions preuve, en tant que législateurs, de toute la vigilance possible.

Faut-il stocker l’eau à des fins agricoles ou laisser les nappes phréatiques se recharger sans retenues ? La question se pose par exemple à Sainte-Soline, où une véritable bataille pour l’eau a eu lieu ; cet épisode illustre, au-delà des postures, une problématique qu’il est impossible d’ignorer et qui n’est qu’une interrogation parmi tant d’autres.

Dans ce souci de projection et d’anticipation, je salue l’excellent rapport d’information de la délégation sénatoriale à la prospective, qui éclaire un sujet dense et brûlant.

On observe à quel point la question de l’eau en France nous concerne désormais tous et nous n’avancerons pas en tenant nos concitoyens à l’écart de toute forme de démocratie locale autour de l’eau.

Je sais que la tentation est forte d’en rester à une approche purement technique et technocratique du problème, mais nous devons aussi en développer les dimensions pédagogiques et citoyennes, tout en étant attentifs aux territoires et à leurs besoins.

La loi de 1964, qui fonde notre modèle français de gestion de l’eau, institue le principe bien connu selon lequel « l’eau paie l’eau ». Or, aujourd’hui, celui-ci n’est plus respecté. Pour reprendre les mots de Mathieu Darnaud, que je salue : aujourd’hui, « l’eau paie l’État ». Face aux nouveaux enjeux climatiques, c’est toute une stratégie qu’il faut repenser et accompagner.

« Oui, mais il y a le plan Eau », me direz-vous, madame la secrétaire d’État. Plusieurs fois reporté, il a finalement été présenté par le Président de la République, le 30 mars dernier.

Permettez-moi de saluer ceux dont les travaux de réflexion, d’auditions et de prospective ont de longue date préfiguré ce plan Eau. Il s’agit, bien évidemment, de notre délégation sénatoriale, mais également de l’Association nationale des élus des bassins (Aneb), des collectivités concédantes et régies, du Comité national de l’eau, ainsi que du Centre d’information sur l’eau. Le plan présidentiel n’arrive pas de nulle part et tant mieux ! Il s’empare d’un certain nombre des problèmes identifiés de notre gestion de l’eau et propose différents axes.

J’ai été particulièrement sensible au troisième intitulé : « Investir massivement dans la réutilisation des eaux usées ». Sur ce sujet, nous sommes très en retard en matière de normes, notamment en comparaison des pays de l’Europe du Sud, confrontés depuis plus longtemps que nous aux problématiques de l’eau.

Dans les logements français, on doit pouvoir réutiliser les eaux grises et les eaux pluviales. Notre pays abrite des champions mondiaux du traitement des eaux ; nous devons les associer pleinement à cet effort et ne pas les déstabiliser comme cela a pu être le cas dans le passé.

Notre modèle de gestion de l’eau a besoin de transformations pour coller aux enjeux climatiques et environnementaux, mais il doit conserver certaines spécificités françaises. Il convient ainsi que l’eau potable soit disponible pour tous sans distinction sociale, mais que chaque citoyen soit contributeur à hauteur de ce qu’il consomme. Certains grands pays comme les États-Unis voient la potabilité de leur eau reculer dans certains États, en raison du coût de traitement, de la vétusté des réseaux ou du manque de moyens, problèmes que nous rencontrons également, hélas ! dans nos territoires.

Madame la secrétaire d’État, soyons exigeants et économes et rappelons-nous d’adapter non seulement chaque eau à son usage – mes collègues l’ont rappelé –, mais aussi chaque usage à la disponibilité de l’eau.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre Louault

En réalité, la surinterprétation administrative fait jurisprudence : on supprime les seuils, on abaisse le niveau des cours d'eau, il arrive très souvent que l'on vide les rivières et l'on vidange les nappes phréatiques. Je le sais bien, car je suis paysan : c'est le système de l'abreuvoir à poulets. Enlevez cinquante centimètres d'eau et les nappes se vidangent ! Dans l'abreuvoir à poulets, deux centimètres d'eau retiennent un mètre d'eau. Les nappes phréatiques fonctionnent exactement de la même manière.

Dans le même temps, les prairies humides deviennent de véritables paillassons. Les zones humides de notre territoire, qui étaient des roselières, sont en train de disparaître. Après avoir épuisé les seuils de rivières, on en vient maintenant à supprimer les étangs, qui ont parfois plus de 500 ans d'existence, au prétexte que le cours d'eau passe au milieu de l'étang.

Tous ces systèmes mis en cascade ont pour effet d'épuiser les réserves d'eau. Les rivières et les ruisseaux sont de plus en plus abondants, durant l'hiver, quand il pleut, avec pour avantage que cela contribue à rehausser le niveau des océans qui en ont grand besoin, et l'on a de moins en moins d'eau pendant l'été.

La gestion de l'eau est devenue un véritable défi. J'ai mis en place un certain nombre d'expérimentations dans ma commune et dans mon territoire : en rétablissant des seuils sur des fossés qui avaient été créés dans les années 1960, on a retrouvé des sources qui coulent toute l'année, pas seulement l'hiver, et l'on a rétabli des ruisseaux.

Je ne suis pas un anti-écolo. Au contraire, il m'arrive de prendre le parti de certains de mes collègues. §Dans ma commune, en vingt ans, j'ai « planté » sept kilomètres de rivière, j'ai recréé de toutes pièces des zones humides et l'on retrouve de l'eau toute l'année dans des endroits qui étaient à sec.

Par pitié, arrêtons, au nom de je ne sais quelle idéologie, de vouloir mettre à tout prix les rivières à sec ! Sans la moindre expérimentation, par principe, on supprime les seuils au lieu de les rétablir dans une continuité écologique où les poissons migrateurs pourraient passer – il est tellement plus simple de les supprimer ! Voilà où va la moitié de l'argent des agences de l'eau.

Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains. – M. Yves Détraigne applaudit également.

Applaudissements sur les travées d u groupe Les Républicains. – M. Yves Détraigne applaudit également.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre Louault

Cela n'est plus possible.

Madame la secrétaire d'État, je voulais vous alerter sur ce problème qui, s'il perdure, aggravera encore un peu plus l'assèchement de nos rivières et compromettra la capacité des nappes phréatiques à se recharger. Aujourd'hui, elles se vident l'hiver et n'ont plus rien à donner l'été. Telle est la réalité, sans doute trop compliquée pour la haute technostructure, mais sur laquelle il est tout de même temps de jeter un coup d'œil. §

Debut de section - Permalien
Bérangère Couillard

Madame la sénatrice de Cidrac, pour éviter d’être redondante, j’évoquerai un sujet nouveau, celui de la réutilisation des eaux de pluie. Il a son importance, car, sans en généraliser le principe, nous souhaiterions un déploiement beaucoup plus large sur les logements – vous avez abordé cette question.

Jusqu’à présent, il était très difficile pour un particulier de mettre en place la réutilisation des eaux de pluie, alors qu’un tel système pourrait en réalité très facilement être déployé. Il faut pour cela que l’on simplifie un certain nombre de pratiques. Nous avons d’ailleurs bénéficié d’un soutien politique important de la part d’Agnès Firmin Le Bodo pour que les services du ministère contribuent à cette dynamique, de manière que l’on puisse récupérer les eaux de pluie, par exemple pour alimenter les chasses d’eau dans les logements. L’idée peut paraître anecdotique, mais cela représente une quantité d’eau importante pour les ménages ; qui plus est, on permettrait ainsi que chacun participe à la sobriété.

Vous avez rappelé d’autres grands enjeux comme la réutilisation des eaux usées traitées ou le fait de réduire de 10 % les prélèvements, en veillant à ce que l’effort soit mieux partagé, de manière que chacun y participe à son niveau. Je crois avoir répondu sur tous ces sujets, à l’occasion des interventions précédentes.

Je veux vous dire que le plan Eau est ambitieux. Certes, il a été retardé, mais il est à la hauteur : nous n’avons pas voulu nous en ternir à la crise qui aura probablement lieu cet été, mais penser les dix ou vingt années à venir. Il est important que nous ayons tous les moyens à notre disposition pour atteindre les objectifs que nous nous sommes fixés, qu’il s’agisse du renforcement de la gouvernance locale, de l’optimisation de la ressource ou de la sobriété. Nous devons nous engager sur tous ces sujets.

La mise en œuvre du plan Eau, initialement prévue à la fin du mois de janvier, a été légèrement décalée à la fin du mois de mars ou au début du mois d’avril. C’était nécessaire pour obtenir les arbitrages financiers, indispensables pour réussir.

Debut de section - PermalienPhoto de Marta de Cidrac

Je tiens à préciser le sens de mon intervention. Madame la secrétaire d’État, vous l’avez bien compris, aujourd’hui, en France, on considère que l’on peut utiliser la même eau pour tous les usages. Or je crois qu’il est important de travailler sur l’aspect normatif du sujet, dans la mesure où cette ressource est précieuse. L’ensemble des collègues qui se sont exprimés avant moi l’ont rappelé et les interventions suivantes iront sans doute dans le même sens. Je souhaitais donc appeler votre attention sur la nécessité d’un bon usage de l’eau pour la préserver.

Debut de section - Permalien
Bérangère Couillard, secrétaire d'État auprès du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée de l'écologie

Monsieur le sénateur, vous avez abordé la politique de restauration de la continuité écologique des cours d'eau. Elle vise, selon nous, à limiter la fragmentation des habitats naturels, qui est l'une des causes majeures de l'érosion de la biodiversité. Dans ce ministère, nous défendons donc, bien évidemment, la continuité écologique.

Au-delà d'une pensée que vous qualifiez de technocratique, nous défendons surtout l'avis scientifique. Celui-ci est assez clair sur le fonctionnement des systèmes hydrologiques et il me semble que, sur l'ensemble de ces travées, vous y accordez de l'importance.

Je pourrai vous transmettre un avis du conseil scientifique de l'Office français de la biodiversité (OFB) qui date de 2018.

Debut de section - PermalienPhoto de Nathalie Delattre

Mme la présidente. La parole est à Mme Florence Blatrix Contat.

Applaudissements sur les travées du groupe SER.

Debut de section - Permalien
Bérangère Couillard, secrétaire d'État

En effet, face aux multiples interventions sur la gestion des cours d'eau et des ouvrages, l'office a procédé à certaines clarifications. J'invite toutes les personnes intéressées à en prendre connaissance.

Cet avis tend à infirmer les conséquences que vous avez décrites. En ce qui me concerne, je n'oppose pas la politique de restauration du grand cycle de l'eau et la notion de stockage pertinent dans l'espace et le temps. Les ouvrages font partie du panel de solutions de la gestion de l'eau et peuvent répondre à des besoins locaux. Évitons d'opposer les projets ; à l'inverse, étudions-les au cas par cas !

Le ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires veut privilégier la voie des continuités, surtout écologiques. En outre, les réserves de substitution ou les réserves collinaires peuvent être adéquates pour les territoires.

Debut de section - PermalienPhoto de Florence Blatrix Contat

Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je remercie la délégation à la prospective d’avoir permis ce débat.

L’été 2022 s’est caractérisé par des records de chaleur et de sécheresse ; l’hiver 2023, quant à lui, se classe déjà parmi les hivers les plus secs avec un déficit de pluviométrie de 50 % au mois de février dernier. Durant l’été 2022, en France, près de 500 communes ont été concernées par des problèmes d’approvisionnement en eau potable, selon les dires du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires. À l’été 2023, sans action forte et déterminée des pouvoirs publics, la situation risque d’être pire, si l’on en croit le rapport d’inspection interministériel rendu public ce jour.

La gestion de la ressource en eau devient cruciale pour la satisfaction d’un besoin essentiel, que l’on croyait définitivement acquis : l’accès à l’eau potable.

Ma question portera sur la gestion du petit cycle de l’eau, en particulier sur la question des captages et de leur protection. Nombre de collectivités sont concernées par des problématiques de qualité des eaux brutes prélevées. La protection des captages est une préoccupation croissante des gestionnaires du service public d’eau potable, car la détection de pollutions diffuses est de plus en plus fréquente.

À la suite du Grenelle de l’environnement, en 2009, un peu plus de 500 captages ont été désignés comme prioritaires, notamment sur la base de l’état de la ressource vis-à-vis des pollutions diffuses et de son caractère stratégique.

En 2013, quelque 500 nouveaux ouvrages prioritaires ont été identifiés.

L’intérêt de cette classification réside dans la gestion concertée de ces aires et dans la prévention des pollutions diffuses. Des diagnostics permettent de mieux connaître les vulnérabilités et les modes de contamination subis par ces captages, et des programmes d’action adaptés aux objectifs d’amélioration de qualité des eaux sont élaborés en partenariat avec les chambres d’agriculture. Ils comprennent la plupart du temps des mesures agroenvironnementales.

Cette stratégie, qui a démontré son efficacité, devrait être étendue, alors qu’elle ne concerne que 1 000 captages sur les 35 000 recensés en France.

Par ailleurs, la directive du 16 décembre 2020 relative à la qualité des eaux destinées à la consommation humaine, dite Eau potable, sera transposée prochainement par ordonnance. Le texte, que nous aurons à examiner, vise le déploiement d’une démarche préventive pour garantir la qualité de l’eau jusqu’au robinet du consommateur, avec l’obligation de réaliser un plan de gestion de la sécurité sanitaire des eaux pour les personnes responsables de la production ou de la distribution de l’eau. C’est d’ailleurs l’une des mesures qui figurent dans le plan Eau.

Par conséquent, madame la secrétaire d’État, comment les collectivités seront-elles accompagnées dans cette démarche ?

L’ordonnance vise également une rationalisation des périmètres de protection de captage, en réformant la politique de préservation de la ressource en eau par des captages sensibles à la pollution aux pesticides. Elle prévoit aussi que les collectivités qui le souhaitent pourront contribuer à la mission de préservation de la ressource en eau, en liaison avec le préfet, afin d’établir un programme d’action encadrant les pratiques qui dégradent la qualité des points de prélèvement.

Le programme d’action peut notamment concerner les pratiques agricoles, en limitant ou en interdisant, le cas échéant, certaines occupations des sols et l’utilisation d’intrants.

Madame la secrétaire d’État, s’agit-il, comme nous le souhaitons, d’une extension de la politique des captages prioritaires ? Les préfets disposeront-ils de moyens pour interdire l’utilisation d’intrants, notamment les pesticides ? Comment les agriculteurs seront-ils accompagnés dans cette transition ? Surtout, comment développer les baux environnementaux qui sont encore trop peu utilisés ?

« L’eau est le miroir de notre société. Les liens que nous entretenons avec elle montrent dans le vide ce qu’est notre société. » Ces mots sont d’Erik Orsenna. Notre engagement dans la préservation de l’eau dira quelle société nous voulons. Dans le cadre de la mission d’information « Gestion durable de l’eau : l’urgence d’agir pour nos usages, nos territoires et notre environnement », nous nous attacherons à y contribuer.

Applaudissements sur les travées du groupe SER.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre Louault

M. Pierre Louault . Madame la secrétaire d'État, je comprends que vous défendiez vos services, mais peut-on qualifier les agents de l'OFB de scientifiques ?

M. Bruno Sido applaudit.

Debut de section - Permalien
Bérangère Couillard

Madame la sénatrice, une grande partie d’entre vous, quasiment sur toutes les travées de cet hémicycle, souhaitent que l’on réduise l’usage des pesticides. La dynamique est enclenchée depuis 2017, puisque l’on constate une baisse des ventes de produits phytosanitaires, dont on peut dire qu’elle est le résultat concret de la mise en œuvre des plans de réduction des usages et des effets des produits phytopharmaceutiques, dits plans Écophyto.

Le Gouvernement travaille activement à ce changement de méthode, qui consiste à anticiper le retrait des substances actives potentiellement problématiques et à renforcer le pilotage et l’adaptation des techniques de protection des cultures pour soutenir nos agriculteurs dans les transitions. Trois principes d’action simples ont été définis.

Le premier principe consiste à aligner les calendriers français et européen et à défendre la mise en place des clauses miroir. En effet, nous ne souhaitons pas consommer des produits qui entreraient sur notre territoire, alors qu’ils ont été cultivés avec des substances phytosanitaires interdites en France.

Debut de section - Permalien
Bérangère Couillard

Madame la sénatrice, une grande partie d’entre vous, quasiment sur toutes les travées de cet hémicycle, souhaitez que l’on réduise l’usage des pesticides. La dynamique est enclenchée depuis 2017, puisque l’on constate une baisse des ventes de produits phytosanitaires, dont on peut dire qu’elle est le résultat concret de la mise en œuvre des plans de réduction des usages et des effets des produits phytopharmaceutiques, dits plans Écophyto.

Le Gouvernement travaille activement à ce changement de méthode, qui consiste à anticiper le retrait des substances actives potentiellement problématiques et à renforcer le pilotage et l’adaptation des techniques de protection des cultures pour soutenir nos agriculteurs dans les transitions. Trois principes d’action simples ont été définis.

Le premier principe consiste à aligner les calendriers français et européen et à défendre la mise en place des clauses miroir. En effet, nous ne souhaitons pas consommer des produits qui entreraient sur notre territoire, alors qu’ils ont été cultivés avec des substances phytosanitaires interdites en France.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre Louault

Tout de même, n'a-t-on pas le droit dans ce pays d'expérimenter en s'appuyant sur la réalité telle qu'on la voit ? Quand les rivières se sont vidées, que les prairies humides sont sèches comme des paillassons et que les roselières disparaissent, les agents de l'OFB en parlent-ils ? Non, parce que cela les dérange.

En revanche, ils n'hésitent pas à surinterpréter la loi. Ils ne considèrent que ce qui est dans la droite ligne qu'ils ont définie et pénalisent tout ce qui ne l'est pas. Voilà tout ce qu'ils font.

Aujourd'hui, on va dans le mur, mais cela n'est pas grave : je commence à être âgé et je ne le verrai peut être pas. Je crois tout de même qu'il vaudrait mieux y regarder d'un peu plus près. §

Debut de section - Permalien
Bérangère Couillard

Cette concordance relève d’une exigence à la fois sanitaire et environnementale.

Le deuxième principe consiste à rechercher des solutions de substitution. J’ai évoqué notamment le biocontrôle, mais ce n’est qu’un exemple parmi les solutions sur lesquelles travaillent l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae) et les instituts techniques. Nous devons continuer d’accompagner les agriculteurs, qui vont encore devoir faire face à la suppression d’un certain nombre de produits.

Le troisième principe concerne la gouvernance. Nous assumons d’avoir refusé la réintroduction de substances actives interdites et, en même temps, d’avoir accompagné les agriculteurs lorsque la décision d’interdire les néonicotinoïdes a été prise. L’un n’empêche pas l’autre.

Sur les captages, madame la sénatrice, j’ai déjà répondu à votre collègue Paoli-Gagin.

Photo de Nathalie Delattre

La parole est à Mme Florence Blatrix Contat, pour la réplique.

Photo de Nathalie Delattre

En conclusion du débat, la parole est à Mme la secrétaire d'État.

Photo de Florence Blatrix Contat

Le dernier rapport de l’Anses montre que la rémanence de certaines molécules après leur interdiction impose que l’on anticipe. Si l’on veut éviter d’entrer dans une logique curative, qui sera très coûteuse pour nos collectivités, donc pour les consommateurs, il faut davantage anticiper. Par conséquent, la préconisation formulée par l’Anses de retirer le S-métolachlore est utile : ce serait une très mauvaise idée pour le Gouvernement que de revenir sur ce retrait. Nous sommes très attachés à l’indépendance de cette agence dans les décisions qu’elle prend.

De manière plus générale, il faut accélérer la transition de notre agriculture vers l’agroécologie en veillant, bien entendu, à accompagner les agriculteurs, ce qui permettra de concilier la résilience de notre agriculture et la préservation de notre ressource en eau.

Bérangère Couillard, secrétaire d'État auprès du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée de l'écologie

Madame la présidente, monsieur le président de la délégation, mesdames, messieurs les sénateurs, tout d'abord, merci. Merci de la richesse de ces échanges. Merci encore de la qualité des travaux de la délégation sénatoriale à la prospective, dont je prends toujours connaissance avec beaucoup d'attention. Merci aussi des travaux que le Sénat dans son ensemble a menés, car le sujet de l'eau a fait l'objet de nombreux débats depuis le début de cette année.

Ayant moi-même été députée, je considère le travail parlementaire comme une source d'inspiration et de réflexion. Je crois en l'intelligence collective, et ce d'autant plus face au grand défi de l'adaptation au changement climatique. C'est dans cet esprit que nous avons construit le plan Eau et j'espère que nous pourrons continuer de le coconstruire ensemble, pour ce qui relève de sa mise en œuvre, ainsi que dans le cadre de la mission parlementaire qui a été annoncée.

La ressource en eau est un enjeu de souveraineté nationale. Une eau en quantité et de qualité est essentielle pour notre environnement, pour notre santé et pour notre économie. Je pense que notre société est prête pour engager un changement de rapport à l'eau.

La trajectoire collective de sobriété qui consiste à réduire notre consommation d'eau de 10 % à l'horizon de 2030 sera déclinée par territoires, avec les élus et les acteurs locaux, et par secteurs, avec les représentants des filières. C'est un plan qui engage l'ensemble des acteurs – particuliers, industrie, agriculture, tourisme et secteur public – dans une même dynamique.

Le débat que nous avons eu aujourd'hui reflète le contenu de votre rapport d'information et montre à quel point le sujet est vaste et complexe.

J'ai noté, en particulier, vos interrogations sur les moyens pour les collectivités d'agir dans la préservation du grand cycle de l'eau. J'ai également pris en compte la question de la mise en cohérence des échelons de gouvernance et la nécessité qu'un dialogue renforcé s'engage entre les instances de définition des politiques publiques territoriales. Enfin, et cela me tient à cœur tant les marges de progrès sont importantes et réjouissantes, vous avez mis au rang de priorité la levée des freins à l'innovation, qui sont parfois réglementaires, comme sur le sujet de la réutilisation des eaux usées.

J'ai pu, je l'espère, vous montrer que le plan Eau apportait des réponses concrètes et ambitieuses à l'ensemble des préoccupations que vous avez exprimées.

Je suis fière du résultat d'un travail interministériel intense, premier exercice de planification écologique piloté par la Première ministre, qui a démontré l'intérêt de cette méthode.

Je suis encore plus fière des moyens qui sont apportés en faveur de la politique de l'eau. Nous avons beaucoup consulté et avons été à l'écoute, notamment des collectivités. La capacité d'intervention des agences de l'eau, principaux financeurs de la politique de l'eau aux côtés des collectivités, est augmentée de 20 %. C'est un effort inédit qui répond au vœu de l'ensemble des acteurs.

Ces moyens permettront d'accompagner les collectivités les plus en difficulté pour rénover et sécuriser leurs infrastructures d'eau potable – le sujet a été largement évoqué.

Nous changerons d'échelle en matière d'eau recyclée et réutilisée. Des évolutions réglementaires ont été travaillées pour libérer les projets. Nous soutiendrons aussi les collectivités qui souhaitent approfondir le potentiel que pourrait représenter la réutilisation des eaux usées traitées (Reut) pour leur territoire. Un partenariat sera noué avec l'Anel pour cela.

La semaine dernière, je remettais les trophées Eco Actions aux Eco Maires. J'ai vu des projets très stimulants, notamment sur la préservation de l'eau, des projets participatifs, élaborés par et pour les citoyens. Ce sont de véritables pépites. Je crois fondamentalement aux initiatives de terrain, que nous devons encourager pour ensuite les développer à plus grande échelle.

Ce plan traduit une conviction commune : en France, la ressource en eau est précieuse. Elle l'est pour nos écosystèmes, pour notre santé et pour notre économie.

Dans cet élan de repolitisation des enjeux de l'eau, j'attends des élus locaux une mobilisation pleine et entière, en particulier sur les questions de partage de la ressource. Nous devons nous réunir autour d'une ambition forte pour développer des solutions d'adaptation dans nos territoires.

Le 10 janvier dernier, lors du premier débat sur la ressource en eau que nous avions eu ensemble, je vous donnais rendez-vous pour vous présenter plus en détails le plan Eau. Je vous remercie de nouveau de l'opportunité que vous m'avez offerte aujourd'hui de vous présenter les mesures les plus structurantes pour les collectivités.

J'aurai plaisir à poursuivre ces échanges individuellement, ou à l'occasion d'autres débats qui se tiendront dans cet hémicycle.

Photo de Mathieu Darnaud

Madame la présidente, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, à mon tour, je tiens à saluer l'excellence du travail de nos quatre rapporteurs et de la délégation, qui a permis de mettre en lumière les défis qui nous attendent. Jamais un exercice de prospective n'aura autant collé à la réalité que vous vous êtes tous essayés à dépeindre.

La première remarque je souhaitais formuler, à l'aune de vos interventions, c'est qu'il ne faudrait pas tomber dans une opposition entre le nécessaire effort de sobriété et la mobilisation de la ressource.

La sobriété – je réponds ici à Daniel Breuiller –, on peut d'ores et déjà y travailler : nul besoin de renvoyer à des travaux ou à des conventions.

Le département que je représente, l'Ardèche, a produit avec l'établissement public de bassin le document « Ardèche 2050 », qui est exemplaire en matière de sobriété. En effet, en mettant tous les acteurs autour de la table, il permet d'ores et déjà d'avancer sur le sujet, y compris dans sa dimension pédagogique.

Pour autant, nous avons besoin de mobiliser la ressource. Vous vous demandiez au cours de ce débat, madame la secrétaire d'État, pourquoi nous n'allions pas suffisamment vite sur la réutilisation des eaux usées traitées. Je vous invite à contacter le président de l'Association des maires de France et des présidents d'intercommunalité (AMF), David Lisnard, que vous avez cité et qui se désespère. En effet, depuis dix ans, dans sa commune, il essaie de mettre en place un projet de cette envergure, qui n'aboutit pas. On le sait, les raisons sont essentiellement administratives.

Mes chers collègues, vous avez été nombreux à mentionner la question du stockage des réserves collinaires. Là aussi, je veux porter témoignage : dans mon département, les projets se succèdent pour répondre aux problématiques de l'agriculture, à celles du tourisme ou de la défense incendie, à toutes celles qui se posent sur le territoire.

Nous avons multiplié les études environnementales. Nous nous sommes appliqués à être le plus vertueux possible. L'État a signé des conventions avec la chambre d'agriculture, avec le département ; or aucun projet ne sort. Voilà la triste réalité dans laquelle nous nous trouvons aujourd'hui !

Photo de Nathalie Delattre

Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Louault.

Photo de Mathieu Darnaud

Pour ce qui concerne le plan Eau, nous avons – heureusement ! – des convergences sur certains points, qui figurent d'ailleurs dans le rapport de la délégation, et je vous remercie de l'avoir souligné. Mais, je le dis très franchement, le bât blesse sur le volet financier.

La possibilité d'injecter, demain, 475 millions d'euros a été saluée. Mais c'est oublier au passage que nos agences de l'eau se voient depuis plusieurs années dans l'obligation de restituer 400 millions d'euros pour financer l'Office français de la biodiversité (OFB).

Photo de Pierre Louault

Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, comment retrouver une ressource plus abondante ? À la fin de ce débat sur la gestion de l’eau, je souhaite poser cette question, puisque le sujet n’a pas encore été abordé.

Aujourd’hui, le niveau des rivières baisse, les nappes phréatiques s’épuisent et, depuis soixante-dix ans, on a accumulé un certain nombre de fautes. Dans les années 1960 et 1970, on a créé des fossés profonds, on a approfondi et mis à sec les ruisseaux. Dans les années 2000, on a interprété à la française la nouvelle directive européenne sur l’eau, dans la loi sur l’eau et les milieux aquatiques (Lema) de 2006, qui prévoyait de manière pompeuse un principe de « continuité écologique » valant seulement pour les poissons migrateurs, sans prendre en compte les incidences.

Photo de Mathieu Darnaud

J'y insiste : si l'on n'a pas compris l'enjeu financier derrière la nécessité de prendre à bras-le-corps l'ensemble de ces sujets, nous n'y arriverons pas.

Vous avez évoqué l'enveloppe consacrée aux réseaux fuyards. Dont acte. Or dans mon département, par exemple, le préfet vient de refuser à vingt-six communes la délivrance de permis de construire pour se conformer à des obligations en matière de réseau d'eau. C'est oublier, là encore, que les agences de l'eau n'ont pu soutenir financièrement la mise en place de schémas directeurs dans ces communes, les renvoyant aux finances des départements.

S'il y a donc bien une avancée, elle est largement insuffisante et elle ne nous permettra pas de réaliser les efforts qui nous attendent.

Beaucoup a été dit. Je souhaite conclure mon propos par la question de la gouvernance.

Oui, il faut une gouvernance territorialisée. Pour cela, il importe de convier l'ensemble des élus de nos territoires autour de la table pour discuter et avancer sur tous ces sujets.

Nous avons aussi besoin d'agilité. Or, après une question d'actualité posée au Gouvernement à cet égard, et après votre réponse, madame la secrétaire d'État, à l'intervention de notre collègue Alain Joyandet dans ce débat, je n'ai toujours pas compris comment vous envisagiez l'avenir de la gouvernance dans nos territoires : intercommunale, via des syndicats, ou parmutualisation ?

Là encore, il faut être clair vis-à-vis des élus locaux, c'est-à-dire celles et ceux qui doivent être pionniers en matière de gouvernance de l'eau. Il faut leur faire confiance en permettant à des syndicats, qui épousent les bassins versants, de porter ce sujet.

Photo de Pierre Louault

En réalité, la surinterprétation administrative fait jurisprudence : on supprime les seuils, on abaisse le niveau des cours d’eau, il arrive très souvent que l’on vide les rivières et vidange les nappes phréatiques. Je le sais bien, car je suis paysan : c’est le système de l’abreuvoir à poulets. Enlevez cinquante centimètres d’eau et les nappes se vidangent ! Dans l’abreuvoir à poulets, deux centimètres d’eau retiennent un mètre d’eau. Les nappes phréatiques fonctionnent exactement de la même manière.

Dans le même temps, les prairies humides deviennent de véritables paillassons. Les zones humides de notre territoire, qui étaient des roselières, sont en train de disparaître. Après avoir épuisé les seuils de rivières, on en vient maintenant à supprimer les étangs, qui ont parfois plus de 500 ans d’existence, au prétexte que le cours d’eau passe au milieu.

Tous ces systèmes mis en cascade ont pour effet d’épuiser les réserves d’eau. Les rivières et les ruisseaux sont de plus en plus abondants, durant l’hiver, quand il pleut, avec pour avantage que cela contribue à rehausser le niveau des océans qui en ont grand besoin, et l’on a de moins en moins d’eau pendant l’été.

La gestion de l’eau est devenue un véritable défi. J’ai mis en place un certain nombre d’expérimentations dans ma commune et dans mon territoire : en rétablissant des seuils sur des fossés qui avaient été créés dans les années 1960, on a retrouvé des sources qui coulent toute l’année, pas seulement l’hiver, et l’on a rétabli des ruisseaux.

Je ne suis pas un anti-écolo. Au contraire, il m’arrive de prendre le parti de certains de mes collègues. §Dans ma commune, en vingt ans, j’ai « planté » sept kilomètres de rivière, j’ai recréé de toutes pièces des zones humides et l’on retrouve de l’eau toute l’année dans des endroits qui étaient à sec.

Par pitié, arrêtons, au nom de je ne sais quelle idéologie, de vouloir mettre à tout prix les rivières à sec ! Sans la moindre expérimentation, par principe, on supprime les seuils au lieu de les rétablir dans une continuité écologique où les poissons migrateurs pourraient passer – il est tellement plus simple de les supprimer ! Voilà où va la moitié de l’argent des agences de l’eau.

Photo de Mathieu Darnaud

Revenons à l'essentiel, madame la secrétaire d'État. Il y va de la préfiguration de la gestion de l'eau dans nos territoires.

Nous avons pris acte de vos objectifs ; nous sommes prêts à en débattre et à avancer, car le temps de l'action est aujourd'hui venu.

Photo de Pierre Louault

Cela n’est plus possible.

Madame la secrétaire d’État, je voulais vous alerter sur ce problème qui, s’il perdure, aggravera encore un peu plus l’assèchement de nos rivières et compromettra la capacité des nappes phréatiques à se recharger. Aujourd’hui, elles se vident l’hiver et n’ont plus rien à donner l’été. Telle est la réalité, sans doute trop compliquée pour la haute technostructure, mais sur laquelle il est tout de même temps de jeter un coup d’œil.

Photo de Nathalie Delattre

Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

Photo de Nathalie Delattre

La parole est à Mme la secrétaire d’État.

Bérangère Couillard

Monsieur le sénateur, vous avez abordé la politique de restauration de la continuité écologique des cours d’eau. Elle vise, selon nous, à limiter la fragmentation des habitats naturels, qui est l’une des causes majeures de l’érosion de la biodiversité. Dans ce ministère, nous défendons donc, bien évidemment, la continuité écologique.

Au-delà d’une pensée que vous qualifiez de technocratique, nous défendons surtout l’avis scientifique. Celui-ci est assez clair sur le fonctionnement des systèmes hydrologiques et il me semble que, sur l’ensemble de ces travées, mesdames, messieurs les sénateurs, vous y accordez de l’importance.

Je pourrai vous transmettre un avis du conseil scientifique de l’Office français de la biodiversité (OFB) qui date de 2018.

Bérangère Couillard

En effet, face aux multiples interventions sur la gestion des cours d’eau et des ouvrages, l’office a procédé à certaines clarifications. J’invite toutes les personnes intéressées à en prendre connaissance.

Cet avis tend à infirmer les conséquences que vous avez décrites. En ce qui me concerne, je n’oppose pas la politique de restauration du grand cycle de l’eau et la notion de stockage pertinent dans l’espace et le temps. Les ouvrages font partie du panel de solutions de la gestion de l’eau et peuvent répondre à des besoins locaux. Évitons d’opposer les projets ; à l’inverse, étudions-les au cas par cas !

Le ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires veut privilégier la voie des continuités, surtout écologiques. En outre, les réserves de substitution ou les réserves collinaires peuvent être adéquates pour les territoires.

Photo de Nathalie Delattre

L'ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande du groupe Les Républicains, sur le thème « Harcèlement scolaire : quel plan d'action pour des résultats concrets ? »

Je vous rappelle que, dans ce débat, le Gouvernement aura la faculté, s'il le juge nécessaire, de prendre la parole immédiatement après chaque orateur pour une durée de deux minutes ; l'orateur disposera alors à son tour du droit de répartie, pour une minute.

Monsieur le ministre, vous pourrez donc, si vous le souhaitez, répondre après chaque orateur, une fois que celui-ci aura retrouvé une place dans l'hémicycle.

Dans le débat, la parole est à Mme Alexandra Borchio Fontimp, au nom du groupe qui a demandé ce débat. §

Photo de Nathalie Delattre

La parole est à M. Pierre Louault, pour la réplique.

Photo de Alexandra Borchio Fontimp

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, harceler tue !Ces deux verbes mis côte à côte désignent ce phénomène dramatique qui traduit un mal français : un laxisme sans précédent face à un fléau de société qui tue.

Le harcèlement, mes chers collègues, touche en France 1 million de jeunes chaque année, c'est-à-dire un jeune sur dix, qui sont autant de citoyens. Dès la socialisation naît le rejet. Et c'est lorsque l'enfant apprend à grandir, à l'école primaire, dans sa fragilité, qu'il est davantage concerné : à l'âge de ses premiers apprentissages.

Le harcèlement scolaire concerne également sa famille, ses proches, son entourage.Autrement dit, au sein de notre assemblée, par exemple, ici et maintenant, des dizaines de nos enfants ou petits-enfants subissent ce qu'aucun enfant ne devrait subir. C'est la raison pour laquelle le groupe Les Républicains a souhaité inscrire ce débat à l'ordre du jour.

Dès le plus jeune âge, des mineurs de plus en plus nombreux sont amenés à connaître la cruauté humaine et à perdre foi en autrui, alors que ce lien de confiance est fondamental pour l'épanouissement d'un individu.Cetteréalité, qui dépasse souvent l'entendement, est trop régulièrement traitée comme un simple fait divers. Mais, derrière chaque prénom de victime, nous ne pouvons oublier son histoire, sa souffrance et sa douleur.

Suicide ou homicide ? On ne sait jamais véritablement qualifier l'acte d'unenfant qui se donne la mort, poussé à bout par ses camarades, que ce soit dans le cadre éducatif ou par le biais des nouvelles technologies et des réseaux sociaux.Pourtant, « camarade » est à l'origine un terme militaire qui renvoie au partage et à la fraternité. « Il n'est de camarades que s'ils s'unissent dans la même cordée », disait Saint-Exupéry.

L'école est ce lieu où la société a décidé de confier à des adultes latransmission de valeurs, de savoirs, de savoir-vivre et de savoir-faire à ses enfants. C'est l'endroit où la société dessine son avenir en formant les adultes de demain.

Aller à l'école ne doit jamais devenir une contrainte émotionnelle, mortifère, qui ne laissera que des séquelles, voire des stigmates chez ceux qui ont été victimes de harcèlement.Ce débat offre donc l'opportunité de poser des mots sur des incompréhensions que les victimes, les parents, mais aussi une forte majorité de nos concitoyens ne peuvent plus supporter.

Il est donc urgent de tout mettre en œuvre pour remédier à cette situation. Comment ne pas être choqué lorsque l'on sait que l'enfant harcelé, et donc brisé dans sa construction identitaire, doit quitter son école, tandis que celui qui a fait du mal peut y rester impunément ?

Photo de Pierre Louault

M. Pierre Louault . Madame la secrétaire d’État, je comprends que vous défendiez vos services, mais peut-on qualifier les agents de l’OFB de scientifiques ?

Photo de Alexandra Borchio Fontimp

Voilà ce qui a conduit notre collègue Marie Mercier à déposer une proposition de loi visant, dans le cadre d'un harcèlement scolaire, à poser le principe d'une mesure d'éloignement du harceleur pour protéger la victime, afin que celle-ci ne subisse pas cette double peine. Il s'agit d'une mesure de bon sens, monsieur le ministre, puisque vous l'avez retenue, si l'on en croit vos annonces dans la presse ce matin.

L'impunité dans laquelle vivent les auteurs des faits de harcèlement doit cesser.

Cette impunité les mène à reproduire leurs actes de victime en victime, à ne pas comprendre et mesurer les conséquences et la gravité de leurs agissements. Il faut donc les prendre en charge de manière appropriée. N'oublions pas non plus les témoins, qui peuvent être traumatisés par la violence qu'ils ont observée et peuvent développer un sentiment d'impuissance.

L'école a bien évidemment un rôle à jouer dans la lutte contre le harcèlement, mais c'est avant tout l'éducation que l'on donne à son enfant qui déterminera la personne qu'il sera envers les autres. Ne nions pas cet élément, sans toutefois mettre en accusation les parents, afin que l'état des lieux ainsi dressé ne soit pas une équation dont il manquerait une inconnue.

Les parents doivent également être impliqués dans la prévention en étant sensibilisés et informés sur les différentes formes de harcèlement scolaire et encouragés à dialoguer avec leurs enfants.

J'ai l'espoir que chacune des dix-sept prises de parole inscrites sur ce débat favorisera le déclic qui nous permettra enfin de protéger nos enfants harcelés.

Les membres de la mission sénatoriale d'information sur le harcèlement scolaire et le cyberharcèlement estiment qu'il est temps de détecter et de traiter ce fléau, autour de ce qui doit constituer désormais une grande cause nationale – et non pas seulement une journée nationale instaurée un jeudi de novembre, comme un rappel annuel, durant laquelle chacun dénonce le harcèlement scolaire vingt-quatre heures durant avec tout le pathos que l'on sait.

Faisons-le pour les parents de Lucas, dans les Vosges, ou encore pour la famille d'Ambre, dans la Drôme. Nous ne pouvons le faire pour leurs enfants : pour eux, c'est déjà trop tard. Ils ont préféré mettre fin à leur calvaire en se donnant la mort, parce que notre pays n'a su ni les écouter ni les protéger. Nous devons donc aller plus loin dans la prévention et la formation auprès des acteurs de l'éducation nationale et des familles.

Malgré les avancées de la loi du 2 mars 2022 visant à combattre le harcèlement scolaire et celles du programme pHARe, le programme de lutte contre le harcèlement à l'école, de tels drames traduisent un terrible échec collectif, une injustice inacceptable en 2023. Les chiffres montrent que ces mesures sont insuffisantes et que le système connaît des défaillances. L'autorité judiciaire doit faire de la lutte contre le harcèlement scolaire une priorité de sa politique pénale afin de se saisir de la nouvelle infraction définie.

Les signalements doivent être pris au sérieux. Le harcèlement scolaire ne doit plus être considéré comme une histoire entre gamins qui aide à grandir ou des jeux d'enfants sans importance. À Menton, dans mon département des Alpes-Maritimes, Anna « n'en peut plus d'aller au collège chaque matin avec la boule à ventre ». Et cela dure depuis six mois !

Ce combat ne se mène pas seul. Il est temps que nous prenions tous ensemble des mesures supplémentaires pour prévenir et combattre le harcèlement scolaire. Il est primordial de lever le voile sur ce phénomène et d'oser en parler.

On aura beau mettre en place tout un arsenal de mesures, si les gens ne veulent pas voir, alors tout cela ne servira à rien ! Aidons-les à détecter les victimes, à les prendre en charge et à gérer les harceleurs. L'école est aussi ce lieu privilégié d'observation, de repérage, d'évaluation des difficultés scolaires, personnelles, sociales, familiales et de santé des élèves.

Pour conclure, je veux saluer toutes les personnes qui s'engagent au quotidien dans la lutte contre ce fléau.

Leur engagement est essentiel pour que nous puissions avancer ensemble dans la bonne direction, avec comme seul et unique objectif l'intérêt de l'enfant, pour que l'école ne soit plus une zone de non-droit et qu'enfance ne rime plus jamais avec violence.

Photo de Pierre Louault

Tout de même, n’a-t-on pas le droit dans ce pays d’expérimenter en s’appuyant sur la réalité telle qu’on la voit ? Quand les rivières se sont vidées, que les prairies humides sont sèches comme des paillassons et que les roselières disparaissent, les agents de l’OFB en parlent-ils ? Non, parce que cela les dérange.

En revanche, ils n’hésitent pas à surinterpréter la loi. Ils ne considèrent que ce qui est dans la droite ligne qu’ils ont définie et pénalisent tout ce qui ne l’est pas. Voilà tout ce qu’ils font.

Aujourd’hui, on va dans le mur, mais cela n’est pas grave : je commence à être âgé et je ne le verrai peut être pas. Je crois tout de même qu’il vaudrait mieux y regarder d’un peu plus près.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre Louault

Tout de même, n’a-t-on pas le droit dans ce pays d’expérimenter en s’appuyant sur la réalité telle qu’on la voit ? Quand les rivières se sont vidées, que les prairies humides sont sèches comme des paillassons et que les roselières disparaissent, les agents de l’OFB en parlent-ils ? Non, parce que cela les dérange.

En revanche, ils n’hésitent pas à surinterpréter la loi. Ils ne considèrent que ce qui est dans la droite ligne qu’ils ont définie et pénalisent tout ce qui ne l’est pas. Voilà tout ce qu’ils font.

Aujourd’hui, on va dans le mur, mais cela n’est pas grave : je commence à être âgé et je ne le verrai peut-être pas. Je crois tout de même qu’il vaudrait mieux y regarder d’un peu plus près.

Pap Ndiaye, ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse

Madame la sénatrice Borchio Fontimp, vous avez souhaité inscrire à l'ordre du jour un débat sur le harcèlement scolaire. Je vous en remercie, car j'ai voulu que la lutte contre le harcèlement, indispensable à la réussite scolaire, soit une priorité de mon action.

Longtemps dans l'angle mort du système scolaire, il faut bien le reconnaître, la lutte contre le harcèlement est, depuis 2017, un enjeu important pour le ministère de l'éducation nationale et de la jeunesse, lequel se mobilise très fortement. Je m'inscris dans la continuité de l'action qui a été engagée.

Je citerai, à cet égard, la loi du 26 juillet 2019 pour une école de la confiance, dans laquelle le droit à une scolarité sans harcèlement est inscrit ; la loi du 2 mars 2022 visant à combattre le harcèlement scolaire, qui pénalise le fait de harceler ; la généralisation, à la rentrée dernière, du programme pHARe.

Ce programme, dont nous aurons l'occasion de reparler, permet la mobilisation des communautés scolaires : 60 % des écoles et 86 % des collèges y sont engagés – nous avons certes encore du chemin à parcourir pour atteindre 100 %. Comme je l'ai annoncé, le programme sera étendu aux lycées à partir de la rentrée 2023.

Nous avons beaucoup à faire, à tous égards. Nos échanges me donneront l'occasion de préciser un certain nombre de mesures, parmi lesquelles l'extension du programme susmentionné et, comme je l'ai annoncé ce matin, la possibilité pour le premier degré, dans certains cas et en dernier recours, de scolariser l'élève harceleur dans un autre établissement.

Photo de Nathalie Delattre

En conclusion du débat, la parole est à Mme la secrétaire d’État.

Photo de Alain Marc

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, chaque année, près de 1 million d'enfants sont victimes de harcèlement. Personne n'est épargné.

Si chaque situation de harcèlement est unique, les conséquences sont nombreuses et se ressemblent : baisse de l'estime de soi, isolement progressif vis-à-vis des camarades, troubles du sommeil, défiance envers les adultes, décrochage scolaire, honte et culpabilité.

Si chaque situation de harcèlement est un drame, il arrive même, bien trop souvent, que les cas de harcèlement virent à la tragédie. L'actualité se charge de nous le rappeler cruellement. On compte environ vingt suicides d'enfants par an. J'ai bien évidemment une pensée pour le jeune Lucas, décédé le 7 janvier dernier.

La récurrence de ces drames souligne notre échec collectif à enrayer définitivement le fléau du harcèlement à l'école.

Aujourd'hui, la situation se complique, car les frontières entre le cadre scolaire et la sphère familiale privée se brouillent. Avec l'avènement des réseaux sociaux, les jeunes victimes n'ont plus un instant de répit. Le harcèlement vécu en classe se poursuit à la maison, jusque dans la chambre, censée être le refuge intime et protecteur par excellence. Les moqueries, les humiliations et les insultes continuent à pleuvoir par messages privés ou bien à la vue de tous, dans des publications devenant parfois virales.

La peur doit changer de camp. C'était justement le signal envoyé en juin 2021 par la mission d'information sur le harcèlement scolaire et le cyberharcèlement, dont ma collègue Colette Mélot était la rapporteure, et dont Alexandra Borchio Fontimp vient de rappeler les principaux éléments.

Le constat est sans appel : aucun établissement scolaire et aucun département n'est épargné. On estime aujourd'hui entre 800 000 et 1 million le nombre d'enfants victimes de harcèlement scolaire chaque année, soit un enfant sur dix. Ces chiffres sont effrayants et nous engagent à réagir urgemment.

Le rapport de la mission d'information a présenté une série de pistes d'action concrètes. Elles s'organisent autour de trois axes clairs, destinés à guider l'action publique : la prévention, la détection précoce et enfin le traitement des cas de harcèlement. Il insistait notamment sur la gravité du cyberharcèlement, face auquel les parents et le personnel éducatif restent bien souvent démunis. La prévention des jeunes est cruciale, la formation des adultes est essentielle.

Nous devons développer collectivement de nouveaux réflexes de protection pour intervenir dès l'apparition des premiers signaux d'isolement ou de persécution.

C'est d'autant plus important au sein de l'école républicaine, qui doit être un lieu d'épanouissement et d'apprentissage pour nos jeunes, et non le théâtre de brimades, d'humiliations et de violences physiques ou verbales.

Tout le monde doit se mobiliser : éducateurs, parents, enfants, pouvoirs publics. L'État joue un rôle essentiel pour impulser une vaste stratégie de lutte contre ces violences dont souffrent nos jeunes à l'école. Nous devons tous être au rendez-vous.

Dès lors, monsieur le ministre, pouvez-vous énoncer avec précision vos ambitions et votre calendrier pour lutter avec efficacité contre le harcèlement scolaire et le cyberharcèlement ?

Bérangère Couillard

Madame la présidente, monsieur le président de la délégation, mesdames, messieurs les sénateurs, tout d’abord, merci. Merci de la richesse de ces échanges. Merci encore de la qualité des travaux de la délégation sénatoriale à la prospective, dont je prends toujours connaissance avec beaucoup d’attention. Merci aussi des travaux que le Sénat dans son ensemble a menés, car le sujet de l’eau a fait l’objet de nombreux débats depuis le début de cette année.

Ayant moi-même été députée, je considère le travail parlementaire comme une source d’inspiration et de réflexion. Je crois en l’intelligence collective, et ce d’autant plus face au grand défi de l’adaptation au changement climatique. C’est dans cet esprit que nous avons construit le plan Eau et j’espère que nous pourrons continuer de le coconstruire ensemble, pour ce qui relève de sa mise en œuvre, ainsi que dans le cadre de la mission parlementaire qui a été annoncée.

La ressource en eau est un enjeu de souveraineté nationale. Une eau en quantité et de qualité est essentielle pour notre environnement, pour notre santé et pour notre économie. Je pense que notre société est prête pour engager un changement de rapport à l’eau.

La trajectoire collective de sobriété qui consiste à réduire notre consommation d’eau de 10 % à l’horizon de 2030 sera déclinée par territoires, avec les élus et les acteurs locaux, et par secteurs, avec les représentants des filières. C’est un plan qui engage l’ensemble des acteurs – particuliers, industrie, agriculture, tourisme et secteur public – dans une même dynamique.

Le débat que nous avons eu aujourd’hui reflète le contenu de votre rapport d’information et montre à quel point le sujet est vaste et complexe.

J’ai noté, en particulier, vos interrogations sur les moyens pour les collectivités d’agir dans la préservation du grand cycle de l’eau. J’ai également pris en compte la question de la mise en cohérence des échelons de gouvernance et la nécessité qu’un dialogue renforcé s’engage entre les instances de définition des politiques publiques territoriales. Enfin, et cela me tient à cœur tant les marges de progrès sont importantes et réjouissantes, vous avez mis au rang de priorité la levée des freins à l’innovation, qui sont parfois réglementaires, comme sur le sujet de la réutilisation des eaux usées.

J’ai pu, je l’espère, vous montrer que le plan Eau apportait des réponses concrètes et ambitieuses à l’ensemble des préoccupations que vous avez exprimées.

Je suis fière du résultat d’un travail interministériel intense, premier exercice de planification écologique piloté par la Première ministre, qui a démontré l’intérêt de cette méthode.

Je suis encore plus fière des moyens qui sont apportés en faveur de la politique de l’eau. Nous avons beaucoup consulté et avons été à l’écoute, notamment des collectivités. La capacité d’intervention des agences de l’eau, principaux financeurs de la politique de l’eau aux côtés des collectivités, est augmentée de 20 %. C’est un effort inédit qui répond au vœu de l’ensemble des acteurs.

Ces moyens permettront d’accompagner les collectivités les plus en difficulté pour rénover et sécuriser leurs infrastructures d’eau potable – le sujet a été largement évoqué.

Nous changerons d’échelle en matière d’eau recyclée et réutilisée. Des évolutions réglementaires ont été travaillées pour libérer les projets. Nous soutiendrons aussi les collectivités qui souhaitent approfondir le potentiel que pourrait représenter la réutilisation des eaux usées traitées (Reut) pour leur territoire. Un partenariat sera noué avec l’Anel pour cela.

La semaine dernière, je remettais les trophées Eco Actions aux Eco Maires. J’ai vu des projets très stimulants, notamment sur la préservation de l’eau, des projets participatifs, élaborés par et pour les citoyens. Ce sont de véritables pépites. Je crois fondamentalement aux initiatives de terrain, que nous devons encourager pour ensuite les développer à plus grande échelle.

Ce plan traduit une conviction commune : en France, la ressource en eau est précieuse. Elle l’est pour nos écosystèmes, pour notre santé et pour notre économie.

Dans cet élan de repolitisation des enjeux de l’eau, j’attends des élus locaux une mobilisation pleine et entière, en particulier sur les questions de partage de la ressource. Nous devons nous réunir autour d’une ambition forte pour développer des solutions d’adaptation dans nos territoires.

Le 10 janvier dernier, lors du premier débat sur la ressource en eau que nous avions eu ensemble, je vous donnais rendez-vous pour vous présenter plus en détails le plan Eau. Je vous remercie de nouveau de l’opportunité que vous m’avez offerte aujourd’hui de vous présenter les mesures les plus structurantes pour les collectivités.

J’aurai plaisir à poursuivre ces échanges individuellement, ou à l’occasion d’autres débats qui se tiendront dans cet hémicycle.

Debut de section - Permalien
Bérangère Couillard

Madame la présidente, monsieur le président de la délégation, mesdames, messieurs les sénateurs, tout d’abord, merci. Merci de la richesse de ces échanges. Merci encore de la qualité des travaux de la délégation sénatoriale à la prospective, dont je prends toujours connaissance avec beaucoup d’attention. Merci aussi des travaux que le Sénat dans son ensemble a menés, car le sujet de l’eau a fait l’objet de nombreux débats depuis le début de cette année.

Ayant moi-même été députée, je considère le travail parlementaire comme une source d’inspiration et de réflexion. Je crois en l’intelligence collective, et ce d’autant plus face au grand défi de l’adaptation au changement climatique. C’est dans cet esprit que nous avons construit le plan Eau et j’espère que nous pourrons continuer de le coconstruire, pour ce qui relève de sa mise en œuvre, ainsi que dans le cadre de la mission parlementaire qui a été annoncée.

La ressource en eau est un enjeu de souveraineté nationale. Une eau en quantité et de qualité est essentielle pour notre environnement, pour notre santé et pour notre économie. Je pense que notre société est prête pour engager un changement de rapport à l’eau.

La trajectoire collective de sobriété qui consiste à réduire notre consommation d’eau de 10 % à l’horizon de 2030 sera déclinée par territoires, avec les élus et les acteurs locaux, et par secteurs, avec les représentants des filières. C’est un plan qui engage l’ensemble des acteurs – particuliers, industrie, agriculture, tourisme et secteur public – dans une même dynamique.

Le débat que nous avons eu aujourd’hui reflète le contenu de votre rapport d’information et montre à quel point le sujet est vaste et complexe.

J’ai noté, en particulier, vos interrogations sur les moyens pour les collectivités d’agir dans la préservation du grand cycle de l’eau. J’ai également pris en compte la question de la mise en cohérence des échelons de gouvernance et la nécessité qu’un dialogue renforcé s’engage entre les instances de définition des politiques publiques territoriales. Enfin, et cela me tient à cœur tant les marges de progrès sont importantes et réjouissantes, vous avez mis au rang de priorité la levée des freins à l’innovation, qui sont parfois réglementaires, comme sur le sujet de la réutilisation des eaux usées.

J’ai pu, je l’espère, vous montrer que le plan Eau apportait des réponses concrètes et ambitieuses à l’ensemble des préoccupations que vous avez exprimées.

Je suis fière du résultat d’un travail interministériel intense, premier exercice de planification écologique piloté par la Première ministre, qui a démontré l’intérêt de cette méthode.

Je suis encore plus fière des moyens qui sont apportés en faveur de la politique de l’eau. Nous avons beaucoup consulté et avons été à l’écoute, notamment des collectivités. La capacité d’intervention des agences de l’eau, principaux financeurs de la politique de l’eau aux côtés des collectivités, est augmentée de 20 %. C’est un effort inédit qui répond au vœu de l’ensemble des acteurs.

Ces moyens permettront d’accompagner les collectivités les plus en difficulté pour rénover et sécuriser leurs infrastructures d’eau potable – le sujet a été largement évoqué.

Nous changerons d’échelle en matière d’eau recyclée et réutilisée. Des évolutions réglementaires ont été travaillées pour libérer les projets. Nous soutiendrons aussi les collectivités qui souhaitent approfondir le potentiel que pourrait représenter la réutilisation des eaux usées traitées (Reut) pour leur territoire. Un partenariat sera noué avec l’Anel pour cela.

La semaine dernière, je remettais les trophées Eco Actions aux Eco Maires. J’ai vu des projets très stimulants, notamment sur la préservation de l’eau, des projets participatifs, élaborés par et pour les citoyens. Ce sont de véritables pépites. Je crois fondamentalement aux initiatives de terrain, que nous devons encourager pour ensuite les développer à plus grande échelle.

Ce plan traduit une conviction commune : en France, la ressource en eau est précieuse. Elle l’est pour nos écosystèmes, pour notre santé et pour notre économie.

Dans cet élan de repolitisation des enjeux de l’eau, j’attends des élus locaux une mobilisation pleine et entière, en particulier sur les questions de partage de la ressource. Nous devons nous réunir autour d’une ambition forte pour développer des solutions d’adaptation dans nos territoires.

Le 10 janvier dernier, lors du premier débat sur la ressource en eau que nous avions eu ensemble, je vous donnais rendez-vous pour vous présenter plus en détail le plan Eau. Je vous remercie de nouveau de l’opportunité que vous m’avez offerte aujourd’hui de vous présenter les mesures les plus structurantes pour les collectivités.

J’aurai plaisir à poursuivre ces échanges individuellement, ou à l’occasion d’autres débats qui se tiendront dans cet hémicycle.

Photo de Nathalie Delattre

Mme la présidente. La parole est à M. le président de la délégation.

Pap Ndiaye, ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse

Monsieur le sénateur Marc, je vous remercie de votre intervention. Je suis d'accord avec vous sur la gravité des conséquences du harcèlement. Vous avez rappelé les drames que nous avons connus ; j'ai une pensée, bien sûr, pour les victimes, qu'il s'agisse des élèves qui meurent chaque année à cause du harcèlement ou de ceux qui, plus silencieusement, sont affectés sur le long terme du fait de pressions ou de trajectoires scolaires enrayées.

La question du cyberharcèlement est très importante et je rejoins les propos que vous avez tenus. Je rappelle, à cet égard, l'existence du 3018, le numéro national pour les victimes de violences numériques, qui est gratuit et très efficace. J'ai visité les bureaux de cette plateforme, qui permet de répondre aux demandes de collégiens ou de leurs familles, parfois en panique, visant à bloquer des photographies intimes ou des boucles de messages, et qui y parvient très bien.

Je tiens à saluer l'existence de ces deux numéros, le 3018 et le 3020, qui seront systématiquement inscrits dans les carnets de correspondance des élèves à partir de la rentrée prochaine.

Le programme pHARe, que vous avez cité, a fait ses preuves dans les six académies où il était expérimenté jusqu'à l'année dernière. Il a été généralisé depuis la rentrée 2022 dans les proportions que j'ai indiquées, mais – je le répète – nous avons encore du chemin à faire. Il consiste à former au moins cinq adultes référents par établissement scolaire ainsi que des « élèves ambassadeurs ». En effet, les élèves sont souvent les mieux à même de détecter les changements de comportement de leurs camarades ou des situations de harcèlement et de rapporter les faits auprès des adultes formés. Il s'agit donc d'un vaste programme de formation des adultes.

Pour ce qui concerne le traitement des situations de harcèlement, nous nous efforçons, dans le cadre de notre mission pédagogique et puisqu'il s'agit d'enfants, d'amener l'élève harceleur à reconnaître ses torts.

Enfin, nous prévoyons la possibilité d'infliger des sanctions, par le biais des conseils de discipline ou via la nouvelle disposition que je viens d'indiquer.

Photo de Mathieu Darnaud

Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, à mon tour, je tiens à saluer l’excellence du travail de nos quatre rapporteurs et de la délégation, qui a permis de mettre en lumière les défis qui nous attendaient. Jamais un exercice de prospective n’aura autant collé à la réalité que vous vous êtes tous essayés à dépeindre.

La première remarque je souhaitais formuler, à l’aune de vos interventions, c’est qu’il ne faudrait pas tomber dans une opposition entre le nécessaire effort de sobriété et la mobilisation de la ressource.

La sobriété – je réponds ici à Daniel Breuiller –, on peut d’ores et déjà y travailler : nul besoin de renvoyer à des travaux ou à des conventions.

Le département que je représente, l’Ardèche, a produit avec l’établissement public de bassin le document « Ardèche 2050 », qui est exemplaire en matière de sobriété. En effet, en mettant tous les acteurs autour de la table, il permet d’ores et déjà d’avancer sur le sujet, y compris dans sa dimension pédagogique.

Pour autant, nous avons besoin de mobiliser la ressource. Vous vous demandiez au cours de ce débat, madame la secrétaire d’État, pourquoi nous n’allions pas suffisamment vite sur la réutilisation des eaux usées traitées. Je vous invite à contacter le président de l’Association des maires de France et des présidents d’intercommunalité (AMF), David Lisnard, que vous avez cité et qui se désespère. En effet, depuis dix ans, dans sa commune, il essaie de mettre en place un projet de cette envergure, qui n’aboutit pas – pour des raisons essentiellement administratives, on le sait.

Mes chers collègues, vous avez été nombreux à mentionner la question du stockage des réserves collinaires. Là aussi, je veux porter témoignage : dans mon département, les projets se succèdent pour répondre aux problématiques de l’agriculture, à celles du tourisme ou de la défense incendie, à toutes celles qui se posent sur le territoire.

Nous avons multiplié les études environnementales. Nous nous sommes appliqués à être le plus vertueux possible. L’État a signé des conventions avec la chambre d’agriculture, avec le département ; or aucun projet ne sort. Voilà la triste réalité dans laquelle nous nous trouvons aujourd’hui !

Photo de Thomas Dossus

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je commencerai par une digression. Puisque nous allons passer le reste de cette séance à parler de l'école et de ce qui l'entoure, et alors que nous aimerions que celle-ci soit un sanctuaire préservé des violences de notre société, je tiens à rappeler que, la semaine dernière, ce sont les violences policières qui se sont invitées devant un lycée de Conflans-Sainte-Honorine. (Marques d'agacement sur les travées du groupe Les Républicains.) Un élève a été plaqué au sol par quatre policiers, menotté et emmené au commissariat, puis relâché sans poursuites, pendant que d'autres élèves étaient menacés par des agents les visant avec des flashballs.

Nous aurions aimé, monsieur le ministre, une réaction de votre part devant cet usage manifestement disproportionné de la force.

Mais revenons au sujet du présent débat. Nous sommes aujourd'hui réunis pour débattre d'un fléau national : le harcèlement scolaire. Ce n'est pas la première fois – loin de là ! –, mais il convient à nouveau de faire état des chiffres pour bien mesurer l'ampleur du phénomène.

D'après le rapport de la mission d'information portée par nos collègues sénatrices Colette Mélot et Sabine Van Heghe, la situation est absolument dramatique. Entre 800 000 et 1 million d'enfants en sont victimes chaque année, ce qui représente deux à trois élèves par classe. Et 6 à 10 % des élèves y font face au moins une fois durant leur scolarité.

Ce qui fait du harcèlement scolaire une menace et une souffrance particulièrement difficile à vivre et à cerner, c'est qu'il ne se cantonne pas aux enceintes des écoles. Le harcèlement rattrape les élèves jusque dans leur foyer via les réseaux sociaux et toute la sphère numérique. Le cycle des violences ne s'arrête jamais. Les victimes ne connaissent aucune pause, aucun répit dans leur souffrance, ce qui échappe à la sphère parentale tout en ayant parfois lieu au sein du domicile.

Il convient de s'attaquer aux causes. De nombreux élèves sont harcelés en raison de leur genre, de leur handicap, de leur couleur de peau ou de leur orientation sexuelle. Les conséquences sont parfois terribles, définitives, inacceptables. En janvier dernier, le suicide de Lucas, 13 ans, harcelé en raison de son homosexualité, montre à quel point l'homophobie et la discrimination continuent de tuer.

À la rentrée 2022, le programme de lutte contre le harcèlement scolaire pHARe, qui prévoit notamment différentes actions de prévention et de sensibilisation, a été généralisé à l'ensemble des écoles élémentaires et des collèges.

Monsieur le ministre, vous affirmiez en novembre dernier – et vous venez de le répéter – que ce programme avait obtenu d'excellents résultats. Nous aimerions vous croire sur parole, mais nous avons en ce moment un problème avec la sincérité de la parole de l'ensemble du Gouvernement.

Sur quels critères, sur quels éléments, vous basez-vous ? Alors que le programme pHARe prévoit un mécanisme d'évaluation, aucune étude détaillée n'a jamais été communiquée publiquement. De leur côté, plusieurs associations et syndicats pointent du doigt de nombreux dysfonctionnements : déploiement inégal du programme pHARe sur le territoire, formations superficielles, absence de communication sur les numéros d'urgence, manque cruel de moyens humains et financiers... Le collège du jeune Lucas, qui s'est ôté la vie, avait d'ailleurs mis en place ce dispositif, en vain.

Le manque de moyens humains et financiers dédiés à la lutte contre le harcèlement scolaire va au-delà du programme pHARe.

Prenons l'exemple de la médecine scolaire. J'alertais déjà sur ce point l'année dernière, au moment de l'examen de la proposition de loi sur le harcèlement scolaire. L'état de la médecine scolaire dans notre pays est un scandale.

Il y a dans notre pays environ 900 médecins scolaires et 7 700 infirmiers et infirmières scolaires pour 12, 5 millions d'élèves, soit un médecin pour 14 000 élèves et un infirmier ou infirmière pour 1 600 élèves. Cela représente une chute des effectifs de près de 15 % en cinq ans.

La pandémie n'a pas été un déclic : le « quoi qu'il en coûte » s'est arrêté à la porte de l'école. Voilà des professionnels, au contact des élèves, qui pourraient identifier les situations à risque, engager le dialogue et alerter. Mais avec des moyens humains aussi dérisoires, il nous est impossible de leur confier ces missions.

Enfin, vous avez récemment annoncé, monsieur le ministre, plusieurs mesures contre les LGBTphobies à l'école comme le déploiement de campagnes de sensibilisation et la généralisation d'observatoires de lutte contre ces attitudes. C'est une première étape que je salue, mais qui est loin d'être suffisante pour endiguer le fléau des discriminations LGBTphobes à l'école. Je m'interroge également quant aux moyens qui seront dédiés à ces dispositifs et à leur pérennité.

Comment lutter efficacement contre le harcèlement scolaire LGBTphobe si les moyens mis en place ne sont pas à la hauteur des enjeux ?

Nous le savons, il n'y a pas de solutions simples pour lutter contre le fléau protéiforme du harcèlement scolaire. Nous avons bien conscience que les solutions sont multiples, au croisement de l'école et de la société qui l'entoure. Mais il faut passer à la vitesse supérieure.

Investir davantage dans la lutte contre le harcèlement scolaire, que ce soit au travers de la médecine scolaire ou des politiques de prévention contre la montée des haines, c'est investir dans l'apaisement de l'école et de la société en général. Il y va de notre responsabilité.

Photo de Mathieu Darnaud

Pour ce qui concerne le plan Eau, nous avons – heureusement ! – des convergences sur certains points, qui figurent d’ailleurs dans le rapport de la délégation, et je vous remercie de l’avoir souligné. Mais, je le dis très franchement, le bât blesse sur le volet financier.

La possibilité d’injecter, demain, 475 millions d’euros a été saluée. Mais c’est oublier au passage que nos agences de l’eau se voient depuis plusieurs années dans l’obligation de restituer 400 millions d’euros pour financer l’Office français de la biodiversité (OFB).

Debut de section - PermalienPhoto de Mathieu Darnaud

Pour ce qui concerne le plan Eau, nous avons – heureusement ! – des convergences sur certains points, qui figurent d’ailleurs dans le rapport de la délégation, et je vous remercie de l’avoir souligné. Mais, je le dis très franchement, le bât blesse sur le volet financier.

La possibilité d’injecter, demain, 475 millions d’euros a été saluée. Mais c’est oublier au passage que nos agences de l’eau se voient depuis plusieurs années dans l’obligation de restituer 400 millions d’euros pour financer l’OFB.

Pap Ndiaye, ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse

Monsieur le sénateur Dossus, vous avez raison, il ne s'agit pas du premier débat, dans cet hémicycle, sur la question du harcèlement scolaire. Toutefois, nous avançons.

Comme vous l'avez souligné, il n'y a pas de solution simple. Nous sommes sur un chemin de progrès, mais il n'y aura pas de baguette magique pour faire disparaître ce fléau d'un seul coup.

Vous avez dit à juste titre que le harcèlement pesait souvent sur un élève présentant une vulnérabilité ou une différence, réelle ou supposée. Le cas des élèves LGBT est un bon exemple. Nous avons connu un drame terrible voilà quelques semaines et je suis très mobilisé sur cette question. Nous préparons activement la Journée mondiale contre l'homophobie, la transphobie et la biphobie du 17 mai, qui sera l'occasion de lancer une grande campagne. Vous avez mentionné la création des observatoires de lutte contre les LGBTphobies et notre partenariat avec l'association SOS homophobie, ainsi qu'avec d'autres associations, très impliquées.

Vous avez posé la question de l'évaluation des expérimentations qui ont eu lieu dans six académies pendant deux années. Cette évaluation est en cours ; une équipe de chercheurs travaille sur cette question.

On sait déjà, de manière empirique, que le règlement des situations de harcèlement a donné de bons résultats, mais qu'il ne s'est pas vraiment traduit par une baisse du nombre de cas. La mobilisation permet en effet de faire remonter des cas qui seraient autrement restés sous la ligne de flottaison.

Nous sommes également mobilisés au travers de la médecine scolaire. Ce que vous avez dit à cet égard est intéressant, dans la mesure où un bon tiers des postes de médecins scolaires ne sont pas pourvus. Nous pourrions doubler le nombre de ces postes que cela ne changerait rien au nombre de médecins en place. C'est pourquoi nous préparons activement, avec le ministre de la santé, un plan de médecine scolaire. Nous attendons pour le mettre en place la remise du rapport des trois inspections générales ; ce sera l'occasion de remettre à plat cette question importante.

Photo de Mathieu Darnaud

J’y insiste : si l’on n’a pas compris l’enjeu financier derrière la nécessité de prendre à bras-le-corps l’ensemble de ces sujets, nous n’y arriverons pas.

Vous avez évoqué l’enveloppe consacrée aux réseaux fuyards. Dont acte. Or dans mon département, par exemple, le préfet vient de refuser à vingt-six communes la délivrance de permis de construire pour se conformer à des obligations en matière de réseau d’eau. C’est oublier, là encore, que les agences de l’eau n’ont pu soutenir financièrement la mise en place de schémas directeurs dans ces communes, les renvoyant aux finances des départements.

S’il y a donc bien une avancée, elle est largement insuffisante et elle ne nous permettra pas de réaliser les efforts qui nous attendent.

Beaucoup a été dit. Je souhaite conclure mon propos par la question de la gouvernance.

Oui, il faut une gouvernance territorialisée. Pour cela, il importe de convier l’ensemble des élus de nos territoires autour de la table pour discuter et avancer sur tous ces sujets.

Nous avons aussi besoin d’agilité. Or, après une question d’actualité posée au Gouvernement à cet égard, et après votre réponse, madame la secrétaire d’État, à l’intervention de notre collègue Alain Joyandet dans ce débat, je n’ai toujours pas compris comment vous envisagiez l’avenir de la gouvernance dans nos territoires : intercommunale, via des syndicats, ou par mutualisation ?

Là encore, il faut être clair vis-à-vis des élus locaux, c’est-à-dire celles et ceux qui doivent être pionniers en matière de gouvernance de l’eau. Il faut leur faire confiance en permettant à des syndicats, qui épousent les bassins versants, de porter ce sujet.

Photo de Julien Bargeton

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, de quoi parle-t-on ?

Le « harcèlement entre pairs », qui est la forme la plus répandue de violence en milieu scolaire, est caractérisé par l'usage répété de la violence physique, des moqueries, des insultes et des humiliations. Il concerne – cela a été rappelé –entre 800 000 et 1 million d'élèves par an, soit 10 % des élèves. Avec l'avènement du numérique, le harcèlement scolaire se prolonge sur les réseaux sociaux, et la sphère privée n'y échappe plus.

Depuis 2017, le Gouvernement a pris la mesure de ce problème grave, qui a récemment abouti au suicide dramatique du jeune Lucas.

Depuis 2018, les téléphones portables sont interdits à l'école et au collège, à la suite d'une proposition de loi de Richard Ferrand, adoptée après engagement de la procédure accélérée. Il s'agissait, en empêchant l'utilisation massive et précoce des téléphones, de lutter contre le cyberharcèlement.

En 2019, la loi pour une école de la confiance a créé le droit de vivre une scolarité sans harcèlement : « Aucun élève ne doit subir, de la part d'autres élèves, des faits de harcèlement ayant pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions d'apprentissage susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité ou d'altérer sa santé physique ou mentale. »

La même année, le Gouvernement a annoncé l'extension des horaires de la plateforme « Net écoute », dédiée au cyberharcèlement.

Le programme pHARe de lutte contre le harcèlement, cité à plusieurs reprises par les orateurs précédents et par vous-même, monsieur le ministre, est désormais obligatoire dans tous les collèges et toutes les écoles élémentaires depuis la rentrée 2022. Il implique à la fois les adultes, les élèves – les collèges ont été dotés d'élèves ambassadeurs – et les parents, qui sont associés à la lutte contre le harcèlement à l'école.

Il s'agit donc d'un dispositif à 360 degrés, qui concerne l'ensemble de la communauté éducative.

L'année dernière, la proposition de loi de notre collègue Erwan Balanant a créé un nouveau délit de harcèlement scolaire, qui sanctionne les élèves, étudiants ou personnels des établissements scolaires et universitaires reconnus coupables de harcèlement. Les peines encourues sont de dix ans de prison et de 150 000 euros d'amende en cas de suicide ou de tentative de suicide de la victime du harcèlement. Il existe une panoplie de mesures pour lutter contre le harcèlement qui a été complétée ces dernières années, depuis 2017.

Le dispositif paraît bien sûr insuffisant, car le harcèlement est toujours dramatique et le phénomène est encore trop récurrent. Des évolutions sont encore nécessaires. La proposition de loi de notre collègue Marie Mercier du groupe Les Républicains, qui pose le principe d'une mesure d'éloignement du harceleur pour protéger la victime, soulève des questions importantes : qui doit être concerné par l'éloignement systématique ? N'est-ce pas une double peine s'il concerne aussi l'enfant victime ? Une proposition de loi a été également déposée par notre collègue Sabine Van Heghe. On le voit, le Parlement s'est largement saisi de cette question.

Monsieur le ministre, vous avez apporté des éléments de réponse ce matin sur la façon dont sont traités les auteurs de harcèlement dans les établissements scolaires que vous pourrez peut-être compléter lors de ce débat.

Il faudrait également se pencher sur des méthodes complémentaires. Certains pays sont précurseurs sur ce sujet, comme les pays scandinaves, lesquels ont souvent un temps d'avance sur ces questions qu'ils ont prises à bras-le-corps depuis longtemps. Je pense notamment à la méthode de « la préoccupation partagée » ou au programme finlandais intitulé KiVa Koulu, mis en place en 2006 et organisé autour de discussions et de jeux de rôle, avec une systématisation de la lutte contre le harcèlement scolaire dans tous les établissements finlandais. Il serait bien de faire un parangonnage pour voir comment d'autres pays d'Europe ont pu avancer dans la lutte contre le harcèlement.

Nous avons beaucoup progressé sur la question, mais les faits de harcèlement restent encore trop graves et trop nombreux. Je ne doute pas qu'ensemble nous construirons de nouveaux outils, de nouvelles armes, pour lutter contre ce fléau.

Photo de Mathieu Darnaud

Revenons à l’essentiel, madame la secrétaire d’État. Il y va de la préfiguration de la gestion de l’eau dans nos territoires.

Nous avons pris acte de vos objectifs ; nous sommes prêts à en débattre et à avancer, car le temps de l’action est aujourd’hui venu.

Pap Ndiaye, ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse

Monsieur le sénateur Bargeton, le programme pHARe s'inspire effectivement de l'exemple finlandais. Lorsque j'ai évoqué ce programme et son évaluation, j'aurais dû mentionner la Finlande, où il a donné de bons résultats.

J'attire votre attention sur la dimension pédagogique du programme, qui vise non pas à sanctionner d'emblée, mais plutôt à amener l'enfant harceleur à reconnaître la gravité de ses actes et à participer par la suite à la mobilisation de l'ensemble de la communauté éducative contre les faits de harcèlement.

Il arrive que d'anciens harceleurs soient au premier rang des élèves ambassadeurs dans la lutte contre les situations de harcèlement. En ce sens, l'école conserve bien sa mission première, qui est pédagogique. Parfois, cette dimension peut ne pas suffire et la situation est alors si dégradée entre un ou des harceleurs et les harcelés que la séparation entre les élèves devient la solution ultime.

Cette mesure est envisageable dans le secondaire, puisque les conseils de discipline peuvent scolariser un élève dans un autre établissement que celui d'origine ; en revanche, elle n'est pas possible dans le primaire, où il n'y a pas de conseil de discipline. C'est pourquoi nous proposons de passer par la voie réglementaire, et non législative, pour permettre, dans certains cas et en dernier recours, lorsque toutes les autres solutions auront été envisagées, de déplacer l'élève, indépendamment de l'avis de ses représentants légaux et selon une procédure que je détaillerai si la question m'est posée.

Photo de Nathalie Delattre

Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

Debut de section - PermalienPhoto de Nathalie Delattre

Nous en avons terminé avec le débat sur le thème : « L’avenir de la ressource en eau : comment en améliorer la gestion ? »

Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

Photo de Sabine Van Heghe

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, cela a été dit, près de 1 million d'élèves subissent chaque année une forme de harcèlement durant leur scolarité, d'une violence parfois telle qu'elle pousse certains enfants à attenter à leurs jours.

Il est intolérable, monsieur le ministre, que les fondements du vivre ensemble soient ainsi sapés et que les jeunes soient éprouvés à l'âge ou ils font leurs premiers apprentissages, dévoilant leurs fragilités propres à l'adolescence.

Bien sûr, il ne s'agit pas ici de dire que rien ne se fait au sein de l'éducation nationale. Même si le programme pHARe a été généralisé à la rentrée 2021, nous devons encore constater la difficulté à franchir le mur de l'administration scolaire et la tentation du « pas de vagues » au sein de certains établissements.

La lutte contre le harcèlement scolaire passe aussi par les initiatives locales, associatives ou institutionnelles. Dans mon département du Pas-de-Calais, par exemple, j'ai animé avec les services de l'État, de la police, de la gendarmerie, de la justice et de l'éducation nationale une réunion visant à améliorer l'accueil, la protection et le suivi des élèves victimes de harcèlement scolaire, ainsi que la prise en charge des auteurs des faits délictueux.

Je me réjouis de la mobilisation de tous ces acteurs, mais cela reste insuffisant et la question du harcèlement scolaire révèle encore de grandes failles qui doivent être comblées.

Je viens donc de déposer avec mes collègues sénateurs socialistes une proposition de loi visant à renforcer la lutte contre le harcèlement scolaire et le cyberharcèlement afin de compléter l'arsenal juridique existant.

Notre texte se veut pragmatique, simple et concret. Il prévoit notamment d'imposer aux réseaux sociaux une nouvelle obligation de sensibilisation des usagers, de renforcer le poids des adultes correctement formés sur le sujet au sein de l'école et de permettre l'exclusion des auteurs pour éviter la double peine qui s'impose aux victimes, forcées de quitter leur établissement pour échapper à leurs bourreaux. Je me félicite, monsieur le ministre, que vous ayez d'ores et déjà repris cette dernière mesure, qui est très importante.

En tout état de cause, la clef de tout, c'est l'augmentation du nombre d'adultes effectivement présents dans les établissements, comme le réclament les sénateurs de notre groupe à chaque discussion budgétaire depuis maintenant six ans. Il est impératif d'augmenter les postes de personnels médico-sociaux et de psychologues dans les établissements scolaires, personnels jouant un rôle essentiel dans la prévention, la détection et la prise en charge des cas de harcèlement.

Pour que la parole des enfants et des adolescents se libère, ceux-ci doivent se sentir écoutés, compris et protégés. C'est par la présence suffisante de personnes formées et à l'écoute que nous pourrons espérer faire fléchir ce fléau insupportable.

Pap Ndiaye, ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse

Madame la sénatrice Van Heghe, je vous remercie d'abord pour le travail et le rapport que vous avez réalisés sur le sujet avec Mme Mélot.

Nous avons repris votre proposition de mieux diffuser les numéros téléphoniques 3018 et 3020 : ils seront inscrits dans les carnets de correspondance et dans les espaces numériques de travail (ENT). Une campagne d'affichage a également été réalisée, et j'ai pu voir ces affiches dans les couloirs de pratiquement tous les établissements scolaires dans lesquels je me suis rendu.

Nous n'en sommes plus à l'époque du « pas de vagues ». À l'évidence, nous sommes très mobilisés sur cette question et nous avons, depuis un certain temps, passé un cap, même s'il reste du travail à faire.

Nous souhaitons éloigner les élèves harceleurs – et je veux ici remercier la sénatrice Marie Mercier de sa proposition – indépendamment de l'avis des parents ou des représentants légaux, lorsque la situation est devenue intenable et que la sécurité de l'élève ou des élèves harcelés est mise en cause. Cela suppose l'accord du maire de la commune de résidence, voire des deux maires si la scolarisation a lieu dans une commune voisine.

Il faut procéder avec discernement, puisque nous avons affaire à des enfants âgés de 6 à 11 ans et que les situations entre harceleurs et harcelés ne sont parfois pas si claires, avec des « échanges », si j'ose dire, entre la situation des uns et des autres. Mais il faut pouvoir envisager la possibilité d'un éloignement lorsque la situation est bloquée.

Photo de Nathalie Delattre

L’ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande du groupe Les Républicains, sur le thème « Harcèlement scolaire : quel plan d’action pour des résultats concrets ? »

Je vous rappelle que, dans ce débat, le Gouvernement aura la faculté, s’il le juge nécessaire, de prendre la parole immédiatement après chaque orateur pour une durée de deux minutes ; l’orateur disposera alors à son tour du droit de répartie, pour une minute.

Monsieur le ministre, vous pourrez donc, si vous le souhaitez, répondre après chaque orateur, une fois que celui-ci aura retrouvé une place dans l’hémicycle.

Dans le débat, la parole est à Mme Alexandra Borchio Fontimp, au nom du groupe qui a demandé ce débat.

Photo de Nathalie Delattre

La parole est à Mme Sabine Van Heghe, pour la réplique.

Photo de Sabine Van Heghe

Vous avez raison, monsieur le ministre, il faut certes agir avec discernement, mais il ne faut pas faciliter la vie du harceleur au détriment du harcelé.

Photo de Alexandra Borchio Fontimp

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, harceler tue ! Ces deux verbes mis côte à côte désignent ce phénomène dramatique qui traduit un mal français : un laxisme sans précédent face à un fléau de société qui tue.

Le harcèlement, mes chers collègues, touche en France 1 million de jeunes chaque année, c’est-à-dire un jeune sur dix, qui sont autant de citoyens. Dès la socialisation naît le rejet. Et c’est lorsque l’enfant apprend à grandir, à l’école primaire, dans sa fragilité, qu’il est davantage concerné : à l’âge de ses premiers apprentissages.

Le harcèlement scolaire concerne également sa famille, ses proches, son entourage. Autrement dit, au sein de notre assemblée, par exemple, ici et maintenant, des dizaines de nos enfants ou petits-enfants subissent ce qu’aucun enfant ne devrait subir. C’est la raison pour laquelle le groupe Les Républicains a souhaité inscrire ce débat à l’ordre du jour.

Dès le plus jeune âge, des mineurs de plus en plus nombreux sont amenés à connaître la cruauté humaine et à perdre foi en autrui, alors que ce lien de confiance est fondamental pour l’épanouissement d’un individu. Cette réalité, qui dépasse souvent l’entendement, est trop régulièrement traitée comme un simple fait divers. Mais, derrière chaque prénom de victime, nous ne pouvons oublier son histoire, sa souffrance et sa douleur.

Suicide ou homicide ? On ne sait jamais véritablement qualifier l’acte d’un enfant qui se donne la mort, poussé à bout par ses camarades, que ce soit dans le cadre éducatif ou par le biais des nouvelles technologies et des réseaux sociaux. Pourtant, « camarade » est à l’origine un terme militaire qui renvoie au partage et à la fraternité. « Il n’est de camarades que s’ils s’unissent dans la même cordée », disait Saint-Exupéry.

L’école est ce lieu où la société a décidé de confier à des adultes la transmission de valeurs, de savoirs, de savoir-vivre et de savoir-faire à ses enfants. C’est l’endroit où la société dessine son avenir en formant les adultes de demain.

Aller à l’école ne doit jamais devenir une contrainte émotionnelle, mortifère, qui ne laissera que des séquelles, voire des stigmates chez ceux qui ont été victimes de harcèlement. Ce débat offre donc l’opportunité de poser des mots sur des incompréhensions que les victimes, les parents, mais aussi une forte majorité de nos concitoyens ne peuvent plus supporter.

Il est donc urgent de tout mettre en œuvre pour remédier à cette situation. Comment ne pas être choqué lorsque l’on sait que l’enfant harcelé, et donc brisé dans sa construction identitaire, doit quitter son école, tandis que celui qui a fait du mal peut y rester impunément ?

Photo de Céline Brulin

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le harcèlement scolaire est un fléau. Un élève sur dix subit chaque année une forme de harcèlement ou de cyberharcèlement. C'est un drame, car il entraîne des enfants vers des actes extrêmes.

Face à ces situations, nous ne sommes pas totalement démunis, même s'il n'existe pas de remède miracle. Le Sénat a ainsi fait trente-cinq propositions dans le cadre d'une mission d'information précédemment évoquée. La loi du 2 mars 2022 visant à combattre le harcèlement scolaire a également fourni quelques outils.

Il convient, grâce à ce débat, d'en faire un bilan afin de vérifier que les réponses en matière de prévention, de détection et de soutien aux victimes et à leurs familles sont opérantes.

La loi a inscrit la lutte contre le harcèlement scolaire dans le code de l'éducation, ce qui permet de mieux appréhender et punir ce phénomène. Dans son article 1er, il est instauré « une information sur les risques liés au harcèlement scolaire […] délivrée chaque année aux élèves et parents d'élèves ». Comment cette mesure se traduit-elle dans les établissements scolaires et selon quels moyens ?

L'article 7 prévoit également la remise d'un rapport relatif aux frais de consultation et de soins engagés par les victimes. Monsieur le ministre, ce rapport a-t-il été produit ? Pouvez-vous nous en donner les éléments ?

Le texte prévoyait aussi la « CDIsation » des assistants d'éducation, qui constituent un des rouages d'alerte et de prévention essentiels au sein des établissements. Le décret a tardé à être pris ; bien qu'il ait été publié, certaines académies continuent visiblement à ne pas appliquer cette disposition. Monsieur le ministre, quand cette mesure sera-t-elle généralisée ?

J'aimerais également rappeler la conviction, que j'ai plusieurs fois exprimée ici, d'une revalorisation du statut des accompagnants des élèves en situation de handicap (AESH) qui leur garantirait, entre autres, une véritable formation initiale et continue, notamment en matière de harcèlement, le handicap pouvant constituer un « motif ».

Autre avancée de cette loi, mais qui, d'après les remontées de terrain, se révèle encore insuffisante : le renforcement de la formation et de la sensibilisation de l'ensemble des personnels éducatifs. Quel est le contenu de cette formation initiale ? Qu'en est-il pour la formation continue ?

Le programme pHARe, déjà évoqué à plusieurs reprises, a été généralisé en 2022. C'est une bonne chose, mais cette généralisation a été lancée avant même le retour d'expérience des six académies tests. Or leur expertise permettrait, je le crois, d'améliorer le programme.

Je pense, par exemple, à la constitution d'une équipe d'au moins cinq personnes par collège ou par circonscription pour le premier degré. Je rappelle que ce déploiement se fait à moyens humains constants, alors que les personnels ont déjà de nombreuses missions, et même de plus en plus, à effectuer. Les suppressions de postes risquent également de fragiliser ce travail. À cet égard, vous évoquez régulièrement la baisse démographique comme justification, mais la France reste un mauvais élève en matière de taux d'encadrement en comparaison avec d'autres pays européens.

Que se passe-t-il lorsqu'un des membres de l'équipe n'est plus en poste ? Il faut recommencer tout le processus, ce qui est dommage. C'est la même chose avec les dix heures de formation pour tous les élèves du CP à la troisième : qui les assure, comment et avec quels outils ?

Lors de votre audition dans le cadre de la discussion du projet de loi de finances pour 2023, nous vous rappelions, comme cela vient d'être fait, la situation critique de la médecine scolaire qui constitue, elle aussi, un maillon essentiel de la lutte contre le harcèlement. Il est de notoriété publique que les effectifs ont fondu comme neige au soleil, encore plus en milieu rural. Nous manquons de psychologues pour les réseaux d'aides spécialisées aux élèves en difficulté (Rased).

Vous indiquiez alors devoir rencontrer le ministre de la santé pour envisager « une autre structuration de la médecine scolaire » et « des alternatives qui permettent de répondre aux impératifs de médecine de prévention et de détection ». Quelles sont ces alternatives ? Où en est-on du travail que vous proposiez de lancer ?

Enfin, le harcèlement scolaire a changé de dimension avec le poids pris par les réseaux sociaux, qui n'offrent aucun répit aux victimes. Les frontières de l'école sont maintenant largement dépassées et il me semble que les plateformes doivent davantage assumer leurs responsabilités.

Pourquoi ne pas avoir retenu l'idée de contraindre les réseaux sociaux à présenter régulièrement des vidéos de prévention et de sensibilisation au cyberharcèlement ?

Enfin, je voudrais revenir sur vos propos de ce matin sur l'éloignement des élèves harceleurs. Jusqu'à présent, cette mesure concernait la victime. Avez-vous consulté les associations d'élus, puisqu'il faudra l'accord du maire de la commune de l'école d'accueil ?

Je suis désolée d'évoquer une question triviale, mais cette mesure entraîne des conséquences financières, puisque la commune de résidence de l'enfant devant changer d'école doit verser une participation. Là encore, avez-vous consulté les associations d'élus sur ce point ?

Photo de Alexandra Borchio Fontimp

Voilà ce qui a conduit notre collègue Marie Mercier à déposer une proposition de loi visant, dans le cadre d’un harcèlement scolaire, à poser le principe d’une mesure d’éloignement du harceleur pour protéger la victime, afin que celle-ci ne subisse pas cette double peine. Il s’agit d’une mesure de bon sens, monsieur le ministre, puisque vous l’avez retenue, si l’on en croit vos annonces dans la presse ce matin.

L’impunité dans laquelle vivent les auteurs des faits de harcèlement doit cesser.

Cette impunité les mène à reproduire leurs actes de victime en victime, à ne pas comprendre et mesurer les conséquences et la gravité de leurs agissements. Il faut donc les prendre en charge de manière appropriée. N’oublions pas non plus les témoins, qui peuvent être traumatisés par la violence qu’ils ont observée et peuvent développer un sentiment d’impuissance.

L’école a bien évidemment un rôle à jouer dans la lutte contre le harcèlement, mais c’est avant tout l’éducation que l’on donne à son enfant qui déterminera la personne qu’il sera envers les autres. Ne nions pas cet élément, sans toutefois mettre en accusation les parents, afin que l’état des lieux ainsi dressé ne soit pas une équation dont il manquerait une inconnue.

Les parents doivent également être impliqués dans la prévention en étant sensibilisés et informés sur les différentes formes de harcèlement scolaire et encouragés à dialoguer avec leurs enfants.

J’ai l’espoir que chacune des dix-sept prises de parole inscrites sur ce débat favorisera le déclic qui nous permettra enfin de protéger nos enfants harcelés.

Les membres de la mission sénatoriale d’information sur le harcèlement scolaire et le cyberharcèlement estiment qu’il est temps de détecter et de traiter ce fléau, autour de ce qui doit constituer désormais une grande cause nationale – et non pas seulement une journée nationale instaurée un jeudi de novembre, comme un rappel annuel, durant laquelle chacun dénonce le harcèlement scolaire vingt-quatre heures durant avec tout le pathos que l’on sait.

Faisons-le pour les parents de Lucas, dans les Vosges, ou encore pour la famille d’Ambre, dans la Drôme. Nous ne pouvons le faire pour leurs enfants : pour eux, c’est déjà trop tard. Ils ont préféré mettre fin à leur calvaire en se donnant la mort, parce que notre pays n’a su ni les écouter ni les protéger. Nous devons donc aller plus loin dans la prévention et la formation auprès des acteurs de l’éducation nationale et des familles.

Malgré les avancées de la loi du 2 mars 2022 visant à combattre le harcèlement scolaire et celles du programme pHARe, le programme de lutte contre le harcèlement à l’école, de tels drames traduisent un terrible échec collectif, une injustice inacceptable en 2023. Les chiffres montrent que ces mesures sont insuffisantes et que le système connaît des défaillances. L’autorité judiciaire doit faire de la lutte contre le harcèlement scolaire une priorité de sa politique pénale afin de se saisir de la nouvelle infraction définie.

Les signalements doivent être pris au sérieux. Le harcèlement scolaire ne doit plus être considéré comme une histoire entre gamins qui aide à grandir ou des jeux d’enfants sans importance. À Menton, dans mon département des Alpes-Maritimes, Anna « n’en peut plus d’aller au collège chaque matin avec la boule à ventre ». Et cela dure depuis six mois !

Ce combat ne se mène pas seul. Il est temps que nous prenions tous ensemble des mesures supplémentaires pour prévenir et combattre le harcèlement scolaire. Il est primordial de lever le voile sur ce phénomène et d’oser en parler.

On aura beau mettre en place tout un arsenal de mesures, si les gens ne veulent pas voir, alors tout cela ne servira à rien ! Aidons-les à détecter les victimes, à les prendre en charge et à gérer les harceleurs. L’école est aussi ce lieu privilégié d’observation, de repérage, d’évaluation des difficultés scolaires, personnelles, sociales, familiales et de santé des élèves.

Pour conclure, je veux saluer toutes les personnes qui s’engagent au quotidien dans la lutte contre ce fléau.

Leur engagement est essentiel pour que nous puissions avancer ensemble dans la bonne direction, avec comme seul et unique objectif l’intérêt de l’enfant, pour que l’école ne soit plus une zone de non-droit et qu’enfance ne rime plus jamais avec violence.

Pap Ndiaye, ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse

Madame la sénatrice Brulin, vous avez fait allusion au programme pHARe et à la loi du 2 mars 2022 qui place la question de la formation au cœur du dispositif. De fait, nous avons intensifié les programmes de formation.

D'abord, en les systématisant au niveau des instituts nationaux supérieurs du professorat et de l'éducation (Inspé) pour les professeurs stagiaires ou pour les conseillers principaux d'éducation (CPE) stagiaires.

Ensuite, en organisant des séminaires nationaux avec des déclinaisons académiques pour former les formateurs, si je puis dire, afin que les choses se diffusent au niveau des écoles et des établissements. Le processus est lent, car il y a beaucoup de personnels à former sur le sujet : cinq personnes par établissement scolaire du côté du secondaire et cinq personnes par circonscription du côté du primaire. Nous menons ce travail sur plusieurs années.

En parallèle, il faut organiser la sensibilisation des familles : cette mesure est importante, car elles ont un rôle à jouer. En début d'année scolaire, nous insistons sur le fait que les écoles et les établissements doivent en particulier sensibiliser les familles aux numéros téléphoniques 3020 et 3018.

Vous avez fait allusion à la médecine scolaire : je l'ai dit, nous attendons le rapport des trois inspections générales avant de faire des propositions. Je serai heureux de venir en parler devant vous, si vous le souhaitez.

Quant aux plateformes, je suis d'accord avec vous : elles doivent être responsabilisées. Nous avons d'ailleurs eu un échange sur cette question lors de la visite de la plateforme du 3018.

Pap Ndiaye

Madame la sénatrice Borchio Fontimp, vous avez souhaité inscrire à l’ordre du jour un débat sur le harcèlement scolaire. Je vous en remercie, car j’ai voulu que la lutte contre le harcèlement, indispensable à la réussite scolaire, soit une priorité de mon action.

Longtemps dans l’angle mort du système scolaire, il faut bien le reconnaître, la lutte contre le harcèlement est, depuis 2017, un enjeu important pour le ministère de l’éducation nationale et de la jeunesse, lequel se mobilise très fortement. Je m’inscris dans la continuité de l’action qui a été engagée.

Je citerai, à cet égard, la loi du 26 juillet 2019 pour une école de la confiance, dans laquelle le droit à une scolarité sans harcèlement est inscrit ; la loi du 2 mars 2022 visant à combattre le harcèlement scolaire, qui pénalise le fait de harceler ; la généralisation, à la rentrée dernière, du programme pHARe.

Ce programme, dont nous aurons l’occasion de reparler, permet la mobilisation des communautés scolaires : 60 % des écoles et 86 % des collèges y sont engagés – nous avons certes encore du chemin à parcourir pour atteindre 100 %. Comme je l’ai annoncé, le programme sera étendu aux lycées à partir de la rentrée 2023.

Nous avons beaucoup à faire, à tous égards. Nos échanges me donneront l’occasion de préciser un certain nombre de mesures, parmi lesquelles l’extension du programme susmentionné et, comme je l’ai annoncé ce matin, la possibilité pour le premier degré, dans certains cas et en dernier recours, de scolariser l’élève harceleur dans un autre établissement.

Photo de Nathalie Delattre

Mme la présidente. La parole est à M. Jean Hingray.

Photo de Alain Marc

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, chaque année, près de 1 million d’enfants sont victimes de harcèlement. Personne n’est épargné.

Si chaque situation de harcèlement est unique, les conséquences sont nombreuses et se ressemblent : baisse de l’estime de soi, isolement progressif vis-à-vis des camarades, troubles du sommeil, défiance envers les adultes, décrochage scolaire, honte et culpabilité.

Si chaque situation de harcèlement est un drame, il arrive même, bien trop souvent, que les cas de harcèlement virent à la tragédie. L’actualité se charge de nous le rappeler cruellement. On compte environ vingt suicides d’enfants par an. J’ai bien évidemment une pensée pour le jeune Lucas, décédé le 7 janvier dernier.

La récurrence de ces drames souligne notre échec collectif à enrayer définitivement le fléau du harcèlement à l’école.

Aujourd’hui, la situation se complique, car les frontières entre le cadre scolaire et la sphère familiale privée se brouillent. Avec l’avènement des réseaux sociaux, les jeunes victimes n’ont plus un instant de répit. Le harcèlement vécu en classe se poursuit à la maison, jusque dans la chambre, censée être le refuge intime et protecteur par excellence. Les moqueries, les humiliations et les insultes continuent à pleuvoir par messages privés ou bien à la vue de tous, dans des publications devenant parfois virales.

La peur doit changer de camp. C’était justement le signal envoyé en juin 2021 par la mission d’information sur le harcèlement scolaire et le cyberharcèlement, dont ma collègue Colette Mélot était la rapporteure, et dont Alexandra Borchio Fontimp vient de rappeler les principaux éléments.

Le constat est sans appel : aucun établissement scolaire et aucun département n’est épargné. On estime aujourd’hui entre 800 000 et 1 million le nombre d’enfants victimes de harcèlement scolaire chaque année, soit un enfant sur dix. Ces chiffres sont effrayants et nous engagent à réagir urgemment.

Le rapport de la mission d’information a présenté une série de pistes d’action concrètes. Elles s’organisent autour de trois axes clairs, destinés à guider l’action publique : la prévention, la détection précoce et enfin le traitement des cas de harcèlement. Il insistait notamment sur la gravité du cyberharcèlement, face auquel les parents et le personnel éducatif restent bien souvent démunis. La prévention des jeunes est cruciale, la formation des adultes est essentielle.

Nous devons développer collectivement de nouveaux réflexes de protection pour intervenir dès l’apparition des premiers signaux d’isolement ou de persécution.

C’est d’autant plus important au sein de l’école républicaine, qui doit être un lieu d’épanouissement et d’apprentissage pour nos jeunes, et non le théâtre de brimades, d’humiliations et de violences physiques ou verbales.

Tout le monde doit se mobiliser : éducateurs, parents, enfants, pouvoirs publics. L’État joue un rôle essentiel pour impulser une vaste stratégie de lutte contre ces violences dont souffrent nos jeunes à l’école. Nous devons tous être au rendez-vous.

Dès lors, monsieur le ministre, pouvez-vous énoncer avec précision vos ambitions et votre calendrier pour lutter avec efficacité contre le harcèlement scolaire et le cyberharcèlement ?

Photo de Jean Hingray

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la communauté éducative est démunie. Elle est démunie, car elle est affaiblie par un phénomène incompris de tous, pourtant bien présent : le harcèlement. Aujourd'hui, le harcèlement scolaire fracture notre jeunesse, endeuille nos familles et brise notre République.

En s'attaquant à notre République, aussi dépassée que désarmée, le harcèlement remet en question sa légitimité, une légitimité pourtant construite au travers des siècles, de Napoléon à Jules Ferry, en passant par Julie-Victoire Daubié. L'école républicaine, de par sa capacité à s'adapter aux circonstances, parfois aux crises, a toujours su aller de l'avant. Mais aujourd'hui, cette légitimité est menacée par la souffrance de millions d'élèves.

Mes chers collègues, il est difficile de comprendre la nature humaine, la psychologie et les rapports de force qui s'opèrent entre les élèves. Nous observons, avec tristesse et colère, les conséquences funestes de ces abus.

Près de 1 million d'enfants subissent des faits de harcèlement scolaire en France. En 2021, vingt-deux enfants ont fait le choix de renoncer, de la pire des manières. Vivant une souffrance insupportable, ils n'avaient plus la force de vivre ; ils ont alors fait le choix de ne plus souffrir.

Nous constatons avec regret la faible prise en charge de notre système éducatif dans la résolution de ce phénomène. Difficilement cernable, le harcèlement prend plusieurs formes – moral, physique, sexuel. Et n'oublions pas le racket.

Le harcèlement, d'une manière générale, est un phénomène qui s'accroît et se complexifie avec les réseaux sociaux. Le semblant d'anonymat qu'il permet, la tendance à suivre les effets de meute et la volonté de se distinguer du groupe font de ces réseaux le lieu propice et privilégié du harcèlement.

Le harcèlement scolaire est partout. De l'école à la maison, en passant par les transports en commun – 50 % des collégiens se plaignent d'ailleurs de violences dans les transports.

Les effets de groupe ont longuement été étudiés et font consensus dans la communauté scientifique. Il y a un leader, des suiveurs, des actifs et des passifs. Ce sont ces mêmes passifs qui, parfois, se trouvent au sein même du corps enseignant, lequel est censé écouter et prendre des mesures, et qui finissent par ne pas agir ou par agir trop tard.

Le harcèlement est l'un des principaux fléaux de notre système éducatif. Les victimes et leurs familles sont parfois confrontées à une parole qui est certes entendue, lorsqu'ils en ont la chance, mais qui n'est pas considérée.

Mes chers collègues, à quoi bon entendre lorsque nous refusons d'écouter ? Il est difficile de reconnaître une situation dans laquelle un élève est harcelé. Le harceleur agit de façon cachée et les formes que peut prendre ce phénomène sont souvent interprétées comme de simples chamailleries d'enfants. Les adultes ne s'attardent pas toujours ou pas assez sur certains phénomènes de microviolence : ils sont considérés comme banals, voire « normaux », entre jeunes et moins jeunes.

Nous assistons à une perte de confiance de plus en plus grande entre parents, élèves et éducation nationale. Et que dire des délais de traitement trop longs au sein des établissements ? Le délai doit donc être défini clairement, afin de ne pas laisser les familles et les victimes en suspens pendant des mois, au cours desquels le harcèlement perdure ou s'intensifie.

La prise en charge des signalements au sein des établissements reste floue : les procédures de signalement ne sont pas harmonisées ; à certains égards, elles sont même inadaptées.

Je le répète, nous sommes face à un phénomène profondément humain, qui mérite une réponse de l'État.

Il faut aussi reconnaître les avancées en la matière. L'éducation nationale s'est dotée de moyens considérables pour lutter contre le harcèlement scolaire. Le programme pHARe a le mérite d'exister, même s'il demeure insuffisant. Il rend les élèves acteurs de la lutte contre le harcèlement, sur la base du volontariat. La procédure semble en apparence louable.

Voilà deux mois, je vous ai interpellé au sujet du suicide du petit Lucas. À la suite de cette intervention, deux familles de mon département, les Vosges, m'ont contacté pour me faire part d'une faille notoire, qui se transforme en cauchemar pour les victimes.

Les élèves harceleurs, animés par une soif de domination, intègrent le programme pHARe qui, je le rappelle, est censé protéger les victimes. Que se passe-t-il, monsieur le ministre ? Il n'est plus question de prévention, il faut des réponses concrètes. Il est nécessaire de responsabiliser des établissements en matière de harcèlement. Nous devons faire de l'école un lieu de vivre ensemble exemplaire.

La prise en charge de la victime est fondamentale, prioritaire. Il faut en même temps encadrer efficacement les harceleurs. De nombreuses méthodes existent pour prendre en charge le harcèlement. Je pense notamment aux méthodes Farsta, No Blame Approach et Pikas. Monsieur le ministre, quelle est la vôtre ? §

Pap Ndiaye

Monsieur le sénateur Marc, je vous remercie de votre intervention. Je suis d’accord avec vous sur la gravité des conséquences du harcèlement. Vous avez rappelé les drames que nous avons connus ; j’ai une pensée, bien sûr, pour les victimes, qu’il s’agisse des élèves qui meurent chaque année à cause du harcèlement ou de ceux qui, plus silencieusement, sont affectés sur le long terme du fait de pressions ou de trajectoires scolaires enrayées.

La question du cyberharcèlement est très importante et je rejoins les propos que vous avez tenus. Je rappelle, à cet égard, l’existence du 3018, le numéro national pour les victimes de violences numériques, qui est gratuit et très efficace. J’ai visité les bureaux de cette plateforme, qui permet de répondre aux demandes de collégiens ou de leurs familles, parfois en panique, visant à bloquer des photographies intimes ou des boucles de messages, et qui y parvient très bien.

Je tiens à saluer l’existence de ces deux numéros, le 3018 et le 3020, qui seront systématiquement inscrits dans les carnets de correspondance des élèves à partir de la rentrée prochaine.

Le programme pHARe, que vous avez cité, a fait ses preuves dans les six académies où il était expérimenté jusqu’à l’année dernière. Il a été généralisé depuis la rentrée 2022 dans les proportions que j’ai indiquées, mais – je le répète – nous avons encore du chemin à faire. Il consiste à former au moins cinq adultes référents par établissement scolaire ainsi que des « élèves ambassadeurs ». En effet, les élèves sont souvent les mieux à même de détecter les changements de comportement de leurs camarades ou des situations de harcèlement et de rapporter les faits auprès des adultes formés. Il s’agit donc d’un vaste programme de formation des adultes.

Pour ce qui concerne le traitement des situations de harcèlement, nous nous efforçons, dans le cadre de notre mission pédagogique et puisqu’il s’agit d’enfants, d’amener l’élève harceleur à reconnaître ses torts.

Enfin, nous prévoyons la possibilité d’infliger des sanctions, par le biais des conseils de discipline ou via la nouvelle disposition que je viens d’indiquer.

Pap Ndiaye, ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse

Monsieur le sénateur Hingray, au fond, deux écueils doivent être évités : celui de dire que rien ne change dans l'éducation nationale et que ce dont on parle n'est que du vent et, à l'inverse, celui d'expliquer que le programme pHARe et les dispositions prises ces dernières années auraient miraculeusement tout changé.

Nous avançons sur le chemin et je reconnais avec humilité devant vous, mesdames, messieurs les sénateurs, que nous avons du travail à réaliser ensemble pour réduire ce phénomène catastrophique qu'est le harcèlement.

La formation des enseignants et des adultes dans les établissements et dans les écoles est une mesure très importante. Toutefois, comme je l'ai souligné, cela prend du temps compte tenu de la masse des personnes à former. Néanmoins, j'observe tout de même une prise de conscience dans les communautés éducatives que l'on n'observait pas voilà quelques années.

Les délais de traitement sont peut-être longs, trop longs, mais méfions-nous à l'inverse des procédures expéditives. En la matière, les chefs d'établissement ou les directeurs académiques des services de l'éducation nationale (Dasen) peuvent prendre des mesures de sauvegarde par lesquelles un élève harceleur est temporairement écarté sans préjuger de la suite de la procédure.

En dépit de la démarche pédagogique qui sous-tend le programme pHARe et qui est essentielle – j'insiste sur ce point –, il faut également envisager des sanctions. Celles-ci font partie de la pédagogie, qu'elles se traduisent par un conseil de discipline ou, dans le premier degré, par le transfert de l'élève harceleur selon une procédure que nous voulons mettre en place par voie réglementaire.

Photo de Nathalie Delattre

La parole est à M. Jean Hingray, pour la réplique.

Photo de Thomas Dossus

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je commencerai par une digression. Puisque nous allons passer le reste de cette séance à parler de l’école et de ce qui l’entoure, et alors que nous aimerions que celle-ci soit un sanctuaire préservé des violences de notre société, je tiens à rappeler que, la semaine dernière, ce sont les violences policières qui se sont invitées devant un lycée de Conflans-Sainte-Honorine. (Marques d ’ agacement sur les travées du groupe Les Républicains.) Un élève a été plaqué au sol par quatre policiers, menotté et emmené au commissariat, puis relâché sans poursuites, pendant que d’autres élèves étaient menacés par des agents les visant avec des flashballs.

Nous aurions aimé, monsieur le ministre, une réaction de votre part devant cet usage manifestement disproportionné de la force.

Mais revenons au sujet du présent débat. Nous sommes aujourd’hui réunis pour débattre d’un fléau national : le harcèlement scolaire. Ce n’est pas la première fois – loin de là ! –, mais il convient à nouveau de faire état des chiffres pour bien mesurer l’ampleur du phénomène.

D’après le rapport de la mission d’information portée par nos collègues sénatrices Colette Mélot et Sabine Van Heghe, la situation est absolument dramatique. Entre 800 000 et 1 million d’enfants en sont victimes chaque année, ce qui représente deux à trois élèves par classe. Et 6 à 10 % des élèves y font face au moins une fois durant leur scolarité.

Ce qui fait du harcèlement scolaire une menace et une souffrance particulièrement difficile à vivre et à cerner, c’est qu’il ne se cantonne pas aux enceintes des écoles. Le harcèlement rattrape les élèves jusque dans leur foyer via les réseaux sociaux et toute la sphère numérique. Le cycle des violences ne s’arrête jamais. Les victimes ne connaissent aucune pause, aucun répit dans leur souffrance, ce qui échappe à la sphère parentale tout en ayant parfois lieu au sein du domicile.

Il convient de s’attaquer aux causes. De nombreux élèves sont harcelés en raison de leur genre, de leur handicap, de leur couleur de peau ou de leur orientation sexuelle. Les conséquences sont parfois terribles, définitives, inacceptables. En janvier dernier, le suicide de Lucas, 13 ans, harcelé en raison de son homosexualité, montre à quel point l’homophobie et la discrimination continuent de tuer.

À la rentrée 2022, le programme de lutte contre le harcèlement scolaire pHARe, qui prévoit notamment différentes actions de prévention et de sensibilisation, a été généralisé à l’ensemble des écoles élémentaires et des collèges.

Monsieur le ministre, vous affirmiez en novembre dernier – et vous venez de le répéter – que ce programme avait obtenu d’excellents résultats. Nous aimerions vous croire sur parole, mais nous avons en ce moment un problème avec la sincérité de la parole de l’ensemble du Gouvernement.

Sur quels critères, sur quels éléments, vous basez-vous ? Alors que le programme pHARe prévoit un mécanisme d’évaluation, aucune étude détaillée n’a jamais été communiquée publiquement. De leur côté, plusieurs associations et syndicats pointent du doigt de nombreux dysfonctionnements : déploiement inégal du programme pHARe sur le territoire, formations superficielles, absence de communication sur les numéros d’urgence, manque cruel de moyens humains et financiers… Le collège du jeune Lucas, qui s’est ôté la vie, avait d’ailleurs mis en place ce dispositif, en vain.

Le manque de moyens humains et financiers dédiés à la lutte contre le harcèlement scolaire va au-delà du programme pHARe.

Prenons l’exemple de la médecine scolaire. J’alertais déjà sur ce point l’année dernière, au moment de l’examen de la proposition de loi sur le harcèlement scolaire. L’état de la médecine scolaire dans notre pays est un scandale.

Il y a dans notre pays environ 900 médecins scolaires et 7 700 infirmiers et infirmières scolaires pour 12, 5 millions d’élèves, soit un médecin pour 14 000 élèves et un infirmier ou infirmière pour 1 600 élèves. Cela représente une chute des effectifs de près de 15 % en cinq ans.

La pandémie n’a pas été un déclic : le « quoi qu’il en coûte » s’est arrêté à la porte de l’école. Voilà des professionnels, au contact des élèves, qui pourraient identifier les situations à risque, engager le dialogue et alerter. Mais avec des moyens humains aussi dérisoires, il nous est impossible de leur confier ces missions.

Enfin, vous avez récemment annoncé, monsieur le ministre, plusieurs mesures contre les LGBTphobies à l’école comme le déploiement de campagnes de sensibilisation et la généralisation d’observatoires de lutte contre ces attitudes. C’est une première étape que je salue, mais qui est loin d’être suffisante pour endiguer le fléau des discriminations LGBTphobes à l’école. Je m’interroge également quant aux moyens qui seront dédiés à ces dispositifs et à leur pérennité.

Comment lutter efficacement contre le harcèlement scolaire LGBTphobe si les moyens mis en place ne sont pas à la hauteur des enjeux ?

Nous le savons, il n’y a pas de solutions simples pour lutter contre le fléau protéiforme du harcèlement scolaire. Nous avons bien conscience que les solutions sont multiples, au croisement de l’école et de la société qui l’entoure. Mais il faut passer à la vitesse supérieure.

Investir davantage dans la lutte contre le harcèlement scolaire, que ce soit au travers de la médecine scolaire ou des politiques de prévention contre la montée des haines, c’est investir dans l’apaisement de l’école et de la société en général. Il y va de notre responsabilité.

Debut de section - PermalienPhoto de Thomas Dossus

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je commencerai par une digression. Puisque nous allons passer le reste de cette séance à parler de l’école et de ce qui l’entoure, et alors que nous aimerions que celle-ci soit un sanctuaire préservé des violences de notre société, je tiens à rappeler que, la semaine dernière, ce sont les violences policières qui se sont invitées devant un lycée de Conflans-Sainte-Honorine. (Marques d ’ agacement sur les travées du groupe Les Républicains.) Un élève a été plaqué au sol par quatre policiers, menotté et emmené au commissariat, puis relâché sans poursuites, pendant que d’autres élèves étaient menacés par des agents les visant avec des flash-balls.

Nous aurions aimé, monsieur le ministre, une réaction de votre part devant cet usage manifestement disproportionné de la force.

Mais revenons au sujet du présent débat. Nous sommes aujourd’hui réunis pour débattre d’un fléau national : le harcèlement scolaire. Ce n’est pas la première fois – loin de là ! –, mais il convient de nouveau de faire état des chiffres pour bien mesurer l’ampleur du phénomène.

D’après le rapport de la mission d’information portée par nos collègues sénatrices Colette Mélot et Sabine Van Heghe, la situation est absolument dramatique. Entre 800 000 et 1 million d’enfants en sont victimes chaque année, ce qui représente deux à trois élèves par classe. Et 6 à 10 % des élèves y font face au moins une fois durant leur scolarité.

Ce qui fait du harcèlement scolaire une menace et une souffrance particulièrement difficile à vivre et à cerner, c’est qu’il ne se cantonne pas aux enceintes des écoles. Le harcèlement rattrape les élèves jusque dans leur foyer via les réseaux sociaux et toute la sphère numérique. Le cycle des violences ne s’arrête jamais. Les victimes ne connaissent aucune pause, aucun répit dans leur souffrance, ce qui échappe à la sphère parentale tout en ayant parfois lieu au sein du domicile.

Il convient de s’attaquer aux causes. De nombreux élèves sont harcelés en raison de leur genre, de leur handicap, de leur couleur de peau ou de leur orientation sexuelle. Les conséquences sont parfois terribles, définitives, inacceptables. En janvier dernier, le suicide de Lucas, 13 ans, harcelé en raison de son homosexualité, montre à quel point l’homophobie et la discrimination continuent de tuer.

À la rentrée 2022, le programme de lutte contre le harcèlement scolaire pHARe, qui prévoit notamment différentes actions de prévention et de sensibilisation, a été généralisé à l’ensemble des écoles élémentaires et des collèges.

Monsieur le ministre, vous affirmiez en novembre dernier – et vous venez de le répéter – que ce programme avait obtenu d’excellents résultats. Nous aimerions vous croire sur parole, mais nous avons en ce moment un problème avec la sincérité de la parole de l’ensemble du Gouvernement.

Sur quels critères, sur quels éléments, vous basez-vous ? Alors que le programme pHARe prévoit un mécanisme d’évaluation, aucune étude détaillée n’a jamais été communiquée publiquement. De leur côté, plusieurs associations et syndicats pointent du doigt de nombreux dysfonctionnements : déploiement inégal du programme pHARe sur le territoire, formations superficielles, absence de communication sur les numéros d’urgence, manque cruel de moyens humains et financiers… Le collège du jeune Lucas, qui s’est ôté la vie, avait d’ailleurs mis en place ce dispositif, en vain.

Le manque de moyens humains et financiers dédiés à la lutte contre le harcèlement scolaire va au-delà du programme pHARe.

Prenons l’exemple de la médecine scolaire. J’alertais déjà sur ce point l’année dernière, au moment de l’examen de la proposition de loi sur le harcèlement scolaire. L’état de la médecine scolaire dans notre pays est un scandale.

Il y a dans notre pays environ 900 médecins scolaires et 7 700 infirmiers et infirmières scolaires pour 12, 5 millions d’élèves, soit un médecin pour 14 000 élèves et un infirmier ou infirmière pour 1 600 élèves. Cela représente une chute des effectifs de près de 15 % en cinq ans.

La pandémie n’a pas été un déclic : le « quoi qu’il en coûte » s’est arrêté à la porte de l’école. Voilà des professionnels, au contact des élèves, qui pourraient identifier les situations à risque, engager le dialogue et alerter. Mais avec des moyens humains aussi dérisoires, il nous est impossible de leur confier ces missions.

Enfin, vous avez récemment annoncé, monsieur le ministre, plusieurs mesures contre les LGBTphobies à l’école comme le déploiement de campagnes de sensibilisation et la généralisation d’observatoires de lutte contre ces attitudes. C’est une première étape que je salue, mais qui est loin d’être suffisante pour endiguer le fléau des discriminations LGBTphobes à l’école. Je m’interroge également quant aux moyens qui seront dédiés à ces dispositifs et à leur pérennité.

Comment lutter efficacement contre le harcèlement scolaire LGBTphobe si les moyens mis en place ne sont pas à la hauteur des enjeux ?

Nous le savons, il n’y a pas de solutions simples pour lutter contre le fléau protéiforme du harcèlement scolaire. Nous avons bien conscience que les solutions sont multiples, au croisement de l’école et de la société qui l’entoure. Mais il faut passer à la vitesse supérieure.

Investir davantage dans la lutte contre le harcèlement scolaire, que ce soit au travers de la médecine scolaire ou des politiques de prévention contre la montée des haines, c’est investir dans l’apaisement de l’école et de la société en général. Il y va de notre responsabilité.

Debut de section - PermalienPhoto de Thomas Dossus

Un élève a été plaqué au sol par quatre policiers, menotté et emmené au commissariat, puis relâché sans poursuites, pendant que d’autres élèves étaient menacés par des agents les visant avec des flash-balls.

Nous aurions aimé, monsieur le ministre, une réaction de votre part devant cet usage manifestement disproportionné de la force.

Mais revenons au sujet du présent débat. Nous sommes aujourd’hui réunis pour débattre d’un fléau national : le harcèlement scolaire. Ce n’est pas la première fois – loin de là ! –, mais il convient de nouveau de faire état des chiffres pour bien mesurer l’ampleur du phénomène.

D’après le rapport de la mission d’information portée par nos collègues sénatrices Colette Mélot et Sabine Van Heghe, la situation est absolument dramatique. Entre 800 000 et 1 million d’enfants en sont victimes chaque année, ce qui représente deux à trois élèves par classe. Et 6 à 10 % des élèves y font face au moins une fois durant leur scolarité.

Ce qui fait du harcèlement scolaire une menace et une souffrance particulièrement difficile à vivre et à cerner, c’est qu’il ne se cantonne pas aux enceintes des écoles. Le harcèlement rattrape les élèves jusque dans leur foyer via les réseaux sociaux et toute la sphère numérique. Le cycle des violences ne s’arrête jamais. Les victimes ne connaissent aucune pause, aucun répit dans leur souffrance, ce qui échappe à la sphère parentale tout en ayant parfois lieu au sein du domicile.

Il convient de s’attaquer aux causes. De nombreux élèves sont harcelés en raison de leur genre, de leur handicap, de leur couleur de peau ou de leur orientation sexuelle. Les conséquences sont parfois terribles, définitives, inacceptables. En janvier dernier, le suicide de Lucas, 13 ans, harcelé en raison de son homosexualité, montre à quel point l’homophobie et la discrimination continuent de tuer.

À la rentrée 2022, le programme de lutte contre le harcèlement scolaire pHARe, qui prévoit notamment différentes actions de prévention et de sensibilisation, a été généralisé à l’ensemble des écoles élémentaires et des collèges.

Monsieur le ministre, vous affirmiez en novembre dernier – et vous venez de le répéter – que ce programme avait obtenu d’excellents résultats. Nous aimerions vous croire sur parole, mais nous avons en ce moment un problème avec la sincérité de la parole de l’ensemble du Gouvernement.

Sur quels critères, sur quels éléments, vous basez-vous ? Alors que le programme pHARe prévoit un mécanisme d’évaluation, aucune étude détaillée n’a jamais été communiquée publiquement. De leur côté, plusieurs associations et syndicats pointent du doigt de nombreux dysfonctionnements : déploiement inégal du programme pHARe sur le territoire, formations superficielles, absence de communication sur les numéros d’urgence, manque cruel de moyens humains et financiers… Le collège du jeune Lucas, qui s’est ôté la vie, avait d’ailleurs mis en place ce dispositif, en vain.

Le manque de moyens humains et financiers dédiés à la lutte contre le harcèlement scolaire va au-delà du programme pHARe.

Prenons l’exemple de la médecine scolaire. J’alertais déjà sur ce point l’année dernière, au moment de l’examen de la proposition de loi sur le harcèlement scolaire. L’état de la médecine scolaire dans notre pays est un scandale.

Il y a dans notre pays environ 900 médecins scolaires et 7 700 infirmiers et infirmières scolaires pour 12, 5 millions d’élèves, soit un médecin pour 14 000 élèves et un infirmier ou infirmière pour 1 600 élèves. Cela représente une chute des effectifs de près de 15 % en cinq ans.

La pandémie n’a pas été un déclic : le « quoi qu’il en coûte » s’est arrêté à la porte de l’école. Voilà des professionnels, au contact des élèves, qui pourraient identifier les situations à risque, engager le dialogue et alerter. Mais avec des moyens humains aussi dérisoires, il nous est impossible de leur confier ces missions.

Enfin, vous avez récemment annoncé, monsieur le ministre, plusieurs mesures contre les LGBTphobies à l’école comme le déploiement de campagnes de sensibilisation et la généralisation d’observatoires de lutte contre ces attitudes. C’est une première étape que je salue, mais qui est loin d’être suffisante pour endiguer le fléau des discriminations LGBTphobes à l’école. Je m’interroge également quant aux moyens qui seront dédiés à ces dispositifs et à leur pérennité.

Comment lutter efficacement contre le harcèlement scolaire LGBTphobe si les moyens mis en place ne sont pas à la hauteur des enjeux ?

Nous le savons, il n’y a pas de solutions simples pour lutter contre le fléau protéiforme du harcèlement scolaire. Nous avons bien conscience que les solutions sont multiples, au croisement de l’école et de la société qui l’entoure. Mais il faut passer à la vitesse supérieure.

Investir davantage dans la lutte contre le harcèlement scolaire, que ce soit au travers de la médecine scolaire ou des politiques de prévention contre la montée des haines, c’est investir dans l’apaisement de l’école et de la société en général. Il y va de notre responsabilité.

Photo de Jean Hingray

Monsieur le ministre, j'entends vos propos sur le travail que vous avez entamé, à partir notamment des préconisations du Sénat. Vous l'avez souligné, ce travail sera long.

Je le redis, à la suite de mon interpellation sur le suicide du petit Lucas, deux familles des Vosges sont venues me voir. La Dasen nous a aidés – vous avez évoqué cette possibilité. Le travail que nous menons collectivement doit faciliter la sensibilisation et la prise de conscience des familles, mais je suis étonné, voire choqué, qu'on sollicite un parlementaire pour des problèmes internes à l'éducation nationale.

Vous avez évoqué les sanctions dans votre propos conclusif : je suis tout à fait d'accord, les sanctions doivent être renforcées. Je reprendrai une phrase d'un de vos collègues ministres : il faut être gentil avec les gentils et méchant avec les méchants !

Pap Ndiaye

Monsieur le sénateur Dossus, vous avez raison, il ne s’agit pas du premier débat, dans cet hémicycle, sur la question du harcèlement scolaire. Toutefois, nous avançons.

Comme vous l’avez souligné, il n’y a pas de solution simple. Nous sommes sur un chemin de progrès, mais il n’y aura pas de baguette magique pour faire disparaître ce fléau d’un seul coup.

Vous avez dit à juste titre que le harcèlement pesait souvent sur un élève présentant une vulnérabilité ou une différence, réelle ou supposée. Le cas des élèves LGBT est un bon exemple. Nous avons connu un drame terrible voilà quelques semaines et je suis très mobilisé sur cette question. Nous préparons activement la Journée mondiale contre l’homophobie, la transphobie et la biphobie du 17 mai, qui sera l’occasion de lancer une grande campagne. Vous avez mentionné la création des observatoires de lutte contre les LGBTphobies et notre partenariat avec l’association SOS homophobie, ainsi qu’avec d’autres associations, très impliquées.

Vous avez posé la question de l’évaluation des expérimentations qui ont eu lieu dans six académies pendant deux années. Cette évaluation est en cours ; une équipe de chercheurs travaille sur cette question.

On sait déjà, de manière empirique, que le règlement des situations de harcèlement a donné de bons résultats, mais qu’il ne s’est pas vraiment traduit par une baisse du nombre de cas. La mobilisation permet en effet de faire remonter des cas qui seraient autrement restés sous la ligne de flottaison.

Nous sommes également mobilisés au travers de la médecine scolaire. Ce que vous avez dit à cet égard est intéressant, dans la mesure où un bon tiers des postes de médecins scolaires ne sont pas pourvus. Nous pourrions doubler le nombre de ces postes que cela ne changerait rien au nombre de médecins en place. C’est pourquoi nous préparons activement, avec le ministre de la santé, un plan de médecine scolaire. Nous attendons pour le mettre en place la remise du rapport des trois inspections générales ; ce sera l’occasion de remettre à plat cette question importante.

Photo de Esther Benbassa

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le 7 janvier dernier, Lucas, âgé seulement de 13 ans, a mis fin à ses jours. Si les causes directes de son passage à l'acte restent encore à confirmer, les conséquences du harcèlement scolaire dont il a été victime pendant des mois ne peuvent être niées.

Comme lui, chaque année, plus de 800 000 enfants souffrent de harcèlement scolaire et 26 % d'entre eux ont des idées suicidaires. Ainsi, 77 % des jeunes déclarent avoir subi des violences à l'école, qu'elles soient morales ou physiques. Les conséquences psychologiques de ce que trop considèrent comme de simples railleries subies pendant l'enfance sont multiples : perte de l'estime de soi, tendance dépressive, vulnérabilité relationnelle que ce soit dans un contexte professionnel, relationnel ou amoureux.

À un âge auquel ces enfants manquent encore de discernement et auquel très peu parviennent à parler de ce qu'ils subissent, le soutien des services scolaires est d'une nécessité évidente. Comment expliquer l'escalade de violences qu'a subies le petit Farès il y a quelques semaines ? Comment expliquer que sa mère n'ait même pas été prévenue par la direction de l'établissement scolaire ?

Il y a urgence à mettre en place des protocoles adaptés afin de déceler au plus tôt ces situations et d'éviter que de nouveaux drames ne se produisent. Mais il ne faut pas oublier que le harcèlement scolaire ne commence ni ne cesse aux portes des écoles : la rue et les réseaux sociaux sont également un lieu de calvaire pour des milliers de jeunes.

Certes, des peines sont prévues pour les auteurs de harcèlement scolaire. Mais ces enfants en ont-ils seulement conscience ? Face à la hausse des cas, le programme pHARe, des grilles d'évaluation du danger, un numéro d'écoute et d'aide sur le harcèlement sont-ils suffisants ? Les initiatives de certains établissements et collectivités sont louables. À l'heure où la sensibilisation des enfants doit être une priorité, ces violences ne doivent plus être ignorées ni banalisées.

Monsieur le ministre, vous assurez que la prévention et la lutte contre le harcèlement entre élèves constituent l'une de vos priorités. Les enseignants doivent plus que jamais être préparés et attentifs, les parents alertés, afin que l'école puisse redevenir un lieu d'ouverture d'esprit dans lequel chaque enfant, quel qu'il soit, puisse s'épanouir sans entrave.

Photo de Julien Bargeton

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, de quoi parle-t-on ?

Le « harcèlement entre pairs », qui est la forme la plus répandue de violence en milieu scolaire, est caractérisé par l’usage répété de la violence physique, des moqueries, des insultes et des humiliations. Il concerne – cela a été rappelé –entre 800 000 et 1 million d’élèves par an, soit 10 % des élèves. Avec l’avènement du numérique, le harcèlement scolaire se prolonge sur les réseaux sociaux, et la sphère privée n’y échappe plus.

Depuis 2017, le Gouvernement a pris la mesure de ce problème grave, qui a récemment abouti au suicide dramatique du jeune Lucas.

Depuis 2018, les téléphones portables sont interdits à l’école et au collège, à la suite d’une proposition de loi de Richard Ferrand, adoptée après engagement de la procédure accélérée. Il s’agissait, en empêchant l’utilisation massive et précoce des téléphones, de lutter contre le cyberharcèlement.

En 2019, la loi pour une école de la confiance a créé le droit de vivre une scolarité sans harcèlement : « Aucun élève ne doit subir, de la part d’autres élèves, des faits de harcèlement ayant pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions d’apprentissage susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité ou d’altérer sa santé physique ou mentale. »

La même année, le Gouvernement a annoncé l’extension des horaires de la plateforme « Net écoute », dédiée au cyberharcèlement.

Le programme pHARe de lutte contre le harcèlement, cité à plusieurs reprises par les orateurs précédents et par vous-même, monsieur le ministre, est désormais obligatoire dans tous les collèges et toutes les écoles élémentaires depuis la rentrée 2022. Il implique à la fois les adultes, les élèves – les collèges ont été dotés d’élèves ambassadeurs – et les parents, qui sont associés à la lutte contre le harcèlement à l’école.

Il s’agit donc d’un dispositif à 360 degrés, qui concerne l’ensemble de la communauté éducative.

L’année dernière, la proposition de loi de notre collègue Erwan Balanant a créé un nouveau délit de harcèlement scolaire, qui sanctionne les élèves, étudiants ou personnels des établissements scolaires et universitaires reconnus coupables de harcèlement. Les peines encourues sont de dix ans de prison et de 150 000 euros d’amende en cas de suicide ou de tentative de suicide de la victime du harcèlement. Il existe une panoplie de mesures pour lutter contre le harcèlement qui a été complétée ces dernières années, depuis 2017.

Le dispositif paraît bien sûr insuffisant, car le harcèlement est toujours dramatique et le phénomène est encore trop récurrent. Des évolutions sont encore nécessaires. La proposition de loi de notre collègue Marie Mercier du groupe Les Républicains, qui pose le principe d’une mesure d’éloignement du harceleur pour protéger la victime, soulève des questions importantes : qui doit être concerné par l’éloignement systématique ? N’est-ce pas une double peine s’il concerne aussi l’enfant victime ? Une proposition de loi a été également déposée par notre collègue Sabine Van Heghe. On le voit, le Parlement s’est largement saisi de cette question.

Monsieur le ministre, vous avez apporté des éléments de réponse ce matin sur la façon dont sont traités les auteurs de harcèlement dans les établissements scolaires que vous pourrez peut-être compléter lors de ce débat.

Il faudrait également se pencher sur des méthodes complémentaires. Certains pays sont précurseurs sur ce sujet, comme les pays scandinaves, lesquels ont souvent un temps d’avance sur ces questions qu’ils ont prises à bras-le-corps depuis longtemps. Je pense notamment à la méthode de « la préoccupation partagée » ou au programme finlandais intitulé KiVa Koulu, mis en place en 2006 et organisé autour de discussions et de jeux de rôle, avec une systématisation de la lutte contre le harcèlement scolaire dans tous les établissements finlandais. Il serait bien de faire un parangonnage pour voir comment d’autres pays d’Europe ont pu avancer dans la lutte contre le harcèlement.

Nous avons beaucoup progressé sur la question, mais les faits de harcèlement restent encore trop graves et trop nombreux. Je ne doute pas qu’ensemble nous construirons de nouveaux outils, de nouvelles armes, pour lutter contre ce fléau.

Debut de section - PermalienPhoto de Julien Bargeton

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, de quoi parle-t-on ?

Le « harcèlement entre pairs », qui est la forme la plus répandue de violence en milieu scolaire, est caractérisé par l’usage répété de la violence physique, des moqueries, des insultes et des humiliations. Il concerne – cela a été rappelé – entre 800 000 et 1 million d’élèves par an, soit 10 % des élèves. Avec l’avènement du numérique, le harcèlement scolaire se prolonge sur les réseaux sociaux, et la sphère privée n’y échappe plus.

Depuis 2017, le Gouvernement a pris la mesure de ce problème grave, qui a récemment abouti au suicide dramatique du jeune Lucas.

Depuis 2018, les téléphones portables sont interdits à l’école et au collège, à la suite d’une proposition de loi de Richard Ferrand, adoptée après engagement de la procédure accélérée. Il s’agissait, en empêchant l’utilisation massive et précoce des téléphones, de lutter contre le cyberharcèlement.

En 2019, la loi pour une école de la confiance a créé le droit de vivre une scolarité sans harcèlement : « Aucun élève ne doit subir, de la part d’autres élèves, des faits de harcèlement ayant pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions d’apprentissage susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité ou d’altérer sa santé physique ou mentale. »

La même année, le Gouvernement a annoncé l’extension des horaires de la plateforme « Net écoute », dédiée au cyberharcèlement.

Le programme pHARe de lutte contre le harcèlement, cité à plusieurs reprises par les orateurs précédents et par vous-même, monsieur le ministre, est désormais obligatoire dans tous les collèges et toutes les écoles élémentaires depuis la rentrée 2022. Il implique à la fois les adultes, les élèves – les collèges ont été dotés d’élèves ambassadeurs – et les parents, qui sont associés à la lutte contre le harcèlement à l’école.

Il s’agit donc d’un dispositif à 360 degrés, qui concerne l’ensemble de la communauté éducative.

L’année dernière, la proposition de loi de notre collègue Erwan Balanant a créé un nouveau délit de harcèlement scolaire, qui sanctionne les élèves, étudiants ou personnels des établissements scolaires et universitaires reconnus coupables de harcèlement. Les peines encourues sont de dix ans de prison et de 150 000 euros d’amende en cas de suicide ou de tentative de suicide de la victime du harcèlement. Il existe une panoplie de mesures pour lutter contre le harcèlement qui a été complétée ces dernières années, depuis 2017.

Le dispositif paraît bien sûr insuffisant, car le harcèlement est toujours dramatique et le phénomène est encore trop récurrent. Des évolutions sont encore nécessaires. La proposition de loi de notre collègue Marie Mercier du groupe Les Républicains, qui pose le principe d’une mesure d’éloignement du harceleur pour protéger la victime, soulève des questions importantes : qui doit être concerné par l’éloignement systématique ? N’est-ce pas une double peine s’il concerne aussi l’enfant victime ? Une proposition de loi a été également déposée par notre collègue Sabine Van Heghe. On le voit, le Parlement s’est largement saisi de cette question.

Monsieur le ministre, vous avez apporté des éléments de réponse ce matin sur la façon dont sont traités les auteurs de harcèlement dans les établissements scolaires que vous pourrez peut-être compléter lors de ce débat.

Il faudrait également se pencher sur des méthodes complémentaires. Certains pays sont précurseurs sur ce sujet, comme les pays scandinaves, lesquels ont souvent un temps d’avance sur ces questions qu’ils ont prises à bras-le-corps depuis longtemps. Je pense notamment à la méthode de « la préoccupation partagée » ou au programme finlandais intitulé KiVa Koulu, mis en place en 2006 et organisé autour de discussions et de jeux de rôle, avec une systématisation de la lutte contre le harcèlement scolaire dans tous les établissements finlandais. Il serait bien de faire un parangonnage pour voir comment d’autres pays d’Europe ont pu avancer dans la lutte contre le harcèlement.

Nous avons beaucoup progressé sur la question, mais les faits de harcèlement restent encore trop graves et trop nombreux. Je ne doute pas qu’ensemble nous construirons de nouveaux outils, de nouvelles armes, pour lutter contre ce fléau.

Pap Ndiaye, ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse

Madame la sénatrice Benbassa, les chiffres dont nous disposons ne sont pas complètement stabilisés. La mesure du harcèlement varie selon les outils utilisés, mais aussi selon la définition que l'on en donne : puisque les actes doivent être répétés, à partir de combien de situations de violences, physiques ou symboliques, et d'insultes entre-t-on dans cette catégorie ?

Malgré ce flou, peu importe : il faut s'attaquer à la réalité du problème. Déceler les situations de harcèlement le plus rapidement possible est l'un des objectifs évidents de notre mobilisation au travers du programme pHARe.

J'attire votre attention sur l'importance des élèves ambassadeurs, qui sont souvent les plus à même de repérer le changement de comportement d'un de leurs camarades : isolement, rapport à l'alimentaire, au travail et aux autres… Autant de signes qui peuvent laisser penser qu'une situation de harcèlement est en cours. Nous comptons beaucoup sur la mobilisation des élèves eux-mêmes.

Il faut ensuite traiter le problème. Dans un premier temps, quand la réaction a lieu suffisamment tôt, il peut être résolu au sein de l'établissement. Dans un deuxième temps, si la situation de harcèlement perdure, les autorités académiques et départementales de l'éducation nationale interviennent avec des psychologues et d'autres agents relevant du secteur de la santé. Dans un troisième temps, dans des cas extrêmes, une sanction peut intervenir selon les modalités que j'ai précisées.

Photo de Nathalie Delattre

La parole est à Mme Esther Benbassa, pour la réplique.

Photo de Esther Benbassa

J'attire également votre attention sur un problème qui a récemment fait l'actualité : la violence sexuelle à l'école entre enfants de 6 ou 7 ans. C'est une autre facette du même problème.

Pap Ndiaye

Monsieur le sénateur Bargeton, le programme pHARe s’inspire effectivement de l’exemple finlandais. Lorsque j’ai évoqué ce programme et son évaluation, j’aurais dû mentionner la Finlande, où il a donné de bons résultats.

J’attire votre attention sur la dimension pédagogique du programme, qui vise non pas à sanctionner d’emblée, mais plutôt à amener l’enfant harceleur à reconnaître la gravité de ses actes et à participer par la suite à la mobilisation de l’ensemble de la communauté éducative contre les faits de harcèlement.

Il arrive que d’anciens harceleurs soient au premier rang des élèves ambassadeurs dans la lutte contre les situations de harcèlement. En ce sens, l’école conserve bien sa mission première, qui est pédagogique. Parfois, cette dimension peut ne pas suffire et la situation est alors si dégradée entre un ou des harceleurs et les harcelés que la séparation entre les élèves devient la solution ultime.

Cette mesure est envisageable dans le secondaire, puisque les conseils de discipline peuvent scolariser un élève dans un autre établissement que celui d’origine ; en revanche, elle n’est pas possible dans le primaire, où il n’y a pas de conseil de discipline. C’est pourquoi nous proposons de passer par la voie réglementaire, et non législative, pour permettre, dans certains cas et en dernier recours, lorsque toutes les autres solutions auront été envisagées, de déplacer l’élève, indépendamment de l’avis de ses représentants légaux et selon une procédure que je détaillerai si la question m’est posée.

Photo de Bernard Fialaire

Un an après la promulgation de la loi du 2 mars 2022 visant à combattre le harcèlement scolaire, où en sommes-nous ? L'ajout de ce texte dans l'arsenal législatif tendait à garantir aux jeunes une scolarité apaisée. Elle visait, d'une part, à mieux prévenir les actes de harcèlement et à prendre en charge les victimes et, d'autre part, à améliorer le traitement judiciaire.

Prévenir les faits passe par une formation continue sur ces problématiques de toutes les personnes qui entourent les élèves au sein et en dehors des établissements.

Je salue le succès du programme pHARe, rendu obligatoire depuis la rentrée 2022 dans les collèges et les écoles élémentaires. En plus de « former une communauté protectrice » autour des élèves, de « mobiliser les instances de démocratie scolaire […] et le comité d'éducation à la santé, à la citoyenneté et à l'environnement » et de mieux former les élèves à raison de « dix heures d'apprentissages par an », le programme mobilise dix enfants par établissement en leur confiant le rôle d'ambassadeurs. Cela permet de responsabiliser les élèves, notamment dans les établissements classés réseaux d'éducation prioritaire (REP) et REP+, et permet aux victimes de se confier plus facilement.

Je salue aussi la poursuite chaque année depuis 2015 de la journée nationale de lutte contre le harcèlement à l'école, se déroulant chaque premier jeudi après les vacances de la Toussaint. Elle permet de sensibiliser les élèves par des expositions et des manifestations.

Je salue également le Safer Internet Day, qui fête sa vingtième édition cette année et qui rassemble, grâce au travail de la Commission européenne et de « Internet sans crainte », plus de 150 pays et de nombreuses associations.

Je salue enfin l'organisation de campagnes vidéo et celle du prix Non au harcèlement dans de nombreux établissements.

S'ajoutent à ces dispositifs les numéros nationaux encore trop peu connus – ce que vous avez souligné, monsieur le ministre – et la plateforme digitale dédiée à la lutte contre le harcèlement, qui a recensé plus de 170 déclarations à ce jour.

Toutefois, force est de constater que la prévention ne suffit pas. Il faut prévoir des solutions pour punir les faits lorsque le harcèlement a été commis et constaté. Le nouveau cadre législatif et réglementaire a introduit un délit ouvrant la voie à des poursuites à l'encontre de tout harceleur. Un quantum de peines nécessaires, proportionnées et adaptées a démontré son efficacité, notamment dans les récentes mises en garde à vue.

Le harcèlement scolaire ne passe plus seulement par la parole ou la maltraitance physique, il sévit dorénavant sur les réseaux sociaux qui poursuivent la victime jusque chez elle. Nos méthodes de sanction doivent donc s'adapter.

La loi a permis une avancée en considérant les réseaux comme des éléments constitutifs de cette nouvelle infraction. Nous devons aller plus loin : il est temps d'intensifier et d'axer notre réflexion sur les méthodes de régulation des réseaux sociaux, en veillant à respecter le secret des correspondances, la liberté d'expression et la sécurité de nos enfants.

Il faut également que les victimes ne subissent pas le préjudice du déplacement scolaire, alors que les harceleurs bénéficient du maintien dans le même établissement. À cet égard, monsieur le ministre, il semblerait que vous nous ayez rassurés ce matin.

Les pouvoirs publics n'ont cessé depuis 2010 de se mobiliser pour lutter contre le harcèlement scolaire. Pour autant, ils ne doivent pas se désengager. Je regrette que les dernières études disponibles datent de 2021 en ce qu'elles ne nous permettent pas d'évaluer les premiers résultats de la loi promulguée l'an dernier. Je regrette également que le Gouvernement, contrairement à ce qui avait été annoncé, n'ait pas remis dans le délai d'un an « un rapport relatif à la couverture des frais de consultation et de soins engagés par les victimes et par les auteurs de faits ». En gardant un œil sur les résultats, poursuivons le travail engagé, notamment dans le secteur du digital. §

Photo de Sabine Van Heghe

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, cela a été dit, près de 1 million d’élèves subissent chaque année une forme de harcèlement durant leur scolarité, d’une violence parfois telle qu’elle pousse certains enfants à attenter à leurs jours.

Il est intolérable, monsieur le ministre, que les fondements du vivre ensemble soient ainsi sapés et que les jeunes soient éprouvés à l’âge ou ils font leurs premiers apprentissages, dévoilant leurs fragilités propres à l’adolescence.

Bien sûr, il ne s’agit pas ici de dire que rien ne se fait au sein de l’éducation nationale. Même si le programme pHARe a été généralisé à la rentrée 2021, nous devons encore constater la difficulté à franchir le mur de l’administration scolaire et la tentation du « pas de vagues » au sein de certains établissements.

La lutte contre le harcèlement scolaire passe aussi par les initiatives locales, associatives ou institutionnelles. Dans mon département du Pas-de-Calais, par exemple, j’ai animé avec les services de l’État, de la police, de la gendarmerie, de la justice et de l’éducation nationale une réunion visant à améliorer l’accueil, la protection et le suivi des élèves victimes de harcèlement scolaire, ainsi que la prise en charge des auteurs des faits délictueux.

Je me réjouis de la mobilisation de tous ces acteurs, mais cela reste insuffisant et la question du harcèlement scolaire révèle encore de grandes failles qui doivent être comblées.

Je viens donc de déposer avec mes collègues sénateurs socialistes une proposition de loi visant à renforcer la lutte contre le harcèlement scolaire et le cyberharcèlement afin de compléter l’arsenal juridique existant.

Notre texte se veut pragmatique, simple et concret. Il prévoit notamment d’imposer aux réseaux sociaux une nouvelle obligation de sensibilisation des usagers, de renforcer le poids des adultes correctement formés sur le sujet au sein de l’école et de permettre l’exclusion des auteurs pour éviter la double peine qui s’impose aux victimes, forcées de quitter leur établissement pour échapper à leurs bourreaux. Je me félicite, monsieur le ministre, que vous ayez d’ores et déjà repris cette dernière mesure, qui est très importante.

En tout état de cause, la clef de tout, c’est l’augmentation du nombre d’adultes effectivement présents dans les établissements, comme le réclament les sénateurs de notre groupe à chaque discussion budgétaire depuis maintenant six ans. Il est impératif d’augmenter les postes de personnels médico-sociaux et de psychologues dans les établissements scolaires, personnels jouant un rôle essentiel dans la prévention, la détection et la prise en charge des cas de harcèlement.

Pour que la parole des enfants et des adolescents se libère, ceux-ci doivent se sentir écoutés, compris et protégés. C’est par la présence suffisante de personnes formées et à l’écoute que nous pourrons espérer faire fléchir ce fléau insupportable.

Pap Ndiaye, ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse

Monsieur le sénateur Fialaire, vous avez raison de préciser que les mobilisations annuelles comptent, que ce soit au travers du Safer Internet Day, le 6 février, ou du prix Non au harcèlement, au mois de novembre. Le retentissement est réel dans les établissements scolaires, comme j'ai pu le mesurer moi-même.

Vous avez également raison au sujet des réseaux sociaux : nous devons les responsabiliser. La plateforme 3018 peut demander aux principaux acteurs de bloquer des comptes relayant des propos injurieux ou des photographies qui n'ont pas à circuler. Néanmoins, nous attendons de ces réseaux qu'ils soient plus proactifs et mobilisés.

En ce qui concerne les élèves harceleurs, j'ai annoncé une modification réglementaire du code de l'éducation afin de transférer les harceleurs plutôt que les harcelés : la situation actuelle est anormale.

Nous insistons aussi sur le fait que cette décision, qui peut être prise en dépit de l'avis des représentants légaux, est une solution de dernier recours. En réalité, il s'agit moins d'une sanction que d'une mise en sécurité des élèves harcelés dans une situation où, à l'évidence, les procédures de conciliation ne fonctionnent plus.

Photo de Nathalie Delattre

La parole est à M. Bernard Fialaire, pour la réplique.

Pap Ndiaye

Madame la sénatrice Van Heghe, je vous remercie d’abord pour le travail et le rapport que vous avez réalisés sur le sujet avec Mme Mélot.

Nous avons repris votre proposition de mieux diffuser les numéros téléphoniques 3018 et 3020 : ils seront inscrits dans les carnets de correspondance et dans les espaces numériques de travail (ENT). Une campagne d’affichage a également été réalisée, et j’ai pu voir ces affiches dans les couloirs de pratiquement tous les établissements scolaires dans lesquels je me suis rendu.

Nous n’en sommes plus à l’époque du « pas de vagues ». À l’évidence, nous sommes très mobilisés sur cette question et nous avons, depuis un certain temps, passé un cap, même s’il reste du travail à faire.

Nous souhaitons éloigner les élèves harceleurs – et je veux ici remercier la sénatrice Marie Mercier de sa proposition – indépendamment de l’avis des parents ou des représentants légaux, lorsque la situation est devenue intenable et que la sécurité de l’élève ou des élèves harcelés est mise en cause. Cela suppose l’accord du maire de la commune de résidence, voire des deux maires si la scolarisation a lieu dans une commune voisine.

Il faut procéder avec discernement, puisque nous avons affaire à des enfants âgés de 6 à 11 ans et que les situations entre harceleurs et harcelés ne sont parfois pas si claires, avec des « échanges », si j’ose dire, entre la situation des uns et des autres. Mais il faut pouvoir envisager la possibilité d’un éloignement lorsque la situation est bloquée.

Photo de Bernard Fialaire

Monsieur le ministre, vous attendez des réseaux sociaux qu'ils se régulent. Personnellement, je pense qu'il ne faut pas attendre passivement de leur part toutes les solutions face aux risques de harcèlement. Au contraire, il nous faut être un peu plus proactifs. On attend justement de l'État d'assurer cette sécurité.

Photo de Nathalie Delattre

La parole est à Mme Sabine Van Heghe, pour la réplique.

Photo de Nathalie Delattre

Mme la présidente. La parole est à Mme Marie Mercier.

Photo de Sabine Van Heghe

Vous avez raison, monsieur le ministre, il faut certes agir avec discernement, mais il ne faut pas faciliter la vie du harceleur au détriment du harcelé.

Photo de Marie Mercier

Que se passe-t-il donc dans nos cours d'école quand les élèves ne jouent pas à leurs activités préférées ? Si l'on parle d'enfer des récréations, c'est qu'on trouve parfois dans ce petit monde secret et clos du racket, des conflits, de l'intimidation et aussi du harcèlement.

Le harcèlement à l'école touche 1 million d'élèves, soit 1 million de familles. Pour combien de larmes ? Si la victime vit un calvaire, son agresseur est aussi en souffrance. Tout le monde est perdant : enfants, parents, familles, enseignants et chefs d'établissement.

Le harcèlement est toujours une affaire complexe. Cette violence répétitive est fondée sur des rapports de domination et de discrimination d'âge, de sexe et de religion qui entraînent une dégradation des conditions de vie de la victime, qui se sent de plus en plus isolée, détruite et abandonnée. Les répercussions sont graves, tant elles portent atteinte à l'intégrité de ces enfants. Elles peuvent parfois conduire au pire. Il est urgent que les drames subis par les harcelés soient rapidement et sérieusement pris en considération sous tous leurs aspects.

En la matière, la prise en charge préventive est bien entendu la meilleure des choses : le harcèlement ne doit pas commencer ; à défaut, il doit être repéré et géré au plus tôt. Tel est l'objectif du programme pHARe.

Quand il est trop tard, que le harcèlement est installé, le monde adulte doit prendre toutes ses responsabilités pleines et entières : la victime doit être protégée et avoir foi en notre justice. De son côté, le harceleur doit réaliser que ses actes sont répréhensibles et être lui-même accompagné dans sa souffrance. Sinon, quels citoyens seront-ils demain ?

J'ai déposé le 21 février dernier une proposition de loi visant, dans le cadre d'un harcèlement scolaire, à poser le principe d'une mesure d'éloignement du harceleur pour protéger la victime. Son objet est d'affirmer un principe simple : ce n'est pas à la victime de fuir et de quitter son établissement et son environnement pour échapper à son harceleur, ce n'est pas non plus à sa famille de s'adapter à ce changement, mais au petit harceleur. Les maires m'indiquent signer les dérogations avec la boule au ventre quand de gentils gamins sont obligés de partir. J'ai voulu donner aux établissements scolaires une référence sur laquelle s'appuyer pour agir. Je remercie les 215 sénateurs qui ont bien voulu cosigner mon texte et ceux qui le partagent puisqu'ils l'ont repris.

Il existe bien sûr une procédure disciplinaire applicable aux élèves et qui relève du pouvoir réglementaire des établissements au travers de leur règlement intérieur. Actuellement, rien n'empêche un conseil de discipline d'exclure un élève auteur de faits de harcèlement. Force est de constater que, la plupart du temps, ce n'est pas le cas. Ma proposition vise donc à affirmer une position de principe : guider et soutenir les établissements dans leur prise de décision, dans la mesure où de trop nombreux témoignages montrent que les jeunes victimes subissent cette double peine.

Monsieur le ministre, je me réjouis que vous vous soyez emparé de cette idée. Pourquoi ne pas l'avoir fait plus tôt ? Pour lutter efficacement contre le harcèlement scolaire, il demeure nécessaire d'agir en amont en le reconnaissant, en le nommant et en évaluant l'efficacité des dispositifs mis en place. Aucun élève ne devrait avoir à quitter une école. Protéger les enfants est notre devoir, comme celui de leur transmettre des connaissances dans un milieu apaisé, qui leur laisse leur insouciance et leurs rêves.

Photo de Céline Brulin

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le harcèlement scolaire est un fléau. Un élève sur dix subit chaque année une forme de harcèlement ou de cyberharcèlement. C’est un drame, car il entraîne des enfants vers des actes extrêmes.

Face à ces situations, nous ne sommes pas totalement démunis, même s’il n’existe pas de remède miracle. Le Sénat a ainsi fait trente-cinq propositions dans le cadre d’une mission d’information précédemment évoquée. La loi du 2 mars 2022 visant à combattre le harcèlement scolaire a également fourni quelques outils.

Il convient, grâce à ce débat, d’en faire un bilan afin de vérifier que les réponses en matière de prévention, de détection et de soutien aux victimes et à leurs familles sont opérantes.

La loi a inscrit la lutte contre le harcèlement scolaire dans le code de l’éducation, ce qui permet de mieux appréhender et punir ce phénomène. Dans son article 1er, il est instauré « une information sur les risques liés au harcèlement scolaire […] délivrée chaque année aux élèves et parents d’élèves ». Comment cette mesure se traduit-elle dans les établissements scolaires et selon quels moyens ?

L’article 7 prévoit également la remise d’un rapport relatif aux frais de consultation et de soins engagés par les victimes. Monsieur le ministre, ce rapport a-t-il été produit ? Pouvez-vous nous en donner les éléments ?

Le texte prévoyait aussi la « CDIsation » des assistants d’éducation, qui constituent un des rouages d’alerte et de prévention essentiels au sein des établissements. Le décret a tardé à être pris ; bien qu’il ait été publié, certaines académies continuent visiblement à ne pas appliquer cette disposition. Monsieur le ministre, quand cette mesure sera-t-elle généralisée ?

J’aimerais également rappeler la conviction, que j’ai plusieurs fois exprimée ici, d’une revalorisation du statut des accompagnants des élèves en situation de handicap (AESH) qui leur garantirait, entre autres, une véritable formation initiale et continue, notamment en matière de harcèlement, le handicap pouvant constituer un « motif ».

Autre avancée de cette loi, mais qui, d’après les remontées de terrain, se révèle encore insuffisante : le renforcement de la formation et de la sensibilisation de l’ensemble des personnels éducatifs. Quel est le contenu de cette formation initiale ? Qu’en est-il pour la formation continue ?

Le programme pHARe, déjà évoqué à plusieurs reprises, a été généralisé en 2022. C’est une bonne chose, mais cette généralisation a été lancée avant même le retour d’expérience des six académies tests. Or leur expertise permettrait, je le crois, d’améliorer le programme.

Je pense, par exemple, à la constitution d’une équipe d’au moins cinq personnes par collège ou par circonscription pour le premier degré. Je rappelle que ce déploiement se fait à moyens humains constants, alors que les personnels ont déjà de nombreuses missions, et même de plus en plus, à effectuer. Les suppressions de postes risquent également de fragiliser ce travail. À cet égard, vous évoquez régulièrement la baisse démographique comme justification, mais la France reste un mauvais élève en matière de taux d’encadrement en comparaison avec d’autres pays européens.

Que se passe-t-il lorsqu’un des membres de l’équipe n’est plus en poste ? Il faut recommencer tout le processus, ce qui est dommage. C’est la même chose avec les dix heures de formation pour tous les élèves du CP à la troisième : qui les assure, comment et avec quels outils ?

Lors de votre audition dans le cadre de la discussion du projet de loi de finances pour 2023, nous vous rappelions, comme cela vient d’être fait, la situation critique de la médecine scolaire qui constitue, elle aussi, un maillon essentiel de la lutte contre le harcèlement. Il est de notoriété publique que les effectifs ont fondu comme neige au soleil, encore plus en milieu rural. Nous manquons de psychologues pour les réseaux d’aides spécialisées aux élèves en difficulté (Rased).

Vous indiquiez alors devoir rencontrer le ministre de la santé pour envisager « une autre structuration de la médecine scolaire » et « des alternatives qui permettent de répondre aux impératifs de médecine de prévention et de détection ». Quelles sont ces alternatives ? Où en est-on du travail que vous proposiez de lancer ?

Enfin, le harcèlement scolaire a changé de dimension avec le poids pris par les réseaux sociaux, qui n’offrent aucun répit aux victimes. Les frontières de l’école sont maintenant largement dépassées et il me semble que les plateformes doivent davantage assumer leurs responsabilités.

Pourquoi ne pas avoir retenu l’idée de contraindre les réseaux sociaux à présenter régulièrement des vidéos de prévention et de sensibilisation au cyberharcèlement ?

Enfin, je voudrais revenir sur vos propos de ce matin sur l’éloignement des élèves harceleurs. Jusqu’à présent, cette mesure concernait la victime. Avez-vous consulté les associations d’élus, puisqu’il faudra l’accord du maire de la commune de l’école d’accueil ?

Je suis désolée d’évoquer une question triviale, mais cette mesure entraîne des conséquences financières, puisque la commune de résidence de l’enfant devant changer d’école doit verser une participation. Là encore, avez-vous consulté les associations d’élus sur ce point ?

Pap Ndiaye, ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse

Madame la sénatrice Mercier, je vous remercie très vivement pour votre mobilisation sur cette question et pour votre proposition de loi, que 215 de vos collègues, issus de différents groupes politiques, ont signée.

En matière d'enseignement primaire, comme vous le savez, il n'y a pas de procédure disciplinaire, d'où l'impasse que nous avons connue récemment dans le cas du jeune Maël : le transfert ou le déplacement de l'élève harceleur a été soumis à l'accord des représentants légaux. Avec ma proposition de modification du code de l'éducation, il sera possible de passer outre l'avis des parents, avec l'accord du maire concerné.

Cette avancée me semble tout à fait importante. On inverse en quelque sorte la situation, puisque c'est le harceleur qui part et non le harcelé. Il faut admettre que ce n'est que justice. Quand il sera trop tard, comme vous l'avez souligné, pour empêcher le harcèlement, on pourra encore agir et déplacer l'élève harceleur. C'est une solution de dernier recours, mais qu'il faut prévoir, dans le premier comme dans le second degré.

Photo de Nathalie Delattre

La parole est à Mme Marie Mercier, pour la réplique.

Pap Ndiaye

Madame la sénatrice Brulin, vous avez fait allusion au programme pHARe et à la loi du 2 mars 2022 qui place la question de la formation au cœur du dispositif. De fait, nous avons intensifié les programmes de formation.

D’abord, en les systématisant au niveau des instituts nationaux supérieurs du professorat et de l’éducation (Inspé) pour les professeurs stagiaires ou pour les conseillers principaux d’éducation (CPE) stagiaires.

Ensuite, en organisant des séminaires nationaux avec des déclinaisons académiques pour former les formateurs, si je puis dire, afin que les choses se diffusent au niveau des écoles et des établissements. Le processus est lent, car il y a beaucoup de personnels à former sur le sujet : cinq personnes par établissement scolaire du côté du secondaire et cinq personnes par circonscription du côté du primaire. Nous menons ce travail sur plusieurs années.

En parallèle, il faut organiser la sensibilisation des familles : cette mesure est importante, car elles ont un rôle à jouer. En début d’année scolaire, nous insistons sur le fait que les écoles et les établissements doivent en particulier sensibiliser les familles aux numéros téléphoniques 3020 et 3018.

Vous avez fait allusion à la médecine scolaire : je l’ai dit, nous attendons le rapport des trois inspections générales avant de faire des propositions. Je serai heureux de venir en parler devant vous, si vous le souhaitez.

Quant aux plateformes, je suis d’accord avec vous : elles doivent être responsabilisées. Nous avons d’ailleurs eu un échange sur cette question lors de la visite de la plateforme du 3018.

Photo de Marie Mercier

Monsieur le ministre, votre proposition reprend en tout point ce que je suggérais d'inscrire dans le code de l'éducation.

Par ailleurs, je voudrais vous prévenir : il m'a été assuré au cours de mes nombreuses auditions, à l'intérieur même de l'éducation nationale, que si les choses devenaient trop compliquées le terme « harcèlement » ne serait plus utilisé et serait remplacé par un autre. Ce ne serait pas digne de l'éducation nationale !

Photo de Nathalie Delattre

Mme la présidente. La parole est à M. Jean Hingray.

Photo de Jean Hingray

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la communauté éducative est démunie. Elle est démunie, car elle est affaiblie par un phénomène incompris de tous, pourtant bien présent : le harcèlement. Aujourd’hui, le harcèlement scolaire fracture notre jeunesse, endeuille nos familles et brise notre République.

En s’attaquant à notre République, aussi dépassée que désarmée, le harcèlement remet en question sa légitimité, une légitimité pourtant construite au travers des siècles, de Napoléon à Jules Ferry, en passant par Julie-Victoire Daubié. L’école républicaine, de par sa capacité à s’adapter aux circonstances, parfois aux crises, a toujours su aller de l’avant. Mais aujourd’hui, cette légitimité est menacée par la souffrance de millions d’élèves.

Mes chers collègues, il est difficile de comprendre la nature humaine, la psychologie et les rapports de force qui s’opèrent entre les élèves. Nous observons, avec tristesse et colère, les conséquences funestes de ces abus.

Près de 1 million d’enfants subissent des faits de harcèlement scolaire en France. En 2021, vingt-deux enfants ont fait le choix de renoncer, de la pire des manières. Vivant une souffrance insupportable, ils n’avaient plus la force de vivre ; ils ont alors fait le choix de ne plus souffrir.

Nous constatons avec regret la faible prise en charge de notre système éducatif dans la résolution de ce phénomène. Difficilement cernable, le harcèlement prend plusieurs formes – moral, physique, sexuel. Et n’oublions pas le racket.

Le harcèlement, d’une manière générale, est un phénomène qui s’accroît et se complexifie avec les réseaux sociaux. Le semblant d’anonymat qu’il permet, la tendance à suivre les effets de meute et la volonté de se distinguer du groupe font de ces réseaux le lieu propice et privilégié du harcèlement.

Le harcèlement scolaire est partout. De l’école à la maison, en passant par les transports en commun – 50 % des collégiens se plaignent d’ailleurs de violences dans les transports.

Les effets de groupe ont longuement été étudiés et font consensus dans la communauté scientifique. Il y a un leader, des suiveurs, des actifs et des passifs. Ce sont ces mêmes passifs qui, parfois, se trouvent au sein même du corps enseignant, lequel est censé écouter et prendre des mesures, et qui finissent par ne pas agir ou par agir trop tard.

Le harcèlement est l’un des principaux fléaux de notre système éducatif. Les victimes et leurs familles sont parfois confrontées à une parole qui est certes entendue, lorsqu’ils en ont la chance, mais qui n’est pas considérée.

Mes chers collègues, à quoi bon entendre lorsque nous refusons d’écouter ? Il est difficile de reconnaître une situation dans laquelle un élève est harcelé. Le harceleur agit de façon cachée et les formes que peut prendre ce phénomène sont souvent interprétées comme de simples chamailleries d’enfants. Les adultes ne s’attardent pas toujours ou pas assez sur certains phénomènes de microviolence : ils sont considérés comme banals, voire « normaux », entre jeunes et moins jeunes.

Nous assistons à une perte de confiance de plus en plus grande entre parents, élèves et éducation nationale. Et que dire des délais de traitement trop longs au sein des établissements ? Le délai doit donc être défini clairement, afin de ne pas laisser les familles et les victimes en suspens pendant des mois, au cours desquels le harcèlement perdure ou s’intensifie.

La prise en charge des signalements au sein des établissements reste floue : les procédures de signalement ne sont pas harmonisées ; à certains égards, elles sont même inadaptées.

Je le répète, nous sommes face à un phénomène profondément humain, qui mérite une réponse de l’État.

Il faut aussi reconnaître les avancées en la matière. L’éducation nationale s’est dotée de moyens considérables pour lutter contre le harcèlement scolaire. Le programme pHARe a le mérite d’exister, même s’il demeure insuffisant. Il rend les élèves acteurs de la lutte contre le harcèlement, sur la base du volontariat. La procédure semble en apparence louable.

Voilà deux mois, je vous ai interpellé au sujet du suicide du petit Lucas. À la suite de cette intervention, deux familles de mon département, les Vosges, m’ont contacté pour me faire part d’une faille notoire, qui se transforme en cauchemar pour les victimes.

Les élèves harceleurs, animés par une soif de domination, intègrent le programme pHARe qui, je le rappelle, est censé protéger les victimes. Que se passe-t-il, monsieur le ministre ? Il n’est plus question de prévention, il faut des réponses concrètes. Il est nécessaire de responsabiliser des établissements en matière de harcèlement. Nous devons faire de l’école un lieu de vivre ensemble exemplaire.

La prise en charge de la victime est fondamentale, prioritaire. Il faut en même temps encadrer efficacement les harceleurs. De nombreuses méthodes existent pour prendre en charge le harcèlement. Je pense notamment aux méthodes Farsta, No Blame Approach et Pikas. Monsieur le ministre, quelle est la vôtre ?

Photo de Yan Chantrel

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous avons tous et toutes été profondément touchés par le suicide du jeune Lucas, qui subissait quotidiennement harcèlement et moqueries sur son orientation sexuelle. Depuis ce drame, quelles mesures avez-vous prises pour mettre fin aux brimades quotidiennes subies par une partie de nos enfants ?

Votre volonté d'éradiquer le fléau du harcèlement scolaire se vérifiera par vos actions sur deux leviers essentiels : renforcement des moyens humains à l'école et changement de la culture scolaire qui prévaut dans notre pays.

Chacun le sait, la meilleure façon de lutter contre le harcèlement scolaire est de renforcer les effectifs d'encadrement des élèves. Toutes les recherches démontrent que plus on réduit le nombre d'élèves dans les établissements et dans les classes, plus le harcèlement diminue.

Or la France a les classes les plus chargées de l'Union européenne. Au collège, l'effectif moyen approche vingt-six élèves, soit très au-dessus de la moyenne européenne située sous la barre des vingt et un. Plus d'une classe sur dix dépasse désormais les trente élèves, soit deux fois plus qu'il y a dix ans.

Depuis son arrivée au pouvoir, Emmanuel Macron n'a fait qu'aggraver cette situation dramatique. Depuis 2018, le second degré a perdu 9 322 enseignants ; la saignée continue, puisque votre ministère annonce de nouvelles suppressions de postes pour la rentrée 2023.

À ce terrible bilan s'ajoute l'abandon de la médecine scolaire, évoqué par mes collègues. La France compte à l'heure actuelle un psychologue de l'éducation nationale pour 1 500 élèves et un médecin scolaire pour 16 686 élèves, très loin de la préconisation de votre ministère d'un médecin pour 5 000 enfants. Comment prétendre lutter contre le harcèlement scolaire quand on réduit à ce point les moyens de l'école ?

Par ailleurs, la manière dont on conçoit et organise l'école peut favoriser le harcèlement ou permettre de s'y opposer. On a trop tendance à prendre le problème sous l'angle de la discipline avec une approche purement punitive et à déléguer la lutte contre le harcèlement aux conseillers principaux d'éducation (CPE) plutôt que de développer une approche collective.

C'est en amont, dans notre culture et organisation scolaires, qu'il faut aller chercher les ressources pour lutter contre le harcèlement. Face à une école de la concurrence entre individus, une école du classement et de la distinction, qui crée des rivalités, défendons, contre la pression des notes et le stress des examens, un modèle qui promeut des valeurs de solidarité, de coopération, de bienveillance, de tolérance et d'inclusion.

Défendons aussi un modèle où la santé mentale n'est plus un tabou, un modèle scolaire qui place la mixité en son cœur pour développer une approche positive de l'autre, où l'altérité et la différence ne constituent pas un danger, mais une chance.

Pour aller dans ce sens, vous nous aviez justement promis, dans cet hémicycle même, monsieur le ministre, des annonces sur la mixité scolaire pour le 20 mars dernier. Nous les attendons toujours : où en est-on ?

Pap Ndiaye

Monsieur le sénateur Hingray, au fond, deux écueils doivent être évités : celui de dire que rien ne change dans l’éducation nationale et que ce dont on parle n’est que du vent et, à l’inverse, celui d’expliquer que le programme pHARe et les dispositions prises ces dernières années auraient miraculeusement tout changé.

Nous avançons sur le chemin et je reconnais avec humilité devant vous, mesdames, messieurs les sénateurs, que nous avons du travail à réaliser ensemble pour réduire ce phénomène catastrophique qu’est le harcèlement.

La formation des enseignants et des adultes dans les établissements et dans les écoles est une mesure très importante. Toutefois, comme je l’ai souligné, cela prend du temps compte tenu de la masse des personnes à former. Néanmoins, j’observe tout de même une prise de conscience dans les communautés éducatives que l’on n’observait pas voilà quelques années.

Les délais de traitement sont peut-être longs, trop longs, mais méfions-nous à l’inverse des procédures expéditives. En la matière, les chefs d’établissement ou les directeurs académiques des services de l’éducation nationale (Dasen) peuvent prendre des mesures de sauvegarde par lesquelles un élève harceleur est temporairement écarté sans préjuger de la suite de la procédure.

En dépit de la démarche pédagogique qui sous-tend le programme pHARe et qui est essentielle – j’insiste sur ce point –, il faut également envisager des sanctions. Celles-ci font partie de la pédagogie, qu’elles se traduisent par un conseil de discipline ou, dans le premier degré, par le transfert de l’élève harceleur selon une procédure que nous voulons mettre en place par voie réglementaire.

Pap Ndiaye, ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse

Monsieur le sénateur Chantrel, depuis la mort du jeune Lucas, nous avons intensifié les programmes de lutte contre la haine anti-LGBT. Comme j'ai eu l'occasion de le souligner, nous préparons activement la journée du 17 mai et nous avons généralisé les observatoires académiques des LGBTphobies, qui sont de bons points d'appui pour sensibiliser aux haines anti-LGBT dont les effets sont catastrophiques dans nos écoles.

Je suis obligé de mettre un bémol à votre propos sur le personnel : il n'y a pas de lien évident entre les situations de harcèlement et les effectifs. Dans le cas du jeune Maël, la classe qui est la sienne n'a que dix élèves. Il ne s'agit donc pas d'une situation de surcharge.

En ce qui concerne la médecine scolaire, je partage bien entendu votre constat. Néanmoins, comme j'ai eu l'occasion de le préciser, les postes ne sont pas tous pourvus. J'ai en mémoire la situation du département des Vosges : sur dix postes de médecin scolaire, huit sont vacants. En ouvrir cinq ou six ne changerait donc rien à la situation.

Le problème de fond est que les étudiants en médecine ne choisissent pas la médecine scolaire, non plus d'ailleurs que la médecine du travail. L'enjeu est celui d'une réflexion de fond sur l'organisation de cette médecine et sur ses liens avec la médecine de ville.

Je souscris à l'approche collective que vous soulignez : il faut former non pas la seule vie scolaire, mais aussi tous les adultes, y compris les professeurs, qui interviennent auprès des élèves, afin de faire fonctionner le dispositif pHARe.

Photo de Nathalie Delattre

La parole est à M. Jean Hingray, pour la réplique.

Photo de Nathalie Delattre

Mme la présidente. La parole est à Mme Béatrice Gosselin.

Photo de Jean Hingray

Monsieur le ministre, j’entends vos propos sur le travail que vous avez entamé, à partir notamment des préconisations du Sénat. Vous l’avez souligné, ce travail sera long.

Je le redis, à la suite de mon interpellation sur le suicide du petit Lucas, deux familles des Vosges sont venues me voir. La Dasen nous a aidés – vous avez évoqué cette possibilité. Le travail que nous menons collectivement doit faciliter la sensibilisation et la prise de conscience des familles, mais je suis étonné, voire choqué, qu’on sollicite un parlementaire pour des problèmes internes à l’éducation nationale.

Vous avez évoqué les sanctions dans votre propos conclusif : je suis tout à fait d’accord, les sanctions doivent être renforcées. Je reprendrai une phrase d’un de vos collègues ministres : il faut être gentil avec les gentils et méchant avec les méchants !

Photo de Béatrice Gosselin

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, en France, comme cela a été évoqué, près d'un enfant sur dix serait victime de harcèlement dans son établissement scolaire. Ces dernières années, le harcèlement en ligne est venu amplifier le phénomène. En 2021, ce sont vingt enfants et adolescents qui ont perdu la vie à cause de ce fléau.

On considère qu'il y a harcèlement scolaire quand un jeune est victime d'une agression répétée, délibérée et souvent effectuée en meute. C'est également un rapport de force et de domination entre un ou plusieurs élèves et une ou plusieurs victimes. Le caractère répétitif des agressions crée souvent un sentiment d'isolement et d'abandon des harcelés, qui deviennent incapables de trouver des réponses pour s'en sortir.

Le harcèlement pénalise durablement le parcours scolaire de la jeune victime et peut entraîner des conséquences psychologiques très lourdes, du décrochage scolaire à des conduites autodestructrices, voire suicidaires, allant jusqu'au drame.

Dans un monde où internet accapare nos vies et plus encore celles de nos adolescents, le harcèlement en ligne, ou cyberharcèlement, sur les réseaux sociaux, dans des forums, dans des jeux vidéo multiformes ou sur un blog est devenu le véritable danger.

C'est ce type de harcèlement qui est le plus destructeur pour les victimes : via les réseaux sociaux, les agressions ou brimades peuvent frapper leur victime à tout moment de la journée et de la nuit, quel que soit l'endroit où elle se trouve. De plus, le harceleur peut se servir d'un pseudonyme et ne pas dévoiler son identité.

Dès lors, quelles mesures envisager pour lutter efficacement contre le cyberharcèlement et ainsi casser cette spirale de violence ?

Le comité d'éducation à la santé, à la citoyenneté et à l'environnement (CESCE) a commencé à sensibiliser les chefs d'établissement à ces problèmes de harcèlement. Toutefois, il montre ses limites : beaucoup de dispositifs sont listés, mais les moyens humains et financiers manquent pour les appliquer.

Depuis la rentrée 2022, vous avez arrêté, monsieur le ministre, un plan de prévention du harcèlement entre élèves avec le programme pHARe, devenu obligatoire dans les établissements. Celui-ci combine plusieurs actions et dispositifs incluant un large éventail d'outils variés et concrets se basant sur huit piliers, dont « prévenir les problèmes de harcèlement », « former une communauté protectrice de professionnels » et « intervenir efficacement sur les situations de harcèlement ». Pour la réussite de ce dispositif, il faut impliquer élèves et personnel, « associer les parents et les partenaires » associatifs, « mettre à disposition une plateforme [numérique] dédiée » et créer une équipe de cinq agents formés ainsi qu'une équipe « d'élèves ambassadeurs ». Au niveau académique, deux « superviseurs » sont des « personnels ressources » pour les établissements.

À l'échelle nationale, deux lignes téléphoniques que vous mentionniez, le 3020 et le 3018, proposent un soutien aux victimes de harcèlement.

Les responsables des établissements scolaires doivent donc être vigilants à détecter tout harcèlement, mais il est également indispensable que les harceleurs prennent conscience de leurs actes et des conséquences judiciaires et financières qu'ils encourent, eux ou leurs parents en cas de minorité.

Cette année, notre collègue Marie Mercier a déposé une proposition de loi visant, dans le cadre d'un harcèlement scolaire, à poser le principe d'une mesure d'éloignement du harceleur pour protéger la victime : c'est une très bonne chose. J'évoquerai plusieurs pistes de réflexion et d'action qui pourraient être mises en place.

D'abord, le programme pHARe doit être renforcé grâce à la formation continue des cinq agents par établissement pour le secondaire ou par circonscription pour le primaire.

Ensuite, les plateformes doivent être obligées de contrôler et de supprimer les contenus délictueux, qu'ils soient d'ordre sexuel ou de harcèlement.

De plus, l'exclusion du harceleur de l'établissement doit être automatique lorsque la situation de harcèlement est avérée.

En outre, il faut développer la médecine scolaire en formant des professionnels à détecter le mal-être d'une victime de harcèlement, même si je sais qu'il est difficile de trouver des médecins pour exercer dans la prévention scolaire.

Enfin, la prévention par l'information est également primordiale : dénoncer un comportement délictueux de harcèlement doit être un devoir pour tous.

Photo de Esther Benbassa

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le 7 janvier dernier, Lucas, âgé seulement de 13 ans, a mis fin à ses jours. Si les causes directes de son passage à l’acte restent encore à confirmer, les conséquences du harcèlement scolaire dont il a été victime pendant des mois ne peuvent être niées.

Comme lui, chaque année, plus de 800 000 enfants souffrent de harcèlement scolaire et 26 % d’entre eux ont des idées suicidaires. Ainsi, 77 % des jeunes déclarent avoir subi des violences à l’école, qu’elles soient morales ou physiques. Les conséquences psychologiques de ce que trop considèrent comme de simples railleries subies pendant l’enfance sont multiples : perte de l’estime de soi, tendance dépressive, vulnérabilité relationnelle que ce soit dans un contexte professionnel, relationnel ou amoureux.

À un âge auquel ces enfants manquent encore de discernement et auquel très peu parviennent à parler de ce qu’ils subissent, le soutien des services scolaires est d’une nécessité évidente. Comment expliquer l’escalade de violences qu’a subies le petit Farès il y a quelques semaines ? Comment expliquer que sa mère n’ait même pas été prévenue par la direction de l’établissement scolaire ?

Il y a urgence à mettre en place des protocoles adaptés afin de déceler au plus tôt ces situations et d’éviter que de nouveaux drames ne se produisent. Mais il ne faut pas oublier que le harcèlement scolaire ne commence ni ne cesse aux portes des écoles : la rue et les réseaux sociaux sont également un lieu de calvaire pour des milliers de jeunes.

Certes, des peines sont prévues pour les auteurs de harcèlement scolaire. Mais ces enfants en ont-ils seulement conscience ? Face à la hausse des cas, le programme pHARe, des grilles d’évaluation du danger, un numéro d’écoute et d’aide sur le harcèlement sont-ils suffisants ? Les initiatives de certains établissements et collectivités sont louables. À l’heure où la sensibilisation des enfants doit être une priorité, ces violences ne doivent plus être ignorées ni banalisées.

Monsieur le ministre, vous assurez que la prévention et la lutte contre le harcèlement entre élèves constituent l’une de vos priorités. Les enseignants doivent plus que jamais être préparés et attentifs, les parents alertés, afin que l’école puisse redevenir un lieu d’ouverture d’esprit dans lequel chaque enfant, quel qu’il soit, puisse s’épanouir sans entrave.

Pap Ndiaye

Madame la sénatrice Benbassa, les chiffres dont nous disposons ne sont pas complètement stabilisés. La mesure du harcèlement varie selon les outils utilisés, mais aussi selon la définition que l’on en donne : puisque les actes doivent être répétés, à partir de combien de situations de violences, physiques ou symboliques, et d’insultes entre-t-on dans cette catégorie ?

Malgré ce flou, peu importe : il faut s’attaquer à la réalité du problème. Déceler les situations de harcèlement le plus rapidement possible est l’un des objectifs évidents de notre mobilisation au travers du programme pHARe.

J’attire votre attention sur l’importance des élèves ambassadeurs, qui sont souvent les plus à même de repérer le changement de comportement d’un de leurs camarades : isolement, rapport à l’alimentaire, au travail et aux autres… Autant de signes qui peuvent laisser penser qu’une situation de harcèlement est en cours. Nous comptons beaucoup sur la mobilisation des élèves eux-mêmes.

Il faut ensuite traiter le problème. Dans un premier temps, quand la réaction a lieu suffisamment tôt, il peut être résolu au sein de l’établissement. Dans un deuxième temps, si la situation de harcèlement perdure, les autorités académiques et départementales de l’éducation nationale interviennent avec des psychologues et d’autres agents relevant du secteur de la santé. Dans un troisième temps, dans des cas extrêmes, une sanction peut intervenir selon les modalités que j’ai précisées.

Pap Ndiaye, ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse

Madame la sénatrice Gosselin, je partage votre propos relatif aux différentes déclinaisons de la mobilisation que nous menons. Comme je l'ai indiqué, le processus est en cours : rien n'est complètement réalisé, même si nous progressons.

En matière de cyberharcèlement, grâce au 3018, les plateformes sollicitées réagissent rapidement : nous réussissons à bloquer des photographies ou des propos en quelques heures de manière à protéger les élèves concernés. Lors d'une visite auprès des agents de ce centre d'appels, j'ai pu écouter leurs conversations avec des collégiens ou des familles en panique du fait, par exemple, de la circulation de photos… Parmi les personnes qui répondent, il y a des techniciens, des psychologues… Les élèves sont pris en charge. Je salue le travail réalisé en la matière.

Quelque 60 % des écoles et 86 % des collèges sont engagés dans le programme pHARe. Nous n'avons pas atteint les 100 %, mais le taux progresse. Ce programme sera étendu aux lycées à partir de la rentrée prochaine, mais il faut savoir que les situations de harcèlement y sont moins fréquentes. Même si les cas les plus nombreux relèvent du cycle 3 et du collège, il n'y a aucune raison de ne pas se mobiliser aussi pour le lycée.

En résumé, l'éducation nationale se met en marche et se mobilise. Parfois comparée à une grosse bête de l'ère glaciaire, elle montre qu'elle sait bouger sur des questions aussi importantes.

Photo de Nathalie Delattre

La parole est à Mme Esther Benbassa, pour la réplique.

Photo de Nathalie Delattre

La parole est à Mme Béatrice Gosselin, pour la réplique.

Photo de Esther Benbassa

J’attire également votre attention sur un problème qui a récemment fait l’actualité : la violence sexuelle à l’école entre enfants de 6 ou 7 ans. C’est une autre facette du même problème.

Photo de Béatrice Gosselin

Je vous remercie, monsieur le ministre, pour toutes ces informations. Il est vrai que l'éducation nationale bouge ; elle doit bouger encore, parce qu'aucun enfant ne doit souffrir de harcèlement.

Sur l'ensemble des réseaux et des médias, nous devons continuer de diffuser des messages pour expliquer ce qu'est cette violence, car certains jeunes enfants – cela est moins vrai en grandissant – ne savent pas que leurs gestes ou leurs paroles peuvent en relever. L'information doit passer. Les parents, les enseignants et les autres adultes concernés doivent se battre pour qu'il n'y ait plus jamais d'enfants harcelés.

Photo de Bernard Fialaire

Un an après la promulgation de la loi du 2 mars 2022 visant à combattre le harcèlement scolaire, où en sommes-nous ? L’ajout de ce texte dans l’arsenal législatif tendait à garantir aux jeunes une scolarité apaisée. Elle visait, d’une part, à mieux prévenir les actes de harcèlement et à prendre en charge les victimes et, d’autre part, à améliorer le traitement judiciaire.

Prévenir les faits passe par une formation continue sur ces problématiques de toutes les personnes qui entourent les élèves au sein et en dehors des établissements.

Je salue le succès du programme pHARe, rendu obligatoire depuis la rentrée 2022 dans les collèges et les écoles élémentaires. En plus de « former une communauté protectrice » autour des élèves, de « mobiliser les instances de démocratie scolaire […] et le comité d’éducation à la santé, à la citoyenneté et à l’environnement » et de mieux former les élèves à raison de « dix heures d’apprentissages par an », le programme mobilise dix enfants par établissement en leur confiant le rôle d’ambassadeurs. Cela permet de responsabiliser les élèves, notamment dans les établissements classés réseaux d’éducation prioritaire (REP) et REP+, et permet aux victimes de se confier plus facilement.

Je salue aussi la poursuite chaque année depuis 2015 de la journée nationale de lutte contre le harcèlement à l’école, se déroulant chaque premier jeudi après les vacances de la Toussaint. Elle permet de sensibiliser les élèves par des expositions et des manifestations.

Je salue également le Safer Internet Day, qui fête sa vingtième édition cette année et qui rassemble, grâce au travail de la Commission européenne et de « Internet sans crainte », plus de 150 pays et de nombreuses associations.

Je salue enfin l’organisation de campagnes vidéo et celle du prix Non au harcèlement dans de nombreux établissements.

S’ajoutent à ces dispositifs les numéros nationaux encore trop peu connus – ce que vous avez souligné, monsieur le ministre – et la plateforme digitale dédiée à la lutte contre le harcèlement, qui a recensé plus de 170 déclarations à ce jour.

Toutefois, force est de constater que la prévention ne suffit pas. Il faut prévoir des solutions pour punir les faits lorsque le harcèlement a été commis et constaté. Le nouveau cadre législatif et réglementaire a introduit un délit ouvrant la voie à des poursuites à l’encontre de tout harceleur. Un quantum de peines nécessaires, proportionnées et adaptées a démontré son efficacité, notamment dans les récentes mises en garde à vue.

Le harcèlement scolaire ne passe plus seulement par la parole ou la maltraitance physique, il sévit dorénavant sur les réseaux sociaux qui poursuivent la victime jusque chez elle. Nos méthodes de sanction doivent donc s’adapter.

La loi a permis une avancée en considérant les réseaux comme des éléments constitutifs de cette nouvelle infraction. Nous devons aller plus loin : il est temps d’intensifier et d’axer notre réflexion sur les méthodes de régulation des réseaux sociaux, en veillant à respecter le secret des correspondances, la liberté d’expression et la sécurité de nos enfants.

Il faut également que les victimes ne subissent pas le préjudice du déplacement scolaire, alors que les harceleurs bénéficient du maintien dans le même établissement. À cet égard, monsieur le ministre, il semblerait que vous nous ayez rassurés ce matin.

Les pouvoirs publics n’ont cessé depuis 2010 de se mobiliser pour lutter contre le harcèlement scolaire. Pour autant, ils ne doivent pas se désengager. Je regrette que les dernières études disponibles datent de 2021 en ce qu’elles ne nous permettent pas d’évaluer les premiers résultats de la loi promulguée l’an dernier. Je regrette également que le Gouvernement, contrairement à ce qui avait été annoncé, n’ait pas remis dans le délai d’un an « un rapport relatif à la couverture des frais de consultation et de soins engagés par les victimes et par les auteurs de faits ». En gardant un œil sur les résultats, poursuivons le travail engagé, notamment dans le secteur du digital.

Photo de Sylvie Robert

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, comme le rapport d'information sénatorial sur le harcèlement et le cyberharcèlement de 2021 l'avait démontré, ce phénomène violent n'a été appréhendé et reconnu que tardivement en France, alors même que des travaux de chercheurs avaient commencé dès les années 1970.

Pour autant, avec le développement du numérique et l'explosion de l'usage des réseaux sociaux, les formes du harcèlement ont évolué. Alors cantonné à l'enceinte de l'école, le harcèlement scolaire se prolonge désormais sur les plateformes numériques, l'amplifiant dramatiquement, le rendant plus sauvage et potentiellement dangereux.

D'ailleurs, dès 2009, Michel Walrave dans son ouvrage Cyberharcèlement : risque du virtuel, impact dans le réel soulignait le rôle joué par l'anonymisation. Selon lui, le cyberharcèlement, par ses caractéristiques et son objet, peut avoir des effets particulièrement dangereux et durables.

Ainsi, la loi du 2 mars 2022 visant à combattre le harcèlement scolaire a été une première étape. Elle a notamment assigné aux fournisseurs d'accès à internet la lutte contre le harcèlement scolaire comme objectif et a établi une obligation de modération des contenus de même nature sur les réseaux sociaux.

Néanmoins, il apparaît souhaitable et pertinent d'aller plus loin dans cette régulation par les plateformes, même si ces dernières ne sont pas responsables des faits de harcèlement, mais constituent plutôt des vecteurs par lesquels celui-ci se matérialise.

Sur ce point, le rapport susmentionné comporte une série de préconisations, tout en rappelant la difficulté du cadre juridique national et européen.

Parmi les propositions figurait en particulier l'obligation faite aux réseaux sociaux de présenter de manière explicite, et compréhensible par de jeunes utilisateurs, des extraits des principales conditions d'utilisation, singulièrement celles relatives au cyberharcèlement. Figurait également l'obligation pour les réseaux sociaux de présenter périodiquement à leurs utilisateurs une courte vidéo de sensibilisation sur les bons usages du numérique, sur la prévention du cyberharcèlement et sur les moyens dont disposent les victimes pour réagir.

Sur cette seconde recommandation, un consensus semble émerger à la suite de l'adoption du Digital Service Act au niveau européen, lequel renforce la responsabilité des plateformes. D'ailleurs, ma collègue Sabine Van Heghe a déposé une proposition de loi en ce sens. Celle-ci étofferait utilement notre arsenal législatif et complèterait habilement la proposition de loi visant à instaurer une majorité numérique et à lutter contre la haine en ligne, qui sera prochainement débattue dans notre hémicycle.

Monsieur le ministre, vous qui êtes sensible à la gravité de cette problématique et engagé contre le cyberharcèlement, y seriez-vous favorable ?

Pap Ndiaye

Monsieur le sénateur Fialaire, vous avez raison de préciser que les mobilisations annuelles comptent, que ce soit au travers du Safer Internet Day, le 6 février, ou du prix Non au harcèlement, au mois de novembre. Le retentissement est réel dans les établissements scolaires, comme j’ai pu le mesurer moi-même.

Vous avez également raison au sujet des réseaux sociaux : nous devons les responsabiliser. La plateforme 3018 peut demander aux principaux acteurs de bloquer des comptes relayant des propos injurieux ou des photographies qui n’ont pas à circuler. Néanmoins, nous attendons de ces réseaux qu’ils soient plus proactifs et mobilisés.

En ce qui concerne les élèves harceleurs, j’ai annoncé une modification réglementaire du code de l’éducation afin de transférer les harceleurs plutôt que les harcelés : la situation actuelle est anormale.

Nous insistons aussi sur le fait que cette décision, qui peut être prise en dépit de l’avis des représentants légaux, est une solution de dernier recours. En réalité, il s’agit moins d’une sanction que d’une mise en sécurité des élèves harcelés dans une situation où, à l’évidence, les procédures de conciliation ne fonctionnent plus.

Pap Ndiaye, ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse

Madame la sénatrice Robert, je vous remercie de vos propos, qui témoignent de la mobilisation du Sénat tout entier sur cette question. Je partage votre engagement.

À propos du cyberharcèlement, j'ai mentionné le 3018. J'ai également rappelé quelle était la responsabilité des plateformes. Je suis ouvert à toutes les propositions pour avancer sur cette question. Il est évident que l'État a une responsabilité en la matière. Je suis disposé à engager avec vous un travail commun pour progresser et réduire le fléau du cyberharcèlement.

Photo de Nathalie Delattre

La parole est à M. Bernard Fialaire, pour la réplique.

Photo de Nathalie Delattre

La parole est à Mme Sylvie Robert, pour la réplique.

Photo de Bernard Fialaire

Monsieur le ministre, vous attendez des réseaux sociaux qu’ils se régulent. Personnellement, je pense qu’il ne faut pas attendre passivement de leur part toutes les solutions face aux risques de harcèlement. Au contraire, il nous faut être un peu plus proactifs. On attend justement de l’État d’assurer cette sécurité.

Photo de Sylvie Robert

Je vous remercie de votre réponse, monsieur le ministre.

Nous aurons beaucoup à faire à l'avenir en matière de lutte contre le cyberharcèlement, singulièrement dans le domaine du numérique. Il y va de notre responsabilité collective d'avancer ensemble sur cette question.

Photo de Nathalie Delattre

Mme la présidente. La parole est à Mme Marie Mercier.

Photo de Sabine Drexler

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la médiatisation récente de plusieurs suicides d'enfants a révélé à ceux qui l'ignoraient encore ce qu'était le harcèlement scolaire et ses effets à court terme.

Ce que l'on sait moins, c'est que la santé, le travail ou la parentalité de ceux qui auront subi, fait subir ou été témoins de ces violences en seront affectés pour toujours.

Anxiété sociale pour les victimes, abus de pouvoir au travail ou en famille pour les agresseurs, sentiment d'impuissance pour les témoins : le harcèlement scolaire explique de nombreux maux à l'âge adulte. Dépressions, violences intrafamiliales, chômage, ses conséquences sanitaires, humaines et financières sont énormes pour la société.

L'éducation nationale a pris conscience de la nécessité d'agir, mais il semble à l'enseignante spécialisée que j'ai été que la mise en place de programmes tels que pHARe ne peut être efficace qu'à la condition que des personnels et des professionnels dédiés soient présents en appui des enseignants et auprès des élèves, pour bien connaître et suivre les situations individuelles.

Sans moyens humains, ces dispositifs resteront des coquilles vides, des méthodologies pour la plupart théoriques, souvent impossibles à mettre en œuvre, faute d'équipes spécialisées pour les accompagner.

Monsieur le ministre, si les écoles en zones prioritaires bénéficient de moyens encore considérables, les postes spécialisés sont supprimés l'un après l'autre dans la ruralité. On ne trouve quasiment plus nulle part de médecine scolaire, de psychologues, d'enseignants spécialisés.

Ceux qui restent sont submergés et peu reconnus pour ce qu'ils font. Ils sont également dans l'impossibilité de remplir leurs missions et de répondre à la masse des demandes d'aide. Il s'agit là d'un mauvais calcul, car ces économies à court terme ont déjà des conséquences humaines et sociales désastreuses. Je le constate chez moi, en pleine campagne, où les enseignants sont livrés à eux-mêmes et où les violences intrafamiliales explosent.

Monsieur le ministre, vaut-il mieux prévenir ou guérir ? Vaut-il mieux créer des postes d'enseignants spécialisés ou des postes d'intervenants sociaux en gendarmerie ?

On nous dit que la France compte suffisamment d'enseignants. Peut-être, mais il ne faut pas négliger la ruralité. Ce sont des territoires que l'on croit préservés ; or ils ne le sont en réalité plus du tout. Chez moi, dans le sud de l'Alsace, il ne reste que trois personnels spécialisés pour 108 communes. Les enseignants, les élus et les familles se sentent abandonnés. Je crains qu'ils n'aient raison…

Photo de Marie Mercier

Que se passe-t-il donc dans nos cours d’école quand les élèves ne jouent pas à leurs activités préférées ? Si l’on parle d’enfer des récréations, c’est qu’on trouve parfois dans ce petit monde secret et clos du racket, des conflits, de l’intimidation et aussi du harcèlement.

Le harcèlement à l’école touche 1 million d’élèves, soit 1 million de familles. Pour combien de larmes ? Si la victime vit un calvaire, son agresseur est aussi en souffrance. Tout le monde est perdant : enfants, parents, familles, enseignants et chefs d’établissement.

Le harcèlement est toujours une affaire complexe. Cette violence répétitive est fondée sur des rapports de domination et de discrimination d’âge, de sexe et de religion qui entraînent une dégradation des conditions de vie de la victime, qui se sent de plus en plus isolée, détruite et abandonnée. Les répercussions sont graves, tant elles portent atteinte à l’intégrité de ces enfants. Elles peuvent parfois conduire au pire. Il est urgent que les drames subis par les harcelés soient rapidement et sérieusement pris en considération sous tous leurs aspects.

En la matière, la prise en charge préventive est bien entendu la meilleure des choses : le harcèlement ne doit pas commencer ; à défaut, il doit être repéré et géré au plus tôt. Tel est l’objectif du programme pHARe.

Quand il est trop tard, que le harcèlement est installé, le monde adulte doit prendre toutes ses responsabilités pleines et entières : la victime doit être protégée et avoir foi en notre justice. De son côté, le harceleur doit réaliser que ses actes sont répréhensibles et être lui-même accompagné dans sa souffrance. Sinon, quels citoyens seront-ils demain ?

J’ai déposé le 21 février dernier une proposition de loi visant, dans le cadre d’un harcèlement scolaire, à poser le principe d’une mesure d’éloignement du harceleur pour protéger la victime. Son objet est d’affirmer un principe simple : ce n’est pas à la victime de fuir et de quitter son établissement et son environnement pour échapper à son harceleur, ce n’est pas non plus à sa famille de s’adapter à ce changement, mais au petit harceleur. Les maires m’indiquent signer les dérogations avec la boule au ventre quand de gentils gamins sont obligés de partir. J’ai voulu donner aux établissements scolaires une référence sur laquelle s’appuyer pour agir. Je remercie les 215 sénateurs qui ont bien voulu cosigner mon texte et ceux qui le partagent puisqu’ils l’ont repris.

Il existe bien sûr une procédure disciplinaire applicable aux élèves et qui relève du pouvoir réglementaire des établissements au travers de leur règlement intérieur. Actuellement, rien n’empêche un conseil de discipline d’exclure un élève auteur de faits de harcèlement. Force est de constater que, la plupart du temps, ce n’est pas le cas. Ma proposition vise donc à affirmer une position de principe : guider et soutenir les établissements dans leur prise de décision, dans la mesure où de trop nombreux témoignages montrent que les jeunes victimes subissent cette double peine.

Monsieur le ministre, je me réjouis que vous vous soyez emparé de cette idée. Pourquoi ne pas l’avoir fait plus tôt ? Pour lutter efficacement contre le harcèlement scolaire, il demeure nécessaire d’agir en amont en le reconnaissant, en le nommant et en évaluant l’efficacité des dispositifs mis en place. Aucun élève ne devrait avoir à quitter une école. Protéger les enfants est notre devoir, comme celui de leur transmettre des connaissances dans un milieu apaisé, qui leur laisse leur insouciance et leurs rêves.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie Mercier

Que se passe-t-il donc dans nos cours d’école quand les élèves ne jouent pas à leurs activités préférées ? Si l’on parle d’enfer des récréations, c’est qu’on trouve parfois dans ce petit monde secret et clos du racket, des conflits, de l’intimidation et aussi du harcèlement.

Le harcèlement à l’école touche 1 million d’élèves, soit 1 million de familles. Pour combien de larmes ? Si la victime vit un calvaire, son agresseur est aussi en souffrance. Tout le monde est perdant : enfants, parents, familles, enseignants et chefs d’établissement.

Le harcèlement est toujours une affaire complexe. Cette violence répétitive est fondée sur des rapports de domination et de discrimination d’âge, de sexe et de religion qui entraînent une dégradation des conditions de vie de la victime, qui se sent de plus en plus isolée, détruite et abandonnée. Les répercussions sont graves, tant elles portent atteinte à l’intégrité de ces enfants. Elles peuvent parfois conduire au pire. Il est urgent que les drames subis par les harcelés soient rapidement et sérieusement pris en considération sous tous leurs aspects.

En la matière, la prise en charge préventive est bien entendu la meilleure des choses : le harcèlement ne doit pas commencer ; à défaut, il doit être repéré et géré au plus tôt. Tel est l’objectif du programme pHARe.

Quand il est trop tard, que le harcèlement est installé, le monde adulte doit prendre toutes ses responsabilités pleines et entières : la victime doit être protégée et avoir foi en notre justice. De son côté, le harceleur doit comprendre que ses actes sont répréhensibles et être lui-même accompagné dans sa souffrance. Sinon, quels citoyens seront-ils demain ?

J’ai déposé le 21 février dernier une proposition de loi visant, dans le cadre d’un harcèlement scolaire, à poser le principe d’une mesure d’éloignement du harceleur pour protéger la victime. Son objet est d’affirmer un principe simple : ce n’est pas à la victime de fuir et de quitter son établissement et son environnement pour échapper à son harceleur, ce n’est pas non plus à sa famille de s’adapter à ce changement, mais au petit harceleur. Les maires m’indiquent signer les dérogations avec la boule au ventre quand de gentils gamins sont obligés de partir. J’ai voulu donner aux établissements scolaires une référence sur laquelle s’appuyer pour agir. Je remercie les 215 sénateurs qui ont bien voulu cosigner mon texte et ceux qui le partagent puisqu’ils l’ont repris.

Il existe bien sûr une procédure disciplinaire applicable aux élèves et qui relève du pouvoir réglementaire des établissements au travers de leur règlement intérieur. Actuellement, rien n’empêche un conseil de discipline d’exclure un élève auteur de faits de harcèlement. Force est de constater que, la plupart du temps, ce n’est pas le cas. Ma proposition vise donc à affirmer une position de principe : guider et soutenir les établissements dans leur prise de décision, dans la mesure où de trop nombreux témoignages montrent que les jeunes victimes subissent cette double peine.

Monsieur le ministre, je me réjouis que vous vous soyez emparé de cette idée. Pourquoi ne pas l’avoir fait plus tôt ? Pour lutter efficacement contre le harcèlement scolaire, il demeure nécessaire d’agir en amont en le reconnaissant, en le nommant et en évaluant l’efficacité des dispositifs mis en place. Aucun élève ne devrait avoir à quitter une école. Protéger les enfants est notre devoir, comme celui de leur transmettre des connaissances dans un milieu apaisé, qui leur laisse leur insouciance et leurs rêves.

Pap Ndiaye, ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse

Madame la sénatrice Drexler, aucun territoire n'est abandonné, je puis vous l'assurer !

J'ai eu l'occasion de l'évoquer devant vos collègues, le Gouvernement a lancé un plan Ruralité avec un engagement pluriannuel à partir de cet automne pour donner de la visibilité en matière de postes sur trois ans dans les écoles. Nous allons donc offrir de la visibilité aux maires pour éviter d'une année sur l'autre des changements brutaux de la carte scolaire.

Par ailleurs, en matière de moyens humains, les territoires ruraux sont relativement favorisés par rapport aux territoires urbains : du fait des questions d'éloignement, la densité dans les écoles est moindre. Le taux d'encadrement y est ainsi meilleur, même si cela ne répond pas entièrement à votre question sur le harcèlement.

Nous avons engagé des moyens, par exemple, en matière de formation. Or celle-ci, au niveau national comme au niveau académique ou départemental, a un coût. Nous sommes déterminés à proroger ces moyens, afin de réduire de manière absolument déterminante les situations de harcèlement.

Encore une fois, les territoires ruraux ne sont pas oubliés. Nous nous sommes engagés sur un chemin et nous nous y tenons.

Photo de Nathalie Delattre

La parole est à Mme Sabine Drexler, pour la réplique.

Pap Ndiaye

Madame la sénatrice Mercier, je vous remercie très vivement pour votre mobilisation sur cette question et pour votre proposition de loi, que 215 de vos collègues, issus de différents groupes politiques, ont signée.

En matière d’enseignement primaire, comme vous le savez, il n’y a pas de procédure disciplinaire, d’où l’impasse que nous avons connue récemment dans le cas du jeune Maël : le transfert ou le déplacement de l’élève harceleur a été soumis à l’accord des représentants légaux. Avec ma proposition de modification du code de l’éducation, il sera possible de passer outre l’avis des parents, avec l’accord du maire concerné.

Cette avancée me semble tout à fait importante. On inverse en quelque sorte la situation, puisque c’est le harceleur qui part et non le harcelé. Il faut admettre que ce n’est que justice. Quand il sera trop tard, comme vous l’avez souligné, pour empêcher le harcèlement, on pourra encore agir et déplacer l’élève harceleur. C’est une solution de dernier recours, mais qu’il faut prévoir, dans le premier comme dans le second degré.

Photo de Sabine Drexler

Monsieur le ministre, dans certains secteurs en France, il n'y a même plus de psychologues scolaires pour évaluer les élèves pour lesquels on pressent une situation de handicap. Il n'y a plus d'enseignants spécialisés pour rattraper des enfants qui seraient pourtant rattrapables.

Quel gâchis et quels coûts à venir pour accompagner dans quelques années ces futurs adultes, qui seront dans l'incapacité de s'insérer dans la société. Ces coûts seront autrement plus élevés que les quelques postes économisés aujourd'hui ! §

Photo de Nathalie Delattre

La parole est à Mme Marie Mercier, pour la réplique.

Photo de Marie Mercier

Monsieur le ministre, votre proposition reprend en tout point ce que je suggérais d’inscrire dans le code de l’éducation.

Par ailleurs, je voudrais vous prévenir : il m’a été assuré au cours de mes nombreuses auditions, à l’intérieur même de l’éducation nationale, que si les choses devenaient trop compliquées le terme « harcèlement » ne serait plus utilisé et serait remplacé par un autre. Ce ne serait pas digne de l’éducation nationale !

Photo de Toine Bourrat

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le harcèlement scolaire blesse, broie, brise et vole ce que la vie offre de plus précieux : l'enfance, ce terreau fertile où poussent les goûts, l'apprentissage et les prémices de la conscience morale, civique et donc sociale.

Dans ce pays où l'on prétend combattre l'endémie d'un mal par un numéro vert, il est temps de mettre un coup d'arrêt à une spirale que le développement des technologies rend bien souvent infernale.

Pour y parvenir, monsieur le ministre, c'est une culture de la vigilance qu'il nous faut instituer, une culture qui se pense et se déploie au plus près du terrain, c'est-à-dire des victimes potentielles ou avérées. Il s'agit de détecter rapidement, d'agir en local pour laisser les enfants le moins longtemps possible en situation de harcèlement. Les premiers témoins sont les enfants eux-mêmes, ils sont spectateurs ; libérons leur parole. Expliquons que l'idée est non pas de dénoncer un harceleur, mais de signaler un élève harcelé : c'est une assistance à personne en danger.

À cet égard, les applications intracollèges et lycées de type Pronote pourraient être utilisées comme plateformes internes d'alerte permettant aux témoins de signaler un élève en difficulté tout en préservant leur anonymat.

Premier rempart dans l'accompagnement psychosocial, nous devons également redresser une médecine scolaire en grand danger. Oui, j'y insiste, la médecine scolaire est abandonnée. Nous comptons seulement un médecin pour 12 000 élèves. C'est une situation que Dominique Bussereau qualifiait d'indigence devant le Sénat lors de sa dernière audition.

Plus encore, il convient de traiter ce fléau dans son intégralité. Le programme pHARe, dont vous avez annoncé le déploiement au lycée, n'est qu'une réponse partielle à un problème global. Ce qu'il nous faut, comme en Finlande depuis plusieurs générations, c'est un bouleversement culturel, l'avènement d'une société de grands témoins ; non de la suspicion, mais de l'attention portée aux autres où chacun est le maillon d'une chaîne de valeur trop souvent ignorée chez nous : le respect de l'autre, l'interaction sociale et la compréhension des émotions d'autrui.

Plus qu'un programme, la Finlande a développé cette culture de la vigilance que le temps long et surtout les moyens humains, comme financiers, font infuser au quotidien avec des résultats surprenants, marqués par la baisse de plus de 40 % du phénomène.

Enfin, comment peut-on penser lutter contre le harcèlement scolaire en faisant l'économie de son volet cyber ? Nous avons le devoir d'éviter la dissémination des comptes, la multiplication des identités factices et des comptes fantômes, qui prospèrent grâce à l'anonymat et au pseudonymat. Qu'attendons-nous pour corréler l'identité numérique à l'identité réelle des utilisateurs de réseaux sociaux ? Techniquement, c'est déjà possible.

Monsieur le ministre, les militaires, qui savent mieux que personne traiter l'urgence, ont une formule que je fais mienne : être à l'heure, c'est déjà être en retard. Du retard, nous en avons à rattraper. La France le peut, comme la Finlande l'a fait. §

Pap Ndiaye, ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse

Madame la sénatrice, je partage évidemment vos préoccupations sur les questions de cyberharcèlement.

En Finlande, le programme KiVa a certes donné de bons résultats, mais cela a pris dix ans. Le programme que nous avons déployé en France est bien entendu beaucoup plus récent. Nous espérons obtenir des résultats plus rapidement. Les regards internationaux portés sur nos efforts saluent la qualité de notre action.

Le fait est que nous rencontrons pour l'instant un problème de déploiement, puisque nous ne sommes pas à 100 % de nos possibilités, loin de là. Quoi qu'il en soit, nous espérons mettre moins de dix ans pour parvenir à des résultats comparables à ceux de la Finlande. L'expérience internationale est évidemment très utile pour ce qui concerne notre action en direction des écoles, des collèges et des lycées.

Photo de Yan Chantrel

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous avons tous et toutes été profondément touchés par le suicide du jeune Lucas, qui subissait quotidiennement harcèlement et moqueries sur son orientation sexuelle. Depuis ce drame, quelles mesures avez-vous prises pour mettre fin aux brimades quotidiennes subies par une partie de nos enfants ?

Votre volonté d’éradiquer le fléau du harcèlement scolaire se vérifiera par vos actions sur deux leviers essentiels : renforcement des moyens humains à l’école et changement de la culture scolaire qui prévaut dans notre pays.

Chacun le sait, la meilleure façon de lutter contre le harcèlement scolaire est de renforcer les effectifs d’encadrement des élèves. Toutes les recherches démontrent que plus on réduit le nombre d’élèves dans les établissements et dans les classes, plus le harcèlement diminue.

Or la France a les classes les plus chargées de l’Union européenne. Au collège, l’effectif moyen approche vingt-six élèves, soit très au-dessus de la moyenne européenne située sous la barre des vingt et un. Plus d’une classe sur dix dépasse désormais les trente élèves, soit deux fois plus qu’il y a dix ans.

Depuis son arrivée au pouvoir, Emmanuel Macron n’a fait qu’aggraver cette situation dramatique. Depuis 2018, le second degré a perdu 9 322 enseignants ; la saignée continue, puisque votre ministère annonce de nouvelles suppressions de postes pour la rentrée 2023.

À ce terrible bilan s’ajoute l’abandon de la médecine scolaire, évoqué par mes collègues. La France compte à l’heure actuelle un psychologue de l’éducation nationale pour 1 500 élèves et un médecin scolaire pour 16 686 élèves, très loin de la préconisation de votre ministère d’un médecin pour 5 000 enfants. Comment prétendre lutter contre le harcèlement scolaire quand on réduit à ce point les moyens de l’école ?

Par ailleurs, la manière dont on conçoit et organise l’école peut favoriser le harcèlement ou permettre de s’y opposer. On a trop tendance à prendre le problème sous l’angle de la discipline avec une approche purement punitive et à déléguer la lutte contre le harcèlement aux conseillers principaux d’éducation (CPE) plutôt que de développer une approche collective.

C’est en amont, dans notre culture et organisation scolaires, qu’il faut aller chercher les ressources pour lutter contre le harcèlement. Face à une école de la concurrence entre individus, une école du classement et de la distinction, qui crée des rivalités, défendons, contre la pression des notes et le stress des examens, un modèle qui promeut des valeurs de solidarité, de coopération, de bienveillance, de tolérance et d’inclusion.

Défendons aussi un modèle où la santé mentale n’est plus un tabou, un modèle scolaire qui place la mixité en son cœur pour développer une approche positive de l’autre, où l’altérité et la différence ne constituent pas un danger, mais une chance.

Pour aller dans ce sens, vous nous aviez justement promis, dans cet hémicycle même, monsieur le ministre, des annonces sur la mixité scolaire pour le 20 mars dernier. Nous les attendons toujours : où en est-on ?

Photo de Nathalie Delattre

La parole est à Mme Toine Bourrat, pour la réplique.

Photo de Toine Bourrat

Monsieur le ministre, les résultats du programme finlandais sont bien meilleurs au bout de dix ans que le taux de 40 % que j'ai cité, lequel a été atteint au bout de deux ans, voire de trois ans.

Pap Ndiaye

Monsieur le sénateur Chantrel, depuis la mort du jeune Lucas, nous avons intensifié les programmes de lutte contre la haine anti-LGBT. Comme j’ai eu l’occasion de le souligner, nous préparons activement la journée du 17 mai et nous avons généralisé les observatoires académiques des LGBTphobies, qui sont de bons points d’appui pour sensibiliser aux haines anti-LGBT dont les effets sont catastrophiques dans nos écoles.

Je suis obligé de mettre un bémol à votre propos sur le personnel : il n’y a pas de lien évident entre les situations de harcèlement et les effectifs. Dans le cas du jeune Maël, la classe qui est la sienne n’a que dix élèves. Il ne s’agit donc pas d’une situation de surcharge.

En ce qui concerne la médecine scolaire, je partage bien entendu votre constat. Néanmoins, comme j’ai eu l’occasion de le préciser, les postes ne sont pas tous pourvus. J’ai en mémoire la situation du département des Vosges : sur dix postes de médecin scolaire, huit sont vacants. En ouvrir cinq ou six ne changerait donc rien à la situation.

Le problème de fond est que les étudiants en médecine ne choisissent pas la médecine scolaire, non plus d’ailleurs que la médecine du travail. L’enjeu est celui d’une réflexion de fond sur l’organisation de cette médecine et sur ses liens avec la médecine de ville.

Je souscris à l’approche collective que vous soulignez : il faut former non pas la seule vie scolaire, mais aussi tous les adultes, y compris les professeurs, qui interviennent auprès des élèves, afin de faire fonctionner le dispositif pHARe.

Pap Ndiaye, ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse

Sans avoir fait aujourd'hui le tour de cette question – comment aurions-nous pu y parvenir –, nous avons néanmoins abordé un certain nombre de sujets importants. Permettez-moi d'en récapituler quelques-uns.

La question de la formation a été évoquée à plusieurs reprises. Nous avons concentré nos efforts sur les équipes au sein des écoles et des collèges. Notre objectif est effectivement de former tous les personnels, comme le prévoit la loi du 2 mars 2022. La formation systématique des professeurs stagiaires a commencé. Nous mobiliserons encore davantage les instituts nationaux supérieurs du professorat et de l'éducation (Inspé) ainsi que les écoles académiques de formation continue.

Nous devons aussi suivre qualitativement et quantitativement les actions menées. J'ai indiqué que nous avons encore des marges de progression puisque 86 % des collèges et 60 % des écoles sont actuellement inscrits dans le programme. L'objectif est évidemment d'atteindre les 100 % et d'entendre le programme aux lycées dès la rentrée prochaine.

Comme le recommandent les sénatrices Mélot et Van Heghe dans leur rapport d'information de septembre 2001, nous allons systématiquement afficher à chaque rentrée scolaire les numéros d'urgence – le 3018 et le 3020 – en les faisant figurer dans les carnets de correspondance et les supports numériques.

Enfin, à propos de la situation de l'élève harceleur, si le rôle de l'éducation nationale est de prévenir, d'accompagner et de protéger les élèves, certaines situations – il faut le reconnaître – ne peuvent se régler qu'en séparant les élèves harcelés de leur harceleur. Souvent pour mettre fin rapidement aux souffrances causées par le harcèlement, les parents de l'élève harcelé font le choix de le changer d'établissement. Nous comprenons le sentiment d'injustice qui peut naître de cette situation.

Puisqu'il n'est pas possible dans le premier degré, contrairement au second degré qui dispose d'un conseil de discipline, de déplacer un élève dans une autre école sans l'accord des parents, nous mettons en place des actions éducatives en fonction de la gravité de la situation, y compris dans les cas extrêmes lorsqu'un élève fait peser du fait de son comportement répété une menace grave sur la sécurité des autres élèves. Nous allons faire évoluer les textes réglementaires pour instaurer une procédure permettant de déplacer dans une autre école un élève auteur de harcèlement, et ce sans l'accord des représentants légaux. C'est l'obligation de mise en sécurité de l'élève qui justifie cette exception.

Bien entendu, nous avons affaire à des élèves de six à dix ans. Nous devons donc être prudents, car nombre de cas de harcèlement ne sont pas aussi simples qu'il y paraît. Pour autant, le déplacement de l'élève harceleur est essentiel, même si toute procédure d'exclusion doit être entourée des garanties indispensables aux droits de l'enfant, qu'il soit l'élève harcelé ou l'élève harceleur.

Je terminerai mon propos en ayant une pensée émue pour tous les élèves victimes de harcèlement scolaire. Notre débat leur rend hommage. Je sais que nous sommes tous ici pleinement engagés pour trouver des solutions afin de prévenir ce phénomène. Les drames qui se sont produits encore récemment viennent nous rappeler douloureusement qu'il nous reste encore beaucoup à faire.

l a président e

En conclusion du débat, la parole est à M. le ministre.

Photo de Nathalie Delattre

Mme la présidente. La parole est à Mme Béatrice Gosselin.

Debut de section - Permalien
Pap Ndiaye, ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse

Sans avoir fait aujourd'hui le tour de cette question, et comment aurions-nous pu y parvenir, nous avons néanmoins abordé un certain nombre de sujets importants. Permettez-moi d'en récapituler quelques-uns.

La question de la formation a été évoquée à plusieurs reprises. Nous avons concentré nos efforts sur les équipes au sein des écoles et des collèges. Notre objectif est effectivement de former tous les personnels, comme le prévoit la loi du 2 mars 2022. La formation systématique des professeurs stagiaires a commencé. Nous mobiliserons encore davantage les instituts nationaux supérieurs du professorat et de l'éducation ainsi que les écoles académiques de formation continue.

Nous devons aussi suivre qualitativement et quantitativement les actions menées. J'ai indiqué que nous avions encore des marges de progression, puisque 86 % des collèges et 60 % des écoles sont actuellement inscrits dans le programme. L'objectif est évidemment d'atteindre les 100 % et d'étendre pHARe aux lycées dès la rentrée prochaine.

Comme le recommandent les sénatrices Mélot et Van Heghe dans leur rapport d'information de septembre 2021, nous allons faire figurer à chaque rentrée scolaire les numéros d'urgence, 3018 et 3020, dans les carnets de correspondance et les supports numériques.

Enfin, si le rôle de l'éducation nationale est de prévenir, d'accompagner et de protéger les élèves, certaines situations – il faut le reconnaître – ne peuvent se régler qu'en séparant les élèves harcelés de leur harceleur. Souvent pour mettre fin rapidement aux souffrances causées par le harcèlement, les parents de l'élève harcelé font le choix de le changer d'établissement. Nous comprenons le sentiment d'injustice qui peut naître de cette situation.

Puisqu'il n'est pas possible de déplacer un élève dans une autre école sans l'accord des parents dans le premier degré, contrairement au second degré qui dispose d'un conseil de discipline, nous mettons en place des actions éducatives en fonction de la gravité de la situation, y compris dans le cas extrême d'un élève qui fait peser du fait de son comportement répété une menace grave sur la sécurité des autres élèves.

Nous allons faire évoluer les textes réglementaires pour instaurer une procédure permettant de déplacer dans une autre école un élève auteur de harcèlement, et ce sans l'accord des représentants légaux. C'est l'obligation de mise en sécurité de l'élève qui justifie cette exception.

Bien entendu, nous avons affaire à des élèves de six à dix ans. Nous devons donc être prudents, car nombre de cas de harcèlement ne sont pas aussi simples qu'il y paraît. Pour autant, le déplacement de l'élève harceleur est essentiel, même si toute procédure d'exclusion doit être entourée des garanties indispensables aux droits de l'enfant, qu'il soit l'élève harcelé ou l'élève harceleur.

Je terminerai mon propos en ayant une pensée émue pour tous les élèves victimes de harcèlement scolaire. Notre débat leur rend hommage. Je sais que nous sommes tous ici pleinement engagés pour trouver des solutions afin de prévenir ce phénomène. Les drames qui se sont produits encore récemment viennent nous rappeler douloureusement qu'il nous reste encore beaucoup à faire.

Photo de Max Brisson

Je vous remercie, monsieur le ministre, de vos propos conclusifs. Je salue d'ailleurs toutes les précisions que vous avez apportées et les annonces que vous avez faites au cours du débat. Elles ont été de nature à nourrir nos échanges.

Le groupe Les Républicains a eu raison de demander l'inscription de ce débat à l'ordre du jour du Sénat. Il a entraîné un consensus bien compréhensible, ce qui ne sera peut-être pas tout à fait le cas pour la proposition de loi que nous allons examiner dans quelques instants.

Photo de Béatrice Gosselin

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, en France, comme cela a été évoqué, près d’un enfant sur dix serait victime de harcèlement dans son établissement scolaire. Ces dernières années, le harcèlement en ligne est venu amplifier le phénomène. En 2021, ce sont vingt enfants et adolescents qui ont perdu la vie à cause de ce fléau.

On considère qu’il y a harcèlement scolaire quand un jeune est victime d’une agression répétée, délibérée et souvent effectuée en meute. C’est également un rapport de force et de domination entre un ou plusieurs élèves et une ou plusieurs victimes. Le caractère répétitif des agressions crée souvent un sentiment d’isolement et d’abandon des harcelés, qui deviennent incapables de trouver des réponses pour s’en sortir.

Le harcèlement pénalise durablement le parcours scolaire de la jeune victime et peut entraîner des conséquences psychologiques très lourdes, du décrochage scolaire à des conduites autodestructrices, voire suicidaires, allant jusqu’au drame.

Dans un monde où internet accapare nos vies et plus encore celles de nos adolescents, le harcèlement en ligne, ou cyberharcèlement, sur les réseaux sociaux, dans des forums, dans des jeux vidéo multiformes ou sur un blog est devenu le véritable danger.

C’est ce type de harcèlement qui est le plus destructeur pour les victimes : via les réseaux sociaux, les agressions ou brimades peuvent frapper leur victime à tout moment de la journée et de la nuit, quel que soit l’endroit où elle se trouve. De plus, le harceleur peut se servir d’un pseudonyme et ne pas dévoiler son identité.

Dès lors, quelles mesures envisager pour lutter efficacement contre le cyberharcèlement et ainsi casser cette spirale de violence ?

Le comité d’éducation à la santé, à la citoyenneté et à l’environnement (CESCE) a commencé à sensibiliser les chefs d’établissement à ces problèmes de harcèlement. Toutefois, il montre ses limites : beaucoup de dispositifs sont listés, mais les moyens humains et financiers manquent pour les appliquer.

Depuis la rentrée 2022, vous avez arrêté, monsieur le ministre, un plan de prévention du harcèlement entre élèves avec le programme pHARe, devenu obligatoire dans les établissements. Celui-ci combine plusieurs actions et dispositifs incluant un large éventail d’outils variés et concrets se basant sur huit piliers, dont « prévenir les problèmes de harcèlement », « former une communauté protectrice de professionnels » et « intervenir efficacement sur les situations de harcèlement ». Pour la réussite de ce dispositif, il faut impliquer élèves et personnel, « associer les parents et les partenaires » associatifs, « mettre à disposition une plateforme [numérique] dédiée » et créer une équipe de cinq agents formés ainsi qu’une équipe « d’élèves ambassadeurs ». Au niveau académique, deux « superviseurs » sont des « personnels ressources » pour les établissements.

À l’échelle nationale, deux lignes téléphoniques que vous mentionniez, le 3020 et le 3018, proposent un soutien aux victimes de harcèlement.

Les responsables des établissements scolaires doivent donc être vigilants à détecter tout harcèlement, mais il est également indispensable que les harceleurs prennent conscience de leurs actes et des conséquences judiciaires et financières qu’ils encourent, eux ou leurs parents en cas de minorité.

Cette année, notre collègue Marie Mercier a déposé une proposition de loi visant, dans le cadre d’un harcèlement scolaire, à poser le principe d’une mesure d’éloignement du harceleur pour protéger la victime : c’est une très bonne chose. J’évoquerai plusieurs pistes de réflexion et d’action qui pourraient être mises en place.

D’abord, le programme pHARe doit être renforcé grâce à la formation continue des cinq agents par établissement pour le secondaire ou par circonscription pour le primaire.

Ensuite, les plateformes doivent être obligées de contrôler et de supprimer les contenus délictueux, qu’ils soient d’ordre sexuel ou de harcèlement.

De plus, l’exclusion du harceleur de l’établissement doit être automatique lorsque la situation de harcèlement est avérée.

En outre, il faut développer la médecine scolaire en formant des professionnels à détecter le mal-être d’une victime de harcèlement, même si je sais qu’il est difficile de trouver des médecins pour exercer dans la prévention scolaire.

Enfin, la prévention par l’information est également primordiale : dénoncer un comportement délictueux de harcèlement doit être un devoir pour tous.

Photo de Max Brisson

Je remercie Alexandra Borchio Fontimp d'avoir posé avec force les termes du débat et d'avoir largement repris, comme beaucoup d'entre vous, les travaux de la Haute Assemblée, notamment ceux de la mission d'information de nos collègues Sabine Van Heghe et Colette Mélot.

Plusieurs drames sont, hélas ! venus rappeler récemment l'urgence qu'il y avait à intensifier la lutte contre ce fléau. Beaucoup ont parlé de Lucas, qui s'est suicidé après avoir été harcelé dans son collège et sur les réseaux sociaux en raison de son homosexualité. Je voudrais rappeler, pour ma part, ce lycéen qui, après avoir subi un harcèlement dans son ancien collège, a assassiné récemment son enseignante dans son nouveau lycée. S'il est hasardeux de faire la moindre corrélation entre les deux événements, le drame de Saint-Jean-de-Luz est dans toutes les têtes.

Beaucoup ont rappelé qu'au-delà de ces cas extrêmes qui émaillent l'actualité, il existe aussi une réalité ordinaire, quotidienne, vécue par de nombreux enfants. Beaucoup ont justement souligné que les effets du cyberharcèlement, dont les cas se multiplient depuis le confinement, se prolongent dans la sphère privée, y compris le week-end.

Pour autant, comme le soulignaient déjà les travaux de la mission sénatoriale, nous manquons d'enquêtes statistiques précises, récentes et régulières. Par ailleurs, il faudra aussi rapidement évaluer les effets du programme pHARe et du dispositif pénal issu de la loi du 2 mars 2022. Il s'agit d'un préalable essentiel pour un plan d'action plus efficace.

En 2021, notre mission pointait la détection comme un axe majeur. Pour progresser, nous avons fortement mis l'accent sur le besoin de formation des personnels. Le premier niveau de lutte contre le harcèlement passe, en effet, par la compréhension du phénomène et par la communication.

Le principe d'une formation initiale et continue de l'ensemble des acteurs concernés a été inscrit dans la loi du 2 mars 2022, mais semble loin d'être appliqué dans les faits, comme vous venez de le souligner. Deux tiers des enseignants dénoncent encore un manque de formation, ainsi qu'une absence de prise en considération par leur hiérarchie. Vous avez réagi voilà quelques instants sur l'expression « pas de vagues ». Admettez cependant que c'est un sujet qui dérange toujours ; parfois – et malheureusement ! – l'inertie prévaut encore.

Beaucoup ont dit de manière plus ou moins conciliante qu'il était nécessaire d'identifier plus rapidement les cas de harcèlement. Nous butons ici sur le manque criant de médecins scolaires, d'infirmières, de psychologues, pourtant les mieux à même de repérer la détresse de l'enfant et de recueillir sa parole. Nous attendons donc le plan que vous avez annoncé et sa mise en œuvre. Nous aurons des propositions à vous faire sur le sujet.

Après le repérage d'un cas de harcèlement, le traitement de la situation est essentiel. Les retours des associations et des familles montrent que des progrès peuvent encore être réalisés. Les victimes et leurs parents ne se sentent pas suffisamment écoutés et soutenus. Nous manquons de moyens humains et financiers pour généraliser le programme pHARe, qui repose sur des dispositifs qui ne sont pas encore assez explicites pour assurer une vraie prise en charge dans l'établissement scolaire et une meilleure orientation vers les intervenants extérieurs.

Nous avons aussi beaucoup parlé de la proposition de loi de notre collègue Marie Mercier que nous soutenons fortement, comme l'a rappelé Alexandra Borchio Fontimp.

Vous venez de faire des annonces, monsieur le ministre ; elles sont les bienvenues. Nous attendons des mesures précises. L'essentiel est de régler la question.

En conclusion, monsieur le ministre, nous attendons que les recommandations du Sénat et que la proposition de loi de notre collègue Marie Mercier soit réellement prises en compte dans le programme pHARe et qu'elles deviennent effectives sur le terrain. Nous serons donc particulièrement attentifs dans les prochains mois à la mise en œuvre de toutes les annonces que vous avez faites ce matin et que vous avez réitérées cet après-midi. La mobilisation ne doit pas fléchir. Le Sénat vous accompagnera. La sérénité de tous nos élèves à l'école est en jeu !

Pap Ndiaye

Madame la sénatrice Gosselin, je partage votre propos relatif aux différentes déclinaisons de la mobilisation que nous menons. Comme je l’ai indiqué, le processus est en cours : rien n’est complètement réalisé, même si nous progressons.

En matière de cyberharcèlement, grâce au 3018, les plateformes sollicitées réagissent rapidement : nous réussissons à bloquer des photographies ou des propos en quelques heures de manière à protéger les élèves concernés. Lors d’une visite auprès des agents de ce centre d’appels, j’ai pu écouter leurs conversations avec des collégiens ou des familles en panique du fait, par exemple, de la circulation de photos… Parmi les personnes qui répondent, il y a des techniciens, des psychologues… Les élèves sont pris en charge. Je salue le travail réalisé en la matière.

Quelque 60 % des écoles et 86 % des collèges sont engagés dans le programme pHARe. Nous n’avons pas atteint les 100 %, mais le taux progresse. Ce programme sera étendu aux lycées à partir de la rentrée prochaine, mais il faut savoir que les situations de harcèlement y sont moins fréquentes. Même si les cas les plus nombreux relèvent du cycle 3 et du collège, il n’y a aucune raison de ne pas se mobiliser aussi pour le lycée.

En résumé, l’éducation nationale se met en marche et se mobilise. Parfois comparée à une grosse bête de l’ère glaciaire, elle montre qu’elle sait bouger sur des questions aussi importantes.

Photo de Nathalie Delattre

Nous en avons terminé avec le débat sur le thème « Harcèlement scolaire : quel plan d'action pour des résultats concrets ? »

Photo de Nathalie Delattre

La parole est à Mme Béatrice Gosselin, pour la réplique.

Photo de Béatrice Gosselin

Je vous remercie, monsieur le ministre, pour toutes ces informations. Il est vrai que l’éducation nationale bouge ; elle doit bouger encore, parce qu’aucun enfant ne doit souffrir de harcèlement.

Sur l’ensemble des réseaux et des médias, nous devons continuer de diffuser des messages pour expliquer ce qu’est cette violence, car certains jeunes enfants – cela est moins vrai en grandissant – ne savent pas que leurs gestes ou leurs paroles peuvent en relever. L’information doit passer. Les parents, les enseignants et les autres adultes concernés doivent se battre pour qu’il n’y ait plus jamais d’enfants harcelés.

Photo de Nathalie Delattre

L'ordre du jour appelle, à la demande du groupe Les Républicains, la discussion de la proposition de loi pour une école de la liberté, de l'égalité des chances et de la laïcité, présentée par M. Brisson et plusieurs de ses collègues (proposition n° 320, texte de la commission n° 501, rapport n° 500).

Dans la discussion générale, la parole est à M. Max Brisson, auteur de la proposition de loi.

Photo de Max Brisson

Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, alors que les pays de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) consacrent en moyenne 4, 9 % de leur produit intérieur brut (PIB) à l'éducation de leur jeunesse, la France y consacre, elle, 5, 2 %.

Il s'agit en effet de la première mission en volume. L'an dernier, nous votions un budget de 60 milliards d'euros. Pourtant la performance de notre système éducatif ne cesse de se dégrader : production d'inégalités, décrochage dans les classements internationaux, lacunes dans l'acquisition des savoirs fondamentaux. Les enquêtes et rapports nous alertent sur la dramatique baisse du niveau en mathématiques et en sciences ou sur les difficultés croissantes des élèves en lecture et en compréhension d'énoncés simples. Ces évaluations inquiètent un peuple tout entier.

Sans qu'on puisse les en blâmer, année après année, les parents qui en ont les moyens font fuir à leurs enfants les plus mauvais établissements. L'évitement est devenu un sport national.

Parallèlement, le nombre de candidats au métier d'enseignant fond. Le ministère recrute en urgence des contractuels bombardés professeurs en quarante-huit heures et affectés dans les établissements les plus difficiles. Le métier est de moins en moins attractif. Nous doutons, monsieur le ministre, que la seule revalorisation des salaires, aussi nécessaire soit-elle, puisse remplacer une réponse structurelle.

L'éducation nationale est en crise. Pourtant, l'attachement à notre école demeure. Son redressement est espéré. S'il existe des divergences, elles concernent les réponses à apporter. Pour la majorité des acteurs, elles sont essentiellement financières. Entre 2012 et 2017, la hausse du budget de l'éducation a été de 11 %. Entre 2017 et 2022, elle a atteint 21 %. Était-ce une nécessité ? Assurément. Les résultats ont-ils été à la hauteur ? Certainement pas !

Depuis trop longtemps, crédits et moyens supplémentaires sont les remèdes exclusifs à la dégradation de notre école. Ne nous y trompons pas, ils masquent l'impuissance à réformer un système trop vertical, trop uniforme et oublieux des particularités. On dépense beaucoup alors qu'on ne repense jamais en profondeur l'organisation de notre système éducatif.

C'est une impuissance à laquelle la rue de Grenelle a trop souvent répondu par plus de contrôles, plus de procédures, plus de circulaires, plus de mainmise dans la vie des établissements et par une gestion des ressources humaines (GRH) qui, in fine, s'est coupée de la réalité des conditions d'exercice du métier d'enseignant.

Ces dernières années, aux rares lettres ministérielles qui, dans le passé, fixaient un cadre et des objectifs généraux ont succédé l'avalanche des circulaires, la multiplication des injonctions, l'enchevêtrement des contrats d'objectifs et – disons-le – le plaisir d'un verbiage plus ridicule que précieux !

Alors qu'en Europe la tendance générale conduisait à donner plus de souffle, plus d'autonomie au système d'éducation, en France, verticalité, centralisation, uniformisation épuisent désormais toutes les initiatives et découragent les meilleures idées. Tout cela, bien sûr, au nom des grands principes d'unité et d'égalité alors que notre système scolaire produit ségrégation et inégalités.

Le cœur de cette proposition de loi est donc d'en finir avec cette asphyxie bureaucratique et d'engager une rupture avec le conservatisme ambiant arc-bouté sur deux maximes qui font florès au ministère : « on l'a déjà fait » et « c'est impossible ».

Pourtant, rapport après rapport, la Cour des comptes nous le dit : les systèmes scolaires les plus performants sont ceux qui donnent le plus de place à chaque établissement, fédérant à ce niveau la communauté éducative autour d'un projet commun qui encourage les enseignants à être novateurs et à améliorer leurs performances et celle de leurs collègues.

Tout est dit : ce sont bien la liberté et l'autonomie qui font défaut !

À l'aune de ce constat, je vous propose de poser les fondations d'une plus grande autonomie des établissements scolaires à travers la création expérimentale, sur la base du volontariat, des établissements publics autonomes d'éducation.

Ces établissements auront la possibilité de contractualiser avec les recteurs et les collectivités territoriales pour ce qui est de leur organisation pédagogique, des dispositifs d'accompagnement des élèves, de l'affectation des personnels, de l'allocation et de l'utilisation des moyens, ainsi que du recrutement des élèves.

Il s'agira d'une contractualisation non pas pilotée par le haut, encadrée, corsetée, adepte du copié-collé, mais bel et bien initiée par les équipes pédagogiques pour s'adapter aux réalités de chaque établissement. Bref, le contraire de ce qui a été engagé jusqu'alors et qui se poursuit aujourd'hui.

En effet, monsieur le ministre, « l'école du futur », « notre école, faisons-la, ensemble », « le fond d'innovation pédagogique » demeurent, malgré le discours présidentiel sur l'autonomie, marqués au fer rouge d'un pilotage par le haut.

Ces initiatives sont à leur tour empêtrées, limitées par une application restrictive, enserrée, rabougrie. Elles se trouvent parfois même en porte-à-faux avec l'objectif initial, en dépit d'une intention sincère, celle de donner plus de souplesse et de souffle aux établissements.

À l'inverse, l'expérimentation des établissements publics autonomes redonnera, elle, toute sa place, tout son sens, tous ses moyens aux projets pédagogiques des établissements, tout en continuant de les inscrire dans un cadre national, qui innerve depuis deux siècles notre système éducatif.

L'expérimentation s'appuiera également sur les contrats de mission, qui permettront d'aérer les carrières des professeurs, de rompre avec leur linéarité et, donc, de soutenir l'envie que beaucoup ont d'innover, de procéder à des changements au sein de l'institution, bref, l'envie de véritablement servir.

Mes chers collègues, nous sommes tous particulièrement sensibles dans cet hémicycle à la spécificité des territoires. Chacun d'entre nous sait d'expérience qu'aucune école, aucun collège, aucun lycée ne se ressemble.

Qui mieux que le professeur sait adapter ses enseignements aux élèves ? Qui mieux que le directeur, le principal ou le proviseur peut définir les besoins de l'établissement dont il a la responsabilité ?

Voilà l'esprit de cette expérimentation : donner une plus grande liberté aux écoles, aux collèges, aux lycées, aux directeurs, aux chefs d'établissement et aux professeurs. C'est incontournable pour promouvoir le mérite et l'égalité des chances. Je sais que le débat est clivant, et alors ?

L'autre mal auquel ce texte apporte un début de réponse est celui de l'acquisition des savoirs fondamentaux.

Celle-ci vacille parce que l'école s'éparpille. Le temps effectif consacré à l'enseignement de ces savoirs se réduit, alors que les programmes, bigarrés d'une multitude « d'éducation à », se densifient.

De l'institution scolaire on attend désormais moins l'instruction qu'une réponse aux multiples défis sociétaux ; nous sommes bien loin de « l'asile inviolable où les querelles des hommes ne pénètrent pas » que Jean Zay appelait de ses vœux.

Pour répondre à cette baisse de niveau, je vous propose de créer un service public de soutien scolaire et de généraliser l'accès de tous les élèves à des cours de soutien. Je ne veux plus de démarcation entre ceux dont les familles ont les ressources pour payer de tels cours et ceux qui ne les ont pas.

Le service public de soutien scolaire s'appuiera, entre autres, sur des professeurs volontaires, y compris retraités, réunis sous la forme d'une « réserve éducative ».

La question de la formation des professeurs doit également être posée. Enseigner dans le premier ou le second degré, ce n'est pas le même métier. La formation ne peut pas être identique. C'est pourquoi cette proposition de loi prévoit de dissocier la formation des enseignants du premier et du second degrés.

Il s'agit pour moi non pas de revenir sur la mastérisation ou le lien avec l'université, mais d'arrêter de se payer de mots et de redonner enfin la main à l'éducation nationale dans la formation des professeurs des écoles.

En dernier lieu, vous le savez, mes chers collègues, nous sommes vigilants sur la question de la laïcité.

L'école doit demeurer cet outil de rassemblement fondé sur une stricte laïcité. C'est le sens des dispositions sur la neutralité des accompagnateurs scolaires et sur le port d'une tenue d'établissement renforçant le sentiment d'appartenance et le vivre-ensemble.

J'espère que, sur ces sujets, comme sur les autres, nos débats seront à la hauteur des enjeux. Je crois qu'il nous faut être conscients de ce qui se joue dans les établissements, loin des postures dogmatiques.

Pour terminer, je veux saluer très chaleureusement notre rapporteur Jacques Grosperrin pour son travail et l'élaboration de ce texte, amendé lors de son examen en commission.

Mes chers collègues, nous n'avons certainement pas les mêmes solutions à proposer – les nombreux amendements déposés en témoignent.

J'émets le vœu que nos débats soient féconds et fertiles, car notre école le mérite. Soyez au moins assurés d'une chose : les propositions qui figurent dans ce texte reposent sur des convictions fortes et sur une passion immodérée pour l'école de la République !

Applaudissements sur les travé es du groupe Les Républicains.

Photo de Sylvie Robert

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, comme le rapport d’information sénatorial sur le harcèlement et le cyberharcèlement de 2021 l’avait démontré, ce phénomène violent n’a été appréhendé et reconnu que tardivement en France, alors même que des travaux de chercheurs avaient commencé dès les années 1970.

Pour autant, avec le développement du numérique et l’explosion de l’usage des réseaux sociaux, les formes du harcèlement ont évolué. Alors cantonné à l’enceinte de l’école, le harcèlement scolaire se prolonge désormais sur les plateformes numériques, l’amplifiant dramatiquement, le rendant plus sauvage et potentiellement dangereux.

D’ailleurs, dès 2009, Michel Walrave dans son ouvrage Cyberharcèlement : risque du virtuel, impact dans le réel soulignait le rôle joué par l’anonymisation. Selon lui, le cyberharcèlement, par ses caractéristiques et son objet, peut avoir des effets particulièrement dangereux et durables.

Ainsi, la loi du 2 mars 2022 visant à combattre le harcèlement scolaire a été une première étape. Elle a notamment assigné aux fournisseurs d’accès à internet la lutte contre le harcèlement scolaire comme objectif et a établi une obligation de modération des contenus de même nature sur les réseaux sociaux.

Néanmoins, il apparaît souhaitable et pertinent d’aller plus loin dans cette régulation par les plateformes, même si ces dernières ne sont pas responsables des faits de harcèlement, mais constituent plutôt des vecteurs par lesquels celui-ci se matérialise.

Sur ce point, le rapport susmentionné comporte une série de préconisations, tout en rappelant la difficulté du cadre juridique national et européen.

Parmi les propositions figurait en particulier l’obligation faite aux réseaux sociaux de présenter de manière explicite, et compréhensible par de jeunes utilisateurs, des extraits des principales conditions d’utilisation, singulièrement celles relatives au cyberharcèlement. Figurait également l’obligation pour les réseaux sociaux de présenter périodiquement à leurs utilisateurs une courte vidéo de sensibilisation sur les bons usages du numérique, sur la prévention du cyberharcèlement et sur les moyens dont disposent les victimes pour réagir.

Sur cette seconde recommandation, un consensus semble émerger à la suite de l’adoption du Digital Service Act au niveau européen, lequel renforce la responsabilité des plateformes. D’ailleurs, ma collègue Sabine Van Heghe a déposé une proposition de loi en ce sens. Celle-ci étofferait utilement notre arsenal législatif et complèterait habilement la proposition de loi visant à instaurer une majorité numérique et à lutter contre la haine en ligne, qui sera prochainement débattue dans notre hémicycle.

Monsieur le ministre, vous qui êtes sensible à la gravité de cette problématique et engagé contre le cyberharcèlement, y seriez-vous favorable ?

Debut de section - PermalienPhoto de Sylvie Robert

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, comme le rapport d’information sénatorial sur le harcèlement et le cyberharcèlement de 2021 l’avait démontré, ce phénomène violent n’a été appréhendé et reconnu que tardivement en France, alors même que des travaux de chercheurs avaient commencé dès les années 1970.

Pour autant, avec le développement du numérique et l’explosion de l’usage des réseaux sociaux, les formes du harcèlement ont évolué. Alors cantonné à l’enceinte de l’école, le harcèlement scolaire se prolonge désormais sur les plateformes numériques, l’amplifiant dramatiquement, le rendant plus sauvage et potentiellement dangereux.

D’ailleurs, dès 2009, Michel Walrave dans son ouvrage Cyberharcèlement : risque du virtuel, impact dans le réel soulignait le rôle joué par l’anonymisation. Selon lui, le cyberharcèlement, par ses caractéristiques et son objet, peut avoir des effets particulièrement dangereux et durables.

Ainsi, la loi du 2 mars 2022 visant à combattre le harcèlement scolaire a été une première étape. Elle a notamment assigné aux fournisseurs d’accès à internet la lutte contre le harcèlement scolaire comme objectif et a établi une obligation de modération des contenus de même nature sur les réseaux sociaux.

Néanmoins, il apparaît souhaitable et pertinent d’aller plus loin dans cette régulation par les plateformes, même si ces dernières ne sont pas responsables des faits de harcèlement, mais constituent plutôt des vecteurs par lesquels celui-ci se matérialise.

Sur ce point, le rapport susmentionné comporte une série de préconisations, tout en rappelant la difficulté du cadre juridique national et européen.

Parmi les propositions figurait en particulier l’obligation faite aux réseaux sociaux de présenter de manière explicite, et compréhensible par de jeunes utilisateurs, des extraits des principales conditions d’utilisation, singulièrement celles relatives au cyberharcèlement. Figurait également l’obligation pour les réseaux sociaux de présenter périodiquement à leurs utilisateurs une courte vidéo de sensibilisation sur les bons usages du numérique, sur la prévention du cyberharcèlement et sur les moyens dont disposent les victimes pour réagir.

Sur cette seconde recommandation, un consensus semble émerger à la suite de l’adoption du Digital Service Act au niveau européen, lequel renforce la responsabilité des plateformes. D’ailleurs, ma collègue Sabine Van Heghe a déposé une proposition de loi en ce sens. Celle-ci étofferait utilement notre arsenal législatif et compléterait habilement la proposition de loi visant à instaurer une majorité numérique et à lutter contre la haine en ligne, qui sera prochainement débattue dans notre hémicycle.

Monsieur le ministre, vous qui êtes sensible à la gravité de cette problématique et engagé contre le cyberharcèlement, y seriez-vous favorable ?

Debut de section - PermalienPhoto de Max Brisson

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, alors que les pays de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) consacrent en moyenne 4, 9 % de leur produit intérieur brut (PIB) à l'éducation de leur jeunesse, la France y consacre 5, 2 %.

Il s'agit en effet de la première mission en volume. L'an dernier, nous votions un budget de 60 milliards d'euros. Pourtant la performance de notre système éducatif ne cesse de se dégrader : production d'inégalités, décrochage dans les classements internationaux, lacunes dans l'acquisition des savoirs fondamentaux. Les enquêtes et rapports nous alertent sur la dramatique baisse du niveau en mathématiques et en sciences ou sur les difficultés croissantes des élèves en lecture et en compréhension d'énoncés simples. Ces évaluations inquiètent un peuple tout entier.

Sans qu'on puisse les en blâmer, année après année, les parents qui en ont les moyens font fuir à leurs enfants les plus mauvais établissements. L'évitement est devenu un sport national.

Parallèlement, le nombre de candidats au métier d'enseignant fond. Le ministère recrute en urgence des contractuels bombardés professeurs en quarante-huit heures et affectés dans les établissements les plus difficiles. Le métier est de moins en moins attractif. Nous doutons, monsieur le ministre, que la seule revalorisation des salaires, aussi nécessaire soit-elle, puisse remplacer une réponse structurelle.

L'éducation nationale est en crise. Pourtant, l'attachement à notre école demeure. Son redressement est espéré. S'il existe des divergences, elles concernent les réponses à apporter. Pour la majorité des acteurs, elles sont essentiellement financières. Entre 2012 et 2017, la hausse du budget de l'éducation a été de 11 %. Entre 2017 et 2022, elle a atteint 21 %. Était-ce une nécessité ? Assurément. Les résultats ont-ils été à la hauteur ? Certainement pas !

Depuis trop longtemps, crédits et moyens supplémentaires sont les remèdes exclusifs à la dégradation de notre école. Ne nous y trompons pas, ils masquent l'impuissance à réformer un système trop vertical, trop uniforme et oublieux des particularités. On dépense beaucoup, alors qu'on ne repense jamais en profondeur l'organisation de notre système éducatif.

C'est une impuissance à laquelle la rue de Grenelle a trop souvent répondu par plus de contrôles, plus de procédures, plus de circulaires, plus de mainmise dans la vie des établissements et par une gestion des ressources humaines (GRH) qui, in fine, s'est coupée de la réalité des conditions d'exercice du métier d'enseignant.

Ces dernières années, aux rares lettres ministérielles qui, dans le passé, fixaient un cadre et des objectifs généraux ont succédé l'avalanche des circulaires, la multiplication des injonctions, l'enchevêtrement des contrats d'objectifs et – disons-le – le plaisir d'un verbiage plus ridicule que précieux.

Alors qu'en Europe la tendance générale conduisait à donner plus de souffle, plus d'autonomie au système d'éducation, en France, verticalité, centralisation, uniformisation épuisent désormais toutes les initiatives et découragent les meilleures idées. Tout cela, bien sûr, au nom des grands principes d'unité et d'égalité, alors que notre système scolaire produit ségrégation et inégalités.

Le cœur de cette proposition de loi est donc d'en finir avec cette asphyxie bureaucratique et d'engager une rupture avec le conservatisme ambiant, arc-bouté sur deux maximes qui font florès au ministère : « on l'a déjà fait » et « c'est impossible ».

Pourtant, rapport après rapport, la Cour des comptes nous le dit : les systèmes scolaires les plus performants sont ceux qui donnent le plus de place à chaque établissement, fédérant à ce niveau la communauté éducative autour d'un projet commun qui encourage les enseignants à être novateurs et à améliorer leurs performances et celle de leurs collègues.

Tout est dit : ce sont bien la liberté et l'autonomie qui font défaut !

À l'aune de ce constat, je vous propose de poser les fondations d'une plus grande autonomie des établissements scolaires à travers la création expérimentale, sur la base du volontariat, des établissements publics autonomes d'éducation.

Ces établissements auront la possibilité de contractualiser avec les recteurs et les collectivités territoriales pour ce qui est de leur organisation pédagogique, des dispositifs d'accompagnement des élèves, de l'affectation des personnels, de l'allocation et de l'utilisation des moyens, ainsi que du recrutement des élèves.

Il s'agira d'une contractualisation non pas pilotée par le haut, encadrée, corsetée, adepte du copié-collé, mais bel et bien initiée par les équipes pédagogiques pour s'adapter aux réalités de chaque établissement. Bref, le contraire de ce qui a été engagé jusqu'alors et qui se poursuit aujourd'hui.

En effet, monsieur le ministre, « l'école du futur », « notre école, faisons-la, ensemble », « le fond d'innovation pédagogique » demeurent, malgré le discours présidentiel sur l'autonomie, marqués au fer rouge d'un pilotage par le haut.

Ces initiatives sont à leur tour empêtrées, limitées par une application restrictive, enserrée, rabougrie. Elles se trouvent parfois même en porte-à-faux avec l'objectif initial, en dépit d'une intention sincère, celle de donner plus de souplesse et de souffle aux établissements.

À l'inverse, l'expérimentation des établissements publics autonomes redonnera, elle, toute sa place, tout son sens, tous ses moyens aux projets pédagogiques des établissements, tout en continuant de les inscrire dans un cadre national, qui innerve depuis deux siècles notre système éducatif.

L'expérimentation s'appuiera également sur les contrats de mission, qui permettront d'aérer les carrières des professeurs, de rompre avec leur linéarité et, donc, de soutenir l'envie que beaucoup ont d'innover, de procéder à des changements au sein de l'institution, bref, l'envie de véritablement servir.

Mes chers collègues, nous sommes tous particulièrement sensibles dans cet hémicycle à la spécificité des territoires. Chacun d'entre nous sait d'expérience qu'aucune école, aucun collège, aucun lycée ne se ressemble.

Qui mieux que le professeur sait adapter ses enseignements aux élèves ? Qui mieux que le directeur, le principal ou le proviseur peut définir les besoins de l'établissement dont il a la responsabilité ?

Voilà l'esprit de cette expérimentation : donner une plus grande liberté aux écoles, aux collèges, aux lycées, aux directeurs, aux chefs d'établissement et aux professeurs. C'est incontournable pour promouvoir le mérite et l'égalité des chances. Je sais que le débat est clivant, et alors ?

L'autre mal auquel ce texte apporte un début de réponse est celui de l'acquisition des savoirs fondamentaux.

Celle-ci vacille parce que l'école s'éparpille. Le temps effectif consacré à l'enseignement de ces savoirs se réduit, alors que les programmes, bigarrés d'une multitude « d'éducation à », se densifient.

De l'institution scolaire on attend désormais moins l'instruction qu'une réponse aux multiples défis sociétaux ; nous sommes bien loin de « l'asile inviolable où les querelles des hommes ne pénètrent pas » que Jean Zay appelait de ses vœux.

Pour répondre à cette baisse de niveau, je vous propose de créer un service public de soutien scolaire et de généraliser l'accès de tous les élèves à des cours de soutien. Je ne veux plus de démarcation entre ceux dont les familles ont les ressources pour payer de tels cours et ceux qui ne les ont pas.

Le service public de soutien scolaire s'appuiera, entre autres, sur des professeurs volontaires, y compris retraités, réunis sous la forme d'une « réserve éducative ».

La question de la formation des professeurs doit également être posée. Enseigner dans le premier ou le second degré, ce n'est pas le même métier. La formation ne peut pas être identique. C'est pourquoi cette proposition de loi prévoit de dissocier la formation des enseignants du premier et du second degrés.

Il s'agit pour moi non pas de revenir sur la mastérisation ou le lien avec l'université, mais d'arrêter de se payer de mots et de redonner enfin la main à l'éducation nationale dans la formation des professeurs des écoles.

En dernier lieu, vous le savez, mes chers collègues, nous sommes vigilants sur la question de la laïcité.

L'école doit demeurer cet outil de rassemblement fondé sur une stricte laïcité. C'est le sens des dispositions sur la neutralité des accompagnateurs scolaires et sur le port d'une tenue d'établissement renforçant le sentiment d'appartenance et le vivre-ensemble.

J'espère que, sur ces sujets, comme sur les autres, nos débats seront à la hauteur des enjeux. Je crois qu'il nous faut être conscients de ce qui se joue dans les établissements, loin des postures dogmatiques.

Pour terminer, je veux saluer très chaleureusement notre rapporteur Jacques Grosperrin pour son travail et l'élaboration de ce texte, amendé lors de son examen en commission.

Mes chers collègues, nous n'avons certainement pas les mêmes solutions à proposer – les nombreux amendements déposés en témoignent.

J'émets le vœu que nos débats soient féconds et fertiles, car notre école le mérite. Soyez au moins assurés d'une chose : les propositions qui figurent dans ce texte reposent sur des convictions fortes et sur une passion immodérée pour l'école de la République !

Pap Ndiaye

Madame la sénatrice Robert, je vous remercie de vos propos, qui témoignent de la mobilisation du Sénat tout entier sur cette question. Je partage votre engagement.

À propos du cyberharcèlement, j’ai mentionné le 3018. J’ai également rappelé quelle était la responsabilité des plateformes. Je suis ouvert à toutes les propositions pour avancer sur cette question. Il est évident que l’État a une responsabilité en la matière. Je suis disposé à engager avec vous un travail commun pour progresser et réduire le fléau du cyberharcèlement.

Photo de Nathalie Delattre

La parole est à M. Jean Louis Masson, pour un rappel au règlement.

Rappel au règlement

Photo de Nathalie Delattre

La parole est à Mme Sylvie Robert, pour la réplique.

Photo de Jean Louis Masson

Madame la présidente, mon rappel au règlement se fonde sur l'article 44, alinéa 6, du règlement du Sénat.

Lors de l'examen de la proposition de loi en commission, les débats se sont concentrés sur deux articles, les articles 10 et 11, qui sont manifestement les plus importants, puisqu'ils ont fait l'objet du plus grand nombre d'interventions et, surtout, des interventions les plus passionnées. Cela s'explique, car ils traitent de la laïcité et comportent donc les dispositifs fondamentaux de ce texte.

Aussi, je suis quelque peu surpris que ces deux articles, les plus importants, donc, aient été placés à la toute fin. Mis à part l'article 7 du projet de loi sur les retraites, dont l'examen avait été, souvenez-vous en, décalé par le Gouvernement – ce mauvais exemple ne doit pas être reproduit ! –, il semble tout de même assez naturel que les dispositions les plus importantes viennent en discussion dès l'entame des débats.

Pour pallier ce problème, je demande donc l'examen en priorité des articles 10 et 11 de la proposition de loi.

Debut de section - PermalienPhoto de Nathalie Delattre

La parole est à M. Jean Louis Masson, pour un rappel au règlement.

Photo de Sylvie Robert

Je vous remercie de votre réponse, monsieur le ministre.

Nous aurons beaucoup à faire à l’avenir en matière de lutte contre le cyberharcèlement, singulièrement dans le domaine du numérique. Il y va de notre responsabilité collective d’avancer ensemble sur cette question.

Photo de Nathalie Delattre

Acte vous est donné de votre rappel au règlement, mon cher collègue.

Si cela vous convient, je propose que le Sénat examine votre demande de priorité à la suite des interventions de M. le rapporteur, Jacques Grosperrin, et de M. le ministre.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Louis Masson

Madame la présidente, mon rappel au règlement se fonde sur l'article 44, alinéa 6, du règlement du Sénat.

Lors de l'examen de la proposition de loi en commission, les débats se sont concentrés sur deux articles, les articles 10 et 11, qui sont manifestement les plus importants, puisqu'ils ont fait l'objet du plus grand nombre d'interventions et, surtout, des interventions les plus passionnées. Cela s'explique, car ils traitent de la laïcité et comportent donc les dispositifs fondamentaux de ce texte.

Aussi, je suis quelque peu surpris que ces deux articles, les plus importants, donc, aient été placés à la toute fin. Mis à part l'article 7 du projet de loi sur les retraites, dont l'examen avait été, souvenez-vous en, décalé par le Gouvernement – ce mauvais exemple ne doit pas être reproduit ! –, il semble tout de même assez naturel que les dispositions les plus importantes viennent en discussion dès l'entame des débats.

Pour pallier ce problème, je demande donc l'examen en priorité des articles 10 et 11 de la proposition de loi.

Photo de Nathalie Delattre

Mme la présidente. La parole est à Mme Sabine Drexler.

Debut de section - PermalienPhoto de Nathalie Delattre

Acte vous est donné de votre rappel au règlement, mon cher collègue.

Si cela vous convient, je propose que le Sénat examine votre demande de priorité à la suite des interventions de M. le rapporteur, Jacques Grosperrin, et de M. le ministre.

Photo de Sabine Drexler

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la médiatisation récente de plusieurs suicides d’enfants a révélé à ceux qui l’ignoraient encore ce qu’était le harcèlement scolaire et ses effets à court terme.

Ce que l’on sait moins, c’est que la santé, le travail ou la parentalité de ceux qui auront subi, fait subir ou été témoins de ces violences en seront affectés pour toujours.

Anxiété sociale pour les victimes, abus de pouvoir au travail ou en famille pour les agresseurs, sentiment d’impuissance pour les témoins : le harcèlement scolaire explique de nombreux maux à l’âge adulte. Dépressions, violences intrafamiliales, chômage, ses conséquences sanitaires, humaines et financières sont énormes pour la société.

L’éducation nationale a pris conscience de la nécessité d’agir, mais il semble à l’enseignante spécialisée que j’ai été que la mise en place de programmes tels que pHARe ne peut être efficace qu’à la condition que des personnels et des professionnels dédiés soient présents en appui des enseignants et auprès des élèves, pour bien connaître et suivre les situations individuelles.

Sans moyens humains, ces dispositifs resteront des coquilles vides, des méthodologies pour la plupart théoriques, souvent impossibles à mettre en œuvre, faute d’équipes spécialisées pour les accompagner.

Monsieur le ministre, si les écoles en zones prioritaires bénéficient de moyens encore considérables, les postes spécialisés sont supprimés l’un après l’autre dans la ruralité. On ne trouve quasiment plus nulle part de médecine scolaire, de psychologues, d’enseignants spécialisés.

Ceux qui restent sont submergés et peu reconnus pour ce qu’ils font. Ils sont également dans l’impossibilité de remplir leurs missions et de répondre à la masse des demandes d’aide. Il s’agit là d’un mauvais calcul, car ces économies à court terme ont déjà des conséquences humaines et sociales désastreuses. Je le constate chez moi, en pleine campagne, où les enseignants sont livrés à eux-mêmes et où les violences intrafamiliales explosent.

Monsieur le ministre, vaut-il mieux prévenir ou guérir ? Vaut-il mieux créer des postes d’enseignants spécialisés ou des postes d’intervenants sociaux en gendarmerie ?

On nous dit que la France compte suffisamment d’enseignants. Peut-être, mais il ne faut pas négliger la ruralité. Ce sont des territoires que l’on croit préservés ; or ils ne le sont en réalité plus du tout. Chez moi, dans le sud de l’Alsace, il ne reste que trois personnels spécialisés pour 108 communes. Les enseignants, les élus et les familles se sentent abandonnés. Je crains qu’ils n’aient raison…

Photo de Nathalie Delattre

Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. le rapporteur.

Discussion générale

Photo de Jacques Grosperrin

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce texte part d'un constat : l'institution scolaire est en souffrance.

Nombreux sont nos concitoyens à s'inquiéter : un Français sur deux pense que l'école fonctionne mal ; les deux tiers de nos concitoyens sont pessimistes quant à son avenir. Cette proportion atteint même 80 % chez les enseignants, ce qui traduit un mal-être profond.

L'école de la confiance a cédé la place à l'école de la défiance, parce que l'école n'arrive pas à atteindre les objectifs que lui assigne la Nation.

Tout d'abord, la France reste l'un des pays où l'origine sociale des élèves conditionne le plus le parcours scolaire.

Malgré les moyens importants en faveur de l'éducation prioritaire, les écarts entre les élèves scolarisés en réseau d'éducation prioritaire (REP) ou REP+ et ceux qui sont scolarisés hors de ces réseaux varient peu.

La politique sur laquelle repose l'éducation prioritaire introduit également une dichotomie de moyens entre les établissements relevant de celle-ci et ceux qui n'en font pas partie. Or 70 % des élèves socialement défavorisés ne sont pas scolarisés en REP. Cela crée parfois un sentiment d'abandon chez tous ces élèves et la communauté pédagogique concernée.

Par ailleurs, l'école ne semble plus être capable de transmettre les savoirs fondamentaux : les élèves français de CM1 sont surreprésentés parmi les élèves européens les plus faibles en mathématiques et en sciences.

Les évaluations intergénérationnelles mettent également en lumière une baisse de la maîtrise des savoirs fondamentaux. Pour une même dictée, les élèves de CM2 de 2021 font significativement plus de fautes que leurs prédécesseurs de 1987 : près de 30 % font vingt-cinq erreurs, contre 7 % d'entre eux quarante ans plus tôt.

Troisième cause de défiance, l'éducation nationale a du mal à déployer une politique nationale qui tienne compte de la diversité des territoires.

Le rapport de nos collègues Laurent Lafon et Jean-Yves Roux sur les nouveaux territoires de l'éducation a révélé l'absence durable de la donnée « ruralité » dans les statistiques de l'éducation nationale. Cela a conduit à une politique scolaire rurale par défaut.

Or les parcours scolaires post-collège et post-bac d'une partie des jeunes ruraux sont marqués par des écarts à la moyenne, voire des difficultés d'ampleur comparable à celles qui caractérisent les élèves relevant de l'éducation prioritaire. Ne l'oublions pas : plus d'un Français sur cinq de moins de 20 ans vit aujourd'hui dans un territoire rural.

Monsieur le ministre, en juin 2022, votre circulaire de rentrée prônait une « école engagée pour l'excellence, l'égalité et le bien-être ». Mon groupe partage les mêmes objectifs. Les moyens pour les atteindre, en revanche, divergent.

Cette proposition de loi correspond à notre vision de l'école. Je tiens d'ailleurs à remercier son auteur, mon cher collègue Max Brisson.

Ce texte doit permettre au Sénat de débattre avec vous, monsieur le ministre, ainsi qu'avec l'ensemble des groupes politiques, projet contre projet, de l'avenir de l'école. Les nombreux amendements le montrent : l'école est une priorité partagée par chacun de nos groupes.

Ce texte s'articule autour de quatre axes.

Le premier axe vise à renforcer l'autonomie des établissements scolaires.

Aujourd'hui, l'uniformité nationale, formelle, s'accommode de larges inégalités réelles de traitement des élèves.

La politique éducative centralisée, descendante, en provenance du ministère, ne parvient pas à répondre aux besoins des élèves et des territoires.

L'article 1er ouvre la voie à une expérimentation permettant aux écoles et aux établissements scolaires volontaires de contractualiser avec le recteur, afin d'accroître leur autonomie. Les collectivités concernées peuvent également être associées au contrat.

Je précise que les écoles qui souhaitent participer à cette expérimentation doivent acquérir au préalable le statut d'établissement public. Chacun ici connaît le lien fort qui unit la commune à son école. Afin de répondre à l'inquiétude des élus locaux, la commission a rendu nécessaire l'accord préalable des conseils municipaux ou intercommunaux, lorsque la compétence scolaire a été transférée, avant tout changement de statut de l'école.

L'article 2 confère au directeur d'école une autorité hiérarchique sur les enseignants. Notre commission a souhaité limiter ce dispositif aux écoles d'une certaine taille. Le seuil de neuf classes me semble intéressant : la mesure concernerait ainsi environ 20 % des écoles publiques.

Aujourd'hui, les écoles accueillent plus d'élèves que certains collèges, dont les chefs d'établissement disposent, eux, de cette autorité hiérarchique.

En revanche, il nous a semblé opportun, à ce stade, que les directeurs des écoles plus petites, qui ont des équipes pédagogiques plus restreintes, conservent la seule autorité fonctionnelle.

J'en profite, monsieur le ministre, pour vous interroger sur la date de publication des décrets d'application de la loi Rilhac, votée il y a désormais plusieurs mois.

Deuxième axe, la présente proposition de loi vise à assurer l'égalité des chances entre les élèves.

Pour cela, elle crée un service public de soutien scolaire qui pourra s'appuyer sur la réserve éducative. Plusieurs amendements de la commission ont permis de préciser les conditions de participation à ce service public en termes de diplôme, de probité et de neutralité.

Le texte renforce la politique éducative en faveur des territoires ruraux.

Plutôt qu'un copié-collé des dispositifs existant dans les réseaux d'éducation prioritaire sur les écoles et établissements scolaires situés dans une zone de revitalisation rurale, nous préférons créer des territoires ruraux à besoins éducatifs particuliers.

Notre commission fait ce choix, parce que les zones de revitalisation rurale sont un dispositif fiscal qui arrive à échéance à la fin de décembre 2023, et parce que le déploiement automatique des dispositifs relevant de l'éducation prioritaire dans les territoires ruraux aurait peu de sens. Je pense par exemple au dédoublement des classes de la grande section de maternelle au CE1.

En définitive, comme l'a montré le rapport de Pierre Mathiot et d'Ariane Azéma, la principale problématique des élèves des territoires ruraux est celle de l'orientation, de l'autocensure et de l'égalité des chances dans la poursuite des études, et ce plutôt dans le secondaire.

Nos collègues Max Brisson, Annick Billon et Marie-Pierre Monier, dans leur bilan sur les mesures éducatives du précédent quinquennat, ont montré combien la réforme du lycée était difficile à mettre en place dans les lycées de petite taille.

L'article 9 prévoit un accord du conseil municipal avant la fermeture d'une classe dans une commune rurale.

Monsieur le ministre, nous avons entendu vos annonces, ainsi que celles de la Première ministre, sur une éventuelle pluriannualité de la carte scolaire et une meilleure concertation avec les élus locaux. Enfin ! Cette prévisibilité pluriannuelle est demandée par les élus locaux depuis de nombreuses années. La commission de la culture et le Sénat seront particulièrement attentifs à la mise en œuvre de cette mesure.

Le troisième axe de cette proposition de loi est l'amélioration de la transmission des savoirs fondamentaux, à travers la réforme de la formation des enseignants du premier degré.

Le texte prévoit de transférer à des écoles supérieures du professorat des écoles, sous tutelle du ministère de l'éducation nationale, la formation des enseignants du premier degré. Enseigner dans le premier degré demande des compétences spécifiques en termes de pluridisciplinarité, de transmission des savoirs fondamentaux. « Faire classe » à des élèves de primaire diffère de « faire cours » à des collégiens ou à des lycéens.

De manière générale, je me réjouis que ce texte soit l'occasion de débattre avec vous des modalités de recrutement et de formation des enseignants.

La commission a souhaité sécuriser les jeunes préparant le concours d'enseignant du premier degré au sein de ces nouvelles écoles, et faciliter leur réorientation en cas d'échec au concours ou d'abandon de la formation.

Enfin, quatrième axe, le texte encourage le développement d'un sentiment d'appartenance dans les établissements, thème cher à notre collègue Céline Boulay-Espéronnier.

Il tend également à réaffirmer l'importance de la laïcité à l'école, notamment lors des sorties scolaires, lesquelles sont une projection de la classe hors les murs.

Il nous semble important que d'autres thématiques relatives à l'organisation du système scolaire soient débattues dans le cadre de cette proposition de loi.

Je pense à la question des jardins d'enfants, qui peuvent, à titre dérogatoire et uniquement jusqu'à la rentrée 2023-2024, prendre en charge l'instruction des enfants de 3 à 6 ans.

Déjà, lors de l'examen du projet de loi pour une école de la confiance, nous avions protesté, sur toutes les travées de cette assemblée, contre la fin des jardins d'enfants comme alternative reconnue à la maternelle. Nous ne comprenons toujours pas ce choix du Gouvernement.

Aussi, la commission propose de pérenniser, au-delà de la rentrée 2023-2024, la possibilité qu'ont les jardins d'enfants qui existaient avant l'entrée en vigueur de la loi pour une école de la confiance d'instruire les enfants de 3 à 6 ans.

Debut de section - PermalienPhoto de Nathalie Delattre

Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. le rapporteur.

Pap Ndiaye

Madame la sénatrice Drexler, aucun territoire n’est abandonné, je puis vous l’assurer !

J’ai eu l’occasion de l’évoquer devant vos collègues, le Gouvernement a lancé un plan Ruralité avec un engagement pluriannuel à partir de cet automne pour donner de la visibilité en matière de postes sur trois ans dans les écoles. Nous allons donc offrir de la visibilité aux maires pour éviter d’une année sur l’autre des changements brutaux de la carte scolaire.

Par ailleurs, en matière de moyens humains, les territoires ruraux sont relativement favorisés par rapport aux territoires urbains : du fait des questions d’éloignement, la densité dans les écoles est moindre. Le taux d’encadrement y est ainsi meilleur, même si cela ne répond pas entièrement à votre question sur le harcèlement.

Nous avons engagé des moyens, par exemple, en matière de formation. Or celle-ci, au niveau national comme au niveau académique ou départemental, a un coût. Nous sommes déterminés à proroger ces moyens, afin de réduire de manière absolument déterminante les situations de harcèlement.

Encore une fois, les territoires ruraux ne sont pas oubliés. Nous nous sommes engagés sur un chemin et nous nous y tenons.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Grosperrin

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce texte part d'un constat : l'institution scolaire est en souffrance.

Nombreux sont nos concitoyens à s'inquiéter : un Français sur deux pense que l'école fonctionne mal ; les deux tiers de nos concitoyens sont pessimistes quant à son avenir. Cette proportion atteint même 80 % chez les enseignants, ce qui traduit un mal-être profond.

L'école de la confiance a cédé la place à l'école de la défiance, parce que l'école n'arrive pas à atteindre les objectifs que lui assigne la Nation.

Tout d'abord, la France reste l'un des pays où l'origine sociale des élèves conditionne le plus le parcours scolaire.

Malgré les moyens importants en faveur de l'éducation prioritaire, les écarts entre les élèves scolarisés en réseau d'éducation prioritaire (REP) ou REP+ et ceux qui sont scolarisés hors de ces réseaux varient peu.

La politique sur laquelle repose l'éducation prioritaire introduit également une dichotomie de moyens entre les établissements relevant de celle-ci et ceux qui n'en font pas partie. Or 70 % des élèves socialement défavorisés ne sont pas scolarisés en REP. Cela crée parfois un sentiment d'abandon chez tous ces élèves et la communauté pédagogique concernée.

Par ailleurs, l'école ne semble plus être capable de transmettre les savoirs fondamentaux : les élèves français de CM1 sont surreprésentés parmi les élèves européens les plus faibles en mathématiques et en sciences.

Les évaluations intergénérationnelles mettent également en lumière une baisse de la maîtrise des savoirs fondamentaux. Pour une même dictée, les élèves de CM2 de 2021 font significativement plus de fautes que leurs prédécesseurs de 1987 : près de 30 % font vingt-cinq erreurs, contre 7 % d'entre eux quarante ans plus tôt.

Troisième cause de défiance, l'éducation nationale a du mal à déployer une politique nationale qui tienne compte de la diversité des territoires.

Le rapport de nos collègues Laurent Lafon et Jean-Yves Roux sur les nouveaux territoires de l'éducation a révélé l'absence durable de la donnée « ruralité » dans les statistiques de l'éducation nationale. Cela a conduit à une politique scolaire rurale par défaut.

Or les parcours scolaires post-collège et post-bac d'une partie des jeunes ruraux sont marqués par des écarts à la moyenne, voire des difficultés d'ampleur comparable à celles qui caractérisent les élèves relevant de l'éducation prioritaire. Ne l'oublions pas : plus d'un Français sur cinq de moins de 20 ans vit aujourd'hui dans un territoire rural.

Monsieur le ministre, en juin 2022, votre circulaire de rentrée prônait une « école engagée pour l'excellence, l'égalité et le bien-être ». Mon groupe partage les mêmes objectifs. Les moyens pour les atteindre, en revanche, divergent.

Cette proposition de loi correspond à notre vision de l'école. Je tiens d'ailleurs à remercier son auteur, mon cher collègue Max Brisson.

Ce texte doit permettre au Sénat de débattre avec vous, monsieur le ministre, ainsi qu'avec l'ensemble des groupes politiques, projet contre projet, de l'avenir de l'école. Les nombreux amendements le montrent : l'école est une priorité partagée par chacun de nos groupes.

Ce texte s'articule autour de quatre axes.

Le premier axe vise à renforcer l'autonomie des établissements scolaires.

Aujourd'hui, l'uniformité nationale, formelle, s'accommode de larges inégalités réelles de traitement des élèves.

La politique éducative centralisée, descendante, en provenance du ministère, ne parvient pas à répondre aux besoins des élèves et des territoires.

L'article 1er ouvre la voie à une expérimentation permettant aux écoles et aux établissements scolaires volontaires de contractualiser avec le recteur, afin d'accroître leur autonomie. Les collectivités concernées peuvent également être associées au contrat.

Je précise que les écoles qui souhaitent participer à cette expérimentation doivent acquérir au préalable le statut d'établissement public. Chacun ici connaît le lien fort qui unit la commune à son école. Afin de répondre à l'inquiétude des élus locaux, la commission a rendu nécessaire l'accord préalable des conseils municipaux ou intercommunaux, lorsque la compétence scolaire a été transférée, avant tout changement de statut de l'école.

L'article 2 confère au directeur d'école une autorité hiérarchique sur les enseignants. Notre commission a souhaité limiter ce dispositif aux écoles d'une certaine taille. Le seuil de neuf classes me semble intéressant : la mesure concernerait ainsi environ 20 % des écoles publiques.

Aujourd'hui, les écoles accueillent plus d'élèves que certains collèges, dont les chefs d'établissement disposent, eux, de cette autorité hiérarchique.

En revanche, il nous a semblé opportun, à ce stade, que les directeurs des écoles plus petites, qui ont des équipes pédagogiques plus restreintes, conservent la seule autorité fonctionnelle.

J'en profite, monsieur le ministre, pour vous interroger sur la date de publication des décrets d'application de la loi Rilhac, votée il y a désormais plusieurs mois.

Deuxième axe, la présente proposition de loi vise à assurer l'égalité des chances entre les élèves.

Pour cela, elle crée un service public de soutien scolaire qui pourra s'appuyer sur la réserve éducative. Plusieurs amendements de la commission ont permis de préciser les conditions de participation à ce service public en termes de diplôme, de probité et de neutralité.

Le texte renforce la politique éducative en faveur des territoires ruraux.

Plutôt qu'un copié-collé des dispositifs existant dans les réseaux d'éducation prioritaire sur les écoles et établissements scolaires situés dans une zone de revitalisation rurale, nous préférons créer des territoires ruraux à besoins éducatifs particuliers.

Notre commission fait ce choix, parce que les zones de revitalisation rurale sont un dispositif fiscal qui arrive à échéance à la fin de décembre 2023, et parce que le déploiement automatique des dispositifs relevant de l'éducation prioritaire dans les territoires ruraux aurait peu de sens. Je pense par exemple au dédoublement des classes de la grande section de maternelle au CE1.

En définitive, comme l'a montré le rapport de Pierre Mathiot et d'Ariane Azéma, la principale problématique des élèves des territoires ruraux est celle de l'orientation, de l'autocensure et de l'égalité des chances dans la poursuite des études, et ce plutôt dans le secondaire.

Nos collègues Max Brisson, Annick Billon et Marie-Pierre Monier, dans leur bilan sur les mesures éducatives du précédent quinquennat, ont montré combien la réforme du lycée était difficile à mettre en place dans les lycées de petite taille.

L'article 9 prévoit un accord du conseil municipal avant la fermeture d'une classe dans une commune rurale.

Monsieur le ministre, nous avons entendu vos annonces, ainsi que celles de la Première ministre, sur une éventuelle pluriannualité de la carte scolaire et une meilleure concertation avec les élus locaux. Enfin ! Cette prévisibilité pluriannuelle est demandée par les élus locaux depuis de nombreuses années. La commission de la culture et le Sénat seront particulièrement attentifs à la mise en œuvre de cette mesure.

Le troisième axe de cette proposition de loi est l'amélioration de la transmission des savoirs fondamentaux, à travers la réforme de la formation des enseignants du premier degré.

Le texte prévoit de transférer à des écoles supérieures du professorat des écoles, sous tutelle du ministère de l'éducation nationale, la formation des enseignants du premier degré. Enseigner dans le premier degré demande des compétences spécifiques en termes de pluridisciplinarité, de transmission des savoirs fondamentaux. « Faire classe » à des élèves de primaire diffère de « faire cours » à des collégiens ou à des lycéens.

De manière générale, je me réjouis que ce texte soit l'occasion de débattre avec vous des modalités de recrutement et de formation des enseignants.

La commission a souhaité sécuriser les jeunes préparant le concours d'enseignant du premier degré au sein de ces nouvelles écoles, et faciliter leur réorientation en cas d'échec au concours ou d'abandon de la formation.

Enfin, quatrième axe, le texte encourage le développement d'un sentiment d'appartenance dans les établissements, thème cher à notre collègue Céline Boulay-Espéronnier.

Il tend également à réaffirmer l'importance de la laïcité à l'école, notamment lors des sorties scolaires, lesquelles sont une projection de la classe hors les murs.

Il nous semble important que d'autres thématiques relatives à l'organisation du système scolaire soient débattues dans le cadre de cette proposition de loi.

Je pense à la question des jardins d'enfants, qui peuvent, à titre dérogatoire et uniquement jusqu'à la rentrée 2023-2024, prendre en charge l'instruction des enfants de 3 à 6 ans.

Déjà, lors de l'examen du projet de loi pour une école de la confiance, nous avions protesté, sur toutes les travées de cette assemblée, contre la fin des jardins d'enfants comme alternative reconnue à la maternelle. Nous ne comprenons toujours pas ce choix du Gouvernement.

Aussi, la commission propose de pérenniser, au-delà de la rentrée 2023-2024, la possibilité qu'ont les jardins d'enfants qui existaient avant l'entrée en vigueur de la loi pour une école de la confiance d'instruire les enfants de 3 à 6 ans.

Photo de Nathalie Delattre

La parole est à Mme Sabine Drexler, pour la réplique.

Photo de Jacques Grosperrin

Sur l'initiative de notre collègue Olivier Paccaud, nous avons également introduit un article relatif à la bivalence.

Un enseignant du secondaire volontaire pourrait enseigner dans deux matières. Bien évidemment, il bénéficierait d'une formation spécifique.

La bivalence offre de nouvelles perspectives de carrière. Surtout, elle permet de limiter les affectations de personnels partagées entre plusieurs établissements. Pour l'enseignant concerné, c'est moins de déplacements et une meilleure possibilité d'intégration au sein de l'équipe pédagogique de l'établissement.

Mes chers collègues, ce texte, dont l'objet est de changer en profondeur l'école, se veut résolument ambitieux. Il témoigne également de la volonté du Sénat de continuer à faire de l'éducation la première priorité de la Nation !

Photo de Sabine Drexler

Monsieur le ministre, dans certains secteurs en France, il n’y a même plus de psychologues scolaires pour évaluer les élèves pour lesquels on pressent une situation de handicap. Il n’y a plus d’enseignants spécialisés pour rattraper des enfants qui seraient pourtant rattrapables.

Quel gâchis et quels coûts à venir pour accompagner dans quelques années ces futurs adultes, qui seront dans l’incapacité de s’insérer dans la société. Ces coûts seront autrement plus élevés que les quelques postes économisés aujourd’hui !

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Grosperrin

Sur l'initiative de notre collègue Olivier Paccaud, nous avons également introduit un article relatif à la bivalence.

Un enseignant du secondaire volontaire pourrait enseigner dans deux matières. Bien évidemment, il bénéficierait d'une formation spécifique.

La bivalence offre de nouvelles perspectives de carrière. Surtout, elle permet de limiter les affectations de personnels partagées entre plusieurs établissements. Pour l'enseignant concerné, c'est moins de déplacements et une meilleure possibilité d'intégration au sein de l'équipe pédagogique de l'établissement.

Mes chers collègues, ce texte, dont l'objet est de changer en profondeur l'école, se veut résolument ambitieux. Il témoigne également de la volonté du Sénat de continuer à faire de l'éducation la première priorité de la Nation !

Photo de Nathalie Delattre

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC. – M. Franck Menonville applaudit également.

Photo de Toine Bourrat

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le harcèlement scolaire blesse, broie, brise et vole ce que la vie offre de plus précieux : l’enfance, ce terreau fertile où poussent les goûts, l’apprentissage et les prémices de la conscience morale, civique et donc sociale.

Dans ce pays où l’on prétend combattre l’endémie d’un mal par un numéro vert, il est temps de mettre un coup d’arrêt à une spirale que le développement des technologies rend bien souvent infernale.

Pour y parvenir, monsieur le ministre, c’est une culture de la vigilance qu’il nous faut instituer, une culture qui se pense et se déploie au plus près du terrain, c’est-à-dire des victimes potentielles ou avérées. Il s’agit de détecter rapidement, d’agir en local pour laisser les enfants le moins longtemps possible en situation de harcèlement. Les premiers témoins sont les enfants eux-mêmes, ils sont spectateurs ; libérons leur parole. Expliquons que l’idée est non pas de dénoncer un harceleur, mais de signaler un élève harcelé : c’est une assistance à personne en danger.

À cet égard, les applications intracollèges et lycées de type Pronote pourraient être utilisées comme plateformes internes d’alerte permettant aux témoins de signaler un élève en difficulté tout en préservant leur anonymat.

Premier rempart dans l’accompagnement psychosocial, nous devons également redresser une médecine scolaire en grand danger. Oui, j’y insiste, la médecine scolaire est abandonnée. Nous comptons seulement un médecin pour 12 000 élèves. C’est une situation que Dominique Bussereau qualifiait d’indigence devant le Sénat lors de sa dernière audition.

Plus encore, il convient de traiter ce fléau dans son intégralité. Le programme pHARe, dont vous avez annoncé le déploiement au lycée, n’est qu’une réponse partielle à un problème global. Ce qu’il nous faut, comme en Finlande depuis plusieurs générations, c’est un bouleversement culturel, l’avènement d’une société de grands témoins ; non de la suspicion, mais de l’attention portée aux autres où chacun est le maillon d’une chaîne de valeur trop souvent ignorée chez nous : le respect de l’autre, l’interaction sociale et la compréhension des émotions d’autrui.

Plus qu’un programme, la Finlande a développé cette culture de la vigilance que le temps long et surtout les moyens humains, comme financiers, font infuser au quotidien avec des résultats surprenants, marqués par la baisse de plus de 40 % du phénomène.

Enfin, comment peut-on penser lutter contre le harcèlement scolaire en faisant l’économie de son volet cyber ? Nous avons le devoir d’éviter la dissémination des comptes, la multiplication des identités factices et des comptes fantômes, qui prospèrent grâce à l’anonymat et au pseudonymat. Qu’attendons-nous pour corréler l’identité numérique à l’identité réelle des utilisateurs de réseaux sociaux ? Techniquement, c’est déjà possible.

Monsieur le ministre, les militaires, qui savent mieux que personne traiter l’urgence, ont une formule que je fais mienne : être à l’heure, c’est déjà être en retard. Du retard, nous en avons à rattraper. La France le peut, comme la Finlande l’a fait.

Pap Ndiaye, ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse

Madame la présidente, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, cette proposition de loi témoigne de l'intérêt que la chambre haute manifeste pour la politique publique d'éducation – je tiens ici à vous en remercier.

Le texte traite de sujets structurants et d'une grande actualité pour l'éducation nationale et, donc, pour l'ensemble de la Nation : la gouvernance des écoles et des établissements, la formation des professeurs, l'accompagnement aux apprentissages des élèves, les conditions de la continuité du service public de l'éducation nationale dans les territoires. Ce sont là des questions essentielles.

Nous partageons de nombreux constats, mais nos solutions pourront – nous allons le voir – ne pas être les mêmes.

S'agissant de l'autonomie des écoles et des établissements, d'abord, j'observe que la mesure proposée existe déjà très largement dans les faits pour le second degré.

En effet, les collèges et les lycées sont des établissements publics autonomes, qui contractualisent avec l'autorité académique.

Certes, il y va différemment des écoles, qui n'ont pas la personnalité juridique. Pour autant, je ne suis pas certain que nos maires soient prêts à renoncer à cette compétence patrimoniale de l'échelon communal, vieille de près de deux cents ans, puisqu'elle est issue de la loi Guizot du 28 juin 1833, qui imposait aux maires d'entretenir dans leur commune une école et d'y loger un ou plusieurs instituteurs, afin d'instruire tous les enfants.

J'ai vu que vous aviez avancé sur ce sujet en commission. Il ne me semble pas opportun en l'état d'aligner le fonctionnement de nos écoles sur les établissements du second degré. Il ne faut pas laisser croire à nos élus que nous les écarterions de décisions importantes qui concernent les enfants de leurs communes.

Au passage, je me permets de rappeler mon attachement à faire vivre les communautés éducatives locales, via notamment la démarche entreprise par le Président de la République dans le cadre du Conseil national de la refondation.

Ne vous méprenez pas, cependant, sur la portée de mon propos : je ne suis nullement en train de vous dire que le Gouvernement n'est pas ouvert à une évolution de la gouvernance du premier degré, comme en témoigne la loi du 21 décembre 2021 créant la fonction de directrice ou de directeur d'école, mais il faut avancer progressivement si l'on souhaite voir ces réformes prospérer.

J'en profite pour répondre à votre question, monsieur le rapporteur : les décrets d'application de la loi Rilhac seront prêts pour la rentrée, puisqu'ils ont été soumis aux organisations syndicales il y a dix jours et qu'ils le seront au comité social d'administration ministériel de l'éducation nationale (Csamen) le 16 mai prochain.

Pour ma part, je défends l'autorité fonctionnelle des directeurs d'école qui donne à ces derniers le rôle de pilote de leur école, tout en conservant l'esprit d'un travail collectif entre tous les professeurs. C'est un marqueur culturel fort de notre école primaire.

De la même façon, ma collègue Sylvie Retailleau, ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche, et moi-même avons engagé une réflexion pour que nos professeurs des écoles soient mieux armés et formés pour répondre aux exigences des apprentissages.

Là encore, il me semble que nous ne différons pas substantiellement sur l'objectif. J'ai plusieurs fois eu l'occasion de m'exprimer en ce sens devant vous, mais je ne saurais pour autant souscrire totalement à votre proposition en l'état, car elle risque d'écarter les professeurs d'une formation universitaire et de l'obtention du diplôme du master.

Concernant l'accompagnement des élèves, là encore, nous partageons l'objectif d'un soutien scolaire à tout élève qui en éprouve le besoin. C'est dans ce sens que je poursuis la politique entamée par mon prédécesseur, et c'est dans ce sens que j'entends conduire la transformation du collège.

Aujourd'hui, ce cycle d'études n'est pas suffisamment en capacité de remédier aux principales difficultés scolaires, de lutter contre les inégalités et de cultiver l'excellence des élèves.

La classe de sixième sera transformée l'année prochaine, de sorte que les fragilités que certains élèves peuvent éprouver puissent être corrigées. Par ailleurs, je rendrai obligatoire, dès la prochaine rentrée scolaire, le dispositif « devoirs faits » : chaque élève doit pouvoir être, au-delà des heures de classe, soutenu dans ses apprentissages, accompagné pour réviser, s'entraîner et fixer les acquis vus en classe.

Cette égalité des chances à laquelle je viens de faire référence doit exister dans tous les territoires, y compris en ruralité.

Vous le savez, lors de notre déplacement dans la Nièvre il y a quelques jours, la Première ministre et moi-même avons annoncé des mesures qui ne sont pas si éloignées de vos propositions.

Mais, il faut bien reconnaître que le maintien de classes ouvertes contre vents et marées et contre la réalité de l'évolution démographique n'est pas pédagogiquement viable. Mon devoir en tant que ministre de l'éducation nationale est de garantir l'accès à l'enseignement à tous, partout sur le territoire, mais pas dans n'importe quelles conditions.

Pluriannualité des moyens, instance de dialogue associant préfet, directeur académique des services de l'éducation nationale (Dasen) et élus locaux, afin de coordonner l'action publique, valorisation des regroupements pédagogiques intercommunaux sont autant de propositions qu'attendent les territoires, les élus, les parents, les élèves et, évidemment – je l'espère –, vous, mesdames, messieurs les sénateurs, puisque vous avez souvent évoqué ces questions avec moi.

À une solution égalitaire qui consisterait à geler les moyens partout, nous préférons une solution équitable et équilibrée qui prenne en compte, de manière pluriannuelle, l'éloignement, la qualité d'enseignement et la vie pédagogique.

Nous devons mettre fin aux incohérences qui opposent l'État, dans son rôle d'aménageur du territoire, à l'État qui organise l'instruction de nos enfants. Les deux sont intimement liés, car l'école, si elle doit être impérativement accessible à tous nos enfants, doit aussi être un lieu de vie pédagogique qui garantit la réussite de nos élèves.

Nous devons réaliser, avec tous les acteurs, élus, agents de l'État, un travail de dentelle, afin que l'organisation de l'école puisse répondre aux particularités de chacun des territoires.

Sur la question de l'application de la loi de 2004 aux parents accompagnateurs, je ne vous surprendrai pas en vous indiquant que, de manière constante, tous les gouvernements se sont opposés à cette disposition.

Je rappelle que ces parents n'agissent pas en qualité d'agents de l'État. Le Conseil d'État s'est déjà prononcé sur le sujet : les parents accompagnateurs ne sont pas soumis au principe de neutralité, mais ils doivent évidemment s'abstenir de tout prosélytisme.

Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.

Debut de section - Permalien
Pap Ndiaye, ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse

Madame la présidente, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, cette proposition de loi témoigne de l'intérêt que la chambre haute manifeste pour la politique publique d'éducation – je tiens ici à vous en remercier.

Le texte traite de sujets structurants et d'une grande actualité pour l'éducation nationale et, donc, pour l'ensemble de la Nation : la gouvernance des écoles et des établissements, la formation des professeurs, l'accompagnement aux apprentissages des élèves, les conditions de la continuité du service public de l'éducation nationale dans les territoires. Ce sont là des questions essentielles.

Nous partageons de nombreux constats, mais nos solutions pourront – nous allons le voir – ne pas être les mêmes.

S'agissant de l'autonomie des écoles et des établissements, d'abord, j'observe que la mesure proposée existe déjà très largement dans les faits pour le second degré.

En effet, les collèges et les lycées sont des établissements publics autonomes, qui contractualisent avec l'autorité académique.

Certes, il y va différemment des écoles, qui n'ont pas la personnalité juridique. Pour autant, je ne suis pas certain que nos maires soient prêts à renoncer à cette compétence patrimoniale de l'échelon communal, vieille de près de deux cents ans, puisqu'elle est issue de la loi Guizot du 28 juin 1833, qui imposait aux maires d'entretenir dans leur commune une école et d'y loger un ou plusieurs instituteurs, afin d'instruire tous les enfants.

J'ai vu que vous aviez avancé sur ce sujet en commission. Il ne me semble pas opportun en l'état d'aligner le fonctionnement de nos écoles sur les établissements du second degré. Il ne faut pas laisser croire à nos élus que nous les écarterions de décisions importantes qui concernent les enfants de leurs communes.

Au passage, je me permets de rappeler mon attachement à faire vivre les communautés éducatives locales, via notamment la démarche entreprise par le Président de la République dans le cadre du Conseil national de la refondation.

Ne vous méprenez pas, cependant, sur la portée de mon propos : je ne suis nullement en train de vous dire que le Gouvernement n'est pas ouvert à une évolution de la gouvernance du premier degré, comme en témoigne la loi du 21 décembre 2021 créant la fonction de directrice ou de directeur d'école, mais il faut avancer progressivement si l'on souhaite voir ces réformes prospérer.

J'en profite pour répondre à votre question, monsieur le rapporteur : les décrets d'application de la loi Rilhac seront prêts pour la rentrée, puisqu'ils ont été soumis aux organisations syndicales il y a dix jours et qu'ils le seront au comité social d'administration ministériel de l'éducation nationale (Csamen) le 16 mai prochain.

Pour ma part, je défends l'autorité fonctionnelle des directeurs d'école qui donne à ces derniers le rôle de pilote de leur école, tout en conservant l'esprit d'un travail collectif entre tous les professeurs. C'est un marqueur culturel fort de notre école primaire.

De la même façon, ma collègue Sylvie Retailleau, ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche, et moi-même avons engagé une réflexion pour que nos professeurs des écoles soient mieux armés et formés pour répondre aux exigences des apprentissages.

Là encore, il me semble que nous ne différons pas substantiellement sur l'objectif. J'ai plusieurs fois eu l'occasion de m'exprimer en ce sens devant vous, mais je ne saurais pour autant souscrire totalement à votre proposition en l'état, car elle risque d'écarter les professeurs d'une formation universitaire et de l'obtention du diplôme du master.

Concernant l'accompagnement des élèves, là encore, nous partageons l'objectif d'un soutien scolaire à tout élève qui en éprouve le besoin. C'est dans ce sens que je poursuis la politique entamée par mon prédécesseur, et c'est dans ce sens que j'entends conduire la transformation du collège.

Aujourd'hui, ce cycle d'études n'est pas suffisamment en capacité de remédier aux principales difficultés scolaires, de lutter contre les inégalités et de cultiver l'excellence des élèves.

La classe de sixième sera transformée l'année prochaine, de sorte que les fragilités que certains élèves peuvent éprouver puissent être corrigées. Par ailleurs, je rendrai obligatoire, dès la prochaine rentrée scolaire, le dispositif « devoirs faits » : chaque élève doit pouvoir être, au-delà des heures de classe, soutenu dans ses apprentissages, accompagné pour réviser, s'entraîner et fixer les acquis vus en classe.

Cette égalité des chances à laquelle je viens de faire référence doit exister dans tous les territoires, y compris en ruralité.

Vous le savez, lors de notre déplacement dans la Nièvre il y a quelques jours, la Première ministre et moi-même avons annoncé des mesures qui ne sont pas si éloignées de vos propositions.

Mais, il faut bien reconnaître que le maintien de classes ouvertes contre vents et marées et contre la réalité de l'évolution démographique n'est pas pédagogiquement viable. Mon devoir en tant que ministre de l'éducation nationale est de garantir l'accès à l'enseignement à tous, partout sur le territoire, mais pas dans n'importe quelles conditions.

Pluriannualité des moyens, instance de dialogue associant préfet, directeur académique des services de l'éducation nationale (Dasen) et élus locaux, afin de coordonner l'action publique, valorisation des regroupements pédagogiques intercommunaux sont autant de propositions qu'attendent les territoires, les élus, les parents, les élèves et, évidemment – je l'espère –, vous, mesdames, messieurs les sénateurs, puisque vous avez souvent évoqué ces questions avec moi.

À une solution égalitaire qui consisterait à geler les moyens partout, nous préférons une solution équitable et équilibrée qui prenne en compte, de manière pluriannuelle, l'éloignement, la qualité d'enseignement et la vie pédagogique.

Nous devons mettre fin aux incohérences qui opposent l'État, dans son rôle d'aménageur du territoire, à l'État qui organise l'instruction de nos enfants. Les deux sont intimement liés, car l'école, si elle doit être impérativement accessible à tous nos enfants, doit aussi être un lieu de vie pédagogique qui garantit la réussite de nos élèves.

Nous devons réaliser, avec tous les acteurs, élus, agents de l'État, un travail de dentelle, afin que l'organisation de l'école puisse répondre aux particularités de chacun des territoires.

Sur la question de l'application de la loi de 2004 aux parents accompagnateurs, je ne vous surprendrai pas en vous indiquant que, de manière constante, tous les gouvernements se sont opposés à cette disposition.

Je rappelle que ces parents n'agissent pas en qualité d'agents de l'État. Le Conseil d'État s'est déjà prononcé sur le sujet : les parents accompagnateurs ne sont pas soumis au principe de neutralité, mais ils doivent évidemment s'abstenir de tout prosélytisme.

Pap Ndiaye

De surcroît, je ne pense pas qu'éloigner les parents de l'école soit souhaitable, bien au contraire.

En ce qui concerne l'uniforme, et j'en terminerai par là pour que nous ayons le temps d'échanger – naturellement avec intérêt et plaisir –, c'est une possibilité qui existe déjà : ainsi, en outre-mer, les établissements qui l'ont souhaité l'ont inscrit dans leur règlement intérieur.

Le Gouvernement est opposé à une obligation nationale qui ne règle ni le sujet du harcèlement, ni les différences sociales, et encore moins les atteintes à la laïcité. L'uniforme serait immédiatement contourné par différents accessoires.

Je ne veux pas uniformiser les élèves : je souhaite qu'ils comprennent les règles de vie des établissements, qu'ils y adhèrent, et, au-delà, qu'ils adhèrent aux valeurs et aux principes de la République. C'est par l'instruction et la pédagogie que notre école y parviendra.

Pap Ndiaye

Madame la sénatrice, je partage évidemment vos préoccupations sur les questions de cyberharcèlement.

En Finlande, le programme KiVa a certes donné de bons résultats, mais cela a pris dix ans. Le programme que nous avons déployé en France est bien entendu beaucoup plus récent. Nous espérons obtenir des résultats plus rapidement. Les regards internationaux portés sur nos efforts saluent la qualité de notre action.

Le fait est que nous rencontrons pour l’instant un problème de déploiement, puisque nous ne sommes pas à 100 % de nos possibilités, loin de là. Quoi qu’il en soit, nous espérons mettre moins de dix ans pour parvenir à des résultats comparables à ceux de la Finlande. L’expérience internationale est évidemment très utile pour ce qui concerne notre action en direction des écoles, des collèges et des lycées.

Debut de section - Permalien
Pap Ndiaye

De surcroît, je ne pense pas qu'éloigner les parents de l'école soit souhaitable, bien au contraire.

En ce qui concerne l'uniforme, et j'en terminerai par là pour que nous ayons le temps d'échanger – naturellement avec intérêt et plaisir –, c'est une possibilité qui existe déjà : ainsi, en outre-mer, les établissements qui l'ont souhaité l'ont inscrit dans leur règlement intérieur.

Le Gouvernement est opposé à une obligation nationale qui ne règle ni le sujet du harcèlement, ni les différences sociales, et encore moins les atteintes à la laïcité. L'uniforme serait immédiatement contourné par différents accessoires.

Je ne veux pas uniformiser les élèves : je souhaite qu'ils comprennent les règles de vie des établissements, qu'ils y adhèrent, et, au-delà, qu'ils adhèrent aux valeurs et aux principes de la République. C'est par l'instruction et la pédagogie que notre école y parviendra.

Photo de Nathalie Delattre

La parole est à Mme Toine Bourrat, pour la réplique.

Photo de Toine Bourrat

Monsieur le ministre, les résultats du programme finlandais sont bien meilleurs au bout de dix ans que le taux de 40 % que j’ai cité, lequel a été atteint au bout de deux ans, voire de trois ans.

Photo de Nathalie Delattre

Conformément à l'article 44, alinéa 6, du règlement, je suis saisie par M. Jean Louis Masson d'une demande d'examen par priorité des articles 10 et 11, au début de la discussion des articles.

Quel est l'avis de la commission sur cette demande de priorité ?

Demande de priorité

Photo de Jacques Grosperrin

On l'a dit tout à l'heure, ce sont la ruralité, la formation, l'expérimentation de l'autonomie des enseignants, le vivre-ensemble qui constituent le cœur du texte.

C'est pourquoi je pense qu'il est inutile d'examiner ces deux articles en priorité et qu'il convient de débattre de la proposition de loi dans l'ordre de discussion initialement prévu.

Debut de section - PermalienPhoto de Nathalie Delattre

Conformément à l'article 44, alinéa 6, du règlement, je suis saisie par M. Jean Louis Masson d'une demande d'examen par priorité des articles 10 et 11, au début de la discussion des articles.

Quel est l'avis de la commission sur cette demande de priorité ?

Photo de Nathalie Delattre

En conclusion du débat, la parole est à M. le ministre.

Photo de Nathalie Delattre

Quel est l'avis du Gouvernement sur cette demande de priorité ?

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Grosperrin

On l'a dit tout à l'heure, ce sont la ruralité, la formation, l'expérimentation de l'autonomie des enseignants, le vivre-ensemble qui constituent le cœur du texte.

C'est pourquoi je pense qu'il est inutile d'examiner ces deux articles en priorité et qu'il convient de débattre de la proposition de loi dans l'ordre de discussion initialement prévu.

Pap Ndiaye

Sans avoir fait aujourd’hui le tour de cette question, et comment aurions-nous pu y parvenir, nous avons néanmoins abordé un certain nombre de sujets importants. Permettez-moi d’en récapituler quelques-uns.

La question de la formation a été évoquée à plusieurs reprises. Nous avons concentré nos efforts sur les équipes au sein des écoles et des collèges. Notre objectif est effectivement de former tous les personnels, comme le prévoit la loi du 2 mars 2022. La formation systématique des professeurs stagiaires a commencé. Nous mobiliserons encore davantage les instituts nationaux supérieurs du professorat et de l’éducation ainsi que les écoles académiques de formation continue.

Nous devons aussi suivre qualitativement et quantitativement les actions menées. J’ai indiqué que nous avions encore des marges de progression, puisque 86 % des collèges et 60 % des écoles sont actuellement inscrits dans le programme. L’objectif est évidemment d’atteindre les 100 % et d’étendre pHARe aux lycées dès la rentrée prochaine.

Comme le recommandent les sénatrices Mélot et Van Heghe dans leur rapport d’information de septembre 2021, nous allons faire figurer à chaque rentrée scolaire les numéros d’urgence, 3018 et 3020, dans les carnets de correspondance et les supports numériques.

Enfin, si le rôle de l’éducation nationale est de prévenir, d’accompagner et de protéger les élèves, certaines situations – il faut le reconnaître – ne peuvent se régler qu’en séparant les élèves harcelés de leur harceleur. Souvent pour mettre fin rapidement aux souffrances causées par le harcèlement, les parents de l’élève harcelé font le choix de le changer d’établissement. Nous comprenons le sentiment d’injustice qui peut naître de cette situation.

Puisqu’il n’est pas possible de déplacer un élève dans une autre école sans l’accord des parents dans le premier degré, contrairement au second degré qui dispose d’un conseil de discipline, nous mettons en place des actions éducatives en fonction de la gravité de la situation, y compris dans le cas extrême d’un élève qui fait peser du fait de son comportement répété une menace grave sur la sécurité des autres élèves.

Nous allons faire évoluer les textes réglementaires pour instaurer une procédure permettant de déplacer dans une autre école un élève auteur de harcèlement, et ce sans l’accord des représentants légaux. C’est l’obligation de mise en sécurité de l’élève qui justifie cette exception.

Bien entendu, nous avons affaire à des élèves de six à dix ans. Nous devons donc être prudents, car nombre de cas de harcèlement ne sont pas aussi simples qu’il y paraît. Pour autant, le déplacement de l’élève harceleur est essentiel, même si toute procédure d’exclusion doit être entourée des garanties indispensables aux droits de l’enfant, qu’il soit l’élève harcelé ou l’élève harceleur.

Je terminerai mon propos en ayant une pensée émue pour tous les élèves victimes de harcèlement scolaire. Notre débat leur rend hommage. Je sais que nous sommes tous ici pleinement engagés pour trouver des solutions afin de prévenir ce phénomène. Les drames qui se sont produits encore récemment viennent nous rappeler douloureusement qu’il nous reste encore beaucoup à faire.

Pap Ndiaye

Même avis défavorable.

Debut de section - PermalienPhoto de Nathalie Delattre

Quel est l'avis du Gouvernement sur cette demande de priorité ?

Photo de Nathalie Delattre

Mme la présidente. En conclusion du débat, la parole est à M. Max Brisson, pour le groupe Les Républicains.

Photo de Nathalie Delattre

Mes chers collègues, je vous rappelle qu'aucune explication de vote n'est admise.

Je mets aux voix la demande de priorité.

Debut de section - PermalienPhoto de Nathalie Delattre

Mes chers collègues, je vous rappelle qu'aucune explication de vote n'est admise.

Je mets aux voix la demande de priorité.

Photo de Max Brisson

Je vous remercie, monsieur le ministre, de vos propos conclusifs. Je salue d’ailleurs toutes les précisions que vous avez apportées et les annonces que vous avez faites au cours du débat. Elles ont été de nature à nourrir nos échanges.

Le groupe Les Républicains a eu raison de demander l’inscription de ce débat à l’ordre du jour du Sénat. Il a entraîné un consensus bien compréhensible, ce qui ne sera peut-être pas tout à fait le cas pour la proposition de loi que nous allons examiner dans quelques instants.

Photo de Nathalie Delattre

Mme la présidente. Dans la suite de la discussion générale, la parole est à Mme Monique de Marco.

Discussion générale

Photo de Max Brisson

Je remercie Alexandra Borchio Fontimp d’avoir posé avec force les termes du débat et d’avoir largement repris, comme beaucoup d’entre vous, les travaux de la Haute Assemblée, notamment ceux de la mission d’info