Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la communauté éducative est démunie. Elle est démunie, car elle est affaiblie par un phénomène incompris de tous, pourtant bien présent : le harcèlement. Aujourd'hui, le harcèlement scolaire fracture notre jeunesse, endeuille nos familles et brise notre République.
En s'attaquant à notre République, aussi dépassée que désarmée, le harcèlement remet en question sa légitimité, une légitimité pourtant construite au travers des siècles, de Napoléon à Jules Ferry, en passant par Julie-Victoire Daubié. L'école républicaine, de par sa capacité à s'adapter aux circonstances, parfois aux crises, a toujours su aller de l'avant. Mais aujourd'hui, cette légitimité est menacée par la souffrance de millions d'élèves.
Mes chers collègues, il est difficile de comprendre la nature humaine, la psychologie et les rapports de force qui s'opèrent entre les élèves. Nous observons, avec tristesse et colère, les conséquences funestes de ces abus.
Près de 1 million d'enfants subissent des faits de harcèlement scolaire en France. En 2021, vingt-deux enfants ont fait le choix de renoncer, de la pire des manières. Vivant une souffrance insupportable, ils n'avaient plus la force de vivre ; ils ont alors fait le choix de ne plus souffrir.
Nous constatons avec regret la faible prise en charge de notre système éducatif dans la résolution de ce phénomène. Difficilement cernable, le harcèlement prend plusieurs formes – moral, physique, sexuel. Et n'oublions pas le racket.
Le harcèlement, d'une manière générale, est un phénomène qui s'accroît et se complexifie avec les réseaux sociaux. Le semblant d'anonymat qu'il permet, la tendance à suivre les effets de meute et la volonté de se distinguer du groupe font de ces réseaux le lieu propice et privilégié du harcèlement.
Le harcèlement scolaire est partout. De l'école à la maison, en passant par les transports en commun – 50 % des collégiens se plaignent d'ailleurs de violences dans les transports.
Les effets de groupe ont longuement été étudiés et font consensus dans la communauté scientifique. Il y a un leader, des suiveurs, des actifs et des passifs. Ce sont ces mêmes passifs qui, parfois, se trouvent au sein même du corps enseignant, lequel est censé écouter et prendre des mesures, et qui finissent par ne pas agir ou par agir trop tard.
Le harcèlement est l'un des principaux fléaux de notre système éducatif. Les victimes et leurs familles sont parfois confrontées à une parole qui est certes entendue, lorsqu'ils en ont la chance, mais qui n'est pas considérée.
Mes chers collègues, à quoi bon entendre lorsque nous refusons d'écouter ? Il est difficile de reconnaître une situation dans laquelle un élève est harcelé. Le harceleur agit de façon cachée et les formes que peut prendre ce phénomène sont souvent interprétées comme de simples chamailleries d'enfants. Les adultes ne s'attardent pas toujours ou pas assez sur certains phénomènes de microviolence : ils sont considérés comme banals, voire « normaux », entre jeunes et moins jeunes.
Nous assistons à une perte de confiance de plus en plus grande entre parents, élèves et éducation nationale. Et que dire des délais de traitement trop longs au sein des établissements ? Le délai doit donc être défini clairement, afin de ne pas laisser les familles et les victimes en suspens pendant des mois, au cours desquels le harcèlement perdure ou s'intensifie.
La prise en charge des signalements au sein des établissements reste floue : les procédures de signalement ne sont pas harmonisées ; à certains égards, elles sont même inadaptées.
Je le répète, nous sommes face à un phénomène profondément humain, qui mérite une réponse de l'État.
Il faut aussi reconnaître les avancées en la matière. L'éducation nationale s'est dotée de moyens considérables pour lutter contre le harcèlement scolaire. Le programme pHARe a le mérite d'exister, même s'il demeure insuffisant. Il rend les élèves acteurs de la lutte contre le harcèlement, sur la base du volontariat. La procédure semble en apparence louable.
Voilà deux mois, je vous ai interpellé au sujet du suicide du petit Lucas. À la suite de cette intervention, deux familles de mon département, les Vosges, m'ont contacté pour me faire part d'une faille notoire, qui se transforme en cauchemar pour les victimes.
Les élèves harceleurs, animés par une soif de domination, intègrent le programme pHARe qui, je le rappelle, est censé protéger les victimes. Que se passe-t-il, monsieur le ministre ? Il n'est plus question de prévention, il faut des réponses concrètes. Il est nécessaire de responsabiliser des établissements en matière de harcèlement. Nous devons faire de l'école un lieu de vivre ensemble exemplaire.
La prise en charge de la victime est fondamentale, prioritaire. Il faut en même temps encadrer efficacement les harceleurs. De nombreuses méthodes existent pour prendre en charge le harcèlement. Je pense notamment aux méthodes Farsta, No Blame Approach et Pikas. Monsieur le ministre, quelle est la vôtre ? §