Intervention de Max Brisson

Réunion du 11 avril 2023 à 14h30
École de la liberté de l'égalité des chances et de la laïcité — Discussion d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Photo de Max BrissonMax Brisson :

Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, alors que les pays de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) consacrent en moyenne 4, 9 % de leur produit intérieur brut (PIB) à l'éducation de leur jeunesse, la France y consacre, elle, 5, 2 %.

Il s'agit en effet de la première mission en volume. L'an dernier, nous votions un budget de 60 milliards d'euros. Pourtant la performance de notre système éducatif ne cesse de se dégrader : production d'inégalités, décrochage dans les classements internationaux, lacunes dans l'acquisition des savoirs fondamentaux. Les enquêtes et rapports nous alertent sur la dramatique baisse du niveau en mathématiques et en sciences ou sur les difficultés croissantes des élèves en lecture et en compréhension d'énoncés simples. Ces évaluations inquiètent un peuple tout entier.

Sans qu'on puisse les en blâmer, année après année, les parents qui en ont les moyens font fuir à leurs enfants les plus mauvais établissements. L'évitement est devenu un sport national.

Parallèlement, le nombre de candidats au métier d'enseignant fond. Le ministère recrute en urgence des contractuels bombardés professeurs en quarante-huit heures et affectés dans les établissements les plus difficiles. Le métier est de moins en moins attractif. Nous doutons, monsieur le ministre, que la seule revalorisation des salaires, aussi nécessaire soit-elle, puisse remplacer une réponse structurelle.

L'éducation nationale est en crise. Pourtant, l'attachement à notre école demeure. Son redressement est espéré. S'il existe des divergences, elles concernent les réponses à apporter. Pour la majorité des acteurs, elles sont essentiellement financières. Entre 2012 et 2017, la hausse du budget de l'éducation a été de 11 %. Entre 2017 et 2022, elle a atteint 21 %. Était-ce une nécessité ? Assurément. Les résultats ont-ils été à la hauteur ? Certainement pas !

Depuis trop longtemps, crédits et moyens supplémentaires sont les remèdes exclusifs à la dégradation de notre école. Ne nous y trompons pas, ils masquent l'impuissance à réformer un système trop vertical, trop uniforme et oublieux des particularités. On dépense beaucoup alors qu'on ne repense jamais en profondeur l'organisation de notre système éducatif.

C'est une impuissance à laquelle la rue de Grenelle a trop souvent répondu par plus de contrôles, plus de procédures, plus de circulaires, plus de mainmise dans la vie des établissements et par une gestion des ressources humaines (GRH) qui, in fine, s'est coupée de la réalité des conditions d'exercice du métier d'enseignant.

Ces dernières années, aux rares lettres ministérielles qui, dans le passé, fixaient un cadre et des objectifs généraux ont succédé l'avalanche des circulaires, la multiplication des injonctions, l'enchevêtrement des contrats d'objectifs et – disons-le – le plaisir d'un verbiage plus ridicule que précieux !

Alors qu'en Europe la tendance générale conduisait à donner plus de souffle, plus d'autonomie au système d'éducation, en France, verticalité, centralisation, uniformisation épuisent désormais toutes les initiatives et découragent les meilleures idées. Tout cela, bien sûr, au nom des grands principes d'unité et d'égalité alors que notre système scolaire produit ségrégation et inégalités.

Le cœur de cette proposition de loi est donc d'en finir avec cette asphyxie bureaucratique et d'engager une rupture avec le conservatisme ambiant arc-bouté sur deux maximes qui font florès au ministère : « on l'a déjà fait » et « c'est impossible ».

Pourtant, rapport après rapport, la Cour des comptes nous le dit : les systèmes scolaires les plus performants sont ceux qui donnent le plus de place à chaque établissement, fédérant à ce niveau la communauté éducative autour d'un projet commun qui encourage les enseignants à être novateurs et à améliorer leurs performances et celle de leurs collègues.

Tout est dit : ce sont bien la liberté et l'autonomie qui font défaut !

À l'aune de ce constat, je vous propose de poser les fondations d'une plus grande autonomie des établissements scolaires à travers la création expérimentale, sur la base du volontariat, des établissements publics autonomes d'éducation.

Ces établissements auront la possibilité de contractualiser avec les recteurs et les collectivités territoriales pour ce qui est de leur organisation pédagogique, des dispositifs d'accompagnement des élèves, de l'affectation des personnels, de l'allocation et de l'utilisation des moyens, ainsi que du recrutement des élèves.

Il s'agira d'une contractualisation non pas pilotée par le haut, encadrée, corsetée, adepte du copié-collé, mais bel et bien initiée par les équipes pédagogiques pour s'adapter aux réalités de chaque établissement. Bref, le contraire de ce qui a été engagé jusqu'alors et qui se poursuit aujourd'hui.

En effet, monsieur le ministre, « l'école du futur », « notre école, faisons-la, ensemble », « le fond d'innovation pédagogique » demeurent, malgré le discours présidentiel sur l'autonomie, marqués au fer rouge d'un pilotage par le haut.

Ces initiatives sont à leur tour empêtrées, limitées par une application restrictive, enserrée, rabougrie. Elles se trouvent parfois même en porte-à-faux avec l'objectif initial, en dépit d'une intention sincère, celle de donner plus de souplesse et de souffle aux établissements.

À l'inverse, l'expérimentation des établissements publics autonomes redonnera, elle, toute sa place, tout son sens, tous ses moyens aux projets pédagogiques des établissements, tout en continuant de les inscrire dans un cadre national, qui innerve depuis deux siècles notre système éducatif.

L'expérimentation s'appuiera également sur les contrats de mission, qui permettront d'aérer les carrières des professeurs, de rompre avec leur linéarité et, donc, de soutenir l'envie que beaucoup ont d'innover, de procéder à des changements au sein de l'institution, bref, l'envie de véritablement servir.

Mes chers collègues, nous sommes tous particulièrement sensibles dans cet hémicycle à la spécificité des territoires. Chacun d'entre nous sait d'expérience qu'aucune école, aucun collège, aucun lycée ne se ressemble.

Qui mieux que le professeur sait adapter ses enseignements aux élèves ? Qui mieux que le directeur, le principal ou le proviseur peut définir les besoins de l'établissement dont il a la responsabilité ?

Voilà l'esprit de cette expérimentation : donner une plus grande liberté aux écoles, aux collèges, aux lycées, aux directeurs, aux chefs d'établissement et aux professeurs. C'est incontournable pour promouvoir le mérite et l'égalité des chances. Je sais que le débat est clivant, et alors ?

L'autre mal auquel ce texte apporte un début de réponse est celui de l'acquisition des savoirs fondamentaux.

Celle-ci vacille parce que l'école s'éparpille. Le temps effectif consacré à l'enseignement de ces savoirs se réduit, alors que les programmes, bigarrés d'une multitude « d'éducation à », se densifient.

De l'institution scolaire on attend désormais moins l'instruction qu'une réponse aux multiples défis sociétaux ; nous sommes bien loin de « l'asile inviolable où les querelles des hommes ne pénètrent pas » que Jean Zay appelait de ses vœux.

Pour répondre à cette baisse de niveau, je vous propose de créer un service public de soutien scolaire et de généraliser l'accès de tous les élèves à des cours de soutien. Je ne veux plus de démarcation entre ceux dont les familles ont les ressources pour payer de tels cours et ceux qui ne les ont pas.

Le service public de soutien scolaire s'appuiera, entre autres, sur des professeurs volontaires, y compris retraités, réunis sous la forme d'une « réserve éducative ».

La question de la formation des professeurs doit également être posée. Enseigner dans le premier ou le second degré, ce n'est pas le même métier. La formation ne peut pas être identique. C'est pourquoi cette proposition de loi prévoit de dissocier la formation des enseignants du premier et du second degrés.

Il s'agit pour moi non pas de revenir sur la mastérisation ou le lien avec l'université, mais d'arrêter de se payer de mots et de redonner enfin la main à l'éducation nationale dans la formation des professeurs des écoles.

En dernier lieu, vous le savez, mes chers collègues, nous sommes vigilants sur la question de la laïcité.

L'école doit demeurer cet outil de rassemblement fondé sur une stricte laïcité. C'est le sens des dispositions sur la neutralité des accompagnateurs scolaires et sur le port d'une tenue d'établissement renforçant le sentiment d'appartenance et le vivre-ensemble.

J'espère que, sur ces sujets, comme sur les autres, nos débats seront à la hauteur des enjeux. Je crois qu'il nous faut être conscients de ce qui se joue dans les établissements, loin des postures dogmatiques.

Pour terminer, je veux saluer très chaleureusement notre rapporteur Jacques Grosperrin pour son travail et l'élaboration de ce texte, amendé lors de son examen en commission.

Mes chers collègues, nous n'avons certainement pas les mêmes solutions à proposer – les nombreux amendements déposés en témoignent.

J'émets le vœu que nos débats soient féconds et fertiles, car notre école le mérite. Soyez au moins assurés d'une chose : les propositions qui figurent dans ce texte reposent sur des convictions fortes et sur une passion immodérée pour l'école de la République !

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