Intervention de Corinne Feret

Réunion du 6 avril 2023 à 14h45
Maîtrise de l'organisation algorithmique du travail — Rejet d'une proposition de loi

Photo de Corinne FeretCorinne Feret :

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, nous sommes réunis aujourd’hui pour débattre de la proposition de loi relative à la maîtrise de l’organisation algorithmique du travail.

Le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain accueille très positivement ce texte, tant il est en phase avec l’actualité. Chaque jour, la démonstration est faite que la plateformisation du travail, dont le cœur de la matrice se trouve dans l’opacité de la « boîte noire » qu’est l’algorithme, n’est ni plus ni moins qu’un cheval de Troie contre notre modèle social.

Nous avons toujours affirmé n’être en rien opposés au développement de l’économie numérique et aux plateformes collaboratives qui rendent de nombreux services à nos concitoyens. Mais nous souhaitons faire clairement la distinction entre ces interfaces et les plateformes numériques de travail, qui dérégulent le marché du travail et de nombreux secteurs d’activité, et formuler des propositions afin d’encadrer cette plateformisation de l’économie. Ainsi, dès 2019, notre collègue Monique Lubin présentait une proposition de loi visant à rétablir les droits sociaux des travailleurs numériques.

En France, plusieurs milliers de femmes et d’hommes ont été séduits par les promesses des plateformes, qui proposent une organisation libre du temps du travail, sans contrainte hiérarchique. En pratique, à cette illusion de liberté se substitue fréquemment une réalité bien plus brutale, les travailleurs se retrouvant très rapidement pieds et poings liés face aux exigences des plateformes.

Du jour au lendemain, certains d’entre eux voient leur compte suspendu, souvent sans aucune justification. Cela est d’autant plus dur qu’ils sont privés de nombreux droits sociaux, en raison du statut fictif de travailleur indépendant.

Nul ne peut plus nier que la dématérialisation des entreprises, à laquelle nous assistons sous l’effet de l’intelligence artificielle, et plus largement le numérique bouleversent toutes les relations de travail. De plus en plus de travailleurs seront gérés par un algorithme, qui leur attribuera des tâches, les rémunérera, organisera leur travail, les évaluera et, même, les sanctionnera.

L’enjeu est désormais de maîtriser ces algorithmes. Il est de notre responsabilité de garder la mainmise sur les innovations technologiques avant d’être dépassés par elles. Encadrer et contrôler devraient être nos maîtres mots.

Si le rôle de simple intermédiaire et de mise en relation est souvent mis en avant par les plateformes elles-mêmes pour décrire le fonctionnement des algorithmes, personne ne peut plus nier que le management algorithmique contribue, au contraire, à déterminer les conditions de travail et de rémunération des travailleurs bien au-delà d’une simple mise en relation entre l’offre et la demande.

Les algorithmes de tarification, les mécanismes d’incitation et les systèmes de notation ont des effets directs sur le comportement des travailleurs des plateformes, en modifiant leur organisation et leur temps de travail et en ne leur permettant d’avoir une visibilité ni sur leurs revenus ni sur leur projet professionnel.

Un algorithme est non pas seulement une suite d’opérations permettant de traiter des volumes importants de données, mais bien une chaîne de responsabilité humaine au long de laquelle il demeure possible d’intervenir à chaque étape de conception et d’utilisation.

Ce faisant, nous sommes évidemment favorables à la proposition de loi du groupe CRCE, qui reprend d’ailleurs plusieurs propositions du rapport de la mission d’information du Sénat sur l’ubérisation de la société que nous avions approuvées. Outre sa participation active à cette mission, notre groupe avait rédigé une contribution, notamment pour insister sur la légitime question du statut des travailleurs des plateformes.

Oui, nous devons inscrire dans la loi que les décisions des employeurs prises à l’aide de moyens technologiques sont des décisions relevant de leur pouvoir de direction.

Oui, il importe, en cas de litige portant sur une discrimination au travail, que ce soit à l’employeur d’apporter la preuve que les outils qu’il utilise ne sont pas source de discriminations. Notre collègue Olivier Jacquin avait d’ailleurs déjà émis ce souhait dans le cadre de sa proposition de loi visant notamment à contrôler la place de l’algorithme dans les relations contractuelles.

Et oui, enfin, il convient de conforter le mouvement jurisprudentiel actuel en faveur de la requalification de certains travailleurs de plateformes, en posant clairement la distinction entre, d’une part, les véritables opérateurs de mise en relation et, d’autre part, les plateformes d’emploi qui exercent un contrôle juridique et économique sur les éléments essentiels de la relation les liant aux travailleurs.

Il est grand temps d’avancer sur ces sujets.

L’intelligence artificielle est utilisée par des outils qui visent à éclairer la prise de décision ou à surveiller les employés. Cela crée une asymétrie de pouvoir et d’information. L’algorithme déformant l’ensemble des conditions de travail, nous avons le devoir aujourd’hui d’agir pour y remédier.

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