Intervention de Jacques Grosperrin

Réunion du 11 avril 2023 à 14h30
École de la liberté de l'égalité des chances et de la laïcité — Discussion générale

Photo de Jacques GrosperrinJacques Grosperrin :

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce texte part d'un constat : l'institution scolaire est en souffrance.

Nombreux sont nos concitoyens à s'inquiéter : un Français sur deux pense que l'école fonctionne mal ; les deux tiers de nos concitoyens sont pessimistes quant à son avenir. Cette proportion atteint même 80 % chez les enseignants, ce qui traduit un mal-être profond.

L'école de la confiance a cédé la place à l'école de la défiance, parce que l'école n'arrive pas à atteindre les objectifs que lui assigne la Nation.

Tout d'abord, la France reste l'un des pays où l'origine sociale des élèves conditionne le plus le parcours scolaire.

Malgré les moyens importants en faveur de l'éducation prioritaire, les écarts entre les élèves scolarisés en réseau d'éducation prioritaire (REP) ou REP+ et ceux qui sont scolarisés hors de ces réseaux varient peu.

La politique sur laquelle repose l'éducation prioritaire introduit également une dichotomie de moyens entre les établissements relevant de celle-ci et ceux qui n'en font pas partie. Or 70 % des élèves socialement défavorisés ne sont pas scolarisés en REP. Cela crée parfois un sentiment d'abandon chez tous ces élèves et la communauté pédagogique concernée.

Par ailleurs, l'école ne semble plus être capable de transmettre les savoirs fondamentaux : les élèves français de CM1 sont surreprésentés parmi les élèves européens les plus faibles en mathématiques et en sciences.

Les évaluations intergénérationnelles mettent également en lumière une baisse de la maîtrise des savoirs fondamentaux. Pour une même dictée, les élèves de CM2 de 2021 font significativement plus de fautes que leurs prédécesseurs de 1987 : près de 30 % font vingt-cinq erreurs, contre 7 % d'entre eux quarante ans plus tôt.

Troisième cause de défiance, l'éducation nationale a du mal à déployer une politique nationale qui tienne compte de la diversité des territoires.

Le rapport de nos collègues Laurent Lafon et Jean-Yves Roux sur les nouveaux territoires de l'éducation a révélé l'absence durable de la donnée « ruralité » dans les statistiques de l'éducation nationale. Cela a conduit à une politique scolaire rurale par défaut.

Or les parcours scolaires post-collège et post-bac d'une partie des jeunes ruraux sont marqués par des écarts à la moyenne, voire des difficultés d'ampleur comparable à celles qui caractérisent les élèves relevant de l'éducation prioritaire. Ne l'oublions pas : plus d'un Français sur cinq de moins de 20 ans vit aujourd'hui dans un territoire rural.

Monsieur le ministre, en juin 2022, votre circulaire de rentrée prônait une « école engagée pour l'excellence, l'égalité et le bien-être ». Mon groupe partage les mêmes objectifs. Les moyens pour les atteindre, en revanche, divergent.

Cette proposition de loi correspond à notre vision de l'école. Je tiens d'ailleurs à remercier son auteur, mon cher collègue Max Brisson.

Ce texte doit permettre au Sénat de débattre avec vous, monsieur le ministre, ainsi qu'avec l'ensemble des groupes politiques, projet contre projet, de l'avenir de l'école. Les nombreux amendements le montrent : l'école est une priorité partagée par chacun de nos groupes.

Ce texte s'articule autour de quatre axes.

Le premier axe vise à renforcer l'autonomie des établissements scolaires.

Aujourd'hui, l'uniformité nationale, formelle, s'accommode de larges inégalités réelles de traitement des élèves.

La politique éducative centralisée, descendante, en provenance du ministère, ne parvient pas à répondre aux besoins des élèves et des territoires.

L'article 1er ouvre la voie à une expérimentation permettant aux écoles et aux établissements scolaires volontaires de contractualiser avec le recteur, afin d'accroître leur autonomie. Les collectivités concernées peuvent également être associées au contrat.

Je précise que les écoles qui souhaitent participer à cette expérimentation doivent acquérir au préalable le statut d'établissement public. Chacun ici connaît le lien fort qui unit la commune à son école. Afin de répondre à l'inquiétude des élus locaux, la commission a rendu nécessaire l'accord préalable des conseils municipaux ou intercommunaux, lorsque la compétence scolaire a été transférée, avant tout changement de statut de l'école.

L'article 2 confère au directeur d'école une autorité hiérarchique sur les enseignants. Notre commission a souhaité limiter ce dispositif aux écoles d'une certaine taille. Le seuil de neuf classes me semble intéressant : la mesure concernerait ainsi environ 20 % des écoles publiques.

Aujourd'hui, les écoles accueillent plus d'élèves que certains collèges, dont les chefs d'établissement disposent, eux, de cette autorité hiérarchique.

En revanche, il nous a semblé opportun, à ce stade, que les directeurs des écoles plus petites, qui ont des équipes pédagogiques plus restreintes, conservent la seule autorité fonctionnelle.

J'en profite, monsieur le ministre, pour vous interroger sur la date de publication des décrets d'application de la loi Rilhac, votée il y a désormais plusieurs mois.

Deuxième axe, la présente proposition de loi vise à assurer l'égalité des chances entre les élèves.

Pour cela, elle crée un service public de soutien scolaire qui pourra s'appuyer sur la réserve éducative. Plusieurs amendements de la commission ont permis de préciser les conditions de participation à ce service public en termes de diplôme, de probité et de neutralité.

Le texte renforce la politique éducative en faveur des territoires ruraux.

Plutôt qu'un copié-collé des dispositifs existant dans les réseaux d'éducation prioritaire sur les écoles et établissements scolaires situés dans une zone de revitalisation rurale, nous préférons créer des territoires ruraux à besoins éducatifs particuliers.

Notre commission fait ce choix, parce que les zones de revitalisation rurale sont un dispositif fiscal qui arrive à échéance à la fin de décembre 2023, et parce que le déploiement automatique des dispositifs relevant de l'éducation prioritaire dans les territoires ruraux aurait peu de sens. Je pense par exemple au dédoublement des classes de la grande section de maternelle au CE1.

En définitive, comme l'a montré le rapport de Pierre Mathiot et d'Ariane Azéma, la principale problématique des élèves des territoires ruraux est celle de l'orientation, de l'autocensure et de l'égalité des chances dans la poursuite des études, et ce plutôt dans le secondaire.

Nos collègues Max Brisson, Annick Billon et Marie-Pierre Monier, dans leur bilan sur les mesures éducatives du précédent quinquennat, ont montré combien la réforme du lycée était difficile à mettre en place dans les lycées de petite taille.

L'article 9 prévoit un accord du conseil municipal avant la fermeture d'une classe dans une commune rurale.

Monsieur le ministre, nous avons entendu vos annonces, ainsi que celles de la Première ministre, sur une éventuelle pluriannualité de la carte scolaire et une meilleure concertation avec les élus locaux. Enfin ! Cette prévisibilité pluriannuelle est demandée par les élus locaux depuis de nombreuses années. La commission de la culture et le Sénat seront particulièrement attentifs à la mise en œuvre de cette mesure.

Le troisième axe de cette proposition de loi est l'amélioration de la transmission des savoirs fondamentaux, à travers la réforme de la formation des enseignants du premier degré.

Le texte prévoit de transférer à des écoles supérieures du professorat des écoles, sous tutelle du ministère de l'éducation nationale, la formation des enseignants du premier degré. Enseigner dans le premier degré demande des compétences spécifiques en termes de pluridisciplinarité, de transmission des savoirs fondamentaux. « Faire classe » à des élèves de primaire diffère de « faire cours » à des collégiens ou à des lycéens.

De manière générale, je me réjouis que ce texte soit l'occasion de débattre avec vous des modalités de recrutement et de formation des enseignants.

La commission a souhaité sécuriser les jeunes préparant le concours d'enseignant du premier degré au sein de ces nouvelles écoles, et faciliter leur réorientation en cas d'échec au concours ou d'abandon de la formation.

Enfin, quatrième axe, le texte encourage le développement d'un sentiment d'appartenance dans les établissements, thème cher à notre collègue Céline Boulay-Espéronnier.

Il tend également à réaffirmer l'importance de la laïcité à l'école, notamment lors des sorties scolaires, lesquelles sont une projection de la classe hors les murs.

Il nous semble important que d'autres thématiques relatives à l'organisation du système scolaire soient débattues dans le cadre de cette proposition de loi.

Je pense à la question des jardins d'enfants, qui peuvent, à titre dérogatoire et uniquement jusqu'à la rentrée 2023-2024, prendre en charge l'instruction des enfants de 3 à 6 ans.

Déjà, lors de l'examen du projet de loi pour une école de la confiance, nous avions protesté, sur toutes les travées de cette assemblée, contre la fin des jardins d'enfants comme alternative reconnue à la maternelle. Nous ne comprenons toujours pas ce choix du Gouvernement.

Aussi, la commission propose de pérenniser, au-delà de la rentrée 2023-2024, la possibilité qu'ont les jardins d'enfants qui existaient avant l'entrée en vigueur de la loi pour une école de la confiance d'instruire les enfants de 3 à 6 ans.

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