Intervention de Jean-Noël Barrot

Réunion du 12 avril 2023 à 15h00
Impacts économique social et politique de l'intelligence artificielle générative — Débat d'actualité

Jean-Noël Barrot, ministre délégué auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé de la transition numérique et des télécommunications :

Pourquoi ? Pour bien légiférer, il faut bien comprendre l'intelligence artificielle générative, sujet de notre débat, dire ce qu'elle est, mais aussi ce qu'elle n'est pas. Ce qu'elle n'est pas, ou ne devrait pas être, c'est une nouvelle Pythie qui rendrait des oracles sur tous les sujets du monde.

Elle est une intelligence générative, plutôt que créative, en cela qu'elle réagence des contenus préexistants sans avoir une connaissance structurée du monde, ce qui fait d'elle un perroquet stochastique – ou, en langage commun, un perroquet approximatif, n'en déplaise à Stéphane Ravier qui, restant dans le registre animalier, a évoqué la capacité de ChatGPT à singer les comportements humains.

La différence fondamentale entre l'intelligence humaine et l'intelligence artificielle générative, comme l'a évoquée Vanina Paoli-Gagin et comme l'a soulevée il y a quatre siècles Blaise Pascal, inventeur de la première machine d'intelligence artificielle – la pascaline – est l'intention, c'est-à-dire la capacité de volonté.

Mesdames, messieurs les sénateurs, nous entendons apporter à l'irruption de systèmes du type de ChatGPT, que vous avez abondamment cité, des réponses volontaristes, qui reposent sur une position équilibrée. Christian Redon-Sarrazy et Monique de Marco l'ont souligné, la technologie n'est, intrinsèquement, ni poison ni remède. Pour notre part, nous ne sommes donc ni technolâtres ni technophobes : nous considérons que la technologie doit être placée au service de l'homme.

Certes, l'émergence très rapide de cette technologie suscite des questions qui demeurent sans réponse. Cyril Pellevat et Jean-Jacques Panunzi, entre autres, ont par exemple évoqué les effets ambigus que l'on pouvait attendre de cette technologie sur le marché du travail. Si des travailleurs seront soulagés de tâches pénibles, répétitives et fastidieuses, des professions entières seront bousculées.

Aussi devons-nous évidemment donner tous les moyens à nos concitoyens de se saisir de ces outils, afin qu'ils puissent en bénéficier. Nous devons nous assurer que l'adoption de ces technologies se fasse dans la justice sociale. Nous ne comptons pas sur la technologie pour nous dicter le cours des choses ; au contraire, nous avons la volonté de dicter le cours des choses à la technologie.

Par ailleurs, l'intelligence artificielle générative n'exclut pas les communs numériques, que Pascal Savoldelli a abordés. Pour preuve, avant ChatGPT est né un modèle open source, collaboratif, et fonctionnant notamment en Français : le modèle Bloom, qui a pu être conçu grâce au soutien du supercalculateur Jean Zay.

Faut-il marquer une pause ou décider d'un moratoire, comme l'a suggéré Catherine Morin-Desailly ? Si la question mérite d'être posée, la réponse apportée par les signataires de la récente pétition est mauvaise. À bien des égards, il nous faut accélérer, car la France dispose de tous les atouts pour maîtriser ces technologies d'intelligence artificielle générative.

Notre action en la matière n'est pas nouvelle, puisque le Président de la République a lancé il y a cinq ans une stratégie nationale pour l'intelligence artificielle, dotée de 1, 5 milliard d'euros. Ainsi, nous avons déjà fait émerger des instituts interdisciplinaires d'intelligence artificielle (3IA) à Nice, à Toulouse, à Grenoble et à Paris, qui ont permis d'établir 190 chaires de recherche pour l'intelligence artificielle, de multiplier par deux le nombre de diplômés en intelligence artificielle et d'augmenter de 500 le nombre de doctorants.

Cette stratégie se couple à une stratégie d'accélération pour l'intelligence artificielle inscrite au cœur de France 2030, ce qui répond aux questions de Cyril Pellevat, Jean-Jacques Panunzi ou Pierre-Antoine Lévi relatives à nos ambitions en la matière.

Faut-il ou non réguler ? Évidemment qu'il faut le faire. Le règlement sur l'intelligence artificielle impose non seulement des obligations de transparence, de manière à permettre à nos concitoyens de toujours faire la différence entre l'humain et la machine, mais aussi un régime de responsabilité pour les concepteurs des systèmes d'intelligence artificielle en fonction des risques associés aux usages de ces systèmes.

Ainsi, pour certains usages, le recours à l'intelligence artificielle sera proscrit. Pour d'autres, il sera encadré par des obligations de transparence et d'audit préalables à la mise sur le marché de ce type de solution. Pour d'autres encore, l'intelligence artificielle sera plus librement mobilisable.

Ce règlement couvre-t-il tous les sujets ? Non, certains d'entre eux ont d'ailleurs été cités par certains orateurs. C'est notamment le cas de l'empreinte carbone, mentionnée par Sylvie Robert. De même, en ce qui concerne la normalisation avec les États-Unis et la Chine, abordée par Cyril Pellevat et Catherine Morin-Desailly, des discussions ont d'ores et déjà eu lieu avec les États-Unis au sein du Conseil du commerce et des technologies (TTC, pour Trade and Technology Council), mais elles doivent être approfondies.

De plus, nous devrons être vigilants sur la question de l'exploitation des travailleurs des pays du Sud, évoquée par Monique de Marco et Pascal Savoldelli. Nous devrons également traiter la question des droits d'auteur, soulevée par Sylvie Robert et Jean-Claude Requier, ainsi que celle de la protection des données personnelles, qui est la raison invoquée par l'équivalent italien de la Cnil pour interdire ChatGPT sur le sol italien.

Les modèles d'intelligence artificielle sont entraînés sur des jeux de données assemblés sur internet. Or des données personnelles qui alimentent des jeux d'entraînement ont été collectées à une époque où aucun consentement n'était prévu. Il va donc nous falloir concilier la réglementation que nous construisons pour l'intelligence artificielle et celle que nous avons construite – et dont nous sommes très fiers – pour la protection des données personnelles.

Mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie du temps que vous avez consacré à ce débat. Certaines de vos préoccupations sont d'ores et déjà prises en considération dans la réglementation sur laquelle nous avançons et par le plan d'investissement souhaité par le Président de la République, tandis que d'autres nourriront, à n'en pas douter, les travaux du Sénat dans les mois et les années à venir.

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