Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, après les affrontements de Sainte-Soline le 25 mars dernier, ce débat sur la gestion de la ressource en eau apparaît cruellement d’actualité.
Sainte-Soline n’est pas une affaire d’écologistes et d’ultragauche. Il s’agit d’un débat de fond et d’une véritable inquiétude : dans un contexte de pénurie croissante, l’eau va-t-elle enfin être gérée comme un bien commun à préserver ?
Jusqu’à présent, nous vivions dans un pays où l’eau coulait en abondance. Nous pouvions prélever jusqu’à 35 milliards de mètres cubes par an sans avoir à remettre en cause notre modèle. Toutefois, après plusieurs épisodes de sécheresse et la confirmation d’une trajectoire inquiétante de réchauffement climatique, des tensions autour du partage de cette ressource apparaissent.
Pour autant, connaissons-nous réellement la situation ? Sommes-nous en mesure de quantifier l’état de la ressource en eau ? Le sentiment général, madame la secrétaire d’État, est que nous nous réveillons alors qu’il est déjà trop tard, que les cours d’eau sont à sec, que les nappes phréatiques sont au plus bas et que les prévisions à moyen terme ne sont pas des plus optimistes.
Sous l’effet du réchauffement climatique, les précipitations vont diminuer, l’évaporation va s’accentuer. Dans le même temps, l’augmentation de la population mondiale accroît les besoins en eau. Les pressions sur les gestionnaires de l’eau en ville s’intensifient. En zone rurale, le partage et les conflits d’usage posent des problèmes croissants. Parallèlement, les besoins en énergie et en alimentation augmentent, alors que les centrales nucléaires et l’agriculture sont de très gros consommateurs d’eau.
Gérer durablement l’eau, c’est être en capacité de reconstituer les stocks chaque année, c’est ne pas puiser plus que l’alimentation annuelle des réserves souterraines et de surface, alors même que les glaciers fondent sans se reconstituer.
Pour cela, nous devons d’abord revoir entièrement notre modèle, à commencer par le modèle économique des agences de l’eau, qui n’incite pas suffisamment à une utilisation rationnelle de l’eau. Le plan Eau prévoit le déplafonnement des dépenses de ces structures. Attention toutefois à élargir le champ des contributeurs, afin de conserver une logique pollueur-payeur. Si une tarification progressive et responsabilisante de l’eau peut contribuer à faire baisser la consommation des ménages, le financement de la politique de l’eau ne peut continuer à reposer entièrement sur eux.
L’objectif de réduction de 10 % des prélèvements par rapport à 2019, dans tous les secteurs, est un premier pas. Nous regrettons toutefois que cette ambition, affichée pour 2025 lors des assises de l’eau, soit désormais reportée à 2030.
Un objectif n’est rien sans moyens à la hauteur. Le plan Eau nous apporte quelques réponses, avec 500 millions d’euros supplémentaires chaque année pour les agences de l’eau, 100 millions pour les pratiques vertueuses des agriculteurs ou encore 100 millions d’euros du fonds vert pour des projets de renaturation des collectivités. Une grande campagne de sensibilisation et d’accompagnement des particuliers complétera cet arsenal, pour couvrir l’ensemble de la chaîne de consommation.
Pour ma part, je défends un modèle où l’État fixe un cap ambitieux associé à des moyens suffisants, tout en laissant la main aux collectivités territoriales, car un modèle unique ne saurait être appliqué sur tout le territoire. Il nous faut des approches intégrées, par exemple avec une gestion par bassin ou par écosystème. Il nous faut achever l’évolution de la gouvernance de l’eau, pour que tous les acteurs définissent ensemble les priorités de leur bassin, dans le but d’éviter les conflits et de garantir une utilisation de la ressource en fonction des besoins prioritaires.
Sur la question très sensible de l’irrigation en agriculture, les quantités autorisées doivent être définies par les agences de l’eau, en lien avec les chambres d’agriculture, mais aussi les associations locales, pour faire baisser le niveau de tension. De tels projets de territoire pourraient nous éviter d’autres Sainte-Soline.
Nous devons aussi mieux accompagner les élus locaux, parfois démunis face aux enjeux, notamment dans les petites communes hors syndicat. Il faut les aider à mieux identifier, financer et mettre en œuvre leurs projets.
Enfin, des solutions très concrètes doivent être développées. La technologie nous offre des opportunités intéressantes dans tous les secteurs. Outre l’irrigation de précision, le goutte-à-goutte enterré ou les drones et les capteurs en agriculture, la réutilisation des eaux usées doit faire figure de priorité. Le Président de la République a fixé l’objectif de passer de 1 % à 10 % d’eau usée réutilisée, notamment en levant certains verrous administratifs. Alors qu’Israël réutilise 80 % de ses eaux usées, nous continuons à arroser nos jardins avec de l’eau potable… Il y a là une absurdité à lever.