Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le 10 avril 1870, Jules Ferry prononçait les mots suivants dans l’enceinte du Palais-Bourbon : « Ma prétention est de vous montrer que l’égalité d’éducation n’est pas une utopie ; que c’est un principe ; qu’en droit, elle est incontestable, et qu’en pratique, […] cette utopie apparente est dans l’ordre des choses possibles. »
C’est d’abord à cette exigence d’égalité que nous devons nous attacher quand nous évoquons l’école de la République, et non pas à celle de la performance, trop souvent portée aux nues, comme si l’école était une entreprise.
La proposition de loi que nous examinons aujourd’hui est un condensé des propositions mises en avant par la droite depuis des décennies pour transformer une institution qu’elle estime défaillante : autonomie des établissements scolaires, renforcée jusqu’à l’extrême, autorité hiérarchique des directeurs d’école, remise en cause du cadre de la fonction publique pour les recrutements d’enseignants, uniforme obligatoire.
Je souhaite en premier lieu rappeler que, loin des discours alarmistes sur le sujet, la dernière étude de l’Insee, publiée en 2022, établit à 74 % le pourcentage de la population ayant confiance dans l’institution scolaire.
Bien sûr, tout ne va pas bien, mais nous considérons pour notre part que, pour bien fonctionner, notre école a besoin non pas de telles mesures, qui ont vocation à la faire basculer dans une logique libérale et concurrentielle, bien loin des principes républicains, mais de moyens à la hauteur de ses ambitions.
J’entends déjà mes collègues, du côté droit de cet hémicycle, me répondre que l’on donne déjà bien assez de moyens. Je souhaiterais à cet égard partager quelques éléments de comparaison.
À l’échelle européenne, d’abord : dans son rapport consacré à l’Europe de l’éducation, publié en décembre 2022, la direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance (Depp) relève que la France est le pays de l’Union européenne dont les effectifs par classe sont les plus élevés. Les élèves scolarisés en élémentaire en France sont en moyenne 22 par classe, contre 19, 3 dans le reste de l’Union européenne.
Au collège, l’effectif moyen approche 26 élèves, alors que la moyenne européenne se situe sous la barre des 21.
La France est aussi l’un des pays de l’Union européenne où les enseignants doivent assurer un nombre d’heures de cours parmi les plus élevés, et ce alors que leur salaire est inférieur à la moyenne européenne.
L’évolution de nos dépenses en matière d’éducation mérite également d’être scrutée avec plus d’attention, dans un contexte où l’on entend dire qu’il s’agit d’un puits sans fond.
La dépense intérieure d’éducation a atteint un pic à 7, 7 % du PIB au milieu des années 1990. Elle évolue aujourd’hui en moyenne autour de 7 %, mais, depuis les années 1980, l’État s’est progressivement désengagé des dépenses au profit des collectivités territoriales, dont la part dans les dépenses d’éducation est passée de 14 % en 1980 à 23 % en 2021.
Quitte à nous poser des questions sur l’efficacité du budget alloué à l’éducation nationale, nous pourrions aussi nous interroger sur les sommes attribuées spécifiquement à l’enseignement privé sous contrat, financé à 73 % par de l’argent public. Est-il bien normal que, dans une ville comme Paris, les établissements privés disposent de plus d’heures d’enseignement rapportées au nombre d’élèves que ceux du public ?
J’en viens au détail des articles que contient ce texte. Plusieurs d’entre eux constituent pour notre groupe une ligne rouge. Aussi, nous aurons à cœur de défendre leur suppression tout au long de cet examen.
L’article 1er, qui prévoit l’expérimentation d’une autonomie renforcée des établissements scolaires des premier et second degrés, va à l’encontre de notre vision républicaine de l’école, qui doit être la même pour tous les élèves sur l’ensemble du territoire, et répondre aux mêmes programmes et objectifs. Le cadre expérimental dans lequel il s’inscrit est par ailleurs fragile juridiquement. En effet, il me semble impossible que les établissements publics autonomes de l’éducation puissent être créés pour une durée limitée.
L’article 2 vise à instaurer une autorité hiérarchique pour les directeurs d’école. Cette possibilité a été limitée en fonction du nombre de classes lors de l’examen en commission. Nous avions déjà eu l’occasion de l’affirmer lors de l’examen de la loi Rilhac : nous sommes attachés au fonctionnement collégial des écoles du premier degré. C’est le principe des « pairs parmi les pairs ». Nous reviendrons d’ailleurs par voie d’amendement sur la notion d’autorité fonctionnelle, votée dans cette loi, et qui a introduit une première brèche dans ce principe.
La mise en place des contrats de mission entre recteurs et enseignants, proposée à l’article 3, s’inscrit dans un cadre dérogatoire au droit commun de la fonction publique, ce qui n’est pas acceptable. Un tel dispositif, qui aura un impact sur l’ensemble du bassin de recrutement, bien au-delà des seuls établissements concernés, ne résoudra en rien le manque d’attractivité de certains établissements ou territoires.
L’article 10 étend le principe de neutralité et l’interdiction de port ostensible de signes religieux aux participants occasionnels du service public de l’éducation. Mon groupe s’est toujours opposé à une extension de ces obligations aux accompagnateurs et accompagnatrices de sorties scolaires.
J’ajouterai que le sujet de la laïcité à l’école mérite une autre approche, visant une meilleure adhésion de nos élèves à ce principe fondamental. Nous aurons l’occasion d’en reparler dans le cadre de la formation des enseignants.
D’autres dispositions de ce texte, moins clivantes, ont le mérite de soulever des problématiques pertinentes, même si nous différons parfois sur les réponses apportées.
Si nous considérons que la formation initiale des enseignants du premier degré peut être revue et améliorée dans son déroulement, il ne nous semble pas opportun de mettre fin à la culture professionnelle commune entre premier et second degrés que permettent les instituts nationaux supérieurs du professorat et de l’éducation (Inspé) et d’éloigner la formation des enseignants du premier degré du monde universitaire et de la recherche.
L’article 6 pose les jalons d’un service public de soutien scolaire : c’est un signal positif répondant à un besoin social fort, qui ne peut être laissé à la main du privé. Nous aurions souhaité l’encadrer davantage, afin de garantir la qualité de l’accompagnement proposé aux élèves : au regard des exigences de continuité dans les apprentissages nécessaires, nous considérons en effet qu’il doit être, pour le second degré, assuré uniquement par des professeurs, avec une intégration de ces heures dans leurs heures de service. Nos amendements en ce sens ont malheureusement été jugés irrecevables, en raison des charges supplémentaires engendrées. Il est vrai que tout bon service public nécessite un investissement de la part de l’État…
L’article 7, qui prévoit la mise en place d’une réserve éducative pour nourrir ce service public, nous paraît redondant avec la réserve citoyenne de l’éducation nationale déjà existante, dont il conviendrait plutôt de dresser le bilan.
L’article 8, fortement remanié en commission, porte sur les difficultés propres aux élèves scolarisés en milieu rural. Si son périmètre et sa portée sont devenus flous, il a le mérite d’aborder un sujet rarement évoqué, et pourtant crucial.
Nous partageons par ailleurs la préoccupation exprimée à l’article 9 : dans l’ensemble de nos territoires ruraux, les alertes se sont multipliées concernant les fermetures de classes prévues à la prochaine rentrée. Dans la Drôme, nous comptons plus de quarante fermetures, et les plus douloureuses sont dans des communes rurales.
Je ne peux que rejoindre mes collègues qui regrettent ces fermetures en raison de l’application d’une logique purement comptable. Je le répète, les choix faits en loi de finances ont des conséquences. J’espère donc pouvoir compter sur eux lors du vote du prochain budget pour revenir sur les suppressions de postes d’enseignant survenues ces dernières années.
Enfin, en ce qui concerne l’article 11, qui prévoit l’obligation d’une tenue vestimentaire uniforme, nous considérons qu’il n’est pas la bonne réponse à apporter aux inégalités sociales et scolaires : si nous souhaitons nous attaquer sincèrement à ces sujets, la mixité sociale constitue la bonne porte d’entrée.
Je me réjouis toujours de débattre au sein de notre hémicycle sur l’école, mais ce texte me laisse un goût amer. Il me semble que ses propositions ne sont pas à la hauteur des enjeux auxquels est aujourd’hui confrontée notre école de la République, pourtant essentielle pour nos enfants et l’avenir de notre pays. Si nous souhaitons réellement être dans une approche moins verticale et plus proche du terrain, nous devrions en premier lieu écouter les préoccupations des personnels qui s’efforcent de la faire vivre au quotidien.