Chacun reconnaît l'urgence d'une politique de lutte contre la précarité énergétique consubstantielle à celle de rénovation thermique des logements, dans un contexte de baisse de pouvoir d'achat et de hausse des prix de l'énergie.
Si le mérite des auteurs de cette proposition de loi est de réitérer la nécessité d'une telle politique, la consistance déclarative et la temporalité du texte en limitent l'opérationnalité et l'efficacité, compte tenu du travail en cours de la commission d'enquête sénatoriale sur les politiques publiques en matière de rénovation des bâtiments et de la loi de programmation sur l'énergie et le climat : celle-ci comprendra un volet concernant la stratégie nationale bas-carbone et devrait intervenir au second semestre.
La résorption de la précarité énergétique passe inexorablement par celle de l'insalubrité et des passoires thermiques, à la croisée de l'urgence sociale, qui a le plus souvent recours à des aides modulables et rapides, et de l'impératif environnemental de lutte contre le réchauffement climatique, qui nécessite des actions globales et durables pour tous les types de logements et de propriétaires.
L'idéal de conciliation de ces deux exigences se heurte à la réalité : les contraintes financières des ménages et la difficulté à engager une rénovation globale compte tenu de l'urgence de certains travaux.
Si je souscris à l'objectif de cette proposition de loi qui souligne l'importance de favoriser l'accès aux dispositifs et de les améliorer, je suis plus réservé quant à l'extension de la durée prévue pour réaliser une rénovation globale ainsi qu'à celle des capacités au reste à charge nul.
Plus que les délais, ce sont la détection et l'accompagnement des plus fragiles qui sont en cause, ainsi que la continuité des dispositifs, comme le souligne le rapport de la Cour des comptes, leur simplification et la mise en adéquation des moyens humains et financiers avec cette nécessaire massification et également la coordination de tous les acteurs, dont les collectivités locales, qui jouent un rôle majeur en ces domaines.
Plus de 12 millions de personnes sont dans une situation de fragilité et 5 millions de passoires thermiques devraient faire l'objet d'une rénovation indispensable, mais coûteuse, qui est donc insuffisamment engagée.
En effet, certains usagers ne parviennent pas à finaliser la demande de versement du solde, ce qui induit le recours aux prêts bancaires ou à des prêts familiaux, même s'ils sont souvent impossibles, dans l'attente du versement des aides. C'est ainsi qu'augmente la précarité financière de ces millions de ménages aux revenus modestes, voire très modestes.
Cette discussion est aussi l'occasion de vous demander, monsieur le ministre, de prendre acte du rapport de la Défenseure des droits qui a alerté sur les graves dysfonctionnements de MaPrimeRénov', outil dématérialisé et en ligne : l'Anah a enregistré 900 réclamations entre les mois d'octobre et d'avril derniers, dont 600 restent encore sans réponse.
Les collectivités servent de relais en saisissant l'Anah des situations individuelles. Elles se heurtent parfois à l'absence d'interlocuteur et à des délais hors normes dans le traitement de leurs demandes, faute de moyens nécessaires pour l'agence.
La rénovation énergétique des bâtiments nécessite un pilotage économique et social pour aider les plus modestes.
La mobilisation de tous les acteurs sur le territoire, la nécessité de diagnostics territoriaux et individuels, l'exigence d'un accompagnement tout au long du processus – plus que d'un allongement des délais, c'est d'un accompagnement administratif, technique et financier dont on a besoin, qui sera rendu possible grâce à l'engagement des collectivités aux côtés de l'État, via des subventions et des régies d'avance, pour garantir l'efficacité des rénovations –, la réduction de la précarité sociale et sanitaire et la diminution des émissions de gaz à effet de serre : telles sont les mesures qu'il faudra décliner dans la future loi de programmation promise par le Gouvernement, si l'on veut qu'elle soit une véritable loi de résorption de la précarité et de lutte contre le réchauffement climatique.
Poursuivons la commission d'enquête sénatoriale ; son analyse et les propositions des acteurs concernés permettent le travail de fond indispensable aux adaptations législatives nécessaires pour vivre mieux et bien logé. Les personnes mal logées sont de plus en plus nombreuses. Rappelons que, dans son rapport annuel, la Fondation Abbé Pierre estime à 300 000 personnes le nombre de sans domicile fixe en France, soit 30 000 de plus qu'en 2022, et à plus de 4 millions de personnes celui des mal-logés. Les impayés de factures d'électricité ont augmenté de 17 % entre 2019 et 2021.
La question est donc de trouver les moyens non seulement de territorialiser et d'améliorer les dispositifs, mais aussi d'articuler l'intervention des acteurs concernés afin de produire des changements suffisamment rapides pour permettre à notre pays de parvenir à la neutralité carbone d'ici à 2050 et de résorber la précarité énergétique et sanitaire des plus fragiles.
Enfin, j'appelle aussi le Gouvernement à prendre toutes les précautions à l'égard des plus vulnérables, soumis plus que jamais aux arnaques sur les réseaux sociaux : en effet, par manque d'accompagnement, ceux-ci peuvent être amenés à souscrire des contrats malveillants, avec pour risque la noyade dans la grande précarité.
Cette proposition de loi nous semble donc trop peu efficiente pour que nous puissions l'adopter, mais elle offre les bases qui permettront de nourrir le débat lors de l'examen des prochains textes sur le sujet, que nous attendons d'ici à la fin de l'année, pour atteindre les objectifs visés par l'auteur du texte.