Intervention de Jean-François Husson

Réunion du 3 mai 2023 à 21h45
Programme de stabilité et orientation des finances publiques — Débat organisé à la demande de la commission des finances

Photo de Jean-François HussonJean-François Husson :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, lors du déplacement du bureau de la commission des finances à Berlin et à Francfort la semaine dernière, nous avons échangé très directement avec nos homologues allemands sur la réforme des règles européennes de coordination budgétaire prévues par le pacte de stabilité et de croissance.

Cette réforme repose sur deux principes essentiels : une meilleure prise en compte des investissements nécessaires pour répondre aux défis de demain, d’une part, la possibilité de différencier les objectifs de réduction de la dette et du déficit en fonction de la situation réelle des pays, d’autre part.

La réforme qui est en cours est, à mes yeux, éminemment nécessaire, car nous devons nous adapter : les règles précédentes n’ont pas permis de garantir une maîtrise durable des déficits ; par ailleurs, nos économies sont sorties très endettées des crises sanitaire puis énergétique. Nous ne pouvons en outre plus ignorer ni le réchauffement climatique ni la nécessité de renforcer notre résilience technologique, industrielle et énergétique.

L’approche retenue par les Européens, qui consiste à appliquer les règles budgétaires en fonction des circonstances, est la bonne, mais elle implique que chacun respecte deux grands principes, à savoir, tout d’abord, que les trajectoires des finances publiques présentées soient construites sur des hypothèses crédibles et, ensuite, que les objectifs de maîtrise des comptes soient à la hauteur.

Or, monsieur le ministre, tel ne me semble pas être le cas du programme de stabilité que vous nous présentez : il ne répond, de mon point de vue, à aucun de ces deux objectifs, ce qui fragilise la parole de la France face à ses partenaires.

Dans un premier temps, j’évoquerai le scénario de croissance économique.

S’agissant de la croissance du PIB en volume, le Gouvernement considère que le scénario qu’il avait présenté lors de l’examen du projet de loi de programmation des finances publiques (LPFP) reste inchangé.

Comme cet automne, les conjoncturistes ne partagent pas ce scénario, qui paraît dès lors très optimiste. Ainsi, lorsque le Gouvernement anticipe 1, 7 % de croissance par an en moyenne, le Consensus Forecast, qui agrège les prévisions réalisées par une vingtaine d’instituts, anticipe une croissance de 1, 4 % par an.

La principale raison de cet écart résulte de la consommation des ménages que le Gouvernement veut voir évoluer de 1, 6 % par an et qui ne progresserait, selon les conjoncturistes, que de 1, 1 %.

Par ailleurs, monsieur le ministre, vous avez décidé de réévaluer très fortement votre estimation du déflateur de PIB, qui mesure l’évolution des prix des biens et services produits durant une année.

Le déflateur de PIB est un paramètre certes très technique, mais absolument majeur pour définir la trajectoire des finances publiques, car il commande l’évolution du PIB en valeur, à partir duquel est calculé le produit des impôts. En clair, plus le déflateur est élevé, plus le PIB est élevé, plus les recettes publiques sont importantes.

Sans que le Gouvernement documente les motifs pour lesquels il l’a révisé, le déflateur de PIB atteindrait ainsi 5, 4 % en 2023, soit une augmentation de près de deux points par rapport à ce qui était prévu dans le projet de loi de programmation des finances publiques il y a quelques mois.

En outre, une fois encore – et malheureusement pour l’exécutif –, les conjoncturistes ne partagent pas du tout l’analyse du Gouvernement, à l’instar du FMI et de la Banque de France qui retiennent, eux, le chiffre de 3 %.

Quelles sont les conséquences d’une telle révision ? C’est simple, elle contribue à une augmentation de 50 milliards d’euros du PIB en 2023 par rapport aux prévisions figurant dans le projet de loi de programmation des finances publiques, ce qui permet d’anticiper plus de 13 milliards d’euros de recettes supplémentaires.

Voilà qui constitue, avouez-le, une révision technique bien opportune pour qui voudrait présenter des ratios de dépense publique, de déficit et d’endettement plus favorables.

La difficulté, j’y reviendrai, réside dans le fait que l’ensemble de la stratégie d’amélioration des comptes publics défendue par le Gouvernement repose sur une hypothèse qui n’est ni documentée ni partagée par les conjoncturistes.

Certes, la Commission européenne envisageait, elle aussi, dans ses prévisions d’automne, un déflateur de l’ordre de 5 % en 2023. Mais elle prévoyait alors, dans le même temps, une croissance du PIB bien plus faible. L’écart entre le PIB anticipé pour 2023 par le Gouvernement et la Commission s’élève à plus de 30 milliards d’euros.

En réalité, on a l’impression que le Gouvernement a fait le choix, pour la plupart des indicateurs économiques, de retenir l’hypothèse la plus favorable, ce qui ne me paraît pas raisonnable.

Autre point important, le Gouvernement continue d’évaluer la croissance potentielle à 1, 35 % par an.

Une nouvelle fois, la plupart des conjoncturistes ne partagent pas cette prévision. Comme le Haut Conseil des finances publiques l’indique, ce scénario de croissance potentielle me paraît trop élevé, d’autant plus qu’il repose sur l’hypothèse selon laquelle notre économie fonctionnerait actuellement en dessous de ses capacités. Pour tout dire, les difficultés actuelles pour recruter me conduisent à en douter.

En conséquence, le scénario macroéconomique que vous présentez, monsieur le ministre, me semble reposer sur un ensemble d’hypothèses trop favorables, trop optimistes, trop peu documentées et, en définitive, trop fragiles. Cela n’est pas de nature à asseoir la confiance dans le cadre de notre dialogue avec la Commission européenne et nos partenaires.

J’en viens maintenant à la trajectoire des finances publiques présentée par le Gouvernement.

Depuis quelques jours, les ministres en disent tout le bien qu’il faudrait en penser : elle montrerait un effort plus important de maîtrise des dépenses et démontrerait que la France s’apprête à réduire son déficit et sa dette dans des délais inespérés jusqu’ici.

En pratique, la réalité est malheureusement assez différente.

Tout d’abord, je l’ai dit tout à l’heure, après avoir revu son scénario macroéconomique, le Gouvernement prévoit qu’en 2027 le PIB sera supérieur, en valeur, de 70 milliards d’euros – excusez du peu ! – à ce qui était envisagé il y a quelques mois lors de l’examen du projet de loi de programmation des finances publiques.

Dans ce contexte, les recettes publiques augmenteraient mécaniquement d’un peu plus de 33 milliards d’euros, sans aucune mesure nouvelle. En effet, le Gouvernement annonce des baisses d’impôts pour les classes moyennes dans l’avenir, monsieur le ministre, mais je n’en trouve aucune trace dans le programme de stabilité.

En conséquence, la prévision de recettes paraît extrêmement fragile.

Ce qui est plus sûr, c’est la prévision d’évolution des dépenses, à savoir une augmentation d’environ 30 milliards d’euros en 2027 par rapport à la cible définie à la fin de 2022 dans le cadre du projet de loi de programmation.

Sur cette hausse, je mentionnerai deux points d’alerte majeurs : le premier, c’est qu’environ 12 milliards d’euros correspondent à l’augmentation de la charge des intérêts de la dette, qui constituerait le premier poste du budget de l’État ; le second, c’est que le reste – entre 17 et 18 milliards d’euros – correspond à une hausse des dépenses ordinaires, c’est-à-dire hors mesures de crise.

Autrement dit, par rapport au projet de loi de programmation des finances publiques, il est prévu que les dépenses ordinaires augmentent, tant en valeur qu’en volume.

En effet, alors que la LPFP, mise à jour après le vote de la loi de finances pour 2023, prévoyait une hausse des dépenses ordinaires de 0, 7 % par an en moyenne, celle-ci s’établit désormais à 0, 9 % par an.

À quoi seront consacrés ces crédits supplémentaires sur les dépenses ordinaires ? Le programme de stabilité ne le précise pas, et on se demande bien où se trouvent les 5 % d’économies demandées par la Première ministre aux différents ministères.

Surtout, j’observe que, si la loi de programmation des finances publiques avait été adoptée au mois de décembre, les objectifs en matière de dépenses seraient déjà obsolètes – le temps passe vite…

En outre, je vous ai entendu, monsieur le ministre, ainsi que le ministre de l’économie, dire que vous aviez entendu les collectivités locales et que le programme de stabilité prévoyait désormais un effort plus important de la part de l’État, comparativement à celui des collectivités territoriales.

Or, malgré mes recherches, rien ne permet de le constater dans ce programme de stabilité, qui ne comporte aucun développement, aucun tableau, aucune donnée permettant d’apprécier la trajectoire de dépenses des différentes catégories d’administrations au cours de la période 2023-2027. Nous sommes donc dans l’incantation et dans les paroles.

Je demeure cohérent – cela ne vous surprendra pas – avec la ligne que nous avons défendue lors de l’examen du projet de loi de programmation des finances publiques : la trajectoire de dépenses qui était proposée n’était ni assez ambitieuse ni documentée.

Je note d’ailleurs que je ne suis pas le seul à douter de la capacité du Gouvernement à mener les réformes structurelles nécessaires à la France : la baisse de notre notation par l’agence Fitch en constitue, me semble-t-il, une preuve supplémentaire.

J’en viens enfin à la question du déficit et de l’endettement public.

J’observe que le programme de stabilité prévoit une amélioration du déficit public d’environ 4 milliards d’euros en 2027 par rapport à la trajectoire inscrite dans le projet de loi de programmation des finances publiques, soit environ 0, 2 point de PIB. Le déficit s’établirait désormais à 2, 7 % et non plus à 2, 9 % du PIB.

Toutefois, ces bons résultats comptables reposent sur l’hypothèse d’une progression plus rapide des recettes que ne le serait celle des dépenses et, donc, sur un scénario macroéconomique qui nous paraît tout à fait contestable.

En conséquence, si le scénario d’une augmentation des dépenses a de sérieuses chances de se concrétiser, celui d’une hausse des recettes, avec l’ampleur prévue par le PStab, reste très incertain.

En conclusion, ce programme de stabilité repose sur un scénario macroéconomique trop optimiste et fragile.

S’agissant des finances publiques, il prévoit à la fois une trajectoire de recettes fondée sur une révision du déflateur qui ne fait pas consensus, et une accélération des dépenses plus importante que celle qui est prévue dans le projet de loi de programmation des finances publiques. En définitive, l’amélioration du déficit et de l’endettement paraît à la fois très limitée et très incertaine.

Dans ces conditions, le programme de stabilité ne nous semble pas à la hauteur de nos engagements européens. Il affaiblit la France auprès de ses partenaires.

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