Intervention de Jacques Le Nay

Réunion du 4 mai 2023 à 10h30
Comment rendre possible le retour en ukraine des enfants déportés en fédération de russie — Débat organisé à la demande du groupe rassemblement des démocrates progressistes et indépendants

Photo de Jacques Le NayJacques Le Nay :

Madame la présidente, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, « La guerre en Ukraine pousse une génération d'enfants au bord du précipice », alertait l'Unicef dans un communiqué de février 2023.

Depuis plus d'un an, les civils ukrainiens, et plus particulièrement les 8 millions d'enfants du pays, subissent les horreurs de la guerre : crise économique, confrontation à la violence et à la mort, privation de l'accès aux services de base, qui sont malheureusement les conséquences habituelles de tout conflit armé. Mais il semble que cela ne suffise pas à la Fédération de Russie.

Non, le doublement du pourcentage d'enfants vivant dans la pauvreté en Ukraine depuis le début du conflit ne suffit pas ; non, l'exposition de près de 1, 5 million d'enfants à un problème de santé mentale directement lié au conflit ne suffit pas ; non, l'interruption de la scolarité de plus de 5 millions d'enfants et la restriction de l'accès aux soins de milliers d'entre eux ne suffisent pas. Mes chers collègues, il a fallu que la Fédération de Russie y ajoute l'enfer de la déportation !

À ce jour, selon les autorités ukrainiennes, plus de 19 000 enfants ukrainiens demeurent en Russie après y avoir été transférés de force. Cette estimation ne tient même pas compte des enfants vivant dans les territoires occupés.

Ces transferts forcés n'ont rien d'une colonie de vacances, comme aimeraient nous le faire croire les autorités russes. Ils ont commencé avant même le début du conflit, lorsque les pensionnaires des orphelinats et les enfants handicapés des territoires de Donetsk et de Lougansk ont été déplacés en Fédération de Russie ou en Biélorussie.

Depuis février 2022, cependant, le mouvement s'est accéléré et amplifié.

D'abord, en s'attaquant brutalement aux infrastructures civiles et aux espaces résidentiels ukrainiens, les forces russes contraignent de nombreuses familles des régions frontalières à s'exiler vers la Russie. Là, un « filtrage » est opéré pour séparer les enfants de leurs parents.

Dans les zones de combat, c'est plutôt le meurtre des parents et l'enlèvement des orphelins qui tiennent lieu de « filtrage », comme le précise la résolution adoptée par l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, le 27 avril dernier.

Une fois transférés, les enfants sont placés en foyer ou en famille d'accueil et leur procédure d'adoption est facilitée afin d'accélérer leur russification, car c'est bien de cela qu'il s'agit : la rééducation des enfants, l'effacement de leur identité ukrainienne et leur endoctrinement selon les lignes de la politique russe. Très concrètement, cela se traduit par l'attribution forcée de la citoyenneté russe, l'interdiction de parler ukrainien ou de manifester un quelconque signe d'appartenance à la culture ukrainienne et l'exposition obligatoire à la langue, à la culture et à la propagande russes.

Ces faits, évidemment contraires au droit international humanitaire, sont constitutifs de crimes de guerre et de crimes contre l'humanité. J'ajoute qu'ils répondent à la définition du crime de génocide telle qu'établie par la Convention de 1948, qui décrit ce dernier comme un acte « commis dans l'intention de détruire, en tout ou partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux », notamment par le « transfert forcé d'enfants du groupe à un autre groupe ». Mes chers collègues, vous aurez peut-être du mal à le croire, mais la Russie a signé et ratifié cette convention !

C'est pourquoi, au nom du groupe Union Centriste, je salue l'initiative de notre collègue André Gattolin qui a permis au Sénat, par une résolution adoptée le 17 avril dernier, de condamner fermement les déportations d'enfants ukrainiens par la Fédération de Russie. Notre assemblée joint ainsi sa voix à celles de l'ONU, du Parlement européen et de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) : toutes ces institutions ont exprimé leur indignation devant les transferts forcés d'enfants et d'autres civils ukrainiens vers la Russie et exigé la condamnation ferme des responsables de cette politique d'État. Par une résolution votée le 27 avril dernier, l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, où j'ai l'honneur de siéger, n'a pas non plus hésité à qualifier les enlèvements d'enfants ukrainiens d'actes génocidaires.

Si l'ensemble de la communauté internationale s'insurge, c'est parce que cet enjeu dépasse le seul cadre du conflit entre l'Ukraine et la Russie. Pour reprendre les mots de Mme Olena Zelenska, première dame d'Ukraine, s'exprimant devant le Conseil de l'Europe, la semaine dernière : « Quand les droits de l'enfant sont menacés dans un pays du monde, les droits de l'enfant sont menacés partout ».

Dans ce contexte, mes chers collègues, il nous faut d'abord traiter l'urgence. Notre priorité doit être d'organiser le retour des enfants ukrainiens déportés en Fédération de Russie avant que le lavage de cerveau auquel ils sont soumis n'efface définitivement leur identité. Avec mes collègues de l'Union Centriste, je répète l'invitation faite au gouvernement français et à l'Union européenne de faire pression sur les autorités russes pour que les organisations humanitaires internationales puissent avoir accès aux enfants déportés, déterminer leur nombre réel et leur identité, puis organiser leur rapatriement.

Ensuite viendra le temps de la justice. Je salue la décision de la Cour pénale internationale (CPI) du 17 mars 2023 d'émettre des mandats d'arrêt contre Vladimir Poutine et contre la commissaire russe aux droits des enfants, Maria Lvova-Belova. Il serait toutefois souhaitable que ces mandats d'arrêt soient élargis à l'ensemble de la chaîne des responsables de la mise en œuvre des transferts forcés et s'accompagnent d'un nouveau train de sanctions européennes visant les revenus et le patrimoine de ces responsables.

Pour que justice soit faite, il importe dès à présent de bien documenter et de recenser tous les cas de transferts forcés par la création d'un registre international des dommages. Les faits sont têtus et la Fédération de Russie ne pourra fuir ses responsabilités indéfiniment.

Mes chers collègues, je souhaite que le débat qui se tient aujourd'hui au Sénat envoie un signal fort au gouvernement français, à l'Union européenne et aux institutions internationales. Que la Fédération de Russie soit prévenue : nous ne fermerons pas les yeux, nous ne nous tairons pas et nous n'oublierons pas. Les enfants ukrainiens sont nos enfants, et nos enfants notre avenir ! §

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