Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, chaque année, 200 000 Françaises sont confrontées à l'interruption spontanée de leur grossesse avant la vingt-deuxième semaine d'aménorrhée. Si, pour les femmes concernées et leur partenaire éventuel, il existe autant de vécus possibles que de fausses couches, une interruption spontanée de grossesse produit de l'anxiété ou des symptômes dépressifs chez plus du tiers des personnes qui la subissent.
Après une fausse couche, les couples n'ont donc pas tous besoin d'une assistance spécifique – insistons sur ce point –, mais pour ceux pour qui un accompagnement complémentaire est nécessaire – et qui sont visés par cette proposition de loi –, les dispositifs de soutien apparaissent insuffisamment nombreux et opérants, faute, parfois, d'information adéquate.
Cela témoigne du tabou qui entoure la fausse couche, encore souvent perçue comme un non-événement, arrivant majoritairement dans un premier trimestre silencieux, à un stade où la grossesse n'est en général pas dévoilée.
Combien parmi nous sauraient précisément définir une fausse couche et en exposer les causes principales ? La méconnaissance de ce phénomène transparaît jusque dans le vocabulaire employé pour le qualifier : l'expression « faire une fausse couche », qui semble rendre la femme enceinte actrice, voire responsable, de la perte de sa grossesse, apparaît à cet égard particulièrement malheureuse alors même que la plupart des fausses couches sont d'origine naturelle et découlent d'anomalies génétiques de l'embryon qui le rendent non viable. D'autres termes pourraient lui être préférés, j'y reviendrai.
La proposition de loi que nous examinons ce matin a été déposée par la députée Sandrine Josso, dont je salue la présence parmi nous, et adoptée à l'unanimité par l'Assemblée nationale.
Les trois articles qu'elle contient entendent renforcer l'accompagnement et l'information des couples confrontés à une interruption spontanée de grossesse.
L'article 1er A prévoit la mise en place, par les agences régionales de santé (ARS) et d'ici au 1er septembre 2024, d'un parcours spécifique de prise en charge des interruptions spontanées de grossesse associant médecins, sages-femmes et psychologues. Celui-ci doit permettre d'améliorer l'information et le suivi, médical comme psychologique, des patientes et de leur partenaire éventuel, ainsi que de renforcer la formation des professionnels de santé impliqués.
La commission a soutenu ces dispositions, susceptibles de favoriser une meilleure organisation des professionnels médicaux dans chaque territoire et de mieux tenir compte du besoin d'accompagnement psychologique de certains couples victimes d'une interruption spontanée de grossesse.
Elle a toutefois adopté deux amendements.
Le premier renforce les objectifs d'information des parcours, en précisant que ceux-ci devront viser à systématiser l'information des patientes et de leur partenaire sur le phénomène d'interruption spontanée de grossesse, les possibilités de traitement ou d'intervention et les dispositifs de suivi et d'accompagnement disponibles.
Le second a renommé les parcours, pour préférer à l'expression « fausse couche », jugée stigmatisante et négative par les associations, celle d'« interruption spontanée de grossesse », plus neutre et plus juste médicalement. La commission a apporté la même modification à l'intitulé de la proposition de loi.
L'article 1er B, ajouté par amendement gouvernemental en séance à l'Assemblée nationale, supprime le délai de carence applicable à l'indemnisation des congés maladie pris consécutivement à une interruption spontanée de grossesse.
Aujourd'hui, une assurée du régime général confrontée à une fausse couche et dont l'état de santé nécessite un arrêt de travail n'est indemnisée par la sécurité sociale qu'à compter du quatrième jour. Lorsque l'arrêt maladie se fait au prix du renoncement à 10 % de son salaire mensuel, il devient un luxe que toutes ne peuvent pas se permettre.
Pour celles qui ne peuvent s'accorder un tel arrêt et qui sont, en outre, exposées à des situations professionnelles parfois embarrassantes, dérangeantes ou stressantes, les perspectives de reconstruction saine peuvent être grevées.
En permettant, comme à la suite d'une mort fœtale in utero, une indemnisation dès le premier jour d'arrêt, le dispositif desserre les contraintes financières s'opposant au recours à l'arrêt de travail, tout en ne nécessitant pas d'information de l'employeur quant à ses motifs. Contrairement à un congé pour événement familial ad hoc, il n'expose donc les bénéficiaires à aucun risque de discrimination.
Pour atteindre pleinement son objectif, le dispositif, plébiscité lors de l'ensemble des auditions que j'ai conduites, doit être universalisé. Initialement restreint aux fonctionnaires et aux assurées des régimes général, spéciaux et assimilées, son bénéfice a été élargi en commission aux indépendantes, sur mon initiative. Faute de recevabilité financière, je n'ai pas pu faire de même pour les non-salariées agricoles, dernier régime à ne pas être couvert. Il est clair que ce progrès doit concerner de manière équitable l'ensemble des assurées ; je vous ai donc appelée, madame la ministre, à amender le texte en ce sens – nous y reviendrons tout à l'heure.
L'article 1er vise à permettre aux sages-femmes d'adresser leurs patientes à un psychologue conventionné, dans le cadre du dispositif MonParcoursPsy, et, dans les cas d'interruption spontanée de grossesse, leur partenaire.
La commission a souscrit à l'objectif de ces dispositions, qui permettront aux couples concernés de bénéficier plus largement qu'aujourd'hui de séances de suivi psychologique, prises en charge par l'assurance maladie.
Toutefois, elle a observé que le dispositif MonParcoursPsy, lancé en avril 2022, peine encore à se déployer et ne permettra pas, dans ces conditions, de répondre aux besoins constatés. Moins de 10 % des psychologues concernés, libéraux ou salariés d'un centre de santé, participent aujourd'hui au dispositif et moins de 80 000 patients en ont bénéficié en 2022. La tarification et la durée, limitées, des séances prises en charge sont mises en avant par les psychologues comme des facteurs explicatifs.
C'est pourquoi il apparaît indispensable qu'une évaluation du dispositif soit rapidement conduite, afin d'identifier les moyens d'encourager la participation des psychologues et de faire bénéficier du dispositif les patients en ayant le plus besoin. Nous savons que vous vous attelez à cette tâche, madame la ministre.
Les articles 1er bis et 1er ter, adoptés en séance à l'Assemblée nationale, contre l'avis du Gouvernement et de la commission, ont été supprimés sur mon initiative.
Le premier faisait obligation aux professionnels de santé impliqués dans la prise en charge des interruptions spontanées de grossesse d'informer leurs patientes des possibilités de traitement et de leurs implications, et de leur proposer un nouvel examen médical quatre semaines après le premier. Parce qu'elles sont déjà largement satisfaites par le droit à l'information des malades, consacré depuis 2002, et contraignent inutilement l'exercice des professionnels de santé, d'ores et déjà encadré par des règles déontologiques et les recommandations des sociétés savantes, ces dispositions sont apparues inopportunes à la commission.
Le second article prévoyait la remise d'un rapport sur l'extension de l'assurance maternité dès les premières semaines d'aménorrhée, ce qui aurait engendré une complexité opérationnelle considérable pour la sécurité sociale, tout en présentant un caractère dispendieux.
Enfin, je vous proposerai, au nom de la commission, de mieux protéger les femmes victimes d'une interruption spontanée de grossesse contre le risque de discrimination professionnelle en adoptant une interdiction de licenciement de dix semaines à l'égard des femmes confrontées à une interruption spontanée de grossesse dite « tardive », après la quatorzième semaine d'aménorrhée. Dans ces cas, qui concernent moins de 1 % des grossesses et concentrent les risques de discrimination, les salariées concernées ne bénéficient d'aucune protection contre le licenciement. La différence de traitement avec les femmes qui perdent leur grossesse après la vingt-deuxième semaine, qui disposent d'une protection contre le licenciement de vingt-six semaines minimum, apparaît à cet égard disproportionnée : il nous appartient de corriger cela.
Mes chers collègues, cette proposition de loi, améliorée par les travaux de la commission et complétée des dispositions que nous vous proposerons d'adopter, constituera une véritable avancée pour les femmes confrontées à une interruption spontanée de grossesse et pour leur partenaire.
En associant davantage professionnels de santé et psychologues dans le cadre d'un accompagnement pluridisciplinaire, en garantissant une meilleure prise en charge des interruptions de travail et des séances de suivi psychologique, elle permettra de mieux tenir compte des conséquences psychologiques potentielles des interruptions spontanées de grossesse.
Beaucoup restera à faire par la suite, dans des domaines qui ne relevaient pas de ce texte. Ainsi, je souhaite que le Gouvernement puisse prendre les mesures qui s'imposent pour renforcer la formation initiale et continue des professionnels de santé à la prise en charge et à l'accompagnement, notamment psychologique, des femmes confrontées à une interruption spontanée de grossesse. À cet égard, je sais, madame la ministre, pouvoir compter sur votre engagement.
Je crois également qu'il serait utile que les élèves, au cours de leur parcours scolaire, soient davantage sensibilisés aux causes biologiques des interruptions spontanées de grossesse, à leurs conséquences physiques et psychiques.
Enfin, chaque patiente concernée devrait recevoir un support écrit récapitulant les informations essentielles dont elle a besoin.
C'est à ces conditions que nous parviendrons à briser l'isolement des couples confrontés à une interruption spontanée de grossesse. Cette proposition de loi y contribue, c'est pourquoi je vous invite à lui accorder la vaste majorité qu'elle mérite.