Intervention de Roland Lescure

Réunion du 2 mai 2023 à 14h30
Quelles solutions pour développer l'hydrogène au sein de notre mix énergétique — Débat organisé à la demande du groupe les républicains

Roland Lescure :

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je voudrais tout d’abord remercier le groupe Les Républicains et M. le sénateur Daniel Gremillet d’avoir demandé l’inscription de ce débat à l’ordre du jour de la reprise de vos travaux.

L’hydrogène n’est pas la pierre philosophale de la décarbonation ; il ne remplacera pas l’ensemble des énergies fossiles. Pour autant, il est un vecteur énergétique essentiel. Il est notamment l’unique moyen de décarboner certaines industries comme la production d’acier, dépendante depuis 150 à 200 ans du charbon.

De même – j’étais au Havre vendredi dernier –, inventer et mettre en place des procédés décarbonés de production d’engrais et renforcer ainsi la souveraineté industrielle de notre beau pays et de notre continent nécessitera de l’hydrogène, tout comme pour produire du méthanol et de l’ammoniac.

L’hydrogène est également essentiel à la mobilité lourde : il apportera aux poids lourds, autobus ou autres véhicules une autonomie aujourd’hui hors de portée des batteries traditionnelles.

Pour autant, l’hydrogène ne remplacera pas le gaz naturel dans tous ses usages. Il s’agit d’un vecteur énergétique à même de transformer, de transporter de l’énergie, mais il n’est pas une source d’énergie.

L’hydrogène est essentiellement créé à partir d’électricité. Les gisements sont sans doute insuffisants pour assurer notre souveraineté, même s’il est possible, nous y reviendrons peut-être dans le débat, d’en trouver ici ou là.

L’hydrogène est coûteux à produire et difficile à transporter. Il n’y en aura pas sur l’ensemble du territoire et il ne sera pas disponible pour l’ensemble des usages actuels du gaz naturel. Ainsi, nous n’utiliserons pas nos casseroles – bien aimées ces temps-ci §– sur des cuisinières à hydrogène !

Pour autant, le mix énergétique de demain sera plus diversifié que celui d’aujourd’hui.

L’électricité, nous le souhaitons, deviendra majoritaire juste devant la biomasse, laquelle servira pour la chaleur haute température, les carburants et la chimie. L’hydrogène sera utilisé pour les usages à haute valeur ajoutée, auxquels il est indispensable.

Ces usages sont stratégiques, car ils concernent les industries de base. Garantir l’accès à de l’hydrogène bas-carbone – ce dernier terme est important – est un choix de souveraineté industrielle qui permettra de maintenir sur notre territoire des industries lourdes, qui ne peuvent se décarboner sans hydrogène.

Le Président de la République m’a chargé d’élaborer une feuille de route pour les cinquante sites les plus émetteurs de gaz à effet de serre en France, qui représentent à eux seuls plus de 60 % des émissions de l’industrie française. Dix-huit d’entre eux sont des actifs stratégiques, qui auront besoin d’hydrogène pour être décarbonés. C’est notamment le cas des aciéries et des usines d’engrais.

Par conséquent, nous devrons répondre dans les prochaines années à des besoins croissants en hydrogène, qui vous seront présentés dans le cadre du projet de loi de programmation sur l’énergie et le climat. Monsieur le sénateur Gremillet, nous aurons bien une loi : j’étais le président de la commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale lors de l’examen du projet de loi Énergie-climat et nous avions demandé une loi.

Nous sommes en pleine phase de programmation de la transition écologique. Le Conseil de planification écologique doit se réunir dans les prochaines semaines afin de passer en revue l’ensemble des plans de décarbonation des différents secteurs, dont le secteur industriel.

La loi sera disponible à l’automne, comme la Première ministre s’y est engagée, selon un calendrier un peu décalé par rapport à celui qui avait été retenu dans la loi Énergie-climat.

Pour ma part, je préfère une bonne loi, complète, adoptée selon un calendrier décalé, plutôt qu’une loi qui risquerait d’être incomplète.

La production d’hydrogène devra augmenter de plus de 50 % d’ici à 2030 : un tiers pour remplacer des usages fossiles et deux tiers pour de nouveaux usages. Enfin, la production d’hydrogène bas-carbone doublera d’ici à 2035.

Ce choix est impératif pour la réindustrialisation et la décarbonation. Nous devons désormais accélérer tout en répondant à deux questions essentielles : quel sera notre modèle de production ? Comment réussirons-nous ce défi ?

Il est nécessaire de produire en France pour être souverain sur cette technologie et pour accélérer la décarbonation.

Comme vous l’avez souligné, nous avons un débat de fond avec un certain nombre de nos voisins, notamment allemands, qui privilégient des importations massives d’hydrogène vert ou renouvelable à la production d’un hydrogène bas-carbone sur leur territoire essentiellement via des centrales nucléaires.

Pour répondre à votre question, nous ne sommes pas encore tout à fait parvenus à un compromis sur la directive relative aux énergies renouvelables qui nous permettrait d’avancer, mais nous sommes sur la bonne voie.

Un certain nombre de discussions sont assez avancées, notamment sur le pourcentage d’hydrogène vert nécessaire afin de valider les modèles de production. J’ai toute confiance en ma collègue Agnès Pannier-Runacher, actuellement en déplacement à l’étranger, pour obtenir un compromis.

Notre vision de la stratégie allemande d’importation est que les conditions de transport de l’hydrogène ne sont pas garanties : infrastructures insuffisantes, prix de transport incertain, risques géopolitiques… Tout cela fait peser des risques sur l’accélération de la décarbonation.

Ainsi, remplacer une dépendance au gaz fourni par la Russie par d’autres dépendances pourrait entraîner un risque géopolitique à l’horizon des vingt, trente ou quarante prochaines années, soit précisément celui sur lequel nous travaillons.

Produire de l’hydrogène sur le territoire est certes un défi, mais cela présente des avantages importants : devenir souverain en maîtrisant cette technologie et en faire un véritable facteur d’attractivité pour les investisseurs internationaux.

La maîtrise des coûts est un élément essentiel de cette stratégie. Nous devons être compétitifs à la fois face à l’hydrogène existant, à savoir l’hydrogène fossile, qui coûte aujourd’hui 2 euros le kilo, et face aux États-Unis, dont l ’ Inflation Reduction Act fixe actuellement le prix de l’hydrogène à 0, 8 euro le kilo avant transport – transport inclus, l’hydrogène made in America nous coûterait sans doute 2, 5 euros le kilo –, alors que le prix de l’hydrogène made in France, sans subventions, serait compris entre 3 et4 euros le kilo.

Nous devons donc aider cette filière et nous allons continuer de le faire en lui offrant une électricité à un prix compétitif, ce qui est essentiel, et en améliorant l’efficacité de la production, notamment en développant des hubs, des noyaux de production d’hydrogène, non loin des centrales nucléaires. Cela nous permettra à la fois de mettre en commun les facilités, y compris avec des industries extrêmement gourmandes en hydrogène, et de profiter des synergies avec la production d’électricité.

Je ne doute pas que nous aurons l’occasion, au cours du débat, de revenir sur tous ces sujets. Encore une fois, je vous remercie d’avoir mis sur la table cette question essentielle.

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