Intervention de David Assouline

Réunion du 10 mai 2006 à 22h00
Droit d'auteur et droits voisins dans la société de l'information — Vote sur l'ensemble

Photo de David AssoulineDavid Assouline :

Le Gouvernement ayant déclaré d'urgence ce projet de loi déposé il y a trois ans sur le bureau de l'Assemblée nationale, nous voici parvenus au terme de l'unique lecture d'un texte techniquement complexe et politiquement délicat.

Rappelons que l'exercice des droits de la propriété intellectuelle se déroule désormais à l'ère des réseaux numériques, de la numérisation sans limite des oeuvres, dans le cadre d'une économie numérique en plein essor et appelée à se développer encore longtemps.

Dans ce contexte, la tentation, notamment pour les éditeurs de logiciels, est de capter à leur profit l'exploitation des droits d'usage des oeuvres protégées par leurs instruments techniques afin de rentabiliser les investissements nécessaires à la création de ceux-ci, et ce dans une stricte logique de copyright. Cette tentation risque de se concrétiser par la concentration des industries de contenants et de contenus, l'ensemble de la chaîne de valeur qui va de la production à la diffusion des oeuvres risquant d'être finalement contrôlée par quelques groupes intégrés. Il suffit de voir comment cela se concrétise avec Apple et de lire le numéro de Libération de ce matin pour constater comment des logiciels de peer to peer peuvent faire l'objet de conversions étonnantes.

En somme, l'économie numérique obéit bien aux mêmes règles que l'économie de marché en général. Le législateur est alors confronté à une seule alternative : laisser faire le marché ou le réguler.

S'il existe un outil essentiel de régulation de l'économie de la culture, c'est bien le droit d'auteur à la française plutôt que le copyright à l'anglo-saxonne. Ce sujet était au coeur de notre débat et des préoccupations du groupe socialiste.

Il est donc de la responsabilité du Gouvernement de confirmer le droit d'auteur, non seulement en protégeant les ayants droit, mais aussi en évitant l'émergence d'acteurs intégrés et monopolistiques de l'économie numérique. Malheureusement, le Gouvernement, qui semblait viser cet objectif, ne l'atteint pas au terme de l'examen de ce texte.

Il est vrai que votre attitude, monsieur le ministre, comme celle de la majorité, a consisté en général à rejeter nos amendements, à l'exception de deux : le premier, qui a été présenté hier soir, visait à garantir l'application de l'exception de décompilation, prévue par une directive communautaire de 1991, aux mesures techniques de protection ; le second, qui a été examiné aujourd'hui, tendait à promouvoir la création d'une plate-forme publique de téléchargement.

Pour nous, ces propositions étaient une façon de montrer l'état d'esprit dont nous ferions preuve face à un texte, qui, contrairement à celui-ci, ne serait pas de transition. Il faudra d'ailleurs associer l'ensemble des acteurs de la culture directement concernés, les acteurs-citoyens, les consommateurs, à l'élaboration d'un tel texte qui continuera de toute façon d'évoluer, mais qui permettra de résorber la fracture qui s'est fait jour dans ce débat entre internautes et créateurs.

À ce sujet, il est regrettable que vous ayez refusé d'envisager que les fournisseurs d'accès à Internet soient mis à contribution pour financer la création. Il faudra de toute façon chercher des contributions pour permettre l'accès à la culture au plus grand nombre sans pénaliser les créateurs et en leur permettant d'obtenir une juste rémunération.

Il est inutile d'insister sur notre proposition, qui a été rejetée, d'améliorer la composition du collège des médiateurs, instance initialement prévue par le texte issu de l'Assemblée nationale. La commission a transformé cet organisme en autorité administrative indépendante aux compétences élargies, sans assurer la cohérence de sa mission avec celles du CSPLA et de la commission de la copie privée et sans associer les consommateurs.

On peut donc dire que l'économie du projet de loi telle qu'on peut en juger aujourd'hui va à la fois dans le sens de la fragilisation de la protection des droits des créateurs et des artistes et de la généralisation progressive du copyright. En effet, monsieur le ministre, vous avez cherché à garantir le respect du droit d'auteur par la seule voie des mesures numériques de protection, sans obliger les éditeurs de ces dispositifs à assurer leur interopérabilité.

Le système de sanctions que vous avez cherché à mettre en place est flou, inefficace, fait de bric et de broc et a peu de chance d'être dissuasif, car il n'est pas crédible, tout comme le dispositif visant à assurer l'interopérabilité des mesures de protection. Dès lors, quelle est la crédibilité des pouvoirs publics à l'égard tant des créateurs et des artistes que des internautes ? À l'évidence, elle se réduit comme peau de chagrin.

Ce texte sera une mauvaise loi opposant l'intérêt des internautes à celui des auteurs dans une logique « perdant-perdant » de laquelle seules les industries de contenants sortiront gagnantes. Nous l'avions d'ailleurs dit dès la discussion générale. C'est surtout la méthode choisie qui a conduit à ce résultat.

La gauche s'inscrit résolument dans une autre logique que celle du Gouvernement : la démocratisation de la diffusion de la culture fait partie de nos valeurs, comme la protection des créateurs et des artistes, car l'une ne peut aller sans l'autre. L'équilibre entre ces deux objectifs de politique publique n'étant pas atteint par le projet de loi, nous voterons contre.

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