Intervention de Rémi Cardon

Réunion du 9 mai 2023 à 14h30
Influenceurs sur les réseaux sociaux — Discussion en procédure accélérée d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Photo de Rémi CardonRémi Cardon :

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, en préambule, je tiens à saluer nos collègues députés Arthur Delaporte et Stéphane Vojetta. Le travail qu'ils ont accompli ces derniers mois le prouve : un texte législatif est nécessaire pour réguler le Far West de l'influence. Il nous rappelle aussi que, parfois, les propositions de loi peuvent dépasser les clivages politiques.

Je remercie également Mme la rapporteure, qui, au Sénat, a su faire preuve du même esprit. Une dizaine d'amendements présentés par les membres de mon groupe ont ainsi été adoptés en commission.

Cette proposition de loi traite manifestement d'un sujet crucial pour notre société, et son adoption pourrait avoir un impact significatif sur une économie en plein boom : celle de l'influence commerciale.

Le marché mondial du marketing d'influence est en pleine croissance. Il a atteint 15, 5 milliards d'euros en 2022, un chiffre en hausse de près de 20 % en un an.

En France, il est difficile de connaître précisément le montant de ce marché : il n'est pas pris en compte par l'observatoire de l'e-pub, qui consacre son analyse aux recettes des médias et supports numériques. Pourtant, chaque jour, les Français passent en moyenne une heure quarante-six sur les réseaux sociaux. Un tiers d'entre eux déclarent suivre des créateurs et créatrices de contenus, et le chiffre culmine à 63 % pour les 18-34 ans.

Surtout, c'est la relation nouée avec les créateurs de contenus qui interpelle. Au total, 61 % des personnes qui suivent des influenceurs éprouvent de la sympathie pour eux, voire des sentiments plus forts comme la confiance, à 43 %, ou l'admiration, à 41 %. Les créateurs de contenus sont donc un puissant levier d'achat pour les annonceurs.

Cependant, leur influence croissante et la manière dont certains d'entre eux décident d'opérer, pour faire de cette activité leur principale source de revenus, inspirent des préoccupations légitimes.

Nombre d'influenceurs font la promotion de produits dangereux, trompeurs ou ne respectant pas certaines règles éthiques figurant déjà dans le code la consommation. Dylan Thiry, qui cumule plusieurs millions de followers, est par exemple accusé de pratiques frauduleuses, comme le dropshipping et la publicité mensongère, ou, plus récemment, de tentative de trafic d'enfants.

Le collectif d'aide aux victimes d'influenceurs (AVI) a joué un rôle précurseur dans la lutte contre ces pratiques frauduleuses et dangereuses.

Mes chers collègues, vous l'avez compris : il est temps pour nous, parlementaires, de prendre les mesures nécessaires pour encadrer cette activité et protéger les consommateurs.

À cet égard, le présent texte permet d'actionner plusieurs leviers.

Tout d'abord, il clarifie les règles régissant la publicité sur les réseaux sociaux. Les influenceurs seront tenus de déclarer clairement leurs partenariats publicitaires et les activités promotionnelles qu'ils assurent via les contenus qu'ils réalisent.

Nous souhaitons aller beaucoup plus loin dans ce sens, en créant un badge influenceur permettant aux créateurs de contenus de s'afficher en tant que tels. Nous proposons cet outil par souci de transparence et par volonté de faciliter le travail des autorités chargées de réguler l'influence commerciale.

Les personnes relevant de ce secteur devront également respecter certaines normes éthiques. La promotion de produits dangereux ou illégaux sera ainsi proscrite.

Cette proposition de loi rappelle, à juste titre, des interdictions en vigueur pour la publicité à la télé et à la radio. Les membres de notre groupe entendent répondre à d'autres pratiques douteuses, comme l'usage détourné de certains médicaments.

À ce titre, peut-être avez-vous entendu parler d'un cas alarmant : celui de l'Ozempic. Suivant les recommandations de plusieurs influenceurs sur TikTok, de plus en plus de personnes prennent aujourd'hui ce produit pour mincir, si bien que cet engouement a entraîné une crise sanitaire. Certains laboratoires se sont trouvés en rupture de stock. Or des personnes diabétiques dépendent vraiment de ce traitement.

Nous espérons que le présent texte pourra évoluer, afin de mettre un terme à ces pratiques dangereuses pour la santé publique.

Ensuite, pour ce qui concerne l'exercice de l'activité d'influence commerciale, les élus du groupe socialiste appellent la vigilance du Sénat sur plusieurs points.

Plus de la moitié des enfants de 11 ans sont déjà présents sur les réseaux sociaux, et le chiffre dépasse 70 % pour les adolescents de 12 ans. À cet âge, il est encore difficile de distinguer un contenu publicitaire et de prendre du recul sur la relation nouée avec tel ou tel influenceur.

C'est pourquoi nous souhaitons étendre la portée de ce texte, par exemple en interdisant aux créateurs de contenus adultes de faire la promotion de la malbouffe auprès des mineurs. La génération TikTok ne doit pas devenir une génération McDonald 2.0.

Pour garantir le respect du cadre fixé, cette proposition de loi instaure un mécanisme ad hoc : les autorités compétentes seront chargées de surveiller les influenceurs et de prendre des mesures en cas de violation des règles éthiques. Les sanctions pourraient aller de l'amende à la suspension temporaire, voire permanente, des comptes de l'influenceur.

Comme l'a rappelé Mme la ministre, ce travail est déjà engagé. Mercredi dernier, le ministre de l'économie a annoncé que la DGCCRF avait contrôlé presque autant d'influenceurs en trois mois qu'au cours de l'année 2022.

Au total, 60 % des influenceurs contrôlés, soit 30 sur 50, ont fait l'objet de constats d'infractions. À l'évidence, il est nécessaire, premièrement, de réguler plus fortement cette activité et, deuxièmement, de renforcer les moyens de contrôle.

Au rythme de 50 personnes par trimestre, il faudrait 750 années pour contrôler les 150 000 influenceurs recensés en France. Je précise que la brigade compétente de la DGCCRF est composée de quinze personnes : un agent est donc potentiellement chargé, à lui seul, de 10 000 influenceurs ! Ce n'est pas acceptable.

Il s'agit là d'un travail titanesque, pour ne pas dire d'une mission impossible, d'autant que pour constituer leurs dossiers les enquêteurs doivent collecter les preuves et les identités.

Madame la ministre, je vous alerte une nouvelle fois sur ce manque de moyens criant.

Puisque nous entendons réguler l'activité de l'influence commerciale, les moyens de l'État doivent suivre sans tarder : la bonne application de ce texte en dépend. Les tweets du ministre de l'économie ne doivent pas, justement, se réduire à des « coups de com' ».

Quoi qu'il en soit, l'ensemble des élus du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain en sont convaincus : cette proposition de loi est nécessaire pour protéger les consommateurs, en garantissant que les influenceurs agissent de manière responsable, éthique et respectueuse de leur public.

Il faut le souligner, ce texte ne vise pas à restreindre la liberté d'expression ou la créativité des influenceurs. À cet égard, je tiens à rassurer les influenceurs signataires d'une tribune parue dans le Journal du dimanche juste avant que l'Assemblée nationale ne commence l'examen de ce texte. Ils expriment le souhait que notre « seule boussole soit la protection des consommateurs des dérives d'une minorité qui se croit tout permis » : je puis vous assurer que tel est bel et bien le cas.

Cette proposition de loi est une première étape. Elle nous permettra de poser les premiers jalons de la régulation de l'influence commerciale, même s'il reste beaucoup à faire.

J'y insiste : pour assurer la mise en œuvre de ce texte, il est indispensable de renforcer les moyens humains de la DGCCRF. J'espère que l'équipe dédiée au contrôle des influenceurs verra son nombre d'équivalents temps plein (ETP) porté de quinze à une cinquantaine au cours des prochaines années.

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