Madame la présidente, monsieur le président de la commission des finances, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, le Gouvernement partage évidemment l’objectif d’assurer à l’ensemble de la population l’accès à des services bancaires de qualité et à des tarifs appropriés. Cependant, nous pensons que les mesures envisagées dans la présente proposition de loi ne permettent pas de l’atteindre.
Fondamentalement, la proposition de loi prévoit deux grands types de mesures : un renforcement de l’accessibilité bancaire territoriale, en confiant une mission additionnelle à La Banque postale et en créant un fonds de garantie de la présence bancaire territoriale ; une évolution des plafonnements de frais bancaires appliqués aux personnes bénéficiaires de la procédure de droit au compte et à celles en situation de fragilité financière ayant souscrit l’offre spécifique, ainsi qu’une évolution du contenu de cette offre.
Si vous le permettez, je répondrai point par point aux dispositions envisagées dans le texte, ce qui me permettra d’exposer les raisons conduisant le Gouvernement à y être défavorable.
Sur l’accessibilité bancaire territoriale, tout d’abord.
Nos concitoyens, quels qu’ils soient, sont particulièrement attachés aux services de proximité et à la vitalité du territoire dans lequel ils vivent. Nous partageons collectivement la nécessité de lutter contre l’enclavement et de préserver l’attractivité de l’ensemble de nos villages et de nos économies locales, qui sont le visage de notre pays, notamment à l’heure où l’inflation touche l’ensemble du territoire et où nous assistons à la désertification des services de proximité accessibles à nos concitoyens.
Cette attractivité passe notamment par la garantie d’avoir accès à notre monnaie commune, l’euro, sous forme d’espèces, moyen de paiement inclusif par excellence permettant les achats de la vie quotidienne en toute liberté. C’est le sel de nos marchés, de l’économie de proximité, sociale et solidaire comme de notre lien collectif avec les plus démunis.
Aussi, le Gouvernement et la Banque de France sont très attentifs à préserver l’accès de chacun de nos concitoyens aux espèces. Force est d’ailleurs de constater que le maillage du territoire pour l’accès aux billets est très bon et globalement inchangé d’une année sur l’autre.
C’est surtout dans les territoires très urbains, sur lequel il y a un équipement massif, que se concentre la légère diminution du nombre de distributeurs : l’optimisation des installations existantes dans les zones les mieux équipées se fait au bénéfice du maintien de distributeurs automatiques de billets dans les zones les plus isolées, ce qui est positif.
La robustesse de la filière fiduciaire est en permanence garantie : en temps de crise, comme récemment durant les périodes de confinement, l’émission et la distribution des espèces ont été maintenues pour répondre au plus près aux besoins de nos compatriotes.
Ce maillage, garanti par l’action volontariste des établissements bancaires de proximité, permet à plus de 99 % de la population métropolitaine âgée de 15 ans et plus de se situer à moins de quinze minutes en voiture d’un distributeur automatique de billets ; M. le rapporteur l’a rappelé.
Cette dynamique permet de placer la France comme le second pays de l’Union européenne en termes de densité des réseaux d’agences bancaires, bien au-delà, environ le double, de la moyenne européenne : 549 agences par million d’habitants en France contre 255 agences en moyenne en Europe.
En complément, nos commerçants de proximité viennent renforcer, de manière opportune, ce maillage : le nombre de points de distribution dans les commerces est en augmentation et permet de maintenir un accès de proximité, notamment dans des territoires isolés, avec bientôt 30 000 points de retrait privatifs.
La possibilité de retirer des espèces lors d’un achat chez un commerçant est simple, sans complexité administrative, et permet en sus de renforcer l’attractivité des services de commerce locaux. Le retrait d’espèces effectué sans achat associé est en plein développement et s’installe durablement dans le paysage de nos territoires, en permettant notamment un lien social et rapproché entre consommateurs et commerçants.
Par ailleurs, La Poste, chargée par la loi du 2 juillet 1990 d’une mission d’accès aux espèces, maintient déjà, au-delà de ses besoins commerciaux, un réseau de 17 000 points de contact, notamment dans les zones rurales et de montagne, les quartiers prioritaires de la politique de la ville et les départements d’outre-mer.
Aussi, alors que les transporteurs de fonds viennent maintenir par le rachat de certains DAB le maillage existant et que les commerçants complètent le dispositif d’accessibilité, l’objectif de garantir l’accès aux espèces à tous nos concitoyens, y compris dans les territoires enclavés ou isolés, nous semble être préservé pour les années à venir.
J’en viens maintenant à la question des frais bancaires et de l’inclusion bancaire.
À titre liminaire, je souhaiterais partager avec vous quelques grands constats relatifs aux frais bancaires.
Premièrement, il est économiquement justifié que les banques facturent leurs prestations de service, ainsi que des frais en cas d’incident. Ces incidents, qui correspondent à un fonctionnement anormal du compte, induisent des coûts de gestion pour les établissements bancaires. Ils entraînent également des coûts pour le bénéficiaire du paiement qui n’est pas payé en cas d’incident ; dans l’écrasante majorité des cas, ce n’est pas une banque.
Deuxièmement, les Français bénéficient en moyenne d’un niveau de facturation des services bancaires satisfaisant. Depuis 2017, les frais bancaires sont globalement orientés à la baisse en raison principalement de la digitalisation et de l’augmentation de la concurrence sur le marché des services bancaires.
Troisièmement, le secteur fait déjà l’objet de diverses réglementations ambitieuses pour limiter les abus. Par exemple, pour l’ensemble de la population, certains services bancaires – le relevé mensuel ou la clôture de compte – sont gratuits et des types de frais sont plafonnés, comme le rejet de chèque – 30 euros ou 50 euros selon le montant –, le rejet de prélèvement – 20 euros – ou bien encore les commissions d’intervention – 8 euros par opération, 80 euros par mois.
La proposition de loi vise en premier lieu à diviser par deux les plafonds par opération actuellement applicables aux principaux frais d’incidents et à introduire un plafond annuel pour chacun de ces frais. Ces plafonds bénéficieraient à l’ensemble de la population et des plafonds spécifiques, plus bas, s’appliqueraient à la clientèle fragile.
Nous pensons que la volonté d’abaisser les plafonds des différents frais d’incidents pour toutes les clientèles n’est pas pertinente. La baisse des plafonds, qui s’appliquerait également aux clientèles les plus aisées, enverrait un signal négatif. Ce qui importe n’est pas de rétablir la police administrative des prix en matière de tarifs bancaires ; c’est de protéger celles et ceux qui en ont besoin.
Nous croyons que le dispositif actuel, qui prévoit un plafonnement global des frais d’incidents concentré sur les populations les plus fragiles, celles qui en ont le plus besoin, demeure la meilleure réponse pour arrêter le plus rapidement possible les effets de suraccumulation des frais. Il est vrai que, dans certains cas, ces frais sont largement subis et peuvent créer une spirale d’endettement aggravant la situation des clients fragiles.
Le Gouvernement a travaillé sans relâche au cours des années passées pour mettre en place ce dispositif, qui a fait ses preuves aujourd’hui. Ce nouveau cadre a été élaboré depuis 2018 selon une méthode inédite, qui a fonctionné, celle d’une approche partenariale avec les établissements bancaires.
À la suite des engagements pris par les établissements bancaires en 2018 devant le ministre de l’économie et des finances, Bruno Le Maire, et le Président de la République, Emmanuel Macron, les personnes fragiles bénéficient désormais d’un plafonnement global de leurs frais d’incidents bancaires : 25 euros par mois pour les clientèles fragiles ; 20 euros par mois et 200 euros par an pour les clients fragiles bénéficiaires de l’offre spécifique.
Ces engagements, dont la mise en œuvre est contrôlée par l’ACPR et l’Observatoire de l’inclusion bancaire, ont porté leurs fruits. Une telle stratégie a été payante. En effet, l’Observatoire, qui est l’instance publique de suivi des politiques d’inclusion bancaire, a dressé un bilan positif des actions engagées par le Gouvernement. Je me permets de donner quelques chiffres relatifs aux résultats obtenus.
À la fin de 2021, 4, 1 millions de clients étaient considérés comme fragiles financièrement, et donc bénéficiaires des dispositifs de plafonnement des frais. C’est 21 % de plus qu’en 2018.
Le montant moyen des frais facturés par les banques à leurs clients considérés comme fragiles est en diminution : 221 euros en 2021, soit 10 % de moins par rapport à 2020.
Enfin, l’offre spécifique se diffuse : on en compte presque 700 000 bénéficiaires à la fin de 2021, soit une progression de 56 % par rapport à 2018.
Mesdames, messieurs les sénateurs, les Français, ménages comme entreprises, ont la chance de pouvoir compter sur un système bancaire robuste qui finance efficacement l’économie, comme il l’a encore démontré durant cette crise, et qui applique des frais globalement raisonnables.
Ces dernières années, le Gouvernement a agi de manière résolue pour renforcer l’accessibilité et l’inclusion bancaires, ainsi que l’encadrement des frais bancaires, avec pour objectif et priorité de mieux protéger ceux pour qui une intervention de l’État est nécessaire, c’est-à-dire les personnes en situation de fragilité financière. C’est chose faite, avec les résultats dont je vous ai fait part. Et cela a été accompli à la faveur d’une approche partenariale avec le secteur bancaire, ce qui, je le crois, est un gage de succès dans la durée.
Le Gouvernement continuera d’être vigilant et exigeant dans son dialogue avec les banques et de conduire certaines réformes lorsque cela sera nécessaire. Mais les réformes conduites jusqu’ici ont d’ores et déjà permis d’atteindre un point d’équilibre.
Voilà pourquoi le Gouvernement a déposé des amendements de suppression sur plusieurs articles et s’opposera à cette proposition de loi.