Intervention de Daniel Breuiller

Réunion du 3 mai 2023 à 21h45
Programme de stabilité et orientation des finances publiques — Débat organisé à la demande de la commission des finances

Photo de Daniel BreuillerDaniel Breuiller :

Monsieur le ministre, vous nous transmettez, avec retard, un tableau impressionniste nommé « Programme de stabilité 2023-2027 », que j’aurais pour ma part intitulé « Baisse des déficits à l’horizon et au soleil levant », car tout y est en touches subtiles, en imprécisions choisies, en lumières orientées…

Vos prévisions de croissance sont estimées comme optimistes. Vos prévisions d’inflation sont sans doute sous-estimées. Et vous annoncez 5 % de baisse des dépenses de l’État, sans dire où et comment vous comptez faire. Je m’interroge donc : où allez-vous taper ? Sur la santé ? Vous avez dit que non. Sur le budget des armées ? Il y a une loi de programmation. Idem pour celui de la sécurité. Sur le soutien aux collectivités territoriales ? Il faut dire où vous comptez faire ces économies, monsieur le ministre !

Vous poursuivez par ailleurs une politique de désarmement fiscal de l’État par la baisse des impôts, même pour les plus aisés d’entre nous, ce qui nous prive de recettes nouvelles et indispensables.

Vous n’entendez pas l’urgence écologique à sa hauteur ni la dureté de la vie quotidienne des Français, touchés par une inflation alimentaire qui a atteint 14, 5 % entre février 2022 et février 2023 selon l’Insee.

En définitive, votre proposition est un pacte d’instabilité et un risque d’austérité.

Je ne dirai pas que je suis contre la maîtrise des dépenses publiques. Je sais aussi qu’il n’y a pas d’argent magique et que nous devons être vigilants sur notre dette publique, dont le coût est de plus en plus lourd. Cependant, je vous le dis : la dette climatique coûtera plus cher que la dette publique.

Arrêtez les baisses d’impôts consenties aux entreprises du CAC 40 sans contrepartie sociale ou climatique ! En 2022, les bénéfices atteignent des sommets : 19 milliards d’euros pour TotalEnergies, 11 milliards d’euros pour LVMH, 23, 5 milliards d’euros pour CMA-CGM, 10 milliards d’euros pour BNP Paribas. Les dividendes sont exponentiels, avec un total de 80 milliards d’euros distribués au printemps 2022.

Taxez les dividendes et les très hauts revenus, monsieur le ministre ! Je connais votre réponse : nous avons déjà les prélèvements parmi les plus élevés et cette stratégie est au service de l’emploi en France. Mais je vous le dis : votre stratégie est d’abord au service des plus riches. Le ruissellement n’existe pas dans la vraie vie des ménages. Trouvez-vous normal, monsieur le ministre, que certains accumulent des records de dividendes et de recettes quand d’autres peinent à se nourrir ?

La réforme des retraites devrait dégager 8 milliards d’euros d’économie d’ici à 2027. C’est à peu près la même somme que celle consacrée en 2022 à la ristourne essence. Pensez-vous que cela valait vraiment le coup ? Votre réforme des retraites, si dure socialement, n’est pas même efficace d’un point de vue économique. Et vous avez mis le pays à l’arrêt pour cela ! Était-ce vraiment nécessaire ?

Avec la réforme de l’assurance chômage, puis la réforme des retraites, les Français ont bien compris que ce sont leurs droits les plus essentiels qui seront compromis pour faire les économies que le Gouvernement poursuit. Vous allez d’ailleurs ajouter du travail obligatoire pour les personnes au RSA : tout un programme ! Ces efforts se font toujours sur les mêmes, créant une société où les écarts de richesse et de salaires explosent. Cela n’est pas soutenable pour qui veut une société apaisée.

Sacralisez aussi le budget des collectivités territoriales afin qu’elles puissent investir et devenir les moteurs de la transition écologique ! Et cessez de vouloir les contraindre : leurs budgets sont équilibrés et la baisse de 0, 5 point exigée n’est ni plus ni moins qu’une mise sous tutelle déguisée qui n’a pas notre agrément.

Car les collectivités sont la clé de voûte de cette transition. Selon l’Institut de l’économie pour le climat (Insitute for Climate Economics en anglais, I4CE), pour être à la hauteur de la crise écologique, elles ont besoin de disposer chaque année de 6, 5 milliards d’euros supplémentaires d’investissement, alors que le fonds vert ne les dotera que de 2 milliards d’euros sur quatre ans, avec un risque d’éparpillement d’aides mal ciblées. Elles ont besoin d’investir, mais elles ont aussi besoin d’ingénierie. Nous ne comprenons donc pas votre volonté de leur rogner les ailes en contraignant leur fonctionnement. Laissez-les vivre !

Le « quoiqu’il en coûte », assumé lors de la pandémie, n’est pas du tout à l’ordre du jour lorsqu’il s’agit de la crise climatique. Pourtant, l’urgence est là et les dérèglements s’accélèrent. Quoi qu’en pensent les agences de notation, l’eau qui manque est plus importante que l’argent qui manque. Comme le dit un proverbe indien : « Lorsqu’ils auront coupé le dernier arbre, pollué la dernière goutte d’eau, tué le dernier animal et pêché le dernier poisson, alors ils comprendront que l’argent ne se mange pas. »

Monsieur le ministre, le logiciel libéral qui contraint les dépenses publiques et épargne les champions du CAC 40 de toute taxation nous mène au chaos social et à l’impuissance climatique.

Les cinq années qui viennent seront déterminantes pour la crise climatique. Le rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) est sans appel en ce qui concerne les effets de l’accélération du dérèglement climatique sur notre alimentation, sur la biodiversité, sur notre santé et sur les migrations. C’est cela qui doit guider tous nos choix.

Les seules ambitions responsables sont d’éviter la catastrophe climatique, qui menace notre capacité à vivre, et l’explosion sociale, qui découle d’un écart devenu abyssal entre catégories et qui menace notre capacité à vivre ensemble.

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