Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous débattons aujourd’hui du programme de stabilité budgétaire, qui a déjà été adressé à la Commission européenne. Cette situation devient récurrente et ne peut être interprétée que comme un manque de respect pour l’institution parlementaire, comme cela a déjà été souligné ce soir.
D’un point de vue budgétaire, il s’agit de montrer comment la France répond aux contraintes des règles européennes visant à maintenir le déficit en deçà des 3 % du PIB. D’un point de vue politique, c’est un document annuel, dans lequel le Gouvernement surjoue l’orthodoxie libérale qui l’inspire auprès de la Commission européenne, en arguant de sa volonté de réduction des dettes publiques.
Ainsi le ministre Le Maire martèle-t-il son souhait « d’accélérer le désendettement de la France » pour ramener le déficit public de 4, 7 % à 2, 7 % du PIB et la dette publique de 111, 6 % à 108, 3 % en 2027.
Monsieur le ministre, vous agitez le chiffon rouge de l’augmentation de la charge de la dette de manière volontairement trompeuse en brandissant des chiffres en valeur absolue. Certes, la charge de la dette, qui était de 35 milliards d’euros en 2021, est passée à 50 milliards d’euros en 2022. Vous anticipez même qu’elle atteindra 70 milliards en 2027 – surtout si vous continuez à faire des réformes qui ne convainquent pas même les agences de notation que vous cherchez à rassurer, voire à séduire…
Brandir la dette comme vous le faites, c’est choisir la stratégie du choc, mise en évidence par l’universitaire canadienne Naomie Klein : faire peur, déstabiliser, sidérer, pour avancer vers ses objectifs. Or, si vous précisez que cela représente 1, 5 % du PIB – ou 2, 3 % des dépenses publiques en 2021 –, 1, 9 % du PIB en 2022 ou 2 % du PIB en 2027, cela fait, à juste titre, beaucoup moins peur.
D’ailleurs, la hausse de 15 milliards d’euros de la charge d’intérêt en 2022 a été principalement le fait de l’émission croissante de titres de dette indexés sur l’inflation, que rien ne justifie économiquement, mais qui permet de protéger les revenus financiers des détenteurs de la dette d’État.
Comme, de plus, vous répétez toujours la même antienne – baisser les recettes fiscales et les cotisations sociales – au nom de la compétitivité, tout cela ne peut conduire qu’à une réduction drastique des dépenses publiques, tout particulièrement des dépenses sociales et des services publics.
Vous envisagez ainsi de réduite les dépenses publiques de 0, 8 % en moyenne en volume par an, dont 0, 5 % pour les collectivités locales. Nous avons là tous les ingrédients d’une austérité qui va enfoncer notre pays dans une impasse, rendant au passage les objectifs économiques, sociaux et écologiques inatteignables. France Stratégie disait déjà l’an dernier qu’il faudrait, à l’échéance de 2030, mettre sur la table entre 22 et 100 milliards d’euros pour assurer la transition environnementale.
Encore faudrait-il rappeler que le poids important de la dépense publique française s’explique d’abord par notre modèle social et fiscal, qui prend en charge des dépenses essentielles en matière de santé, de retraite et d’éducation, que d’autres pays laissent relever du secteur privé. Ce poids s’explique aussi par une démographie plus dynamique et par l’importance du budget de la défense, dont vous avez encore annoncé l’augmentation.
Alors, monsieur le ministre, au nom de la réduction de la dépense publique, doit-on abandonner notre système de protection sociale et de service public ? Les Français y sont très attachés, parce qu’il constitue le patrimoine de ceux qui n’en ont pas.
Nos services publics sont-ils en si bon état qu’il faille réduire les moyens qui leur sont alloués ? Êtes-vous sourd à la détresse sanitaire de nombreux territoires ? Doit-on se plaindre d’avoir une démographie plus dynamique ? Souhaitez-vous revenir sur le budget de la défense ?
Réduire massivement le poids de la dépense publique ne peut se faire sans modifier la qualité de vie des ménages et la capacité des collectivités locales à agir. Il y a de quoi s’inquiéter, a fortiori quand on sait que la Première ministre Élisabeth Borne a adressé à tous ses ministres une lettre de cadrage leur demandant d’identifier de manière indifférenciée 5 % de marges de manœuvre sur leur budget.
Le nouveau monde promis en 2017 ne consisterait-il pas en fait à appliquer les vieilles recettes thatchériennes ?