Intervention de Dominique Vérien

Réunion du 10 mai 2023 à 15h00
Respect du droit à l'image des enfants — Adoption en procédure accélérée d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Photo de Dominique VérienDominique Vérien :

Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, 300 millions, c'est le nombre de photographies qui sont diffusées chaque jour sur les réseaux sociaux.

Cette appétence pour le partage de contenus témoigne certainement de la capacité du numérique à créer et entretenir du lien social avec nos proches et nos moins proches. Toutefois, nul n'ignore, de nos jours, que toute notre activité en ligne, même la plus anodine, est enregistrée, analysée, décortiquée et finalement monétisée. Ces traces, que l'on croyait éphémères et restreintes, sont en réalité visibles par le plus grand nombre et pour longtemps.

En outre, on estime qu'un enfant apparaît, en moyenne, sur 1 300 photographies publiées en ligne avant l'âge de 13 ans, sur ses comptes propres, ceux de ses parents ou de ses proches. Il s'agit de l'un des principaux risques d'atteinte à la vie privée des mineurs, principalement du fait de la difficulté à contrôler la diffusion de son image.

En effet, 50 % des photographies qui s'échangent sur les forums pédopornographiques avaient été initialement publiées par les parents sur leurs réseaux sociaux. Pis, les informations diffusées sur le quotidien des enfants peuvent permettre à des individus d'identifier leurs lieux et habitudes de vie à des fins de prédation sexuelle.

Enfin, au-delà du risque pédophile, les contenus mis en ligne sont susceptibles de porter préjudice à l'enfant à long terme, sans que celui-ci puisse obtenir leur effacement définitif.

À ces questions s'ajoutent des considérations économiques. En effet, prenant exemple sur leurs aînés, il existe désormais de véritables « bébés influenceurs », comme en témoigne le succès des vidéos mettant en scène des mineurs, seuls ou avec leur famille.

Il s'agit donc d'enjeux économiques forts, à la fois pour les marques, en quête de relais auprès d'un jeune public, et pour les parents. Dès lors, ces derniers doivent assumer un double rôle : celui de gestionnaire et celui de protecteur de l'image de leur enfant.

Ces enjeux peuvent parfois donner lieu à un arbitrage délicat, car les parents peuvent entrer en conflit avec leur enfant en raison des avantages financiers, sociaux ou émotionnels que l'exploitation de l'image de l'enfant peut apporter. L'enfant peut alors être confronté à un conflit de loyauté entre ses propres aspirations et la volonté de ses parents. D'ailleurs, selon une étude, 40 % des adolescents estiment que leurs parents les exposent trop sur internet.

Enfin, l'exposition excessive des enfants au jugement de tiers sur internet et la course aux like s et autres appréciations peuvent engendrer des problèmes psychologiques, en particulier dans l'acceptation de soi et de son image. Nous voyons parfois les ravages de ce phénomène sur des adultes, alors imaginez sur des enfants… En outre, le cyberharcèlement y trouve un terreau fécond.

Vous l'aurez compris, mes chers collègues, il est utile de légiférer sur ce sujet. Or si le constat dressé apparaît inquiétant et nécessite une intervention de notre part, le texte que nous examinons privilégie nettement la pédagogie, la sensibilisation des parents et les mesures consensuelles.

Certes, la puissance publique ne doit pouvoir se substituer aux parents qu'en dernier recours, dans l'intérêt supérieur de l'enfant, mais peut-être aurait-il fallu faire preuve d'un peu plus d'ambition. En l'état, nous ne pouvons qu'espérer que ce texte suffise.

En attendant, notre commission – et je salue le travail de notre rapporteure, Valérie Boyer – a fait le choix d'enrichir et de rendre plus efficace le texte qui nous est proposé, avec pour principal objectif d'éduquer et de sensibiliser les parents.

Ainsi, l'article 1er introduit la notion de vie privée de l'enfant dans la définition de l'autorité parentale, pour mieux faire prendre conscience aux parents qu'il leur appartient d'assurer le respect de la vie privée de leur enfant dans le cadre de leur obligation de protection et de préservation de ses intérêts.

L'article 2 ne faisant que reprendre des dispositions déjà consacrées dans le code civil et précisées par l'article 1er, notre commission a choisi de le supprimer.

L'article 3 précise que la diffusion au public de contenus relatifs à la vie privée d'un enfant nécessite l'accord des deux parents, ce qui évitera toute divergence d'approche entre juridictions pour décider s'il s'agit d'un acte usuel ou non usuel. J'entends, monsieur le garde des sceaux, votre désaccord sur ce point, mais je pense qu'il n'y a aucune raison urgente de diffuser des images de son enfant et que nous avons donc le temps de demander aux deux parents leur accord pour faire une telle chose.

Enfin, l'article 5 permet à la Cnil de saisir les juridictions compétentes pour demander le blocage d'un site internet en cas d'atteinte aux droits des mineurs.

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