Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, dans un contexte marqué par l’inflation et par la tentation d’une renonciation aux espèces qui frapperait d’abord les ménages les plus pauvres, il nous revient cet après-midi d’examiner la proposition de loi de nos collègues Rémi Féraud et Jean-Claude Tissot et les membres de leur groupe visant à renforcer l’accessibilité et l’inclusion bancaires.
Examiné dans le cadre de l’ordre du jour réservé au groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, ce texte, qui propose notamment de faciliter l’accès aux distributeurs automatiques de billets et de redéfinir les modalités de plafonnement de certains frais bancaires pour les plus fragiles, a été examiné dans les conditions du gentleman ’ s agreement. Avec ses auteurs, nous avons acté que les points de divergence entre nous étaient trop importants, ce qui a mené au rejet du texte en commission. Nous examinons donc la proposition de loi dans sa version initiale. À mon tour, je veux saluer l’esprit avec lequel la commission et les auteurs de ce texte, en particulier Rémi Féraud, ont travaillé.
Cette proposition de loi vise d’abord à confier à La Poste une nouvelle mission de couverture territoriale en DAB – c’est l’article 1er –, financée par un fonds chargé de garantir l’accès à un distributeur en moins de quinze minutes – c’est l’article 2 –, la commission des finances souhaitant supprimer ces articles, et ce pour plusieurs raisons.
D’abord, on n’observe pas de dégradation de l’accessibilité aux DAB, puisque plus de 99 % de la population vit à moins de quinze minutes en voiture d’un DAB. L’objectif est donc largement satisfait.
Au contraire, la nouvelle mission attribuée à La Poste par l’article 1er pourrait être porteuse d’un effet d’aubaine conduisant au désengagement des banques avant l’entrée en vigueur de la loi. Le rapport sénatorial d’information de mars 2021 sur l’avenir des missions de service public de La Poste, présenté par nos collègues Patrick Chaize, Pierre Louault et Rémi Cardon, avait d’ailleurs exclu toute nouvelle obligation légale de service public visant à garantir l’accès de la population aux DAB sur l’ensemble du territoire.
J’y reviendrai au moment de présenter mes amendements, mais ce rapport misait sur d’autres solutions d’accès aux espèces. Je pense notamment au cash-in-shop, qui compte déjà plus de 25 000 points d’entrée dans notre pays, mais qui gagnerait à être interopérable entre établissements bancaires.
L’article 2 crée un fonds de garantie de la présence bancaire territoriale pour financer la nouvelle mission de La Poste. La commission propose logiquement sa suppression, d’une part, parce que, après la suppression de l’article 1er, cette disposition n’aurait plus d’objet, d’autre part, en raison de modalités de financement critiquables.
Outre les contributions volontaires des collectivités, les recettes de ce fonds comprendraient en effet une taxe sur les bénéfices des établissements bancaires et une contribution des établissements à l’occasion de la suppression de DAB.
La taxation des bénéfices des établissements bancaires, pour laquelle aucun taux n’est prévu, ne concernerait pas les « néobanques » et risquerait de conduire à un renchérissement des services bancaires.
C’est toutefois la contribution des banques à l’occasion de la suppression d’un DAB qui est la plus problématique. Elle frapperait les banques de façon indifférenciée selon le lieu d’implantation. De même, faire contribuer aujourd’hui les banques qui ont maintenu une présence, sans impliquer celles qui ont quitté les territoires depuis longtemps, serait injuste.
Au total, le financement de ce nouveau fonds paraît inéquitable, mal réparti et trop mal défini pour soutenir de façon pérenne un élargissement des missions de La Poste, objectif au demeurant aujourd’hui largement satisfait.
J’en viens maintenant au dernier point de divergence entre la commission et les auteurs du texte : l’article 7, qui vise à imposer à la commission des sanctions de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) le prononcé d’une sanction pécuniaire à l’encontre de l’établissement de crédit qui ne respecterait pas ses obligations en matière de droit au compte ou qui n’appliquerait pas la charte d’inclusion bancaire et de prévention du surendettement.
Une telle disposition nous semble excessive : la commission des sanctions de l’ACPR, autorité indépendante, doit pouvoir rester souveraine dans le choix de la sanction la plus adaptée dans un cadre contradictoire bien établi. Elle est aussi superfétatoire, puisque la commission des sanctions dispose, y compris sur les sujets liés au droit au compte, d’un pouvoir de sanction pécuniaire dont elle a d’ailleurs déjà fait usage.
Les articles 3 à 6 visent à enrichir l’information sur le droit au compte et l’offre spécifique, ainsi qu’à réduire les frais bancaires des publics les plus fragiles. La commission propose de les modifier.
L’article 3 prévoit que la charte d’inclusion bancaire et de prévention du surendettement définit les conditions d’affichage, au sein des agences bancaires, de l’information relative au droit au compte et à l’existence de l’offre spécifique.
Cet article a pour objectif d’améliorer l’information des clientèles fragiles et du public. J’y souscris pleinement. L’information à disposition des clientèles fragiles présente en effet des lacunes et nombreux sont nos compatriotes qui n’ont pas accès à des services adaptés à leurs besoins, faute de les connaître.
Je proposerai de prolonger la réflexion de nos collègues auteurs de la proposition de loi sans en altérer l’esprit. L’amendement de la commission prévoit ainsi d’élargir le champ des informations que les banques seront tenues de fournir au public et aux personnes fragiles pour inclure, outre les informations sur le droit au compte et l’offre spécifique, des informations sur la procédure de traitement du surendettement, le microcrédit, l’exercice du droit d’accès aux fichiers gérés par la Banque de France et les moyens de la contacter sur l’ensemble de ces sujets.
La charte préciserait également les modalités de diffusion de cette information, par leur affichage en agence bancaire ou d’autres moyens selon ce qui paraît le plus pertinent.
Enfin, cette charte devrait aussi définir les conditions de formation de certains professionnels sociaux, les « publics relais », afin de leur permettre d’orienter et d’accompagner aux mieux les potentiels bénéficiaires du droit au compte et de l’offre spécifique.
L’article 4 prévoit que les plafonds spécifiques sur les frais d’incident réservés aux bénéficiaires de l’offre spécifique et du droit au compte soient proportionnels aux revenus : cela paraît trop complexe à mettre en œuvre et supposerait, par ailleurs, que la banque ait connaissance de l’ensemble des revenus de la personne, ce qui porterait atteinte à la confidentialité des données fiscales.
La commission propose la mise en place de « sous-plafonds » pour les bénéficiaires de l’offre spécifique et du droit au compte dont la situation financière est la plus délicate.
L’article 5 vise à introduire dans l’offre spécifique une autorisation de découvert sans frais, là encore proportionnelle aux revenus. Outre le problème de la proportionnalité, cette disposition est contestable non seulement en ce qu’elle pourrait faire courir le risque d’une spirale d’endettement, mais aussi en ce qu’elle introduirait une forme de droit au crédit, encore inexistant dans le droit français. L’établissement de crédit est en effet libre d’accorder ou non un crédit ou une autorisation de découvert.
En revanche, nombre de clients craignent de perdre leur autorisation de découvert au moment de souscrire l’offre spécifique. Un amendement de la commission propose de préciser dans la loi de manière explicite que ces deux éléments sont indépendants.
Enfin, afin d’éviter un report vers d’autres frais en raison des articles 4 et 5, l’article 6 prévoit que les frais bancaires soumis à la dénomination réglementaire existante sont limités, pour les bénéficiaires du droit au compte et de l’offre spécifique, au tiers des facturations appliquées par l’établissement de crédit et plafonnés, par mois et par opération, en fonction du revenu des personnes.
Une telle limitation des frais paraît porter une atteinte disproportionnée à la liberté contractuelle des établissements de crédit et semble redondante avec les plafonds par mois et par opération proposés par ailleurs. Le plafonnement par mois semble, lui aussi, excessif dans la mesure où les frais bancaires mentionnés ici incluraient, au-delà des frais liés à des incidents, les frais de gestion.
Néanmoins, l’introduction d’un simple plafonnement des frais par opération, dont le niveau serait fixé par le pouvoir réglementaire et qui serait réservé aux bénéficiaires de l’offre spécifique ou du droit au compte, ne me paraît pas excessive. La commission présente un amendement en ce sens.
Au total, le texte correspond à des objectifs louables en termes d’inclusion bancaire et contient des orientations intéressantes, mais il mérite d’être modifié pour le rendre opérant.
Si les propositions de la commission sont adoptées, elle appellera à l’adoption du texte.