Intervention de Éric Dupond-Moretti

Réunion du 10 mai 2023 à 15h00
Respect du droit à l'image des enfants — Adoption en procédure accélérée d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Éric Dupond-Moretti :

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, nous sommes réunis cet après-midi pour débattre d’un sujet majeur et ô combien d’actualité : comment mieux protéger la vie privée, notamment l’image de nos enfants ?

C’est l’objet de la présente proposition de loi, portée avec conviction par M. le député Bruno Studer et, je le rappelle, adoptée à l’unanimité en première lecture par l’Assemblée nationale.

L’essor des réseaux sociaux invite à repenser les moyens de protection pour faire face aux nouvelles dérives qui mettent à mal la vie privée et l’image de nos enfants.

Avant l’âge de 13 ans, un enfant apparaît, en moyenne, sur le compte de ses parents ou de ses proches sur 1 300 photographies publiées en ligne. Dans le même temps, les parents d’enfants âgés de moins de 13 ans partagent en moyenne 71 photos et 29 vidéos par an sur les réseaux sociaux. Un cinquième des parents ont des profils Facebook publics, et la moitié partagent des photos avec des amis virtuels qu’ils ne connaissent pas vraiment.

À cette vitesse, d’ici à la fin de la décennie, les informations partagées en ligne par les parents seront la première cause d’usurpation d’identité pour leurs enfants.

Que l’on ne s’y trompe pas : les images des enfants sont bel et bien des données personnelles sensibles, qui soulèvent des enjeux de pédocriminalité, d’identité numérique, d’exploitation commerciale ou encore de harcèlement.

Je veux partager avec vous le constat alarmant des auteurs de la présente proposition de loi : en 2020, près de 50 % des images qui s’échangent sur les sites pédopornographiques ont été initialement publiées par les parents.

Parallèlement, les données personnelles des enfants mises en ligne par leurs parents interrogent les notions de droit à l’oubli et, bien sûr, d’identité numérique.

Sur le long terme, mesdames, messieurs les sénateurs, les contenus publiés – même en toute bonne foi – par leurs parents pourraient porter préjudice aux enfants et compromettre, par exemple, leur crédibilité lors d’une candidature scolaire ou professionnelle.

Face à ces risques et dans l’intérêt supérieur et bien compris de l’enfant, il est nécessaire de cadrer les conditions d’exercice par les parents de leur autorité parentale en matière de vie privée et de droit à l’image de leurs enfants. Pendant la minorité de l’enfant, ce sont, en effet, les parents qui sont en charge de la protection de sa vie privée et de son droit à l’image.

La loi du 19 octobre 2020 visant à encadrer l’exploitation commerciale de l’image d’enfants de moins de 16 ans sur les plateformes en ligne, dite loi Enfants influenceurs, a constitué une première étape importante dans l’exercice du droit à l’image des enfants exposés sur les réseaux sociaux. Hier même, votre assemblée examinait en première lecture sur une nouvelle proposition de loi visant à lutter contre les dérives des influenceurs sur les réseaux sociaux. C’est dire si le monde de l’internet a décidément un grand besoin de régulation, pour les adultes, bien sûr, mais également pour les enfants, en particulier ceux qui n’ont aucune prétention d’être des influenceurs.

Cette proposition de loi vise donc à aller plus loin. Dans une démarche pédagogique, sans bouleverser l’état du droit, elle vise à s’assurer de la bonne utilisation par les parents de l’image de leur enfant.

L’article 1er modifie l’article 371-1 du code civil afin d’introduire la notion de « vie privée » de l’enfant dans la définition de l’autorité parentale. À ce sujet, je salue le travail de la commission qui a repositionné l’ajout de la notion de « vie privée » à la fin de l’article 371-1 du code civil : il est plus cohérent de formaliser le droit à la vie privée du mineur au sein des droits dus à sa personne.

L’article 2, en revanche, a été supprimé. La commission a fait ce choix alors qu’il me semblait présenter plusieurs intérêts. D’abord, il inscrivait dans la loi le droit à l’image, ce droit n’étant pour l’instant consacré que par la jurisprudence. Ensuite, il rendait ce droit plus visible pour les parents. Je prends néanmoins acte de la position de la commission sur cet article.

L’article 3 a également été modifié pour faire de tous les actes « relatifs à la vie privée de l’enfant » des actes non usuels. Permettez-moi d’exprimer des réserves sur cette nouvelle rédaction.

Premièrement, j’en émettrai une sur son emplacement à l’article 372-2 du code civil. Cet article a, en effet, pour objet de définir le régime juridique de l’acte usuel relatif à la personne de l’enfant et non de définir ou d’énumérer les actes relevant du régime juridique des actes non usuels. Outre que cette disposition fragilise l’économie générale de l’article 372-2, elle comporte le risque de constituer un précédent en invitant le législateur à dresser une liste des actes usuels et non usuels dans la loi. Or l’établissement d’une telle liste, qui, pour être utile, devrait être exhaustive, n’est en pratique pas possible : l’appréciation de ce qui relève d’un acte usuel ou non usuel est nécessairement casuistique. Elle nécessite donc d’être appréciée finement par un juge pour préserver au mieux l’intérêt de l’enfant.

Deuxièmement, la notion de « contenus relatifs à la vie privée de l’enfant » est trop large : elle dépasse la publication de la seule image de l’enfant, puisqu’il suffirait que la publication soit relative à la vie privée de l’enfant pour être qualifiée d’acte non usuel et nécessiter alors l’accord des deux parents. Cela induit, à mon sens, un cadre juridique trop contraignant.

Surtout, cet article complexifie et rigidifie le quotidien des familles, puisque l’accord des deux parents pourra être systématiquement exigé par les tiers pour toute diffusion de contenu relatif à la vie privée de l’enfant. Or un tel recueil ne sera pas toujours possible en pratique, par exemple en cas de conflit parental ou d’absence de l’autre parent.

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