Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, en 1965, le chimiste et physicien Gordon Moore théorisait que, chaque année, la complexité des semi-conducteurs – qui sont au cœur de nos ordinateurs et de nos téléphones portables – allait, à coût constant, doubler.
Jusqu’à présent, sa théorie s’est vérifiée, année après année. Cette complexification constante et à coût constant a démocratisé l’accès au numérique, au point que nous avons désormais toutes et tous des téléphones portables, des iPads – comme celui sur lequel je lis mon intervention –, des ordinateurs, qui nous permettent de tout photographier, de filmer chaque moment de la vie et de les partager en direct sur les réseaux sociaux.
Or, comme souvent, le cadre législatif ne suit guère, ou tout du moins pas assez rapidement. C’est particulièrement vrai pour ce qui concerne le droit à l’image des enfants, qui n’est plus du tout adapté à notre époque. Pour beaucoup d’individus, ce qu’ils auront fait enfants pourra être vu par tous parce que des parents ont trouvé amusant de publier, à un moment donné, une vidéo de leurs enfants sur Instagram.
Souvent, les parents n’ont pas conscience des répercussions que peut avoir la publication de telles images, notamment celle de séquences qui mettront potentiellement leurs enfants – qui n’avaient pas la maturité nécessaire pour décider de publier ou non ces images – très mal à l’aise des années plus tard et susciteront des moqueries, voire du harcèlement.
En outre, il existe un risque réel de détournement des images des mineurs, à des fins d’usurpation d’identité, de chantage, de cyberharcèlement ou de pédopornographie. En effet, les pédocriminels se nourrissent très souvent d’images qui ont été postées à la légère par des parents.
Aussi est-il évident qu’il nous faut mieux encadrer le droit à l’image des enfants dans la loi pour enfin tenir compte de la démocratisation du numérique et de l’exposition des mineurs.
C’est pourquoi le groupe écologiste soutient pleinement cette proposition de loi. Nous saluons en particulier l’introduction de la notion de vie privée dans la définition de l’autorité parentale. Si l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme consacre le droit à la vie privée et que la convention internationale des droits de l’enfant précise que ce droit s’applique bien également aux enfants, la définition de l’autorité parentale dans le droit français n’y fait à ce jour pas référence. Il était donc urgent de l’ajouter.
De plus, nous approuvons l’ajout, en commission, de l’article 5, qui prévoit que la Cnil puisse ordonner le blocage d’un site internet en cas d’atteinte aux droits et aux libertés des enfants. Actuellement, la loi prévoit ce blocage pour les atteintes subies par les mineurs et majeurs, mais uniquement si l’atteinte est grave ou immédiate. Cet assouplissement des conditions de recours pour les mineurs renforce leur protection en ligne. Je remercie donc la rapporteure de son initiative.
Cette disposition vient utilement compléter une proposition de loi qui comportait jusque-là un angle mort : au-delà des mesures visant à responsabiliser les parents, la responsabilité des opérateurs de réseaux sociaux avait été quelque peu oubliée. Pourtant, les réseaux sociaux jouent un rôle clé dans les atteintes au droit à l’image des enfants. Au bout du compte, où ces images sont-elles diffusées ? Elles ne sont pas placardées dans la rue ; elles sont publiées sur les réseaux sociaux !
En complément du droit à l’oubli, qui permet aux enfants ou aux enfants devenus majeurs de demander le retrait de ces publications – il s’agit d’un élément très important –, nous souhaitons permettre aux titulaires de l’autorité parentale de demander le retrait d’images montrant leurs enfants diffusées par des tiers.
Concrètement, le groupe écologiste demande que tout opérateur d’un réseau social mette en place un mécanisme de signalement afin que les parents puissent signaler des images de leurs enfants ayant été diffusées sans ou contre leur accord.
Enfin, je rappelle que les mineurs ne sont pas des êtres dénués d’avis. Bien sûr qu’il faut responsabiliser les parents – c’est l’objet de ce texte –, mais il ne faut pas oublier que les enfants sont doués de droits fondamentaux et, aussi, de cerveaux ! Un enfant peut être gêné par une photo et exprimer une opposition à sa publication en ligne ; il faut en tenir compte.
Ce n’est pas facile à faire : j’ai moi-même fait l’expérience de tenter d’expliquer ce qu’implique la publication d’une photo sur les réseaux sociaux à ma nièce de 6 ans. Il s’agissait d’un dessin qu’elle avait fait. Elle a fini par me répondre qu’elle n’était pas assez grande pour comprendre ce que je lui expliquais – ce qui est déjà une grande preuve de maturité.
Mais, dans la plupart des cas, les parents ne prennent pas soin de demander l’avis de leurs enfants avant de publier une image, et même lorsqu’ils le font, tous n’ont pas conscience de l’importance de cette demande ni de la manière de la formuler. C’est la raison pour laquelle nous souhaitons inscrire dans la loi le fait que les parents doivent associer leurs enfants à l’exercice du droit à leur image en fonction de leur âge et de leur degré de maturité.
Au fond, la réponse au développement du numérique doit être triple : responsabiliser les parents vis-à-vis des conséquences de la diffusion d’images, faciliter la suppression des images en ligne et associer les enfants.