Doit-on inscrire dans notre droit un renoncement à faire de la France un pionnier en termes de progrès environnemental, social et sanitaire ? Cela nous paraît aller contre le sens de l'Histoire. Alors que les sécheresses et les preuves des impacts des pesticides, ainsi que la pollution de notre ressource en eau, devraient nous pousser à accélérer la transition, on voudrait, par ce texte, nous contraindre à la ralentir.
Pis, on nous propose même de faire marche arrière et de revenir sur les trop rares avancées de ces dernières années. Abandonnée, la séparation des activités de conseil et de vente pour les pesticides, qui visait à garantir aux agriculteurs un conseil indépendant ! Exit, la loi de 2014, qui favorise, en renforçant le rôle de l'Anses, l'indépendance de la décision sur les autorisations de pesticides !
Pire encore, on nous propose même de remettre en cause le droit européen de protection de l'environnement et de faire primer les intérêts économiques de court terme.
Ainsi, sur les pesticides, vous proposez de contraindre les retraits de produits dangereux au regard d'une balance bénéfices-risques entre, d'un côté, la santé et l'environnement et, de l'autre, les distorsions de concurrence.
Cette proposition fait preuve d'un cynisme sans nom §à tel point que l'association Phyto-Victimes, représentant les professionnels malades du fait des pesticides, nous interpellait voilà quelques jours dans un communiqué de presse, avec cette question : « Notre santé a-t-elle un prix ? ».
En plus d'être cynique, cette mesure est une attaque en règle contre le droit européen. La Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) vient tout juste de le rappeler : le règlement relatif à l'autorisation des pesticides prévoit que l'objectif de protection de la santé humaine et de l'environnement devrait primer sur l'objectif de croissance des rendements.
Reconnaissons que vous n'êtes pas les seuls à promouvoir ces attaques, aussi dangereuses soient-elles. Nous avons tous en tête les déclarations visant à regretter l'élimination de certaines molécules, comme si leur interdiction ne procédait pas d'études scientifiques prouvant leur dangerosité. Tant pour les néonicotinoïdes que pour la phosphine ou le glyphosate, il ne s'agit pas de créer de la norme pour la norme ; il s'agit de lutter contre une pollution généralisée et d'enrayer l'effondrement de la biodiversité.
Nous voulons poser une question : le mot d'ordre de la compétitivité-prix porté par les majorités sénatoriale et gouvernementale bénéficie-t-il réellement aux agriculteurs ? C'est là un enjeu crucial de notre débat.
En agitant les chiffons rouges de la surtransposition des normes européennes, des cotisations sociales trop élevées, des normes environnementales trop contraignantes, on oublie de poser dans le débat public les vrais sujets qui menacent notre agriculture.
Ces sujets, vous les connaissez tous. Ce sont la promotion du libre-échange et de la dérégulation des marchés européens, la promotion d'une PAC inégalitaire et inefficace, et celle d'une répartition de la valeur inéquitable dans les négociations commerciales.
Le CETA (Comprehensive Economic and Trade Agreement), conclu en 2016, n'a toujours pas été soumis au vote du Sénat, dans un déni de démocratie que nous n'oublions pas. De même, de nombreuses inquiétudes persistent, que nous partageons, quant à l'impact de l'accord avec le Mercosur sur les marchés agricoles.
C'est en agissant pour une sortie de l'agriculture du libre-échange, pour la régulation des marchés au niveau européen, pour une PAC juste, qui accompagne les transitions, que nous garantirons un revenu décent à de nombreux agriculteurs.
Nous voulons en effet construire une véritable compétitivité pour notre agriculture. Or la compétitivité-prix, placée au cœur de ce texte, est extrêmement réductrice. Elle néglige tout un pan de coûts qui sont assumés, in fine, par qui ? Par la collectivité, bien sûr !
Que devient l'analyse de la compétitivité de notre agriculture si l'on y inclut les coûts cachés des pesticides, des nitrates et des engrais azotés ? Que devient l'analyse de notre balance commerciale si l'on y inclut les coûts de l'importation massive d'intrants et les subventions publiques visant en définitive à soutenir l'exportation de denrées alimentaires ?
La compétitivité de notre agriculture inclut l'ensemble de ces dimensions, à la fois économiques, sociales, environnementales et sanitaires. Elle prend en compte les emplois générés, la qualité de l'alimentation, la vie des territoires, la réponse aux attentes des consommateurs.
Oui, il nous faut maintenir et développer une production locale, diversifiée, à même de nourrir notre population et d'exporter pour équilibrer notre balance commerciale. Oui, l'augmentation des importations est une véritable problématique.
Mais la solution n'est pas de se lancer dans une course au moins-disant social et environnemental. Elle réside dans l'accompagnement de la relocalisation de l'alimentation et dans la transition vers des pratiques agronomiques permettant de se passer d'intrants, dont les coûts explosent, et de limiter la consommation d'eau et d'énergie, à l'heure où l'efficacité et la sobriété sont des nécessités.
De telles solutions sont pourtant les grandes absentes de ce texte, qui mise sur le renforcement de nos dépendances à la mécanisation, à la robotique, à l'irrigation massive, aux pesticides, le tout à grand renfort de dépenses publiques et d'exonérations de cotisations sociales.
L'agroécologie, notamment l'agriculture biologique, fonctionne déjà sur le terrain. Elle permet de cultiver l'autonomie et la résilience et de produire des excédents.
Certes, il nous faudra garantir l'accès de toutes et tous à cette alimentation locale et de qualité. Nous ne pouvons pas oublier qu'un nombre croissant de nos concitoyens souffrent de précarité alimentaire. Cependant, à nos yeux, la réponse se situe dans une politique ambitieuse de justice sociale pour l'accès à une alimentation de qualité.
À l'heure où les inégalités explosent, cette ambition, plus que jamais nécessaire, est systématiquement négligée par les politiques publiques. Nous devons agir, collectivement, pour construire une véritable sécurité sociale de l'alimentation, comme le soulignait notre collègue Mélanie Vogel dans son rapport sur la sécurité sociale écologique.
Chers collègues, nous vous proposons donc, par le vote de cette motion, de respecter le temps du débat démocratique. Nous vous demandons de refuser un texte qui, en s'appuyant sur un diagnostic erroné, en attaquant le droit européen et en propageant de fausses informations, nous propose une série de régressions sociales et environnementales qui ne seront bénéfiques ni pour nos concitoyens ni pour nos agriculteurs. §