Intervention de Fabien Gay

Réunion du 16 mai 2023 à 16h00
Ferme france — Discussion générale

Photo de Fabien GayFabien Gay :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, s'il y a bien une conviction que notre groupe partage avec les auteurs de ce texte, c'est celle que notre modèle agricole doit être transformé en profondeur. Pour le reste, nous ne partageons ni la vision de l'agriculture développée dans cette proposition de loi ni les solutions qui y sont mises en avant. Ce sont donc bien deux visions qui s'opposent.

Aborder le sujet de l'agriculture, c'est se plonger dans un système complexe, placé au cœur de l'économie mondialisée, et qui mêle plusieurs questions essentielles : celle, d'abord, des ressources naturelles, de l'eau, de l'air, de la Terre, qui nous nourrit et dont nous devons prendre soin, car nous n'en avons qu'une ; celle, également centrale, du travail et de la rémunération des femmes et des hommes qui nous permettent de nous nourrir et qui éprouvent chaque jour les conséquences d'un changement climatique qui s'accélère ; celle, enfin, du droit à une alimentation saine et de qualité pour toutes et tous.

L'enjeu est de taille. Nous sommes désormais forcés de constater qu'une alimentation à deux vitesses s'est mise en place dans notre pays, propulsée par une inflation alimentaire sans précédent et par les échecs de décennies entières passées à favoriser les traités de libre-échange plutôt qu'à encourager et à accompagner une agriculture locale, bio et paysanne.

Les phénomènes d'agrandissement et de spécialisation, qui entraînent des accaparements fonciers et qui conduisent à une disparition des paysans, sont ignorés et passés sous silence.

La compétitivité par les prix reste le prisme de réflexion, mandat après mandat, gouvernement après gouvernement, sans reconnaître les spécificités de l'agriculture ni l'absolue nécessité d'une exception agricole.

Les traités de libre-échange restent la logique de la politique agricole française, sans cesse guidée par le moins-disant social et environnemental, sans parler de la PAC, dont il faut revoir les priorités et les critères.

Ces raisonnements nous conduisent sur une pente dangereuse, celle du renoncement, mais aussi, parfois, du dénigrement de l'administration et des agents publics, en particulier de l'Anses, dont vous nous avez dit, monsieur le ministre, qu'elle n'avait pas « vocation à décider de tout, tout le temps, en dehors du champ européen et sans jamais penser aux conséquences pour nos filières ».

Vous avez raison, monsieur le ministre : on peut parfois concilier intérêts économiques et intérêts sociaux ; mais, souvent, privilégier les intérêts économiques de court terme va à l'encontre de la défense de l'intérêt général, de la santé et de l'environnement.

Non, nous n'avons pas le temps de faire une pause environnementale de cinq ans, n'en déplaise au Président de la République, ni sur la qualité de l'air, ni sur la qualité des sols, ni sur la qualité de l'eau.

Sur ce dernier point, nous allons d'aberration en aberration. Nous le voyons bien sur la question des retenues d'eau : déclarer systématiquement, sans distinction, qu'elles relèvent de l'intérêt public majeur reviendrait à autoriser toutes les mégabassines !

L'eau doit être considérée comme un bien commun, et sa gestion doit reposer sur le triptyque : préservation, partage, juste répartition. Parce qu'elle est une ressource indispensable à la vie, la réalisation de tels ouvrages doit se faire à partir de critères de faisabilité, de pertinence scientifique et d'objectifs d'utilité publique.

Les projets de territoires pour la gestion de l'eau ont vocation non pas à donner blanc-seing à toutes les mégabassines, mais bien à interroger l'ensemble des possibilités sur un territoire pour optimiser, répartir et préserver la ressource en eau.

Dernier point, et non des moindres, la question de l'emploi et du travail agricole.

Le milieu perd des actifs et peine à renouveler les départs à la retraite. C'est toute une politique de l'emploi qu'il faut revoir pour lutter contre des conditions de travail dégradées et contre des dispositifs fiscaux qui encouragent le recours aux contrats courts et saisonniers.

Plutôt que de précariser le travail agricole, il faut renforcer son attractivité et garantir des conditions de travail dignes aux hommes et aux femmes qui nous permettent de nous nourrir, en France et partout dans le monde.

C'est tout un système mondial qu'il faut repenser : un système dans lequel des multinationales toujours plus avides de profit épuisent les terres des pays en voie de développement, exploitent les populations locales, condamnent la biodiversité et, avec elle, toute l'humanité ; un système dans lequel le capitalisme règne en maître sur des marchés mondiaux ; un système dans lequel les agricultures vivrières et les petites structures n'ont pas leur place…

Aux traités de libre-échange et à la compétition mondiale, il faut opposer les coopérations entre pays, inverser les logiques à l'œuvre dans ce capitalisme dévastateur pour l'humain et pour la planète.

La rémunération du travail paysan, la réduction du réchauffement climatique, l'accès à une alimentation de qualité pour toutes et tous, la préservation de la biodiversité sont les seules conditions, incompatibles avec les lois du profit, d'une sécurité alimentaire française et mondiale.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion